La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/08/2018 | FRANCE | N°18BX01523

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre - formation à 3, 28 août 2018, 18BX01523


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 7 décembre 2017 par lequel le préfet de la Corrèze a ordonné sa remise aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1800077 du 31 janvier 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 avril 2018, M.A..., représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) d'ann

uler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 31 janvier 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfec...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 7 décembre 2017 par lequel le préfet de la Corrèze a ordonné sa remise aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1800077 du 31 janvier 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 avril 2018, M.A..., représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 31 janvier 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 7 décembre 2017 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Corrèze, à titre principal, de l'admettre au séjour en vue de sa demande d'asile, sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans le délai de quinze jours suivant le prononcé de l'arrêt à intervenir et, à titre subsidiaire, de statuer à nouveau sur sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté est entaché d'une incompétence de l'auteur de l'acte, dès lors qu'il n'est pas signé du préfet, seul compétent en application de l'article 8 de l'arrêté du 8 février 1999 mais par le secrétaire général ; il appartient à l'administration d'apporter la preuve de l'existence d'une délégation de signature accordée par le préfet au secrétaire général, et de sa publication ;

- l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes est insuffisamment motivé, dans la mesure où le préfet ne l'a pas mis à même de connaître le critère de détermination par lequel il a retenu l'Italie comme pays responsable de sa demande d'asile ;

- cet arrêté ne respecte pas les garanties procédurales liées à la notification de la décision de transfert dès lors qu'il ne comporte aucune mention quant aux conséquences d'une inexécution de cette décision de transfert aux autorités italiennes ; cette absence d'indication constitue une garantie essentielle pour permettre à l'intéressé de connaître ses droits tels qu'ils figurent à l'article 29 du règlement UE du 26 juin 2013 en cas d'inexécution de la décision de remise aux autorités italiennes ;

- cet arrêté a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 qui garantit aux demandeurs d'asile un traitement conforme aux exigences de ce règlement ainsi que de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; or, l'Italie étant submergée par un afflux massif de migrants, il n'a jamais entendu y solliciter l'asile ; à son arrivée il a été violemment agressé par les forces de l'ordre parce qu'il était réticent à permettre la prise de ses empreintes décadactylaires ; puis, il s'est trouvé livré à lui-même, ce qui explique son départ vers la France ; il n'a donc pas bénéficié des garanties devant être offertes aux demandeurs d'asile ; la circonstance ayant conduit le Conseil de l'Union Européenne à relocaliser des demandeurs d'asile en provenance d'Italie couplée aux déclarations concordantes de nombreux demandeurs d'asile en provenance de l'Italie démontre l'incapacité des autorités italiennes à assumer leurs obligations en matière de demande d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2018, le préfet de la Corrèze conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 4 mai 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 6 juin 2018 à 12h00.

M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mars 2018, modifiée le 26 avril 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Pierre Bentolila, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C...A..., ressortissant soudanais, est entré irrégulièrement en France à une date qu'il indique être le 13 juin 2017. Il a sollicité l'asile le 20 septembre 2017 à la préfecture de la Haute-Vienne. Le préfet de la Corrèze ayant constaté que les empreintes digitales de l'intéressé avaient été enregistrées dans le fichier Eurodac en Italie, le 29 mai 2017, avant son entrée en France, a saisi le 3 octobre 2017 les autorités italiennes d'une demande de transfert sur le fondement de l'article 21-1 du règlement 604/2013 (UE) du 26 juin 2013. Le 3 décembre 2017, les autorités italiennes ont accepté leur responsabilité par un accord implicite sur le fondement de l'article 22 du règlement 604/2013 (UE) du 26 juin 2013. Par arrêté du 7 décembre 2017, le préfet de la Corrèze a décidé la remise de M. A...aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile. M. A...relève appel du jugement du 31 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité externe :

2. En premier lieu, en vertu de l'article 2 de l'arrêté du 18 octobre 2016 n°19-2016-10-18-006 du préfet de la Corrèze, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Corrèze le 20 octobre 2016, M. Eric Zabouraeff, secrétaire général de la préfecture a reçu délégation de signature à l'effet de signer " tous les actes administratifs relatifs au séjour et à la police des étrangers ". Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait et doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " ... l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative... ". En vertu de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : -restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ". Et selon l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

4. M. A...soutient que l'arrêté attaqué du préfet de la Corrèze est entaché d'une insuffisance de motivation dès lors qu'il ne mentionne pas le critère qui a été appliqué pour considérer que l'Italie devait être regardée comme se trouvant être le pays responsable de sa demande d'asile. Toutefois, l'arrêté en visant notamment le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013, le règlement (CE) n°1560/2003 de la commission du 2 septembre 2003, et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile se trouve suffisamment motivé en droit. Par ailleurs, cet arrêté indique que le relevé des empreintes digitales de M. A...a permis de révéler qu'il avait été identifié en Italie le 29 mai 2017, préalablement à son entrée en France, que les autorités italiennes avaient donné le 3 décembre 2017, leur accord implicite au transfert de l'intéressé en Italie, et mentionne que " l'ensemble des éléments de droit et de fait caractérisant la situation de Monsieur A...ne relève pas des dérogations prévues par les articles 17.1 ou 17.2 du règlement (UE) n° 604/2013 ", en raison notamment du fait que M. A...se trouve être célibataire sans enfant. Dans ces conditions, et en l'absence d'éléments permettant d'estimer en l'espèce qu'un autre Etat aurait pu être responsable de la demande d'asile de M.A..., le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté portant remise aux autorités italiennes doit être écarté.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier de première instance que M. A... s'est vu remettre, le 20 septembre 2017, la brochure d'information A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union Européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et la brochure d'information B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est ce que cela signifie ' ". La remise de ces brochures, qui constituent la brochure commune prévue par l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, permet aux demandeurs d'asile de bénéficier d'une information complète sur l'application de ce règlement. Par ailleurs, les documents remis étaient rédigés en arabe que M.A..., originaire du Soudan, a déclaré comprendre à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile en France. Enfin, aucune des dispositions régissant la procédure d'instruction des demandes d'asile n'impose que la décision de remise aux autorités étrangères précise que les autorités françaises seront responsables de l'examen de la demande en cas d'inexécution de transfert dans le délai de six mois suivant la décision d'acceptation de l'Etat requis. Par suite, le moyen tiré de la violation du droit à l'information doit être écarté.

Sur la légalité interne :

6. Aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n°604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre " et aux termes de l'article 3.2 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ".

7. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption peut toutefois être renversée lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

8. M. A...soutient que l'Italie est confrontée à une situation exceptionnelle en raison d'un afflux massif de demandeurs d'asile, qu'à son arrivée, il a été violemment agressé par les forces de l'ordre parce qu'il était réticent à permettre la prise de ses empreintes digitales et qu'en raison notamment de l'afflux de migrants dans ce pays, l'Italie ne peut assumer ses obligations en matière d'asile. Si le requérant invoque le dispositif de relocalisation dans d'autres Etats de l'Union Européenne de l'examen des demandes d'asile, appliqué à certaines demandes d'asile présentées en Italie, le moyen n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier la portée, le seul fait d'invoquer ce dispositif de relocalisation ne permettant pas d'établir l'existence d'une défaillance systémique des autorités italiennes. En tout état de cause, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le requérant entrerait dans le champ du dispositif adopté par la décision (UE) 2015/1601 du Conseil européen du 22 septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l'Italie et de la Grèce, dès lors qu'aucun élément ne permet d'estimer qu'il aurait une nationalité " pour laquelle, selon les dernières moyennes trimestrielles actualisées d'Eurostat disponibles au niveau de l'Union, la part des décisions accordant une protection internationale, parmi les décisions prises en première instance sur des demandes de protection internationale visées au chapitre Ill de la directive 2013132/UE du Parlement européen et du Conseil, est égale ou supérieure à 75 % ". Dans ces conditions, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existerait en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, le préfet de la Corrèze n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37-2 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à MeB.... Copie en sera adressée au préfet de la Corrèze.

Délibéré après l'audience du 26 juin 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Pierre Bentolila, président-assesseur,

M. Frédéric Faïck, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 28 août 2018.

Le rapporteur,

Pierre BentolilaLe président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Evelyne Gay-Boissières

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX01523


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18BX01523
Date de la décision : 28/08/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Pierre BENTOLILA
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : MOREAU LISE-NADINE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/09/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-08-28;18bx01523 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award