Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
MM. A...C...et D...C...ont demandé le 22 octobre 2014 au tribunal administratif de Saint-Martin d'annuler l'arrêté du préfet délégué de Saint-Barthélémy et Saint-Martin en date du 27 août 2014 en ce qu'il a déclaré d'utilité publique le projet d'acquisition, par voie d'expropriation, par la collectivité de Saint-Martin, des parcelles cadastrées AV n°61 et AV n°62 dont ils sont propriétaires indivis et en ce qu'il a déclaré cessibles immédiatement et en totalité, au bénéfice de la collectivité de Saint-Martin lesdites parcelles.
Par un jugement n° 1400082 du 15 septembre 2016, le tribunal administratif de Saint-Martin a annulé l'arrêté du préfet délégué de Saint-Barthélemy et Saint-Martin en date du 27 août 2014 en tant qu'il a déclaré cessibles immédiatement et en totalité, au bénéfice de la collectivité de Saint-Martin les parcelles cadastrées AV n°61 et AV n°62 en fixant l'effet de cette annulation à l'expiration d'un délai de huit mois à compter de la date de lecture du jugement et a rejeté le surplus de leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 novembre 2016, MM.C..., représentés par MeB..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 septembre 2016 en tant qu'il a modulé dans le temps l'annulation de l'arrêté du préfet délégué de Saint-Barthélemy et Saint-Martin en date du 27 août 2014 déclarant cessibles immédiatement et en totalité au bénéfice de la collectivité de Saint-Martin, les parcelles cadastrées AV n° 61 et AV n° 62 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet délégué de Saint-Barthélemy et Saint-Martin en date du 27 août 2014 en ce qu'il a déclaré d'utilité publique le projet d'acquisition, par voie d'expropriation, par la collectivité de Saint-Martin, des parcelles cadastrées AV n°61 et AV n°62 ;
3°) de condamner la collectivité de Saint-Martin à leur verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
Sur la décision déclarant le projet d'utilité publique :
- l'arrêté attaqué est illégal par voie d'exception dès lors que la déclaration d'utilité publique est fondée sur la délibération du 18 mars 2014 laquelle est entachée d'un vice substantiel : en effet les membres du conseil exécutif n'ont pas bénéficié d'une information complète et précise pour voter en toute connaissance de cause ;
- l'arrêté attaqué est également illégal dès lors que la déclaration d'utilité publique sous-évalue de manière manifeste les deux parcelles à exproprier en fixant un prix global de 114 905 euros alors que le protocole transactionnel du 3 décembre 2014 proposé par la collectivité fixait le montant de l'acquisition de ces parcelles au prix de 400 000 euros ; l'évaluation de France Domaine omet de tenir compte des constructions érigées illégalement sur ces parcelles par la collectivité en méconnaissance de l'article 555 du code civil ; l'arrêté querellé ne fait en outre pas mention des condamnations de la collectivité à démolir l'ouvrage public illégalement implanté sur ces parcelles ;
- l'expropriation par déclaration d'utilité publique est entachée de détournement de pouvoir dès lors que son but principal n'est pas l'utilité publique du projet d'extension de l'école mais est d'ordre purement financier : la collectivité a voulu contourner l'arrêt définitif de la cour d'appel de Basse-Terre du 18 mars 2013 qui la condamne à démolir l'ouvrage public illégalement implanté et à remettre en état les lieux sous astreinte et éviter de leur verser le juste prix lié à l'acquisition des deux parcelles dont ils sont propriétaires ; la tardiveté de la demande d'expropriation corrobore cette analyse ; le véritable but de la collectivité résulte donc de motifs purement financiers ;
Sur la décision prononçant la cessibilité immédiate des biens :
- l'arrêté attaqué prononçant la cessibilité immédiate des biens concernés au bénéfice de la collectivité est illégal à défaut, conformément à l'article R. 11-22 du code de l'expropriation d'avoir pour l'expropriant informé individuellement les propriétaires du dépôt en mairie du dossier d'enquête parcellaire afin de leur permettre de présenter leurs observations ; le jugement attaqué doit être confirmé sur ce point ;
- en revanche, le jugement doit être réformé en ce qu'il module dans le temps cette annulation : en effet, la collectivité a eu plus de dix ans pour régulariser la situation et n'a rien fait ; il n'est pas démontré que l'annulation rétroactive de l'arrêté en litige aurait des conséquences excessives pour les intérêts publics autres que financières.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 décembre 2017, le ministre des outre-mer conclut à la confirmation du jugement attaqué et au rejet de la requête de MM. C....
Il fait valoir que :
- la délibération du 18 mars 2014 n'a pas été prise en méconnaissance du droit à l'information des votants prévu par l'article LO 6321-22 du code général des collectivités locales dès lors que cette délibération présente les faits de manière sincère et fait état notamment de la procédure judiciaire engagée en 2006 et de l'échec de la procédure de règlement amiable ;
- la déclaration d'utilité publique ne procède pas à une sous-évaluation des parcelles à acquérir : en effet, le montant de 114 905 euros à indemniser estimé par France Domaine par courrier du 7 avril 2014 tient compte uniquement de la valeur vénale des terrains compte tenu de leurs caractéristiques et des termes de comparaison ; cette estimation ne peut dès lors être comparée à la somme de 400 000 euros proposée aux requérants dans le projet d'accord transactionnel du 23 juillet 2008 ; en outre cette somme ne peut davantage être comparée au protocole transactionnel du 3 décembre 2013 qui incluait au-delà de la cession des parcelles, le désistement des intéressés de l'ensemble des contentieux en cours et prenait donc en compte les condamnations prononcées par l'autorité judiciaire de 288 000 euros ; par ailleurs, les requérants ne peuvent se prévaloir de la valeur des bâtiments publics construits sur leurs parcelles à défaut d'en être devenus propriétaires par voie d'accession au sens de l'article 555 du code civil ;
- la modulation dans le temps des effets de l'annulation prononcée par les premiers juges est pleinement justifiée dès lors que l'annulation rétroactive de l'arrêté contesté aurait des conséquences manifestement excessives sur le fonctionnement du service public de l'éducation nationale alors que l'annulation de l'arrêté est uniquement fondée sur une condition de forme de sa légalité ; postérieurement au jugement et dans le délai de huit mois requis par les premiers juges, un nouvel arrêté de cessibilité du 16 mai 2017 a fait l'objet d'une notification individuelle régulière conformément aux dispositions de l'article R. 11-22 du code de l'expropriation ;
- le détournement de pouvoir dont font état les requérants n'est nullement établi : en effet, le préfet s'est fondé pour prendre l'arrêté portant déclaration d'utilité publique sur le motif d'intérêt général tiré de ce que sur les parcelles concernées, avaient été irrégulièrement érigés des bâtiments publics mettant en oeuvre le service public de l'éducation nationale ; l'intérêt public de l'opération consiste en l'extension d'une école répondant à un besoin réel lié à l'accroissement de la population ; en outre, l'arrêté contesté n'a pas pour but de faire échec aux condamnations civiles prononcées à l'encontre de la collectivité dès lors que l'expropriation ne dispense pas la collectivité de s'acquitter des sommes dues en application de ces décisions de justice.
Par ordonnance du 11 avril 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 25 mai 2018 à 12:00.
Par un courrier du 12 septembre 2018, les parties ont été informées sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative de ce que la cour était susceptible de fonder la solution du litige sur le moyen soulevé d'office tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre le report dans le temps de l'annulation de l'arrêté de cessibilité du 27 août 2014.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Caroline Gaillard,
- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La collectivité de Saint-Martin, souhaitant procéder à l'extension d'une école, a construit un bâtiment scolaire et une station de relevage sur les parcelles cadastrées AV n° 61 et AV n° 62, situées au lieu-dit " Cul de Sac " à Saint-Martin, sans que les propriétaires indivis MM. A...C...et D...C...ne leur en aient donné l'autorisation et sans qu'une procédure régularisant cette acquisition n'ait été engagée. La collectivité a été assignée en justice pour voie de fait en 2006 par les consortsC... et par un arrêt devenu définitif du 18 mars 2013, la cour d'appel de Basse-Terre a confirmé le jugement du tribunal de grande instance, d'une part, enjoignant la collectivité à démolir les ouvrages ainsi édifiés dans des conditions constitutives d'une voie de fait sous astreinte de 500 euros par jour de retard et, d'autre part, condamnant la collectivité au paiement d'une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la perte par les propriétaires du droit de jouir et de disposer de leurs biens. A la suite de cet arrêt, deux projets amiables de règlement du litige proposés le 23 juillet 2008 et le 3 décembre 2013 n'ont pas abouti. Par une délibération du 18 mars 2014 la collectivité de Saint-Martin a décidé de demander à l'autorité préfectorale de mettre en oeuvre une procédure d'expropriation des parcelles AV n° 61 et AV n° 62. Par un arrêté du 27 août 2014, le préfet délégué de Saint-Barthélemy et Saint-Martin a déclaré d'utilité publique le projet d'acquisition par la collectivité des deux parcelles en cause et les a déclarées cessibles immédiatement et en totalité au bénéfice de la collectivité.
2. Saisi par MM. C...d'un recours pour excès de pouvoir contre ce dernier arrêté, le tribunal administratif de Saint-Martin a, par un jugement du 15 septembre 2016, annulé ledit arrêté du préfet délégué de Saint-Barthélemy et Saint-Martin en date du 27 août 2014 en tant uniquement qu'il a déclaré cessibles immédiatement et en totalité, au bénéfice de la collectivité de Saint-Martin, les parcelles cadastrées AV n° 61 et AV n° 62, a reporté les effets de cette annulation à l'expiration d'un délai de huit mois à compter de la date de lecture du jugement, et a rejeté le surplus de leurs demandes. MM. C...relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a modulé dans le temps les effets de l'annulation de l'arrêté de cessibilité précité et qu'il a rejeté le surplus de leurs demandes.
Sur la légalité de l'arrêté du 27 août 2014 attaqué :
En ce qui concerne la décision portant déclaration d'utilité publique :
3. Les consorts C...soutiennent que le préfet a commis un détournement de pouvoir en prenant la décision d'utilité publique litigieuse. A cet égard il est constant, ainsi qu'il a été dit, qu'après avoir constaté que la collectivité de Saint-Martin avait porté atteinte à la propriété des requérants et que cette atteinte était constitutive d'une voie de fait, la cour d'appel de Basse-Terre a ordonné par un arrêt du 18 mars 2013 devenu définitif, confirmant par là-même le jugement du tribunal de grande instance de Basse-Terre, la démolition des ouvrages irrégulièrement implantés, soit des bâtiments abritant l'école et la pompe de relevage. Cette injonction prononcée par l'autorité judiciaire de démolir ces ouvrages mal plantés est revêtue de l'autorité de la chose jugée.
4. Il en résulte que la décision du conseil exécutif du 18 mars 2014 autorisant le président du conseil territorial de Saint-Martin à solliciter du représentant de l'Etat l'engagement d'une procédure d'expropriation n'avait d'autre objet que de faire échec à l'exécution de la décision de l'autorité judicaire de démolir l'ouvrage mal planté. La circonstance alléguée par le ministre, selon laquelle l'Etat a l'intention d'exécuter partiellement la décision de l'autorité judiciaire en procédant au versement aux requérants de l'indemnité d'expropriation décidée par ladite autorité est en l'espèce sans incidence. Dans ces conditions, la déclaration d'utilité publique en litige est entachée de détournement de pouvoir et doit dès lors être annulée.
5. Par suite, les consorts C...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté leurs conclusions tendant à annuler pour ce motif l'arrêté portant déclaration d'utilité publique en litige.
En ce qui concerne la légalité de la décision prononçant la cessibilité immédiate des parcelles AV n°61 et AV n°62 :
6. Aux termes de l'article R. 11-22 du code d'expropriation pour cause d'utilité publique, applicable à l'espèce : " Notification individuelle du dépôt du dossier à la mairie est faite par l'expropriant, sous pli recommandé avec demande d'avis de réception aux propriétaires figurant sur la liste établie en application de l'article R. 11-19 lorsque leur domicile est connu d'après les renseignements recueillis par l'expropriant ou à leurs mandataires, gérants, administrateurs ou syndics ; en cas de domicile inconnu, la notification est faite en double copie au maire qui en fait afficher une et, le cas échéant, aux locataires et preneurs à bail rural ".
7. Le tribunal, par son jugement qui n'est pas contesté sur ce point, a annulé la décision prononçant la cessibilité immédiate des parcelles AV n° 61 et AV n°62 au motif tiré de ce que la notification aux propriétaires figurant sur la liste établie en application de l'article R. 11-19, du dépôt du dossier d'enquête parcellaire à la mairie par l'expropriant sous pli recommandé avec demande d'avis de réception, qui constitue une formalité substantielle permettant aux propriétaires, dont l'adresse était en l'espèce connue de la collectivité, de faire valoir leurs observations, n'a pas été effectuée, en méconnaissance de l'article R. 11-22 précité du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
8. Les consorts C...soutiennent cependant que le report dans le temps de cette annulation décidée par les premiers juges n'est pas justifié et ne répond à aucun motif d'intérêt général. A cet égard, il est constant que le tribunal administratif a reporté l'annulation de l'arrêté en litige au 15 mai 2017 sans néanmoins décider de la cristallisation des effets antérieurs produits par cet arrêté avant son annulation. Ainsi, à la date de l'introduction de la requête d'appel, cet arrêté avait rétroactivement disparu et devait être réputé comme n'ayant jamais été pris.
9. Par suite, les conclusions des consorts C...dirigées contre le jugement du tribunal en tant qu'il comporte le report dans le temps de l'annulation de l'arrêté de cessibilité du 27 août 2014 sont dépourvues d'objet et ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts C...sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leurs conclusions en l'annulation de l'arrêté du préfet délégué de Saint-Martin et Saint-Barthélemy en date du 27 août 2014 portant déclaration d'utilité publique du projet d'acquisition des parcelles cadastrées AV n°61 et AV n°62 dont ils sont propriétaires.
Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser aux consorts C...au titre des frais exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions des consorts C...tendant à l'annulation du report dans le temps des effets de l'annulation prononcée par le tribunal administratif de Saint-Martin de l'arrêté de cessibilité du préfet de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy en date du 27 août 2014.
Article 2 : L'arrêté du 27 août 2014 portant déclaration d'utilité publique du projet d'expropriation des parcelles cadastrées AV n°61 et AV n°62 appartenant aux consorts C...est annulé.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Saint-Martin du 15 septembre 2016 est annulé en tant qu'il est contraire à l'article 2 du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera aux consorts C...une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C..., M. D...C...et au ministre des outre-mer. Copie en sera adressée à la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, premier conseiller,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 6 novembre 2018.
Le rapporteur,
Caroline Gaillard
Le président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Florence Deligey
La République mande et ordonne au ministre des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX03661