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24/09/2018 | FRANCE | N°16BX01320

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 24 septembre 2018, 16BX01320


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...B...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision en date du 21 août 2014 par laquelle le ministre du travail a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1404348 du 18 février 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de MmeB....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 avril 2016, MmeB..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordea

ux du 18 février 2016 ;

2°) d'annuler la décision en date du 21 août 2014 par laquelle le ministre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...B...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision en date du 21 août 2014 par laquelle le ministre du travail a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1404348 du 18 février 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de MmeB....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 avril 2016, MmeB..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 février 2016 ;

2°) d'annuler la décision en date du 21 août 2014 par laquelle le ministre du travail a autorisé son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges n'ont pas motivé leur rejet du moyen tiré de ce que la décision attaquée ne mentionne pas les voies et délais de recours ;

- la décision du ministre est illégale dès lors qu'elle n'indique pas devant quelle juridiction le recours pouvait être formé ;

- le ministre n'a pas procédé à un examen attentif de ses qualifications et de son expérience professionnelle, dès lors qu'elle n'était pas préparatrice semelles, mais préparatrice de commandes ; cette inexactitude matérielle a une incidence sur l'appréciation du respect de l'obligation de reclassement ;

- si le tribunal s'est fondé sur un certificat de son médecin traitant, l'employeur est tenu de proposer un emploi conforme aux conclusions du médecin du travail, et non du médecin traitant ; en tout état de cause, même lorsque le médecin du travail conclut à une impossibilité totale de reclassement, l'employeur est tenu à son obligation de reclassement, non seulement au sein de l'entreprise mais du groupe ; en l'espèce, ce dernier n'a pas rempli cette obligation de bonne foi, en tenant compte de sa qualification et de son aptitude ;

- contrairement à ce qu'a indiqué le jugement, elle conteste le motif économique du licenciement, qui n'était pas avéré.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2016, la société M. A., représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme B..., outre les entiers dépens, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme B...ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 2 mars 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 mars 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant MmeB..., et de MeD..., représentant la société M.A..

Considérant ce qui suit :

1. Mme E...B...était employée par la société Modo 8 Aster (M.A.), qui appartient au groupe Royer et exerce son activité dans le domaine de la fabrication et distribution de chaussures. Recrutée comme mécanicienne, elle occupait en dernier lieu un poste de préparatrice de commande/contrôle qualité logistique sur le site de Blanquefort (Gironde) et détenait les mandats de déléguée du personnel et de membre du comité d'entreprise. En raison des difficultés économiques rencontrées tant au niveau de la société M.A. que du groupe Royer, la fermeture du site de Blanquefort a été décidée, ce qui a entraîné la suppression de 53 postes par licenciement de 31 personnes et transfert de 12 postes sur un autre site. Le 10 octobre 2013, la société a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier Mme B...pour motif économique, ce qui lui a été refusé par décision du 19 décembre 2013. A la suite du recours hiérarchique présenté par l'employeur, le ministre du travail a, par décision du 21 août 2014, annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé ce licenciement. Mme B...fait appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 février 2016, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre du travail du 21 août 2014.

Sur la régularité du jugement :

2. Mme B...fait valoir que les premiers juges ont insuffisamment motivé leur rejet du moyen tiré de ce que la décision attaquée ne mentionne pas les voies et délais de recours. S'ils ont en effet, par le point 3 de leur jugement, estimé que ce moyen était inopérant, ils en ont expliqué la raison, en précisant que les conditions de notification sont sans incidence sur sa légalité. Par suite, le rejet qu'ils ont effectué de ce moyen est suffisamment motivé.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées à l'alinéa précédent. Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. Les offres de reclassement proposées au salarié doivent êtres écrites et précises. ".

4. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence.

5. En premier lieu, l'absence d'indication des voies de recours par la décision contestée n'a, comme cela a été dit au point 2 ci-dessus, aucune incidence sur sa légalité. En tout état de cause, Mme B...produit le courrier de transmission que lui a adressé le ministre en recommandé avec accusé de réception en date du 21 août 2014, qui comporte l'indication des délais et voies de recours. Par suite, le moyen manque en droit comme en fait.

6. En deuxième lieu, Mme B...fait valoir qu'elle n'exerçait pas les fonctions de " préparatrice première semelle " mentionnées par le ministre mais celles de préparatrice de commande, contrôle qualité logistique, et que cette erreur de fait traduit un défaut d'examen par le ministre du travail et a pu avoir une influence sur son appréciation des efforts de reclassement faits par l'employeur. Cependant, il est constant que le poste de préparatrice de commande qu'elle occupait appartenait également à la catégorie des " opérateurs " dans laquelle, ainsi que l'a relevé le ministre, 31 postes de cette catégorie existants sur le site ont été supprimés. Comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, les efforts de reclassement ont bien été analysés au regard de sa situation particulière et notamment de ses qualifications, de son expérience professionnelle et de son état de santé. Par suite, comme ils l'ont également relevé, il ressort des pièces du dossier qu'en dépit de cette mention erronée, le ministre a procédé à un examen particulier de la situation de Mme B...et que l'erreur de fait ainsi commise a été sans influence sur le sens de sa décision.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que la société M. A. fait partie du groupe Royer, négociant européen en chaussures, qui se compose en France d'une unité économique et sociale de quinze sociétés regroupées en six pôles d'activité, dont un " pôle Junior " au sein duquel se place la société Mod 8 Aster. Le marché de la chaussure subit, depuis 2008, des conditions économiques difficiles, dues notamment à une concurrence accrue des grands réseaux de distribution et de la vente à distance ainsi qu'à des volumes croissants d'importations en provenance des pays asiatiques, situation qui a entraîné une chute des ventes et donc une réduction des parts de marché des sociétés du groupe. Celui-ci a vu son niveau d'endettement s'élever de façon importante, avec une impossibilité de faire face à ses échéances en 2010 et 2013, une dégradation de sa trésorerie avec une dégradation du fonds de roulement de 31,5 millions d'euros entre 2010 et 2012 et une trésorerie négative de 31,9 millions d'euros au 31 décembre 2012, ainsi qu'une détérioration de ses marges brutes jusqu'en 2012. Le résultat net du groupe a été déficitaire à hauteur de plus de 13 millions d'euros en 2012 (- 4,9 %) et de plus de 10 millions d'euros en 2013 (- 3,9%), année de la présentation de la demande d'autorisation de licenciement. Afin de préserver sa compétitivité, le groupe Royer a cherché à diminuer ses coûts fixes et à recentrer son activité sur le négoce dans le Pôle junior, auquel appartient la société M. A., et a mis en oeuvre un projet de restructuration, qui a conduit, en février 2013, à la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), qui n'a au demeurant pas été contesté,prévoyant la suppression de 176 postes sur l'ensemble de ses sites. A ce titre, ce plan prévoyait la fermeture totale du site de production de Blanquefort, impliquant la suppression de 31 emplois d'opérateurs et un transfert de 12 postes sur un autre site. Dans ces conditions, la réalité économique du motif du licenciement doit être regardée comme établie.

8. En dernier lieu, MmeB..., qui ne conteste pas que le poste de préparatrice de commande/contrôle qualité logistique qu'elle occupait a été supprimé, fait valoir que la société M.A. n'a pas satisfait de bonne foi à son obligation de reclassement, en l'absence de recherches au sein du groupe de postes de travail tenant compte de son état de santé et de sa qualification professionnelle et dès lors que l'employeur devait rechercher un poste de reclassement conforme aux préconisations du médecin du travail, et non du médecin traitant. Il ressort des pièces du dossier que Mme B...a été déclarée inapte à son poste par deux avis du médecin du travail en date des 5 et 21 mars 2013. Par courrier recommandé avec accusé de réception du 1er août 2013, la société M. A. l'a interrogée sur ses souhaits professionnels et sa mobilité géographique, y compris pour des postes à l'étranger. Ainsi, la société M. A. a procédé à des recherches de reclassement en son sein, mais également auprès des sociétés du groupe Royer auquel elle appartient, à savoir dans l'ensemble de ses filiales en France comme à l'étranger. Par courrier du 21 août 2013, elle a soumis les postes disponibles au sein du groupe à l'avis du médecin du travail, et plus particulièrement un poste de vendeuse, qui pouvait correspondre à l'état de santé et aux qualifications de l'intéressée. Par courrier du 25 août 2013, Mme B...a répondu à son employeur " qu'aucun reclassement n'était possible au sein de votre société ou autre par rapport à mon état de santé " et a joint un certificat médical de son médecin traitant précisant que " l'état de santé actuel de Mme B... ne lui permet pas d'envisager une activité salariée ". Ainsi, dans les circonstances très particulières de l'espèce, la société M.A. doit être regardée comme ayant satisfait à son obligation de reclassement.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme B...sur ce fondement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société M. A. présentées sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B...et les conclusions présentées par la société M. A. sur le fondement de l'article L. 761-1 sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...B..., au ministre du travail et à la société M. A.

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

M. Axel Basset, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 septembre 2018.

Le rapporteur,

Florence Rey-GabriacLe président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

6

N° 16BX01320


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX01320
Date de la décision : 24/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique. Obligation de reclassement.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : MAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-09-24;16bx01320 ?
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