Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme B...A...ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 70 000 euros et de 17 068,24 euros en réparation des préjudices moral et financier subis du fait des fautes commises par l'administration fiscale lors de l'exécution des opérations se rattachant à la procédure d'établissement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui leur ont été assignées au titre des années 2006, 2007 et 2008.
Par un jugement n° 1303266 du 4 octobre 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 novembre 2016, M. et MmeA..., représentés par la SELARL Fisco, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 4 octobre 2016 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 70 000 euros et de 17 068,24 euros en réparation de leurs préjudices moral et financier ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils prennent acte de la reconnaissance par le tribunal de la faute de l'administration fiscale, et font appel du jugement en tant qu'il a rejeté leur demandes tendant à la réparation des préjudices résultant de cette faute ;
- concernant leur préjudice financier, ils justifient avoir exposé des frais d'avocat aux fins de défendre leurs intérêts à la suite de la perquisition fiscale dont ils ont fait l'objet et pour présenter des réclamations contentieuses après la mise en recouvrement des suppléments d'impôt ; ils ont en outre été condamnés par la juridiction judiciaire au paiement d'une somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure fiscale ; ils justifient également avoir exposé des frais de consultation d'un expert-comptable ; ils établissent avoir subi un préjudice tenant aux frais de déplacement exposés au cours de la procédure d'imposition ;
- concernant leur préjudice moral, sa réalité est établie par les éléments médicaux versés.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 avril 2017, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le tribunal n'a pas retenu le caractère fautif de la procédure de perquisition fiscale ; les demandes indemnitaires tendant à la réparation des préjudices financier et moral qui résulteraient de cette perquisition ne peuvent donc qu'être rejetées ;
- les requérants ne peuvent solliciter la réparation de frais de conseil et de frais de déplacement ; en effet, en vertu de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, le recours à l'assistance d'un conseil au cours de la procédure de contrôle fiscal est facultative ; aucune faute distincte de la mise en recouvrement des impositions injustifiées n'a été commise ; le dégrèvement avait pour seul objet de résoudre une situation de double imposition ; les frais de déplacement sont en outre invérifiables ;
- le lien de causalité entre la faute de l'administration et le préjudice moral invoqué n'est pas établi.
Par ordonnance du 9 mars 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 29 juin 2018 à 12 heures.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office.
Vu :
- les autres pièces du dossier
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- et les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction qu'à l'occasion de vérifications de comptabilité des sociétés Les Coteaux et Les Jardins du Moulin, l'administration fiscale a constaté que ces sociétés ne s'étaient pas acquittées, au titre de l'impôt sur les sociétés, de la retenue à la source afférente à des prestations facturées par la société de droit andorran JMD SL, société ayant pour objet la réalisation de prestations de services dans le domaine de la promotion immobilière et dont Mme A... est associée et gérante. Par une ordonnance du 1er octobre 2008, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d'Albi a autorisé l'administration fiscale à procéder, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, à une visite domiciliaire aux adresses présumées de la société JMD SL. Le 2 octobre 2008, l'administration a notamment exercé son droit de visite au 54 boulevard d'Alsace-Lorraine à Albi (Tarn), locaux susceptibles d'être occupés par la société JMD SL et constituant le domicile de M. et Mme A.... La société JMD SL a par la suite fait l'objet de deux vérifications de comptabilité, à l'issue desquelles elle a notamment été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 2003 à 2008. A l'issue de ce contrôle, l'administration a, sur le fondement de l'article 109-1 1° du code général des impôts, assigné à M. et Mme A...des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2006 à 2008, mises en recouvrement les 20 avril 2010, 30 avril 2010, 30 octobre 2010, 15 juillet 2010 et 31 décembre 2010. Les époux A...ont formé plusieurs réclamations contentieuses les 30 juin 2010, 12 juillet 2010, 15 décembre 2010, 11 février 2011 et 7 juin 2011. Le dégrèvement intégral des suppléments d'impôt sur les sociétés assignés à la société JMD SL a été prononcé par l'administration, au motif que les mêmes impositions avaient déjà été recouvrées auprès de la société Les Coteaux à la suite de l'assujettissement de cette société à des rappels de retenue à la source. Par voie de conséquence, l'administration a également prononcé, par décisions des 27 mai 2011 et 12 juillet 2011, le dégrèvement intégral des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à la charge de M. et Mme A...au titre des années 2006 à 2008. M. et Mme A...ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à les indemniser des préjudices moral et financier qu'ils estiment avoir subis du fait des fautes commises par l'administration fiscale lors de l'exécution des opérations se rattachant à la procédure d'établissement desdites cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales dont ils ont finalement obtenu le dégrèvement intégral. Ils relèvent appel du jugement du 4 octobre 2006 par lequel le tribunal administratif, après avoir retenu une faute de l'administration fiscale dans l'application de la loi fiscale, a toutefois rejeté l'ensemble de leurs conclusions indemnitaires à défaut de lien de causalité entre les préjudices allégués et la faute retenue ou encore faute de justification suffisante des préjudices subis.
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. Le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition. Enfin l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.
En ce qui concerne les fautes reprochées à l'administration fiscale :
3. Ainsi que l'a relevé le tribunal administratif, la visite domiciliaire effectuée le 2 octobre 2008 au 54 boulevard Alsace-Lorraine à Albi, soit au domicile des requérants, avait, conformément à ce que prévoit l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, été autorisée par une ordonnance du 1er octobre 2008 du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d'Albi, et l'appel interjeté par les époux A...contre cette ordonnance avait été rejeté par une ordonnance du premier président de la cour d'appel de Toulouse le 10 septembre 2010. Dans ces conditions, cette visite domiciliaire, conséquence des décisions de justice précitées, n'est pas susceptible d'engager la responsabilité pour faute de l'administration fiscale.
4. En revanche, l'administration fiscale ne conteste pas en appel que l'assujettissement des époux A...à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2006 à 2008 procède d'une erreur dans l'appréciation de la situation des requérants au regard de la loi fiscale, laquelle est constitutive d'une faute de l'administration fiscale de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant du préjudice lié au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
5. Il résulte de l'instruction que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Toulouse du 10 septembre 2010 mentionnée au point 3 du présent arrêt a mis à la charge des époux A...une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Les requérants font valoir que le préjudice financier subi du fait de l'acquittement de cette somme a pour origine la mise en oeuvre par l'administration fiscale de la procédure de visite domiciliaire prévue à l'article L. 16 B. Cependant, ainsi qu'il a été dit, la mise en oeuvre de cette procédure ne saurait caractériser une faute de l'administration fiscale. Les conclusions indemnitaires présentées sur ce point ne peuvent ainsi qu'être rejetées.
S'agissant des frais d'avocat :
6. Ainsi que le fait valoir l'administration, les factures d'avocat datées des 12 novembre 2008, 9 novembre 2009 et 4 janvier 2010, pour des montants respectifs de 200 euros, 2 392 euros et 472,16 euros toutes taxes comprises, sont relatives à la contestation devant les juridictions judiciaires de la mise en oeuvre de la procédure de visite domiciliaire prévue par l'article L. 16 du livre des procédures fiscales, laquelle n'est pas susceptible d'engager la responsabilité de l'administration fiscale.
7. En revanche, il résulte de l'instruction que, pour contester les impositions mises par erreur à leur charge, les requérants ont également eu recours à l'assistance d'un avocat, qui, à la suite de la mise en recouvrement des impositions, a présenté les diverses réclamations contentieuses formées par les contribuables les 30 juin 2010, 12 juillet 2010, 15 décembre 2010, 11 février 2011 et 7 juin 2011 en vue d'obtenir la décharge des compléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mis à leur charge au titre des années 2006 à 2008 et finalement dégrevés avant toute saisine du juge de l'impôt. Contrairement à ce que soutient l'administration, les requérants peuvent prétendre à l'indemnisation du préjudice résultant des frais de conseil qu'ils ont ainsi été amenés à exposer postérieurement aux opérations de contrôle, quand bien même ils n'étaient pas tenus de recourir à l'assistance d'un avocat pour présenter leurs réclamations contentieuses. Il résulte des factures d'honoraires établies les 19 juillet 2010, 26 avril 2011 et 21 juin 2011, dont l'objet est suffisamment précis pour rattacher les prestations facturées à la contestation des impositions litigieuses, et dont le paiement est établi par la production, en appel, des relevés de comptes bancaires des époux A...faisant apparaitre les débits correspondants, que les frais d'avocat exposés par les intéressés pour contester, suite à leur mise en recouvrement, les impositions en cause, se sont montés à la somme totale de 10 166 euros toutes taxes comprises. Il y a lieu, par suite, de leur allouer une somme de 10 166 euros en réparation de ce chef de préjudice.
S'agissant des frais d'expert-comptable :
8. M. et Mme A...justifient en appel du paiement de la facture de 861,12 euros toutes taxes comprises établie le 25 juillet 2011 par un expert-comptable. Contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la désignation des prestations figurant sur cette facture, à savoir " recherches documentaires/contrôle fiscal ", est suffisamment précise pour établir un lien direct et certain avec la procédure fautive d'établissement des impositions litigieuses. Dès lors, il y a lieu d'allouer aux époux A...une somme de 861,12 euros en réparation de ce chef de préjudice.
S'agissant des frais de déplacement :
9. Les requérants n'apportent aucun élément justifiant qu'ils auraient exposé des frais de déplacement aux fins de consulter un comptable. En revanche, chacune des factures d'avocat mentionnées au point 7 du présent arrêt, établies les 19 juillet 2010, 26 avril 2011 et 21 juin 2011, mentionne une consultation au cabinet, situé à Toulouse. Il sera fait une juste appréciation des frais de déplacement ainsi exposés par les requérants, dont le domicile est....
S'agissant du préjudice moral :
10. D'une part, les certificats médicaux produits par les requérants, rédigés au demeurant par un médecin qui ne les a suivis que jusqu'en juin 2010, imputent les troubles dont ils sont atteints, essentiellement, à la visite domiciliaire du 2 octobre 2008, laquelle, comme il a été dit au point 3, ne saurait engager la responsabilité de l'administration fiscale. D'autre part, eu égard au motif pour lequel les intéressés ont obtenu le dégrèvement des impositions mises à leur charge, au fait qu'un sursis de paiement leur a été accordé et à l'absence de démonstration de ce qu'ils auraient subi, exception faite de la visite domiciliaire, des désagréments excédant les préoccupations habituellement causées par un contrôle fiscal, M. et Mme A...n'établissent pas que la faute de l'administration fiscale soit à l'origine d'un préjudice moral dont ils seraient fondés à demander réparation. Leurs conclusions doivent ainsi, sur ce point, être rejetées.
11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A...sont fondés, dans la limite des indemnisations allouées ci-dessus, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A...et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1303266 du tribunal administratif de Toulouse du 4 octobre 2016 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. et Mme A...une somme totale de 11 297,12 euros en réparation de leurs préjudices.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A...la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B...A...et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 11 octobre 2018.
Le rapporteur,
Marie-Pierre BEUVE DUPUY Le président,
Aymard de MALAFOSSE Le greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX03722