La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/07/2018 | FRANCE | N°16BX01498

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre (formation à 3), 12 juillet 2018, 16BX01498


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La société I Boat a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2014 par lequel le préfet de la Gironde a prononcé la fermeture, pour une durée de trente jours, de l'établissement qu'elle exploite et a retiré le permis d'exploiter une licence IV pour ce même établissement situé 1 quai Armand Lalande à Bordeaux.

Par un jugement n° 1402961 du 8 mars 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête

enregistrée le 2 mai 2016 et un mémoire enregistré le 5 mai 2017, le préfet de la Gironde demande à...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La société I Boat a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2014 par lequel le préfet de la Gironde a prononcé la fermeture, pour une durée de trente jours, de l'établissement qu'elle exploite et a retiré le permis d'exploiter une licence IV pour ce même établissement situé 1 quai Armand Lalande à Bordeaux.

Par un jugement n° 1402961 du 8 mars 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 mai 2016 et un mémoire enregistré le 5 mai 2017, le préfet de la Gironde demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 8 mars 2016 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société I Boat devant le tribunal administratif de Bordeaux.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, l'arrêté n'est pas entaché d'une erreur de droit : en vertu du 1) de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, le préfet dispose d'un pouvoir d'appréciation pour décider la fermeture administrative d'un débit de boissons et moduler la durée de celle-ci ; en cas de fermeture motivée par des actes criminels ou délictueux, si la rédaction du paragraphe 3 diffère de celle des deux premiers paragraphes en ce qui concerne la durée de la fermeture, le législateur n'a pas pour autant entendu restreindre le champ du pouvoir d'appréciation accordé par le préfet dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative ; le juge administratif a d'ailleurs admis des mesures de fermeture pour une durée inférieure à six mois ;

- contrairement à ce qu'estime la société, les faits reprochés ne sont pas étrangers à la fréquentation de l'établissement ou à ses conditions d'exploitation ; en effet, les rapports de police des 26 mai et 2 juin 2014 font état d'opérations de vente et d'achat de cocaïne à l'intérieur de l'établissement, à plusieurs reprises depuis 2013 ;

- en outre, l'usage par le préfet des pouvoirs que lui confère l'article L. 3332-15 du code de la santé publique n'est subordonné ni à la condamnation de l'employeur, ni au caractère intentionnel des agissements, ni même à l'intervention d'une décision judiciaire de fermeture ; en effet, ces mesures ne constituent pas des sanctions mais des mesures de police ayant pour seul objet de prévenir les désordres liés au fonctionnement de l'établissement, indépendamment de la responsabilité de l'exploitant ;

- la circonstance que l'exploitant ait pris des mesures pour remédier aux difficultés dès qu'il a en eu connaissance, en procédant notamment au licenciement des personnes impliquées dans ce trafic, est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, laquelle ne constitue pas une sanction ; il en est de même du fait qu'il se soit engagé dans des opérations de prévention sur les conduites addictives ;

- l'annulation de la licence d'exploitation découle nécessairement de la mesure de fermeture en litige, dès lors que celle-ci repose sur des actes criminels ou délictueux matériellement établis ;

- la fermeture administrative n'est pas non plus entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2016, la société I Boat, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête du préfet de la Gironde et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en application du troisième alinéa de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, lequel ne prévoit pas une durée maximale de fermeture des débits de boissons, contrairement aux deux premiers alinéas, le préfet ne dispose pas du pouvoir de moduler la durée de la fermeture administrative qu'il prononce ;

- le préfet lui-même a reconnu que les faits reprochés n'étaient pas de nature à justifier une fermeture d'une durée de six mois ; il reconnaît ainsi que leur gravité ne pouvaient justifier tant une fermeture administrative que l'annulation du permis d'exploitation ;

- les faits reprochés ne sont pas en lien avec les conditions d'exploitation de l'établissement, alors même qu'ils ont eu lieu au sein de celui-ci ; le juge judiciaire a d'ailleurs considéré que les actes des deux salariés impliqués étaient détachés de leur travail et de leur employeur ; le juge pénal n'a pas jugé opportun de prononcer la fermeture de cet établissement ;

- cette décision méconnaît également le principe de la présomption d'innocence ;

- ce trafic n'a eu lieu que ponctuellement, à trois reprises, en-dehors des horaires de travail et sans que la direction de l'entreprise n'en ait été informée ;

- les désordres ont disparu dès que la direction en a eu connaissance ; ainsi, cette mesure de police n'a eu aucune utilité ; la salariée a été licenciée et le contrat d'intermittent du spectacle du second prévenu a pris fin ;

- l'entreprise lutte contre les stupéfiants, en proposant, tous les trimestres, des évènements de prévention au sujet de l'alcool et de la drogue ; les portiers ont pour mission d'empêcher les dealers de pénétrer les lieux et une personne est employée pour surveiller les toilettes de manière continue afin d'empêcher les clients de consommer des drogues ; il ne saurait donc lui être reproché un défaut de vigilance dans l'exploitation de son établissement ;

- compte tenu de l'importante fréquentation du lieu, la présence du vendeur était impossible à détecter ;

- cette fermeture administrative a eu de graves conséquences sur l'image de l'établissement qui a toujours été de bonne qualité.

Par une ordonnance du 9 mai 2017, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 1er juin 2017 à 12h00.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sabrina Ladoire,

- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville,

- et les observations de MeB..., représentant la société I Boat.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de la Gironde a, par arrêté du 7 juillet 2014, prononcé la fermeture de l'établissement I Boat pour une durée de trente jours et retiré, par voie de conséquence, le permis d'exploitation dont bénéficiait M.A..., son gérant. Le préfet de la Gironde relève appel du jugement du 8 mars 2015 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, saisi par la société I Boat, a annulé cet arrêté.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique : " 1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas six mois, à la suite d'infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. / Cette fermeture doit être précédée d'un avertissement qui peut, le cas échéant, s'y substituer, lorsque les faits susceptibles de justifier cette fermeture résultent d'une défaillance exceptionnelle de l'exploitant ou à laquelle il lui est aisé de remédier. / 2. En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois. / 3. Lorsque la fermeture est motivée par des actes criminels ou délictueux prévus par les dispositions pénales en vigueur, à l'exception des infractions visées au 1, la fermeture peut être prononcée pour six mois. Dans ce cas, la fermeture entraîne l'annulation du permis d'exploitation visé à l'article L. 3332-1-1. 4. Les crimes et délits ou les atteintes à l'ordre public pouvant justifier les fermetures prévues au 2 et au 3 doivent être en relation avec la fréquentation de l'établissement ou ses conditions d'exploitation. (...) ".

3. D'autre part, l'article L. 3332-16 du même code dispose que : " Le ministre de l'intérieur peut, dans les cas prévus au 1 et au 3 de l'article L. 3332-15, prononcer la fermeture de ces établissements pour une durée allant de trois mois à un an. / Le cas échéant, la durée de la fermeture prononcée par le représentant de l'État dans le département s'impute sur celle de la fermeture prononcée par le ministre. ".

4. Il résulte de l'économie générale de ces dispositions organisant la police des débits de boissons que, même si le 3 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique ne l'indique pas expressément, lorsque la fermeture de l'établissement est motivée par des " actes criminels ou délictueux prévus par les dispositions pénales en vigueur ", la durée de six mois pour laquelle cette fermeture peut être prononcée par le représentant de l'Etat dans le département n'est qu'un maximum.

5. Dès lors, et comme le soutient le préfet de la Gironde, c'est à tort que, pour annuler la fermeture administrative contestée, le tribunal administratif a jugé que le 3 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, base légale de cette mesure, ne permettait pas la fermeture d'un établissement pour une durée autre que six mois. C'est à tort également que, par voie de conséquence de cette première annulation, le tribunal a annulé en outre le retrait au gérant de l'établissement de son permis d'exploitation.

6. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par la société I Boat, tant en première instance qu'en appel, à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 juillet 2014.

7. Les mesures de fermeture de débits de boissons ordonnées par le préfet sur le fondement des dispositions de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique ont toujours pour objet de prévenir la continuation ou le retour de désordres liés au fonctionnement de l'établissement, indépendamment de toute responsabilité de l'exploitant. Une telle mesure doit être regardée en conséquence, non comme une sanction présentant le caractère d'une punition, mais comme une mesure de police. Par suite, la société I Boat ne peut utilement soutenir que la mesure contestée méconnaîtrait le principe de la présomption d'innocence qui ne trouve application qu'en matière répressive. De même, la fermeture d'un établissement sur le fondement des dispositions précitées n'étant pas subordonnée à l'engagement de poursuites pénales, la circonstance que le gérant de cet établissement n'ait pas fait l'objet de telles poursuites est sans incidence sur la légalité de la mesure.

8. Il ressort des pièces du dossier, notamment des rapports de police des 26 mai et 2 juin 2014, que des opérations de vente et d'achat de cocaïne se sont déroulées à l'intérieur de l'établissement I Boat, par l'entremise d'une personne notoirement connue pour se livrer à un trafic de stupéfiants, au moins à trois reprises, entre les mois de septembre 2013 et avril 2014. Ces opérations ont en outre bénéficié de la complicité de deux salariés de la société. Ces faits, contrairement à ce que soutient la société, sont en relation directe avec la fréquentation de l'établissement I Boat. Ils sont passibles des dispositions pénales en vigueur qui répriment notamment sous une qualification criminelle ou délictuelle le trafic de stupéfiants. Dans ces conditions, alors même qu'ils ont été commis à l'insu du gérant, qu'ils n'auraient pas présenté un caractère habituel et que leurs auteurs ont été licenciés, et quand bien même la société essaierait de prévenir dans son établissement la consommation de stupéfiants, ces faits étaient de nature à justifier une fermeture administrative sur le fondement des dispositions précitées des 3 et 4 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique.

9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 7 juillet 2014.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par la société I Boat et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1402961 du 8 mars 2016 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société I Boat en première instance et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société I Boat et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2018 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président- assesseur,

Mme Sabrina Ladoire, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 12 juillet 2018.

Le rapporteur,

Sabrina LADOIRELe président,

Aymard de MALAFOSSELe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX01498


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 16BX01498
Date de la décision : 12/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-05-04 POLICE. POLICES SPÉCIALES. POLICE DES DÉBITS DE BOISSONS. - FERMETURE ADMINISTRATIVE D'UN DÉBIT DE BOISSONS ORDONNÉE EN APPLICATION DU 3 DE L'ARTICLE L. 3332-15 DU CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE : LA DURÉE DE SIX MOIS EST UN MAXIMUM MÊME SI LE TEXTE NE LE DIT PAS EXPRESSÉMENT.

49-05-04 Il résulte de l'économie générale des articles L. 3332-15 et L. 3332-16 du code de la santé publique relatifs à la police des débits de boissons que, même si le 3 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique ne l'indique pas expressément, lorsque la fermeture administrative de l'établissement est motivée par des « actes criminels ou délictueux prévus par les dispositions pénales en vigueur », la durée de six mois pour laquelle cette fermeture peut être prononcée par le représentant de l'Etat dans le département n'est qu'un maximum.,,,Dès lors c'est à tort que, pour annuler la fermeture administrative prononcée par le préfet à l'encontre de la société I Boat pour une durée de trente jours, le tribunal administratif a jugé que le 3 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, base légale de cette mesure, ne permettait pas la fermeture d'un établissement pour une durée autre que six mois.


Références :

Les conclusions de M. Guillaume de la Taille ont été publiées à l'AJDA n°32 du 1er octobre 2018, p. 1860-1863.,,,Le pourvoi en cassation formé par la société I-Boat n'a pas été admis (Décision 424117 du 6 mai 2019).


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Sabrina LADOIRE
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : SCP BLAZY ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-07-12;16bx01498 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award