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16/11/2018 | FRANCE | N°16BX02663

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre - formation à 3, 16 novembre 2018, 16BX02663


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête distincte enregistrée au greffe sous le n° 1401908, M. J...D...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 14 janvier 2014 par laquelle la commission départementale d'aménagement foncier de la Gironde a maintenu les attributions de parcelles après le remembrement de la commune de Saint-Denis-de-Pile et de condamner le département de la Gironde à l'indemniser de la perte d'exploitation qu'ils ont subie en raison de l'illégalité ayant entaché la décision de l

a commission.

Par un jugement n° 1401908 du 5 juillet 2016, le tribunal adm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête distincte enregistrée au greffe sous le n° 1401908, M. J...D...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 14 janvier 2014 par laquelle la commission départementale d'aménagement foncier de la Gironde a maintenu les attributions de parcelles après le remembrement de la commune de Saint-Denis-de-Pile et de condamner le département de la Gironde à l'indemniser de la perte d'exploitation qu'ils ont subie en raison de l'illégalité ayant entaché la décision de la commission.

Par un jugement n° 1401908 du 5 juillet 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a décidé que M. J...D...serait rétabli dans ses droits en condamnant le département de la Gironde à lui verser une indemnité de 2 000 euros et rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 5 août 2016 le 29 mai 2017, M. J...D..., représenté par MeF..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 juillet 2016, ainsi que la décision de la commission départementale d'aménagement foncier de la Gironde du 14 janvier 2014 ;

2°) à titre principal de condamner le département de la Gironde à lui verser la somme de 241 563 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2000, ainsi que la somme de 25 000 euros, en réparation de l'ensemble des préjudices subis en raison de la non-réattribution de ses parcelles lors du remembrement de la commune de Saint-Denis-de-Pile, assorties des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2000 et de la faute commise par le département ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner le département à leur verser la somme de 614 965 euros sur le fondement de l'article L. 121-11 du code rural, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2000 ;

4°) de mettre à la charge du département de la Gironde une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a omis de statuer sur la demande d'annulation de la décision de la commission départementale d'aménagement foncier (CDAF) du 14 mars 2014, ainsi que sur les conclusions indemnitaires fondées sur la responsabilité pour faute du département en raison de l'illégalité fautive de cette décision qui méconnait les dispositions de l'article L. 123-3 du code rural ; les conclusions indemnitaires fondées sur les dispositions de l'article L. 121-11 du code rural n'ont été présentées qu'à titre subsidiaire ; ce dispositif d'indemnisation n'est d'ailleurs que supplétif ;

- sur le fond : en refusant de lui réattribuer des parcelles exploitées en carrière, la CDAF a méconnu en 2014, comme elle l'avait déjà fait en 2010, les dispositions de l'article L. 123-3 du code rural et de la pêche maritime ;

- l'illégalité fautive commise dès 2010 a entrainé l'enlisement de la situation : si la restitution des parcelles litigieuses avait eu lieu avant la clôture des opérations de remembrement, aucune conséquence excessive de cette réattribution de parcelles n'aurait pu être opposée à la demande des appelants ;

- à titre subsidiaire : la décision de la commission départementale méconnaît les dispositions de l'article L. 121-11 du code rural et de la pêche maritime en ne tenant pas compte d'une part du potentiel d'extraction comme composante de la propriété des terrains et, d'autre part, de la possibilité d'exploiter une décharge une fois l'extraction définitive de grave terminée ; les préjudices subis ont été sous-évalués par les premiers juges.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 avril 2017, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- aucune omission à statuer ne peut être retenue : le tribunal a statué sur la légalité de la décision de la commission départementale d'aménagement foncier à son cinquième considérant, et a retenu l'illégalité ayant consisté à ne pas lui avoir réattribué les parcelles en cause ;

- la commission départementale, comme le tribunal administratif, a considéré que les appelants auraient dû se voir réattribuer leurs parcelles en vertu de l'article L. 123-3 du code rural et de la pêche mais, en raison des conséquences excessives qu'auraient le rétablissement dans leurs droits, elle a, à bon droit, octroyé une indemnité aux intéressés, en application de l'article L. 121-11 du code rural et de la pêche ;

- aucun potentiel d'extraction, et aucune perte de chance sérieuse de tirer des revenus d'une exploitation d'une bande de 10 mètres, pour laquelle aucune autorisation n'a d'ailleurs été délivrée, ne sont établis ; en outre, l'exploitation en tant que remblai ou en tant que décharge ne peut pas davantage être prise en compte ;

- enfin, la demande de réparation du préjudice moral et matériel qu'ils auraient subi en raison de la lenteur des procédures administratives, évalué à 25 000 euros, est une demande nouvelle en appel et, pour ce motif, irrecevable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2017, le département de la Gironde, représenté par MeH..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête des épouxD... ;

2°) de mettre à la charge des appelants le versement de la somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le département fait valoir que :

- aucune erreur de droit n'a été commise : la possibilité de réattribuer les terres litigieuses aux appelants a été examinée par la CDAF dès 2010 mais, en raison des conséquences excessives sur des exploitations, en particulier sur le compte de M.G..., et après l'annulation de ses décisions antérieures, la commission a décidé de faire application des dispositions de l'article L. 121-11 du code rural et de la pêche ;

- la commission a fait une juste appréciation du préjudice consistant en la perte des parcelles litigieuses, à compter du 23 juin 2000 : l'extraction de grave était terminée et le site a été remis en état ainsi que le constate le PV de récolement ; c'est à juste titre que les parcelles ont ensuite été assimilées par l'expert, M.E..., en " pacage pauvre " :

- la demande tendant à l'indemnisation du préjudice moral et matériel subi en raison de la tardiveté de la décision de la commission, est nouvelle en appel et, par suite, irrecevable ; en tout état de cause, le département ne peut être condamné dans cette procédure complexe, pour laquelle l'expertise a été longue à diligenter.

Par ordonnance du 30 mai 2017, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 15 juin 2017 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sylvande Perdu,

- les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public,

- et les observations de MeF..., représentant M.I..., et de MeB..., représentant le département de la Gironde.

Considérant ce qui suit :

1. Par jugement du 3 avril 2003, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé, pour défaut de motivation, la décision de la commission départementale d'aménagement foncier (CDAF) de la Gironde concernant les propriétés de M. J... D.... Par un second jugement en date du 18 décembre 2012, il a annulé la décision prise par ladite commission le 3 février 2011, au motif que cette dernière avait statué conjointement sur la réclamation de M. et Mme A...D...et sur celle de M. J...D..., dont les comptes avaient ainsi été confondus, en méconnaissance du principe de séparation des comptes de propriété. En exécution de ce jugement, il a été enjoint à la CDAF de la Gironde de réexaminer la situation de M. J... D...dans un délai deux mois. Par une nouvelle décision du 14 janvier 2014, la CDAF de la Gironde a décidé le maintien des attributions faites antérieurement à M. J... D...et a condamné le département de la Gironde à lui verser une indemnité de 1 279 euros. Ce dernier a contesté la décision devant le tribunal administratif de Bordeaux qui, par un jugement n° 1401908 du 5 juillet 2016, a décidé que M. J...D...serait rétabli dans ses droits en portant à 2 000 euros l'indemnité que devrait leur verser le département de la Gironde. M. D...interjette appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Le tribunal n'a pas statué distinctement sur la demande indemnitaire présentée par M. D...au titre du préjudice que lui avait causé l'illégalité entachant la décision de la commission départementale d'aménagement foncier, alors que cette demande avait un autre fondement que le recours contre la décision rendue par la CDAF leur ayant attribué une indemnité compensatoire. Partant, le jugement attaqué, qui a omis de se prononcer sur ces conclusions doit être annulé comme étant irrégulier.

3. Il y a lieu pour la cour de statuer, par voie d'évocation, sur les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Bordeaux.

Sur les conclusions dirigées contre la décision de la CDAF :

4. Aux termes de l'article L. 123-3 du code rural et de la pêche maritime, applicable aux faits : " doivent être réattribués à leurs propriétaires, sauf accord contraire, et ne subir que les modifications de limites indispensables à l'aménagement : (...) 3° Les mines et les carrières dont l'exploitation est autorisée au sens du code minier, ainsi que les terrains destinés à l'extraction des substances minérales sur lesquels un exploitant de carrières peut se prévaloir d'un titre de propriété ou d'un droit de foretage enregistré depuis au moins deux ans à la date de la délibération du conseil général ou de l'arrêté de son président fixant le périmètre, pris dans les conditions de l'article L. 121-14 ; (...) ".

5. Il est constant qu'en avril 1994, date du début des opérations de remembrement, les parcelles de terrain appartenant à M. J...D...étaient exploitées dans le cadre d'un arrêté préfectoral du 17 juin 1986 portant autorisation d'exploiter une carrière sur les parcelles n° 377 à 390 de la section AM de la commune de Saint-Denis-de-Pile, pour une durée de 15 ans, délivrée à l'entrepriseD.... A la date de clôture des opérations de remembrement, soit le 23 juin 2000, lesdites parcelles faisaient l'objet d'une convention de foretage et étaient exploitées par la société Guintoli, conformément à un arrêté préfectoral du 29 octobre 1998. Dans ces conditions, les terrains en cause auraient dû, en application des dispositions précitées, être réattribués à leurs propriétaires à 1'issue des opérations de remembrement.

6. Aux termes de l'article L. 121-11 du code rural, dans sa rédaction issue de l'article 83 X de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 : " Lorsque la commission départementale, saisie à nouveau à la suite d'une annulation par le juge administratif, constate que la modification du parcellaire nécessaire pour assurer par des attributions en nature le rétablissement dans leurs droits des propriétaires intéressés aurait des conséquences excessives sur la situation d'autres exploitations, elle peut, par décision motivée, prévoir que ce rétablissement sera assuré par une indemnité à la charge du département, dont elle détermine le montant ". Lorsqu'une juridiction administrative connaît d'un recours contre une décision par laquelle une commission départementale d'aménagement foncier a fait application de ces dispositions, que la contestation porte sur le principe de l'octroi d'une indemnité ou sur le montant de celle-ci, elle dispose du pouvoir de modifier le montant de l'indemnité mise à la charge du département.

7. Il résulte du rapport établi le 20 octobre 2010 par M.E..., expert désigné par la commission départementale d'aménagement foncier de la Gironde pour évaluer les pertes de valeur subis par l'appelant, que la modification du parcellaire qu'impliquerait, plus de dix ans après la clôture des opérations de remembrement, le rétablissement dans ses droits de M. D... aurait des conséquences excessives sur la situation d'autres exploitations, ce que l'appelant d'ailleurs ne conteste pas.

8. Par suite, M. J...D...n'est pas fondé à contester dans son principe le versement d'une indemnité décidé par la commission départementale en compensation de la non-réattribution de leurs parcelles, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 121-11 du code rural et de la pêche.

9. M. D...soutient toutefois que cette indemnité devrait prendre en compte, non pas le seul revenu d'exploitation perdu entre le 23 juin 2000, date de clôture des opérations de remembrement, et le 19 février 2001, date du procès-verbal de récolement de la carrière qu'il exploitait, mais du potentiel d'extraction des graves encore présentes sur le site, notamment dans une bande de dix mètres de largeur situées autour de chaque unité d'extraction. Cependant, il fonde ses prétentions sur un simple pré-rapport sommaire établi le 11 juillet 2006 par l'expert M.C..., désigné par la commission départementale de la Gironde mais qui n'a pas terminé sa mission, et qui n'avait d'ailleurs pas procédé à une visite des lieux et s'était uniquement fondé sur des données financières fournies par M.D.... Or, il résulte du rapport établi par M. E...que l'extraction de grave était presque terminée et que le site avait été remis en état, ainsi que le constate le procès-verbal de récolement dressé 19 février 2001. Les parcelles ont été assimilées par l'expert M. E...à des pacages pauvres. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de l'indemnité due au titre de la perte d'exploitation pour la période allant du 23 juin 2000 au 19 février 2001, et au-delà du 19 février 2001, au titre d'un droit d'occupation des terres déjà exploitées en carrière, d'ailleurs classées en zone NC du plan d'occupation des sols de la commune, en allouant au requérant une somme de 2 000 euros mise à la charge du département de la Gironde au titre de l'indemnité compensatoire pour non réattribution des terrains en litige.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

10. Le requérant n'est pas fondé à se prévaloir d'une perte de chance d'exploiter une décharge par enfouissement sur les parcelles qui ne seraient plus exploitées dès lors qu'il ne résulte nullement de l'instruction qu'il disposait, à la date de clôture des opérations de remembrement, d'une autorisation d'exploiter en décharge les parcelles concernées.

11. En revanche, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral que M. D... a subi en raison de l'illégalité ayant entaché la décision initiale de la CDAF et des conséquences de cette illégalité en condamnant le département de la Gironde à lui verser une somme de 1 000 euros.

Sur les intérêts :

12. La somme globale de 3 000 euros que le département de la Gironde est condamné à verser à M. D...portera intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2014, date d'enregistrement de la requête de première instance.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de M.D..., qui n'a pas la qualité de partie perdante, une somme au titre des frais exposés par le département de la Gironde. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge du département de la Gironde une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. J...D...et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 juillet 2016 est annulé.

Article 2 : Le département de la Gironde est condamné à verser à M. J...D...une somme de 3 000 euros portant intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2014 ainsi qu'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Article 3 : Le surplus des demandes présentées par M. J...D...devant le tribunal administratif de Bordeaux et des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. J...D...et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2018 à laquelle siégeaient :

Philippe Pouzoulet, président,

Marianne Pouget, président-assesseur,

Sylvande Perdu, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 16 novembre 2018.

Le rapporteur,

Sylvande Perdu

Le président,

Philippe Pouzoulet Le greffier,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX02663


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX02663
Date de la décision : 16/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Application dans le temps - Texte applicable.

Agriculture et forêts - Remembrement foncier agricole - Attributions et composition des lots.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: Mme Sylvande PERDU
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : BORDERIE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-11-16;16bx02663 ?
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