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24/09/2018 | FRANCE | N°16BX01326

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 24 septembre 2018, 16BX01326


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision en date du 21 août 2014 par laquelle le ministre du travail a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1404354 du 18 février 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de MmeD....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 avril 2016, MmeD..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Borde

aux du 18 février 2016 ;

2°) d'annuler la décision en date du 21 août 2014 par laquelle le ministre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision en date du 21 août 2014 par laquelle le ministre du travail a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1404354 du 18 février 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de MmeD....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 avril 2016, MmeD..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 février 2016 ;

2°) d'annuler la décision en date du 21 août 2014 par laquelle le ministre du travail a autorisé son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges n'ont pas motivé leur rejet du moyen tiré de ce que la décision attaquée ne mentionne pas les voies et délais de recours ;

- la décision du ministre est illégale dès lors qu'elle n'indique pas devant quelle juridiction le recours pouvait être formé ;

- le ministre n'a pas procédé à un examen attentif de ses qualifications et de son expérience professionnelle, dès lors qu'elle n'était pas couseuse, mais piqueuse ; cette inexactitude matérielle a une incidence sur l'appréciation du respect de l'obligation de reclassement ;

- l'employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement de bonne foi, en tenant compte de sa qualification et de son état de santé, puisqu'à la suite de son accident de travail, elle a été déclarée inapte à une posture debout et au port de charges lourdes ; l'article L. 1226-10 du code du travail a donc été méconnu ; la proposition qui lui a été faite ne fait aucun état d'aménagements qui auraient pu être faits ultérieurement ; le poste de magasinière qui lui a été proposé était incompatible avec son état de santé ; il en allait de même de la proposition de poste de vendeuse ; en relevant qu'elle n'avait pas demandé des précisions sur les possibilités d'aménagement, les premiers juges ont mis à sa charge des obligations qui incombent à l'employeur ;

- le ministre a donc commis une erreur manifeste d'appréciation en ne vérifiant pas que la proposition de reclassement était conforme aux obligations de l'employeur et compatible avec son état de santé ;

- c'est également à tort que le ministre a relevé que son statut de travailleur handicapé ne serait pas d'origine professionnelle, puisque le 5 juin 2005, elle a chuté dans les escaliers sur son lieu de travail ; son inaptitude est donc bien d'origine professionnelle ;

- enfin, c'est à tort que le ministre s'est fondé sur le motif économique ; ce motif est entaché d'inexactitude matérielle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2016, la société M. A., représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme D..., outre les entiers dépens, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme D...ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 2 mars 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 mars 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant MmeD..., et de MeC..., représentant la société M.A..

Considérant ce qui suit :

1. Mme E...D...était employée par la société Modo 8 Aster (M.A.), qui appartient au groupe Royer et exerce son activité dans le domaine de la fabrication et distribution de chaussures. Elle occupait en dernier lieu un poste de piqueuse sur le site de Blanquefort (Gironde) et détenait les mandats de déléguée du personnel et de membre du comité d'entreprise. En raison des difficultés économiques rencontrées tant au niveau de la société M.A. que du groupe Royer, la fermeture du site de Blanquefort a été décidée, ce qui a entraîné la suppression de 53 postes. Le 10 octobre 2013, la société a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier Mme D...pour motif économique, ce qui lui a été refusé par décision du 19 décembre 2013. A la suite du recours hiérarchique présenté par l'employeur, le ministre du travail a, par décision du 21 août 2014, annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé ce licenciement. Mme D...fait appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 février 2016, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre du travail du 21 août 2014.

Sur la régularité du jugement :

2. Mme D...fait valoir que les premiers juges ont insuffisamment motivé leur rejet du moyen tiré de ce que la décision attaqué ne mentionne pas les voies et délais de recours. S'ils ont en effet, par le point 3 de leur jugement, estimé que ce moyen était inopérant, ils en ont expliqué la raison, en précisant que les conditions de notification sont sans incidence sur sa légalité. Par suite, le rejet qu'ils ont effectué de ce moyen est suffisamment motivé.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées à l'alinéa précédent. Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. Les offres de reclassement proposées au salarié doivent êtres écrites et précises. ".

4. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence.

5. En premier lieu, l'absence d'indication des voies de recours par la décision contestée n'a, comme cela a été dit au point 2 ci-dessus, aucune incidence sur sa légalité. En tout état de cause, Mme D...produit le courrier de transmission que lui a adressé le ministre en recommandé avec accusé de réception en date du 21 août 2014, qui comporte l'indication des délais et voies de recours. Par suite, le moyen manque en droit comme en fait.

6. En deuxième lieu, Mme D...fait valoir qu'elle n'exerçait pas les fonctions de " coupeuse " mentionnées par le ministre mais celles de piqueuse sur un poste aménagé, et que cette erreur de fait a pu avoir une influence sur l'appréciation faite par le ministre du respect de l'obligation de reclassement par l'employeur. Cependant, il est constant que le poste de piqueuse qu'elle occupait appartenait également à la catégorie des " opérateurs " dans laquelle, ainsi que l'a relevé le ministre, 31 postes de cette catégorie existants sur le site ont été supprimés. Comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, les efforts de reclassement ont bien été analysés au regard de sa situation particulière et notamment de ses qualifications, de son expérience professionnelle et de son état de santé. Par suite, comme ils l'ont également relevé, il ressort des pièces du dossier qu'en dépit de cette mention erronée, le ministre a procédé à un examen particulier de la situation de Mme D...et que l'erreur de fait ainsi commise a été sans influence sur le sens de sa décision.

7. En troisième lieu, Mme D...soutient que le ministre du travail a également commis une erreur de fait en mentionnant que le statut de travailleur handicapé qui lui a été reconnu n'est pas d'origine professionnelle. Cependant, si elle fait valoir qu'elle était définitivement inapte à la station debout permanente et au port de charges lourdes, comme l'indique l'avis de pré-reprise du médecin du travail en date du 11 mars 2009, elle expose que cette reconnaissance de handicap fait suite à un accident du travail qu'elle a subi en 2007 alors qu'elle descendait des escaliers dans son entreprise. Par suite, si son handicap a bien pour origine un accident survenu sur le lieu et pendant les heures de travail, le ministre n'a pas commis d'erreur de fait en relevant qu'elle ne souffrait pas d'une affection d'origine professionnelle.

8. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que la société M. A. fait partie du groupe Royer, négociant européen en chaussures, qui se compose en France d'une unité économique et sociale de quinze sociétés regroupées en six pôles d'activité, dont un " pôle Junior " au sein duquel se place la société Mod 8 Aster. Le marché de la chaussure subit, depuis 2008, des conditions économiques difficiles, dues notamment à une concurrence accrue des grands réseaux de distribution et de la vente à distance ainsi qu'à des volumes croissants d'importations en provenance des pays asiatiques, situation qui a entraîné une chute des ventes et donc une réduction des parts de marché des sociétés du groupe. Celui-ci a vu son niveau d'endettement s'élever de façon importante, avec une impossibilité de faire face à ses échéances en 2010 et 2013, une dégradation de sa trésorerie avec une dégradation du fonds de roulement de 31,5 millions d'euros entre 2010 et 2012 et une trésorerie négative de 31,9 millions d'euros au 31 décembre 2012, ainsi qu'une détérioration de ses marges brutes jusqu'en 2012. Le résultat net du groupe a été déficitaire à hauteur de plus de 13 millions d'euros en 2012 (- 4,9 %) et de plus de 10 millions d'euros en 2013 (- 3,9%), année de la présentation de la demande d'autorisation de licenciement. Afin de préserver sa compétitivité, le groupe Royer a cherché à diminuer ses coûts fixes et à recentrer son activité sur le négoce dans le Pôle junior, auquel appartient la société M. A., et a mis en oeuvre un projet de restructuration, qui a conduit, en février 2013, à la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), qui n'a au demeurant pas été contesté, prévoyant la suppression de 176 postes sur l'ensemble de ses sites. A ce titre, ce plan prévoyait la fermeture totale du site de production de Blanquefort, impliquant la suppression de 31 emplois d'opérateurs et un transfert de 12 postes sur un autre site. Dans ces conditions, la réalité économique du motif du licenciement doit être regardée comme établie.

9. En dernier lieu, D..., qui ne conteste pas que le poste de piqueuse qu'elle occupait a été supprimé, fait valoir que la société M. A. n'a pas satisfait à son obligation de reclassement en l'absence de recherches au sein du groupe de postes de travail tenant compte de sa situation personnelle, de son état de santé et de sa qualification professionnelle. Cependant, il ressort des pièces du dossier que la société M. A. a recensé l'ensemble des postes disponibles au sein du groupe, incluant l'ensemble de ses filiales en France et à l'étranger, liste de postes qui a d'ailleurs été communiquée à l'intéressée pour information par courrier du 21 août 2013, accompagnée d'un questionnaire la sollicitant pour d'autres postes situés à l'étranger. Par lettre du 19 septembre 2013, la salariée a répondu par la négative. En outre, par le courrier du 21 août 2013, un poste de magasinière, située en Bretagne, correspondant aux qualifications et à l'expérience de Mme D...lui a été proposé, puis, le 21 février 2014, un poste de vendeuse en région parisienne. Si l'intéressée soutient que ces postes ne tenaient pas compte de son aptitude restreinte au travail assis uniquement, d'une part, elle a décliné ces offres sans se prévaloir de son état de santé ni demander de précisions sur des possibilités d'aménagement, d'autre part, il ressort des pièces du dossier que la société a procédé antérieurement à des aménagements de postes de magasiniers, la nécessité et la possibilité d'une telle adaptation relevant, comme l'ont déjà souligné à bon droit les premiers juges, de l'avis du médecin du travail seulement après que la salariée ait accepté le poste. En tout état de cause, il n'est pas établi que d'autres postes équivalents à celui qu'elle occupait en dernier lieu existaient et auraient pu lui être proposés en considération de son handicap, même après adaptation ou transformation. Si Mme D... fait valoir qu'elle ne possédait aucune formation ou expérience au regard du poste de vendeuse dès lors qu'elle n'a pas obtenu le CAP à l'issue de sa formation de vendeuse, toutefois et malgré la circonstance qu'elle n'ait pas mentionné de date d'obtention de diplôme, son employeur a pu de bonne foi prendre en compte la mention d'un CAP de vendeuse dans la rubrique " diplôme préparé " du questionnaire de mise à jour des données individuelles pour lui proposer ce poste. Dans ces conditions, la société M.A. doit être regardée comme ayant satisfait à son obligation de recherche de reclassement sans avoir méconnu les dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail qui imposent des recherches de postes compatibles avec l'aptitude physique du salarié. Par suite, en ayant estimé que l'employeur avait satisfait à son obligation de reclassement, le ministre du travail n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme D...sur ce fondement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société M. A. présentées sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme D...et les conclusions présentées par la société M. A. sur le fondement de l'article L. 761-1 sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...D..., au ministre du travail et à la société Modo 8 Aster (M.A.).

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

M. Axel Basset, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 septembre 2018.

Le rapporteur,

Florence Rey-GabriacLe président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy VirinLa République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

2

N° 16BX01326


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX01326
Date de la décision : 24/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique. Obligation de reclassement.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : MAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-09-24;16bx01326 ?
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