Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler les arrêtés du 29 janvier 2018 par lesquels le préfet de la Haute-Vienne a décidé son transfert aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence du 30 janvier 2018 au 15 mars 2018, lui a fait obligation de se présenter une fois par jour au commissariat de police de Limoges et lui a interdit de sortir du département de la Haute-Vienne sans autorisation.
Par un jugement n° 1800139 du 2 février 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 avril 2018, M. C...A..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Limoges du 2 février 2018 ;
2°) d'annuler ces arrêtés du préfet de la Haute-Vienne du 29 janvier 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en vue de l'examen de sa demande d'asile dans un délai de 8 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou de statuer à nouveau sur son cas ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision portant transfert aux autorités italiennes est illégale dès lors que les garanties procédurales liées à la notification de l'arrêté de transfert n'ont pas été respectées ; aucune information ne lui a été communiquée sur les conséquences d'une inexécution de la décision de transfert en méconnaissance des articles 26 et 29 du règlement UE du 26 juin 2013 ;
- le préfet s'est estimé en situation de compétence liée en considérant qu'il ne lui paraissait pas opportun de faire application de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, lequel confère pourtant aux autorités françaises la faculté d'examiner une demande d'asile même si cet examen relève normalement de la compétence d'un autre Etat ; le préfet, alors qu'il en a l'obligation, n'a pas vérifié si son état de santé était compatible avec le transfert ;
- l'assignation à résidence doit être annulée du fait de l'illégalité de la décision de transfert ;
- l'assignation à résidence a été prise en méconnaissance de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : compte tenu de son état de santé incompatible avec un voyage, son éloignement ne constituait pas une perspective raisonnable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2018, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 15 mai 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 20 juin 2018 à 12 heures.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer les conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Cécile Cabanne a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant malien, entré irrégulièrement en France, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile le 19 juin 2017. Après avoir constaté, par la consultation du fichier Eurodac, que ses empreintes avaient déjà été relevées par les autorités italiennes, le préfet de la Haute-Vienne a adressé à l'Italie, le 20 juin 2017, une demande de prise en charge de sa demande d'asile. Cette demande ayant été implicitement acceptée le 20 août 2017, le préfet de la Haute-Vienne a, par un arrêté du 29 janvier 2018, décidé de transférer M. A...aux autorités italiennes et, par un arrêté du même jour, ordonné son assignation à résidence pour une durée de 45 jours. M. A...relève appel du jugement du 2 février 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions en annulation :
En ce qui concerne la décision de transfert :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 26 du règlement (UE) 604/2013 susvisé : " 1. Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'Etat membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'Etat membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale. (...) 2. La décision visée au paragraphe 1 contient des informations (...) sur les délais applicables à (...) la mise en oeuvre du transfert (...). ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la décision contestée mentionne en son article 2, que le transfert de M. A...vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile devra avoir lieu dans un délai de six mois suivant l'accord des autorités italiennes et que ce délai pourra être porté à douze mois en cas d'emprisonnement et à dix-huit mois en cas de fuite, en application de l'article 29 du règlement (UE) 604/2013. Contrairement à ce que soutient le requérant, ni l'article 26 du règlement dit " Dublin III ", ni aucun autre texte n'impose à l'autorité compétente de préciser les conséquences de l'inexécution de la décision de transfert dans ces délais, et notamment que les autorités françaises seraient alors responsables de l'examen de sa demande d'asile. Dans ces conditions, et alors que le requérant n'indique nullement en quoi cette absence d'information le priverait d'une garantie ou préjudicierait à ses droits, le moyen tiré du " non-respect des garanties procédurales liées à la notification de la décision de transfert " doit être écarté.
4. En second lieu, aux termes de l'article 17 du règlement précité : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit (...) ".
5. Dans son arrêt C-578/16 PPU du 16 février 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété le paragraphe 1 de cet article à la lumière de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, aux termes duquel " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " dans le sens que, lorsque le transfert d'un demandeur d'asile présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens de cet article. La Cour en a déduit que les autorités de l'État membre concerné, y compris ses juridictions, doivent vérifier auprès de l'État membre responsable que les soins indispensables seront disponibles à l'arrivée et que le transfert n'entraînera pas, par lui-même, de risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, précisant que, le cas échéant, s'il s'apercevait que l'état de santé du demandeur d'asile concerné ne devait pas s'améliorer à court terme, ou que la suspension pendant une longue durée de la procédure risquait d'aggraver l'état de l'intéressé, l'État membre requérant pourrait choisir d'examiner lui-même la demande de celui-ci en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue à l'article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III.
6. M.A..., qui souffre d'une hépatite chronique B, d'une gastrite à Helicobacter et d'un stress post-traumatique, soutient que son état de santé n'a pas été pris en compte par le préfet et que ce dernier ne s'est pas assuré auprès des autorités italiennes que le suivi médical serait effectif lors de son transfert et à son arrivée. Il ressort des pièces du dossier que le traitement de la pathologie hépatique était terminé à la date de la décision attaquée et que seule une visite de contrôle tous les six mois était nécessaire. Par ailleurs, aucune pièce du dossier n'indique que ce suivi ne pourrait avoir lieu en Italie. Il n'est pas davantage établi que le traitement médicamenteux dont il bénéficie pour ces deux autres maladies n'y serait pas disponible pendant l'examen de sa demande d'asile. En tout état de cause, les éléments médicaux produits ne sont pas de nature à faire regarder M. A...comme encourant un risque réel et avéré de détérioration de son état de santé en cas de transfert vers l'Italie. Le certificat médical, non circonstancié, rédigé par un médecin généraliste le 29 janvier 2018, ne permet pas d'établir qu'il ne serait pas en capacité de voyager sans risque vers l'Italie. Dans ces conditions, M. A...n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Haute-Vienne aurait entaché la décision de transfert d'un défaut d'examen réel et complet de sa situation, nonobstant la circonstance que son état de santé n'est pas mentionné, ou aurait méconnu les stipulations de l'article 17 règlement n° 604/2013.
7. Si M. A...demande qu'il soit fait application de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'assortit pas son moyen de précision suffisante pour en apprécier le bien-fondé.
En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :
8. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la décision de transfert aux autorités italiennes n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision portant assignation à résidence serait dépourvue de base légale ne peut qu'être écarté.
9. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.-L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 (...) ".
10. Compte tenu de ce qui a été dit au point 6, il ne ressort pas des pièces du dossier que, comme l'allègue M.A..., à la date de la décision d'assignation, à laquelle il y a lieu de se placer pour apprécier sa légalité, l'exécution de la décision de transfert ne demeurait pas une perspective raisonnable en raison de son état de santé.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 29 janvier 2018. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A..., et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 5 juillet 2018 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
M. Paul-André Braud, premier conseiller,
Mme Cécile Cabanne, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 août 2018.
Le rapporteur,
Cécile CABANNELe président,
Jean-Claude PAUZIÈSLe greffier,
Virginie MARTY
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 18BX01522