Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
L'Association Jalles Solidarités a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les décisions des 23 janvier et 30 avril 2015 par lesquelles l'inspecteur du travail a refusé l'autorisation de licencier MmeD....
Par un jugement n°s 1501284 - 1502945 du 26 juillet 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 septembre 2016, l'Association Jalles Solidarités, représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 juillet 2016 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler les décisions des 23 janvier et 30 avril 2015 de l'inspecteur du travail susmentionnées ;
3°) de mettre à la charge de Mme D...la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- s'agissant de la décision du 23 janvier 2015, c'est à tort que le tribunal a considéré que le motif de licenciement présenté dans la demande d'autorisation était insuffisamment qualifié dès lors que, conformément aux dispositions de la circulaire du 30 juillet 2012, l'association s'est très clairement positionnée sur le terrain du licenciement pour motif personnel, et non pour motif économique, et a indiqué par ailleurs qu'elle n'entendait pas se placer sur le terrain disciplinaire ;
- en tout état de cause, le défaut de qualification du motif de licenciement aurait dû entrainer une décision d'irrecevabilité de la demande et non pas un refus d'autorisation dès lors qu'il résulte du point 2.2 de la fiche 2 de la circulaire du 30 juillet 2012 que la qualification juridique incombe à l'employeur et qu'il n'appartient pas à l'administration du travail de se substituer à celui-ci pour préciser la qualification qu'il entend retenir ;
- elle pouvait utilement se prévaloir devant le tribunal de ce que les faits reprochés à Mme D...justifient que son licenciement soit prononcé, alors même que la décision litigieuse est fondée sur l'unique motif tiré de ce que la demande n'est pas suffisamment qualifiée ;
- s'agissant de la décision du 30 avril 2015, c'est à tort que le tribunal a considéré que la procédure était entachée d'un vice substantiel, dès lors que, préalablement à la première décision de l'inspecteur du travail du 23 janvier précédent, Mme D...avait été régulièrement convoquée le 14 novembre 2014 à un entretien préalable au licenciement, au cours duquel lui ont été exposés l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés, et que la seconde demande d'autorisation de licenciement est fondée sur des faits strictement identiques mais avec une qualification précisée, de sorte que le principe du contradictoire a été parfaitement respecté ;
- les faits reprochés à l'intéressée, consistant en un comportement inapproprié, sont établis par de nombreuses attestations signées et datées contenant des éléments factuels précis, et suffisamment graves pour justifier son licenciement, dès lors que son comportement fautif générait un malaise et de la souffrance au travail auprès de ses collègues, en dépit de la mise en oeuvre de solutions par l'association destinées à régler ce problème ;
- à cet égard, pas moins de deux employés de l'association ont expressément demandé à changer de bureau pour ne plus avoir à côtoyer l'intéressée, sachant qu'une ancienne collègue a pris la décision de quitter l'établissement, se sentant incapable de travailler à ses côtés ;
- il est tout de même paradoxal, alors même que le rôle de Mme D...dans les risques psycho-sociaux est totalement avéré en l'espèce, que l'inspecteur du travail soit venu reprocher à l'employeur de ne pas avoir pris de mesures, alors même que l'on refuse l'autorisation de licenciement de l'intéressée.
Par ordonnance du 4 décembre 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Axel Basset,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public ;
- et les observations de MeA..., représentant l'association Jalles Solidarités.
Considérant ce qui suit :
1. Par une lettre du 30 décembre 2014, le vice-président de l'Association Jalles Solidarités, association créée en 1989 afin de favoriser l'insertion professionnelle des personnes en difficulté, a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de licencier Mme B...D..., employée depuis le 20 mars 1993 en qualité de comptable-attachée de direction et titulaire des mandats représentatifs de déléguée du personnel depuis le 28 novembre 2011 et membre élue du comité d'entreprise depuis le 29 juin 2012. Par une première décision du 23 janvier 2015, l'inspecteur du travail a refusé cette autorisation au motif tiré de ce que l'employeur n'avait pas indiqué de manière suffisamment précise la qualification juridique du licenciement qu'il entendait retenir. Ayant saisi de nouveau le comité d'entreprise, lequel, lors de sa réunion du 17 mars 2015, a émis un avis défavorable au licenciement de MmeD..., l'Association Jalles Solidarités a réitéré sa demande d'autorisation pour motif disciplinaire. L'Association Jalles Solidarités relève appel du jugement du 26 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 30 avril 2015 de l'inspecteur du travail refusant de nouveau de lui délivrer l'autorisation sollicitée ainsi que sa précédente décision du 23 janvier 2015.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne la première décision contestée du 23 janvier 2015 :
2. En premier lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Aux termes de l'article R. 2421-10 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué du personnel, d'un membre du comité d'entreprise ou d'un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement qui l'emploie. (...) / La demande énonce les motifs du licenciement envisagé. Elle est transmise par lettre recommandée avec avis de réception. ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'employeur de déterminer, dans sa demande d'autorisation de licenciement, la nature du licenciement envisagé en indiquant si ce licenciement est justifié par un motif économique, par un motif disciplinaire, par l'inaptitude physique du salarié ou par l'impossibilité de maintenir le contrat de travail. L'autorité administrative, saisie de la demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, est tenue par la qualification du licenciement ainsi donnée par l'employeur dans sa demande et ne peut légalement se fonder, pour autoriser ou refuser ce licenciement, sur un motif différent de celui énoncé dans cette demande.
3. Pour solliciter l'autorisation de licenciement de MmeD..., l'Association Jalles Solidarités a, dans sa lettre de demande du 30 décembre 2014, reproché à l'intéressée d'avoir persisté à émettre des réflexions désobligeantes et des sous-entendus auprès de plusieurs de ses collègues de travail, de les dévaloriser et de les dénigrer systématiquement, allant même jusqu'à tenir des propos racistes, un tel comportement ayant conduit à l'apparition de risques psycho-sociaux et à des conflits permanents au sein des équipes de travail de l'association. Il est également reproché à Mme D...des indiscrétions concernant la paie dont elle est chargée, consistant notamment en la divulgation auprès de tiers de ce que certains employés auraient bénéficié de primes, et d'avoir lancé des rumeurs concernant la situation économique et financière de l'association, en méconnaissance de son obligation de confidentialité, grief dont l'association lui avait fait part dans une lettre de rappel à l'ordre du 4 juin 2014. Ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal, alors que de tels reproches, eu égard à leur nature, pouvaient relever soit de l'insuffisance professionnelle, soit de la faute disciplinaire, l'Association Jalles Solidarités s'est bornée à indiquer, sans sa lettre de demande d'autorisation, que : " Face au constat des conséquences de l'attitude de Mme D... sur l'ambiance dans les équipes, et la santé de ses collègues, nous avons pris la décision d'initier une procédure de licenciement pour motif personnel, pour cause réelle et sérieuse, motif non disciplinaire ". Ce faisant, et contrairement à ce qu'elle soutient, l'association requérante, qui ne saurait utilement se prévaloir des règles de procédure, dépourvues de valeur réglementaire, contenues dans une circulaire du 30 juillet 2012 relative aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés, n'a pas indiqué de manière suffisamment précise le fondement de sa demande d'autorisation, ce qu'elle a au demeurant implicitement admis en entreprenant de solliciter une nouvelle demande d'autorisation de licenciement " pour motif disciplinaire ". Il s'ensuit que l'inspecteur du travail a pu légalement refuser de délivrer l'autorisation de licenciement sollicitée dans la lettre du 30 décembre 2014 en considération de l'imprécision du motif du licenciement de MmeD....
4. En second lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que, pour rejeter la demande d'autorisation de licenciement l'Association Jalles Solidarités, l'inspecteur du travail s'est fondé sur le seul motif tiré du caractère insuffisamment précis du motif du licenciement de MmeD..., sans se prononcer sur la question de savoir si les faits reprochés à l'intéressée étaient établis ni, dans l'affirmative, s'ils étaient constitutifs d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont indiqué que l'association requérante ne pouvait utilement se prévaloir de ce que les faits reprochés à Mme D...justifient que son licenciement soit prononcé.
En ce qui concerne la seconde décision contestée du 30 avril 2015 :
5. Aux termes de l'article L. 2411-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Bénéficie de la protection contre le licenciement prévue par le présent chapitre, y compris lors d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le salarié investi de l'un des mandats suivants : (...) / 2° Délégué du personnel ; / 3° Membre élu du comité d'entreprise (...). ". En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de sept témoignages concordants de salariés de l'association Jalles Solidarité, qui, contrairement à ce qu'ont relevé les premiers juges, relatent des évènements précis et circonstanciés survenus dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions, que Mme D...a adopté à plusieurs reprises un comportement inapproprié et agressif envers plusieurs de ses collègues de travail, en formulant des sous-entendus répétés et en leur adressant des remarques désobligeantes ainsi que des reproches injustifiés de nature à remettre en cause leurs compétences professionnelles et les déstabiliser, ce qui a conduit deux d'entre eux à solliciter un changement de bureau afin de ne plus avoir à travailler à proximité d'elle et deux autres à ne pas souhaiter prolonger leur engagement à durée déterminée au sein de l'association. Les circonstances que plusieurs de ces témoignages émanent de salariés qui n'étaient plus présents dans l'association sur la période 2014-2015 ou aient été recueillis par l'employeur pendant l'enquête contradictoire sur une période réduite (octobre-novembre 2014) ne sauraient suffire à remettre en cause leur valeur probante dès lors qu'il n'est pas établi que leurs auteurs auraient été amenés à les rédiger sous la contrainte de l'employeur ou seraient empreints d'animosité et de partialité vis-à-vis de MmeD.... Dès lors, et contrairement à ce qu'a relevé l'inspecteur du travail, la matérialité de ce comportement inapproprié de l'intéressée doit être regardée comme établie et constitue, eu égard notamment à ses incidences sur les salariés concernés, une faute de nature à justifier l'application d'une sanction disciplinaire. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier que des dysfonctionnements généraux ont été constatés dès l'année 2012 par le docteur Viconti, médecin du travail de l'association, consistant notamment dans une charge de travail en décalage par rapport aux effectifs de l'association et ses moyens, ainsi qu'une mauvaise définition et répartition des rôles de chacun dans l'organisation du travail, s'agrégeant à la pression psychologique déjà existante, liée au type de population prise en charge, à l'origine d'une souffrance au travail relevée lors des entretiens périodiques. Il est constant qu'en dépit des mesures correctrices préconisées à cette occasion par le médecin du travail, l'association Jalles Solidarités n'a pas entrepris les démarches requises pour remédier à ces dysfonctionnements, ce qui a conduit l'inspecteur du travail, dans une lettre du 3 juin 2014, à rappeler l'employeur à ses obligations en matière de prévention des risques psychosociaux et à lui demander de lui communiquer le document unique d'évaluation des risques intégrant de tels risques ainsi que le plan d'action mis en place en vue de les maîtriser. Il ne ressort ni de ces alertes du médecin du travail et de l'inspecteur du travail, ni du compte rendu de la réunion d'équipe du 18 septembre 2014 dont l'association requérante se prévaut pourtant, que le comportement de Mme D...aurait été en lui-même la cause de cette ambiance générale de souffrance au travail et des troubles psychosociaux ainsi relevés. En outre, l'association Jalles Solidarité n'établit ni même n'allègue que MmeD..., qui y exerçait ses fonctions depuis vingt-deux ans avant que ne lui soit adressée une lettre de mise en garde du 4 juin 2014, aurait déjà fait l'objet de sanctions disciplinaires à raison des faits qui lui sont reprochés. Dans ces conditions, le comportement de Mme D...à l'égard de ses collègues de travail n'a pas revêtu, en l'espèce, le caractère d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement pour motif disciplinaire. Il s'ensuit que c'est à bon droit que l'inspecteur du travail a refusé, pour ce motif, de délivrer l'autorisation de licenciement sollicitée par l'Association Jalles Solidarités.
7. Dès lors que ce motif justifiait à lui seul la décision contestée du 30 avril 2015, la contestation des deux autres motifs mentionnés dans ladite décision, tirés, d'une part, de l'existence d'un vice de procédure substantiel et, d'autre part, d'un lien avec le mandat représentatif de MmeD..., est inopérante.
8. Il résulte de tout ce qui précède que l'Association Jalles Solidarités n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeD..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme l'Association Jalles Solidarités demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'Association Jalles Solidarités est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...D..., à l'Association Jalles Solidarités et au ministre du travail. Copie en sera transmise à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Pierre Bentolila, président assesseur,
M. Axel Basset, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 octobre 2018.
Le rapporteur,
Axel BassetLe président,
Pierre LarroumecLe greffier,
Cindy Virin La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 16BX03200