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29/11/2018 | FRANCE | N°16BX02911

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 29 novembre 2018, 16BX02911


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Automobiles Réunion a demandé au tribunal administratif de La Réunion :

1°) d'ordonner une expertise avant-dire droit ;

2°) à titre principal, d'annuler la décision du 19 décembre 2013 par laquelle le président de la communauté d'agglomération du sud (CASud) lui a infligé des pénalités de retard d'un montant de 105 000 euros dans le cadre de l'exécution du lot n° 5 " acquisition, livraison et maintenance d'autocars de plus de 34 places " d'un

marché à bons de commande relatif à l'acquisition, la livraison et la maintenance de véhicule...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Automobiles Réunion a demandé au tribunal administratif de La Réunion :

1°) d'ordonner une expertise avant-dire droit ;

2°) à titre principal, d'annuler la décision du 19 décembre 2013 par laquelle le président de la communauté d'agglomération du sud (CASud) lui a infligé des pénalités de retard d'un montant de 105 000 euros dans le cadre de l'exécution du lot n° 5 " acquisition, livraison et maintenance d'autocars de plus de 34 places " d'un marché à bons de commande relatif à l'acquisition, la livraison et la maintenance de véhicules de transport en commun pour le réseau " CARsud ", signé le 27 août 2012 ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter le montant des pénalités à la somme de 15 000 euros ;

4°) en tout état de cause, de condamner la CASud à lui verser la somme de 21 303,74 euros en réparation de son préjudice financier résultant des frais exposés pour équiper les autocars livrés d'un système d'exploitation compatible avec le logiciel " Mirage " utilisé par la CASUD au titre de l'aide à l'exploitation des autocars ;

5°) de mettre à la charge de la CASud une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1400456 du 26 mai 2016, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 août 2016 et des mémoires enregistrés les 20 février 2017 et le 18 décembre 2017, la société Automobiles Réunion, représentée par Me B..., demande à la cour :

-A titre principal :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 26 mai 2016 ;

2°) d'annuler la décision de la CASud de lui appliquer des pénalités de retard ;

3°) de condamner la CASud à lui verser la somme de 21 303,74 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi.

- A titre subsidiaire :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 26 mai 2016 en ce qu'il a refusé de moduler les pénalités de retard appliquées à la société Automobile Réunion ;

2°) de juger que les pénalités de retard applicables à la société Automobile Réunion doivent être limitées à la somme de 15 000 euros.

- En tout état de cause, de mettre à la charge de la CASud une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, le jugement est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation des faits en ce qu'il a considéré que le retard de livraison lui était exclusivement imputable, concluant qu'elle n'était donc pas fondée à demander l'annulation des pénalités de retard qui lui étaient infligées et l'indemnisation de prestations supplémentaires. Les difficultés rencontrées par elle dans l'exécution de son marché sont relatives à un problème d'interface entre le système d'exploitation des véhicules et le logiciel " Mirage " de la société ECI. Le tribunal a retenu uniquement que le CCTP du marché prévoyait que " les équipements systèmes embarqués doivent être évolutifs et permettre une compatibilité avec tout système de gestion d'un système d'aide à l'exploitation ", et n'a nullement tenu compte des réserves faites par la société Automobiles Réunion lors de la négociation des offres, sur la nécessité d'une interface conçue par le fournisseur ECI chargé du logiciel du système d'aide à l'exploitation, commettant ainsi une erreur dans l'appréciation des faits et omettant de prendre en compte un élément important du dossier. La modification des spécifications attendues, demandée par la CASud, a été notifiée tardivement alors que les 4 autocars commandés allaient être envoyés à La Réunion, ce qui a imposé de travailler à leur mise en conformité à leur arrivée sur l'île. Les retards sont donc imputables à la société ECI et à la CASud qui a tardé à demander à celle-ci la réalisation d'une interface ;

- outre les pénalités de retard qui lui ont été appliquées indûment par la personne publique, elle a également subi un préjudice constitué par l'obligation de désinstaller totalement l'équipement d'origine et de le remplacer par un autre matériel fourni par la société SPEC, pour un montant total de 21 303,74 euros TTC, et de prendre du matériel complémentaire auprès de la Société ECI pour 9 435,89 euros TTC ;

- à titre subsidiaire, le jugement est entaché d'une erreur d'appréciation des faits en ce qu'il a considéré que le montant des pénalités n'était pas manifestement excessif. Il est demandé a minima qu'un partage de responsabilité soit effectué dans le cadre du pouvoir de modulation des pénalités du juge administratif. D'une part, le retard de livraison des véhicules n'a occasionné aucun préjudice, la CASud n'ayant pris possession des autocars que 6 semaines après leur livraison. D'autre part, du fait des difficultés rencontrées avec le logiciel Mirage, elle a été dans l'obligation d'acheter du nouveau matériel auprès de la société SPEC mais aussi auprès de la société ECI. Ainsi, le tribunal a commis une erreur dans l'appréciation des faits en considérant simplement que le montant de ces pénalités, qui dépasse 10 % du marché, n'était pas excessif, sans tenir compte des investissements complémentaires supportés par elle, mais aussi de l'attitude de la CASud dans la réception des véhicules et de la bonne volonté manifeste du titulaire du marché de tout mettre en oeuvre pour respecter les délais du marché.

Par ordonnance du 23 novembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 21 décembre 2017.

Un mémoire en défense a été présenté pour la CASud, enregistré le 16 octobre 2018 après la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Nathalie Gay-Sabourdy,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant la société Automobiles Réunion.

Une note en délibéré présentée pour la société Automobiles Réunion a été enregistrée le 8 novembre 2018.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics le 3 février 2012, la communauté d'agglomération du Sud (CASud) de la Réunion a lancé une procédure de publicité et de mise en concurrence en vue de l'attribution d'un marché à bons de commandes ayant pour objet " d'une part, l'acquisition et la livraison de véhicules de transport en commun pour le réseau Carsud et d'autre part, la maintenance pour une durée de 3 ans de ces véhicules ". La CASud a confié le lot n° 5 " acquisition, livraison et maintenance d'autocars de plus de 34 places " à la société Automobiles Réunion, par acte d'engagement signé le 27 août 2012, avec un minimum d'acquisition de deux véhicules et un maximum de dix. En exécution de ce marché, la CASud a émis le 29 novembre 2012 un bon de commande, notifié à la société Automobiles Réunion le 12 décembre 2012, pour l'acquisition et la livraison de quatre autocars de plus de 34 places pour un montant total de 976 800 euros HT. Le délai maximal de livraison de 7,5 mois à compter de la notification du bon de commande expirait donc le 27 juillet 2013. Les véhicules commandés ont été livrés pour le premier le 9 août 2013 et pour les trois suivants le 31 octobre 2013. Par un courrier du 13 août 2013, le président de la CASud a notifié à la société Automobiles Réunion son intention d'appliquer les pénalités de retard prévues à l'article 13 du cahier des clauses administratives particulières. Par une lettre du 19 décembre 2013, le président de la CASud a adressé à la société Automobiles Réunion le décompte des pénalités d'un montant total de 105 000 euros. Par une réclamation en date du 18 février 2014, la société Automobiles Réunion a contesté l'application des pénalités et a demandé à la CASud le versement d'une somme de 21 303,74 euros en remboursement des frais exposés par elle pour équiper les bus d'un système d'exploitation compatible avec le système d'aide à l'exploitation des bus de la CASud, dénommé Mirage, mis en oeuvre par la société ECI. En l'absence de réponse expresse de la CASud, la société Automobiles Réunion a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une demande tendant à titre principal à l'annulation de la décision du 19 décembre 2013, et à titre subsidiaire, à la modération du montant des pénalités à 15 000 euros et, en tout état de cause, à la condamnation de la CASud à lui verser la somme de 21 303,74 euros au titre des frais engagés pour désinstaller l'équipement d'origine des véhicules et installer un nouvel équipement. Par un jugement du 26 mai 2016, le tribunal a rejeté l'ensemble de ses demandes.

Sur les pénalités :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 13 du cahier des clauses administratives particulières : " Par dérogation à l'article 14 du CCAG-FCS, les pénalités suivantes seront appliquées: / 1 °) Non respect du délai de livraison des véhicules : 500 € par jour de retard (hors samedi, dimanche et jours fériés) (...) Les pénalités ne s'appliqueront pas aux cas de force majeure ou dans les cas dûment motivés par le Titulaire et acceptés par la CASud ou si le retard est imputable à la CASud (...) ". Il résulte de la stipulation E4 de l'acte d'engagement du lot 5 du marché litigieux que le délai de livraison des autocars est de 7,5 mois à compter de la notification du bon de commande. Le délai de livraison des quatre autocars visés par le bon de commande émis le 29 novembre 2012 et notifié le 12 décembre 2012 expirait donc le 27 juillet 2013. Il est constant que le premier véhicule a été livré le 9 août 2013, avec 9 jours de retard et les trois autres le 31 octobre 2013, avec 67 jours de retard.

3. La société Automobiles Réunion soutient que ce retard est imputable au temps nécessaire pour équiper les autocars commandés d'un système d'exploitation informatique compatible avec les nouvelles spécifications techniques qui auraient été formulées par le prestataire informatique de la CASud, la société ECI, fournisseur du logiciel d'aide à l'exploitation des autocars dénommé " Mirage ", plus de quatre mois après la réception du bon de commande. Elle ajoute qu'après avoir vainement tenté d'adapter le système d'origine avec son sous-traitant la société Gorba, elle aurait été contrainte de le désinstaller et de le remplacer par un nouveau système en choisissant un autre sous-traitant, la société SPEC. Dans ces conditions, elle impute le retard à la CASud, qui n'a pas sollicité la société ECI pour élaborer une interface, et à cette dernière société qui a travaillé avec les autres titulaires de lots du même marché sans informer son sous-traitant de la modification apportée aux spécificités du système Mirage.

4. Selon les stipulations de 1' article 12.IV du cahier des clauses techniques particulières applicable au marché litigieux, " les équipements systèmes embarqués doivent être évolutifs et permettre une compatibilité avec tout système de gestion d'un système d'aide à l'exploitation ". Le même article prévoit expressément que la validation du bon fonctionnement de ces systèmes est à la charge du titulaire et invite ce dernier à se rapprocher des différents titulaires des systèmes embarqués pour vérifier les méthodologies de câblage et de montage et à respecter scrupuleusement les informations du dossier technique des matériels embarqués. En outre, il résulte de l'instruction et notamment d'un courrier électronique du 2 mai 2012 que, lors de la phase de négociation, la CASud a attiré l'attention de la société Automobiles Réunion sur la nécessité que les équipements des autocars soient compatibles avec son système d'aide à l'exploitation, le progiciel " Mirage ".

5. Si par ailleurs, il ressort de " l'expertise amiable " commandée par la requérante à un ingénieur en 2016 et produite pour la première fois en appel, non contredite faute de toute défense de la CASud en temps utile devant la cour, que des modifications ont bien été apportées, comme le reconnaissait par téléphone la société ECI, aux spécifications techniques du logiciel Mirage, la date exacte de ces modifications n'est pas indiquée, mais ECI reconnaît avoir eu au début de l'année 2013 des contacts avec deux autres sous-traitants de titulaires d'autres lots pour adapter le fonctionnement des systèmes embarqués. Selon les explications de la requérante, elle s'est fondée sur la circonstance que son sous-traitant GORBA avait travaillé avec la CIVIS, autre communauté d'agglomération de La Réunion, pour des marchés très similaires utilisant le progiciel Mirage, pour estimer que les équipements systèmes embarqués du même sous-traitant seraient donc nécessairement compatibles avec les exigences de la collectivité. Ce faisant, elle a manqué à son obligation de vigilance et de vérification, et ne saurait par suite soutenir que le retard ne lui serait pas imputable. Sa demande de décharge des pénalités ne peut donc être accueillie.

6. En second lieu, il est loisible au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de modérer ou d'augmenter les pénalités de retard résultant du contrat, par application des principes dont s'inspire l'article 1152 du code civil, si ces pénalités atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché.

7. Il résulte de l'instruction, et notamment des documents contractuels et du décompte des pénalités du 19 décembre 2013, que les pénalités de retard litigieuses ont été calculées sur la base d'un montant de 500 euros par jour de retard. Pour un retard de neuf jours pour le premier autocar et soixante-sept jours pour les trois autres, le montant des pénalités de retard s'élève à 105 000 euros. Eu égard au montant du bon de commande des quatre autocars qui mentionne un prix total de 976 800 euros HT, le tribunal administratif de La Réunion n'a pas commis d'erreur d'appréciation en jugeant que le montant des pénalités n'était pas excessif, dès lors qu'il ne représentait que 10,74 % du montant total. Ainsi, et alors que ces pénalités ayant le caractère d'une réparation forfaitaire, l'appelante ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré qu'il n'y avait pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Automobiles Réunion tendant à la modulation des pénalités en litige.

Sur les conclusions indemnitaires :

8. La société Automobiles Réunion demande la condamnation de la CASud à lui verser la somme de 21 303,74 euros correspondant au coût de la prestation acquittée auprès de la société SPEC pour désinstaller le système informatique d'exploitation d'origine des autocars et installer un nouvel équipement compatible avec les nouvelles spécificités techniques qu'auraient formulées le prestataire informatique de la CASud, ECI, fournisseur du progiciel " Mirage ".

9. Toutefois, et dès lors que ce remplacement résulte de la propre négligence du titulaire du marché dans la vérification initiale de la compatibilité de ses systèmes embarqués avec le système d'aide à l'exploitation du réseau de bus de la CASud, la société Automobiles Réunion ne saurait en demander l'indemnisation à la CASud, dont elle ne démontre aucune faute dans le suivi du marché.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la CASud, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Automobiles Réunion demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Automobiles Réunion est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Automobiles Réunion et à la communauté d'agglomération du Sud.

Délibéré après l'audience du 25 octobre 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier-conseiller.

Lu en audience publique, le 29 novembre 2018.

Le rapporteur,

Nathalie GAY-SABOURDYLe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au préfet de La Réunion, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 16BX02911


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX02911
Date de la décision : 29/11/2018
Type d'affaire : Administrative

Analyses

39-05-01-03 Marchés et contrats administratifs. Exécution financière du contrat. Rémunération du co-contractant. Pénalités de retard.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY-SABOURDY
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SELARL PRAGMALEXIS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-11-29;16bx02911 ?
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