La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2018 | FRANCE | N°17BX04083

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 28 juin 2018, 17BX04083


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant de sa fille mineure, a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 20 000 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis à la suite de l'arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français illégal pris par le préfet de la Haute-Vienne le 23 juillet 2013.

Par un jugement n° 1500259 du 6 juillet

2017, le tribunal administratif de Limoges a partiellement fait droit à sa demande ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant de sa fille mineure, a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 20 000 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis à la suite de l'arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français illégal pris par le préfet de la Haute-Vienne le 23 juillet 2013.

Par un jugement n° 1500259 du 6 juillet 2017, le tribunal administratif de Limoges a partiellement fait droit à sa demande en lui allouant la somme de 500 euros au titre du préjudice moral subi.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 décembre 2017, M.A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 6 juillet 2017 en tant qu'il a limité à 500 euros la somme que l'Etat a été condamné à lui verser en réparation de ses préjudices ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité totale de 20 000 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis à la suite de l'illégalité de l'arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français pris par le préfet de la Haute-Vienne le 23 juillet 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 400 euros à son conseil sur le fondement des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

S'agissant de la régularité du jugement :

- le tribunal administratif de Limoges a méconnu les articles R. 711-2 et R. 711-3 du code de justice administrative dès lors qu'il n'a pas informé le requérant du fait que le rapporteur public ne prononcerait pas de conclusions lors de l'audience ;

- les premiers juges ont dénaturé les éléments du dossier et commis une erreur de fait en soulignant qu'il ne démontrait pas avoir occupé un emploi depuis l'autorisation provisoire de séjour qui lui a été délivrée le 19 mai 2014 alors que cette autorisation ne l'autorisait pas à travailler ;

S'agissant de la demande indemnitaire :

- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de l'illégalité du refus de séjour assorti d'une mesure d'éloignement pris par le préfet de la Haute-Vienne le 23 juillet 2013 ; le refus de séjour a d'ailleurs été annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 2 octobre 2014 devenu définitif ;

- il ne pouvait lui être reproché d'avoir déménagé à Limoges alors que ce déménagement résulte précisément de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de pouvoir occuper l'emploi qui lui était proposé à Montpellier ; en tout état de cause, la société qui souhaitait l'employer intervient comme sous-traitant dans divers chantiers répartis sur la France entière, ainsi que le mentionnait expressément son offre de contrat de travail ; désormais, il est d'ailleurs employé en CDI par une entreprise de nettoyage ;

- il a subi une perte de chance sérieuse de pouvoir travailler comme en témoigne sa promesse d'embauche en contrat à durée indéterminée datée du 12 avril 2012 ; ayant été privé d'occuper un emploi entre le 2 mai 2013 et le 10 octobre 2014, date à laquelle il a obtenu un document provisoire l'autorisant à travailler, et eu égard au fait qu'il aurait pu percevoir un salaire annuel de 18 240 euros, son préjudice peut être chiffré à la somme de 12 000 euros ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Limoges a retenu que le requérant aurait pu travailler depuis le 19 mai 2014 alors que le récépissé délivré ce jour ne l'autorisait pas à travailler ;

- une indemnité de 8 000 euros devra également lui être allouée au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans ses conditions d'existence.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 février 2018, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête de M.A.... Il s'en rapporte à ses écritures produites en première instance et précise que le requérant qui sollicitait, dans sa demande préalable d'indemnisation datée du 25 novembre 2014, une indemnité de 12 000 euros tous chefs de préjudices confondus, a porté celle-ci à 20 000 euros en 2015.

Par ordonnance du 22 février 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 15 mars 2018 à 12h00.

M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 octobre 2017 du tribunal de grande instance de Bordeaux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sabrina Ladoire,

- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.

- et les observations de MeD..., représentant M.A....

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., ressortissant nigérian, dont la demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 9 septembre 2009, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 6 avril 2012, a sollicité, le 2 janvier 2013, son admission au séjour en se prévalant de ses attaches personnelles et familiales sur le territoire national. Par un arrêté du 23 juillet 2013, le préfet de la Haute-Vienne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français. Le tribunal administratif de Limoges a annulé la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de M. A...par un jugement du 19 décembre 2013. Par un arrêt du 2 octobre 2014, la cour a prononcé l'annulation de ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions de l'intéressé dirigées contre le refus de séjour et a annulé ce refus. M. A...a alors saisi le tribunal administratif de Limoges d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 20 000 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'il a subis en raison de l'illégalité de l'arrêté susvisé du 23 juillet 2013. Il relève appel du jugement du 6 juillet 2017 du tribunal administratif de Limoges en tant que celui-ci a limité à la somme de 500 euros l'indemnité allouée en réparation de ses préjudices.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne. / Lorsque l'affaire est susceptible d'être dispensée de conclusions du rapporteur public, en application de l'article R. 732-1-1, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, si le rapporteur public prononcera ou non des conclusions et, dans le cas où il n'en est pas dispensé, le sens de ces conclusions ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 711-2 du même code : " L'avis d'audience (...) mentionne également les modalités selon lesquelles les parties ou leur mandataire peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public, en application du premier alinéa de l'article R. 711-3 ou, si l'affaire relève des dispositions de l'article R. 732-1-1, de la décision prise sur la dispense de conclusions du rapporteur public, en application du second alinéa de l'article R. 711-3 ".

3. M. A...a été informé, préalablement à la tenue de l'audience, par les mentions portées sur l'application Sagace, de ce que son affaire était dispensée de conclusions. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement ne peut, dès lors, qu'être écarté.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

4. L'obligation de quitter le territoire français contenue dans l'arrêté du 23 juillet 2013 a été annulée par le jugement n° 1301420 rendu le 19 décembre 2013 par le tribunal administratif de Limoges, devenu définitif sur ce point, au motif qu'elle méconnaissait l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant. Le refus de séjour contenu dans le même arrêté a été annulé par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 2 octobre 2014 pour le même motif. Ces deux décisions sont revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée. En refusant un titre de séjour à M.A..., le préfet de la Haute-Vienne a ainsi commis une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne la réparation :

5. M. A...soutient que l'arrêté par lequel le préfet de la Haute-Vienne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour lui a fait perdre une chance sérieuse d'occuper un emploi rémunéré. Or, l'intéressé n'établit pas davantage en appel qu'en première instance qu'il a été privé d'une chance de trouver un emploi en raison de la prolongation illégale de sa situation irrégulière sur le territoire national. Un tel lien ne saurait d'ailleurs se déduire de la seule circonstance qu'il bénéficiait d'une promesse d'embauche datée du 12 avril 2012 par laquelle une société située dans le département de l'Hérault s'était engagée à l'employer à plein temps à compter du 1er juin 2012 dès lors qu'il résulte de l'instruction que le requérant, qui résidait antérieurement à Montpellier, a déménagé à Limoges au cours du second semestre de l'année 2012, soit antérieurement à l'arrêté en litige édicté le 23 juillet 2013 et à la demande de titre de séjour qu'il avait présentée en janvier 2013, et qu'il ne produit aucun élément de nature à établir que cette promesse d'embauche demeurait valable après ce déménagement, quand bien même il aurait pu être amené à effectuer des missions dans toute la métropole. Enfin, et alors que le requérant s'est vu délivrer une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler à compter du 10 octobre 2014, il n'a effectivement été employé qu'à partir du 5 décembre 2016 par une autre société que celle qui lui avait délivré la promesse d'embauche précédemment évoquée. Dans ces conditions, M. A...n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé d'une chance sérieuse d'obtenir un travail rémunéré du fait de l'illégalité de l'arrêté lui ayant refusé la délivrance d'un titre de séjour.

6. M. A...soutient que du fait de cet arrêté illégal, il a subi un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence dès lors qu'il n'a pu occuper un emploi rémunéré qui lui aurait permis de subvenir aux besoins de sa famille et qu'il a été exposé au risque d'une séparation forcée de sa compagne et de ses enfants. Il résulte cependant de l'instruction que l'intéressé s'est vu délivrer une autorisation provisoire de séjour le 19 mai 2014 et qu'ainsi, la menace d'un éloignement et d'une séparation familiale a pris fin à compter de cette date. En outre, s'il fait valoir que, n'ayant pu travailler, il a été confronté à d'importantes difficultés matérielles, il n'établit pas, ainsi qu'il a été dit au point 5, qu'il aurait obtenu un emploi s'il avait été admis au séjour en France ; au demeurant, il n'a été embauché que le 5 décembre 2016 alors qu'il disposait d'une autorisation de travail depuis le 10 octobre 2014. Dans ces conditions, compte tenu du délai de dix mois qui s'est écoulé entre la date à laquelle lui a été refusé le titre de séjour qu'il avait sollicité et la délivrance d'une première autorisation provisoire de séjour, il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral en portant le montant de l'indemnité qui lui avait été allouée par le tribunal administratif à la somme de 1 000 euros.

Concernant les intérêts et leur capitalisation :

7. En premier lieu, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1231-6 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. En l'espèce, M. A...a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 1 000 euros, calculés à compter du 26 novembre 2014, date à laquelle sa réclamation a été reçue par les services préfectoraux.

8. En second lieu, aux termes de l'article 1343-2 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ". Pour l'application des dispositions précitées, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.

9. En l'espèce, M. A...a demandé la capitalisation des intérêts dans le mémoire enregistré par le greffe du tribunal administratif de Toulouse le 10 février 2015. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 26 novembre 2015, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...est seulement fondé à demander que la somme que l'Etat a été condamné à lui verser en vertu de l'article 1er du jugement attaqué soit portée de 500 à 1 000 euros, cette somme devant porter intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2014, et les intérêts échus à la date du 26 novembre 2015 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date devant être capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Sur les conclusions présentées au titre du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me B...en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce versement valant renonciation à la part contributive de l'Etat.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 500 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. A...par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Limoges en date du 6 juillet 2017 est portée à 1 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2014. Les intérêts échus à la date du 26 novembre 2015 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement n° 1500259 du 6 juillet 2017 du tribunal administratif de Limoges est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à Me B...en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce versement valant renonciation à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A...est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au préfet de la Haute-Vienne, et à MeB....

Délibéré après l'audience du 7 juin 2018 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Sabrina Ladoire, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 28 juin 2018.

Le rapporteur,

Sabrina LADOIRELe président,

Aymard de MALAFOSSE Le greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 17BX04083


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX04083
Date de la décision : 28/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Sabrina LADOIRE
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : MALABRE

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-06-28;17bx04083 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award