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14/12/2018 | FRANCE | N°16BX01701

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre - formation à 3, 14 décembre 2018, 16BX01701


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête enregistrée sous le n° 1300471, l'association des producteurs usagers du marché de Moissac a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 12 décembre 2012 par laquelle le directeur général de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) lui a demandé le reversement d'une subvention d'un montant de 638 822,53 euros et lui a infligé une sanction d'un montant de 127 764,51 euros.

Par une seconde requête enre

gistrée sous le n° 1302441, l'association a demandé au tribunal administratif d'an...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête enregistrée sous le n° 1300471, l'association des producteurs usagers du marché de Moissac a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 12 décembre 2012 par laquelle le directeur général de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) lui a demandé le reversement d'une subvention d'un montant de 638 822,53 euros et lui a infligé une sanction d'un montant de 127 764,51 euros.

Par une seconde requête enregistrée sous le n° 1302441, l'association a demandé au tribunal administratif d'annuler le titre exécutoire émis à son encontre le 5 novembre 2012 par l'agent comptable de FranceAgriMer en vue de recouvrer un montant total de 766 587,04 euros, ensemble la décision par laquelle le directeur général de FranceAgriMer a implicitement rejeté le recours gracieux qu'elle a formé contre ce titre, et de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme.

Par un jugement n° 1300471-1302441 du 23 mars 2016, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'ensemble des décisions attaquées et a déchargé l'association de l'obligation de payer les sommes en litige.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 mai 2016 et le 10 avril 2017, l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), venant aux droits de l'office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture (ONIFLHOR) et de l'office national interprofessionnel des fruits, des légumes, des vins et de l'horticulture (VINIFLHOR), représenté par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 23 mars 2016 ;

2°) de rejeter la requête de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'association des producteurs usagers du marché de Moissac une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement n'analyse pas correctement les moyens des parties, en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- sur le fond : rien ne s'oppose à l'application de la prescription nationale de droit commun dès l'origine, dès lors que la réduction du délai de prescription est intervenue par voie législative (la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile) et que des dispositions transitoires ont été prévues (cf. l'article 2222 du code civil) ; ainsi, les dispositions de l'article 2224 du code civil sont venues réduire le délai de prescription de trente à cinq ans : ce nouveau délai de cinq ans a commencé à courir à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ;

- en tout état de cause, même si la prescription quadriennale prévue au règlement CE n° 2988/95 s'appliquait avant l'entrée en vigueur de la loi de 2008, la créance n'est donc pas prescrite en application des dispositions transitoires de l'article 2222 du code civil : un nouveau délai de cinq ans a commencé à courir ;

- en l'espèce, le délai de prescription total, après avoir été réduit par le législateur, étant d'un peu plus de dix ans (du 1er janvier 2003 au 19 juin 2013), il ne saurait être regardé comme présentant un caractère disproportionné ou comme portant atteinte au principe de sécurité juridique ; c'est donc la prescription nationale de droit commun qu'il convenait de retenir comme ayant commencé à courir au 1er janvier 2003, puis, en application du second paragraphe de l'article 2222 du code civil, le nouveau délai de cinq ans qui a commencé à courir le 19 juin 2008, n'était pas achevé lorsque le titre de recette a été émis par l'agent comptable le 15 novembre 2012 ;

- saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, la cour rejettera comme mal fondée la requête présentée par l'association pour les motifs exposés dans le mémoire en défense présenté en première instance.

Par un courrier enregistré le 25 juillet 2016, le mandataire judiciaire de l'association des producteurs usagers de Moissac produit la copie d'un jugement du tribunal d'instance de Montauban, du 2 février 2016, prononçant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de l'association et informe la cour qu'aucun mémoire en défense ne sera produit.

Par ordonnance du 6 mars 2017, la clôture d'instruction a été fixée le 11 avril 2017 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, notamment ses articles 1 et 26 ;

- le code rural et de la pêche ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sylvande Perdu,

- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., représentant l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer).

Considérant ce qui suit :

1. L'association des producteurs usagers du marché de Moissac, qui a le statut de syndicat professionnel, a bénéficié d'aides communautaires au titre de son programme opérationnel pour l'année 2002. A la suite d'un contrôle sur place réalisé du mois de septembre 2004 au mois de janvier 2005, le directeur général de l'établissement public FranceAgriMer a, par une décision du 12 décembre 2012, demandé à l'association de reverser la totalité de l'aide perçue s'élevant à la somme de 638 822,53 euros, et lui a infligé une sanction d'un montant de 127 764,51 euros. Un titre exécutoire a été émis le 5 novembre 2012 en vue de recouvrer la somme totale de 766 587,04 euros. Le recours gracieux formé par l'association le 4 février 2013 à l'encontre de ce titre a été implicitement rejeté. L'association des producteurs usagers du marché de Moissac a contesté ces trois décisions devant le tribunal administratif de Toulouse qui, par un jugement n° 1300471, 1302441 du 23 mars 2016, les a annulées et a déchargé l'association de l'obligation de payer les sommes en litige au motif que la créance de l'administration était prescrite. L'établissement public FranceAgriMer interjette appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. (...) ".

3. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions n'est pas assorti des précisions permettant d'en trancher le bien-fondé.

Sur la prescription de la créance en litige :

4. Aux termes de l'article 1er du règlement (CE) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue. " ; qu'aux termes de l'article 3 du même règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1. (...) Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. (...) La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l'autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans les cas où la procédure administrative a été suspendue conformément à l'article 6 paragraphe 1. (...) / 3. Les Etats membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 (...). ".

5. L'article 2262 du code civil dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 19 juin 2008 prévoyait : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans ". Aux termes de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi susvisée du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ". L'article 26 de cette loi dispose que : " I. - Les dispositions de la présente loi qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. II. - Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (...) ".

6. Il résulte de l'arrêt du 5 mai 2011 Ze Fu Fleischhandel GmbH et Vion Trading GmbH de la Cour de justice de l'Union européenne (affaires C-201/10 et C-202/10) que le principe de sécurité juridique s'oppose à ce qu'un délai de prescription tel que le délai de la prescription trentenaire fixé par l'article 2262 du code civil puisse être appliqué aux actions des organismes d'intervention agricole lorsqu'ils réclament le reversement d'une aide indûment versée. Par suite, seul le délai de prescription de quatre années prévu par l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement précité était applicable jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions de la loi du 17 juin 2008.

7. Le délai de prescription de cinq ans résultant de la loi du 17 juin 2008 allonge la durée de la prescription fixée par la règlementation européenne. Par suite, contrairement à ce que soutient FranceAgriMer, il doit être tenu compte du délai de la prescription quadriennale qui s'est écoulé à la date d'entrée en vigueur de la loi, le 19 juin 2008.

8. En l'espèce, la décision qui demande de reversement d'une subvention et inflige une sanction relève des dispositions précitées de l'article 3 du règlement n° 2988/1995 du 18 décembre 1995 : le délai de prescription de quatre ans prévu au quatrième alinéa du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement commence à courir, en cas d'irrégularité continue ou répétée, à compter du jour où celle-ci a pris fin, quelle que soit la date à laquelle l'administration nationale a pris connaissance de cette irrégularité. Il résulte de l'instruction que le délai de prescription de quatre ans a commencé à courir à compter du 1er janvier 2003, date à laquelle le fonds opérationnel 2002 au titre duquel ont été constatées les irrégularités en litige était clôturé.

9. Ce délai de prescription de quatre ans, conformément au paragraphe 1er de l'article 3 du règlement précité, a été interrompu par un courrier du 13 octobre 2006 par lequel l'établissement public Viniflhor, devenu FranceAgriMer a informé l'association des producteurs usagers du marché de Moissac que les irrégularités constatées lors des contrôles effectués étaient susceptibles de le conduire à lui réclamer le remboursement de la totalité de l'aide et le paiement d'une sanction financière. Il n'était pas expiré le 19 juin 2008. Par conséquent, le terme du délai quadriennal ainsi allongé d'un an a été porté au 13 octobre 2011, sans qu'il résulte de l'instruction qu'un acte émanant de FranceAgriMer relatif à l'interruption ou à la poursuite des irrégularités commises par l'association requérante et pouvant être regardé comme ayant de nouveau interrompu le délai de prescription soit intervenu avant cette date. Par suite, les premiers juges ont à juste titre retenu qu'à la date des décisions attaquées, la prescription, en vertu des dispositions combinées de l'article 3 du règlement n° 2988/95 et de la loi du 17 juin 2008, était acquise à l'association.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'établissement FranceAgriMer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'ensemble des décisions relatives à la créance en litige.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'association des producteurs usagers du marché de Moissac, qui n'a pas la qualité de partie perdante, une somme au titre des frais exposés par FranceAgriMer et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête présentée par FranceAgriMer est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer FranceAgriMer et à Me C...liquidateur judiciaire de l'association des producteurs usagers du marché de Moissac.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

Mme Sylvande Perdu, premier conseiller,

M. Romain Roussel, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 14 décembre 2018.

Le rapporteur,

Sylvande Perdu

Le président,

Philippe Pouzoulet

Le greffier,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX01701


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX01701
Date de la décision : 14/12/2018
Type d'affaire : Administrative

Analyses

Agriculture et forêts - Bois et forêts - Protection des bois et forêts.

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables.

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables - Politique agricole commune.

Communautés européennes et Union européenne - Litiges relatifs au versement d`aides de l'Union européenne.

Comptabilité publique et budget - Créances des collectivités publiques - Recouvrement.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: Mme Sylvande PERDU
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : PAGNOUX ALAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-12-14;16bx01701 ?
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