Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E...D...a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 2 mars 2011 par laquelle l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a refusé de lui faire une offre d'indemnisation du préjudice subi du fait de sa vaccination obligatoire contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP).
Par un jugement n° 1100490 du 29 octobre 2012, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par un arrêt rendu le 30 juin 2014, la cour, statuant sur la requête d'appel de
Mme E...D...dirigée contre ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 29 octobre 2012, a décidé, avant dire droit, d'ordonner une expertise en vue de déterminer notamment la nature et l'origine de la pathologie dont est atteinte Mme D...et de donner un avis sur le point de savoir s'il existe un lien de causalité entre les troubles constatés ou leur aggravation et les injections du vaccin Revaxis (r) administrées à l'intéressée, compte tenu notamment des antécédents médicaux et professionnels de l'intéressée.
Le collège d'expert ainsi désigné par la cour administrative d'appel de Bordeaux a rendu son rapport définitif le 4 septembre 2017.
Par un mémoire, enregistré le 21 février 2018, Mme E...D..., représentée par la SCP Potier de la Varde-Buk Lament, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique
du 29 octobre 2012 ;
2°) de condamner l'ONIAM à lui verser une indemnité d'un montant global de 307 328,40 euros, majorée des intérêts au taux légal et capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM les entiers dépens ainsi que la somme
de 17 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'existence d'un lien de causalité entre la vaccination reçue le 17 mars 2008 et les troubles qu'elle a présentés revêt une probabilité suffisante pour que ce lien soit regardé comme établi, de sorte que l'ONIAM doit l'indemniser au titre de la solidarité nationale ;
- ses préjudices extra-patrimoniaux temporaires sont constitués par un déficit fonctionnel temporaire évalué à 21 664,90 euros, des souffrances endurées évaluées
à 30 000 euros et un préjudice esthétique temporaire évalué à 15 000 euros ;
- ses préjudices patrimoniaux temporaires sont constitués par des dépenses de santé actuelle pour 36,72 euros, des frais divers pour 2919,57 euros et des frais d'assistance par tierce personne temporaire évalués à 65 650 euros ;
- ses préjudices extrapatrimoniaux permanents sont constitués par un déficit fonctionnel permanent évalué à 37 500 euros, un préjudice esthétique permanent évalué à 12 000 euros, un préjudice d'agrément évalués à 15 000 euros et un préjudice sexuel évalué à 8 000 euros
- ses préjudice patrimoniaux permanents sont constitués par des dépenses de santé futures évalués à la somme de 22 792,08 euros et par des frais d'assistance par tierce personne pour un montant de 76 765,13 euros.
Par un mémoire présenté en application de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, enregistré le 3 novembre 2017, et un mémoire, enregistré le 9 mai 2018, l'ONIAM, représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête, subsidiairement à ce que l'indemnisation soit limitée à la somme de 1 984 euros, très subsidiairement à la somme de
64 991,61 euros.
Il fait valoir que :
- le lien de causalité entre la vaccination et les troubles présentées par Mme D...ne présente pas une probabilité suffisante ;
- l'évaluation des chefs de préjudice est excessive.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- l'ordonnance du 13 novembre 2017 par laquelle le président de la cour a taxé à la somme globale de 3 519,20 euros TTC les frais de l'expertise réalisée par les professeurs Maugars et Séries.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.A...,
- les conclusions de M. Katz, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant MmeD....
Considérant ce qui suit :
1. MmeD..., aide soignante au centre hospitalier universitaire de Fort-de-France, a reçu le 17 mars 2008 un rappel de vaccination contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP), par injection du vaccin Revaxis (r), contenant un adjuvant aluminique. Dans les jours qui ont suivi cette injection, elle a présenté des douleurs et des troubles physiques qui ont défavorablement évolué malgré les traitements prescrits. Elle a saisi l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), d'une demande d'indemnisation qui a été rejetée le 2 mars 2011 à la suite de deux expertises diligentées par l'établissement public. Sur appel de Mme D...dirigée contre le jugement du 29 octobre 2012 par lequel le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté sa demande dirigée contre ce refus, la cour a, par son arrêt du 30 juin 2014, ordonné avant-dire droit une expertise en vue d'être éclairée notamment sur le lien de causalité entre la vaccination reçue et les dommages invoqués. Le collège d'experts composé d'un médecin spécialiste en neurologie et d'un médecin spécialiste en rhumatologie a rendu son rapport le 4 septembre 2017.
Sur le bien-fondé de la requête :
En ce qui concerne le droit à réparation au titre de la solidarité nationale :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 3111-4 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle l'exposant à des risques de contamination doit être immunisée contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe (...) ". Eu égard à l'exercice de ses fonctions, Mme D...était tenue à une obligation vaccinale contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 3111-9 du même code : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale. (...) ".
4. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise rendu
le 4 septembre 2017 que dans les suites immédiates de l'injection du rappel de vaccin dans la région sus-scapulaire, Mme D...a ressenti des douleurs de l'épaule et du bras gauche, à type de brûlures, puis dans les jours suivants des douleurs d'allure inflammatoire des deux épaules, des poignets et des mains. Selon les experts, le diagnostic qui peut être retenu est celui d'une polyarthrite inflammatoire chronique enraidissante, déformante et destructrice associée à une altération de l'état général avec un amaigrissement massif. Les experts relèvent que les symptômes rhumatologiques sont apparus immédiatement après l'injection alors que la notice dans le dictionnaire Vidal mentionne la possibilité de myalgies et d'arthralgies dans les suites immédiates de cette vaccination ainsi que la possibilité de réactions systémiques chez des sujets hyperimmunisés, notamment après des rappels fréquents, comme en l'espèce chez MmeD..., et qu'un syndrome inflammatoire auto-immune est décrit en rapport avec les adjuvants aluminiques même si le mécanisme pathogénique reste discuté. Aucune autre étiologie n'a en outre pu être mise en évidence par les différentes opérations d'expertise, lesquelles ne relèvent pas davantage l'existence d'une polyarthrite inflammatoire chronique antérieure à la vaccination en cause. Les experts en déduisent que le lien de causalité entre la vaccination et les troubles que Mme D...a présentés et dont elle conserve des séquelles est probable en raison de la chronologie et des données médicales actuelles. Dans les circonstances particulières de l'espèce, ce lien de causalité présente une probabilité suffisante pour qu'il puisse être regardé comme établi. Par suite, Mme D...est fondée à obtenir réparation au titre de la solidarité nationale des préjudices qu'elle a subis du fait de sa vaccination.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
Quant aux préjudices temporaires :
5. Il résulte de l'instruction, et notamment des différents rapports d'expertise que la date de consolidation de l'état de Mme D...peut être fixée au 23 décembre 2010.
6. D'une part, Mme D...justifie avoir supporté des dépenses de santé pour un montant restant à sa charge de 36,72 euros non contesté. Elle justifie également avoir dû supporter, au titre des frais divers, des frais de transport pour être hospitalisée à l'hôpital Cochin à Paris du 18 au 28 juin 2009 ainsi que pour se rendre à l'une des expertises diligentées par l'ONIAM et à une consultation le 26 novembre 2009 au CHU de Fort-de-France pour un montant global de 2 116,97 euros. Elle justifie en outre de frais de location d'un téléviseur lors de son séjour en centre de soins médico-psychologiques et de convalescence pour un montant de 50,60 euros, qu'il convient de retenir.
7. D'autre part, le principe de réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire brut, augmenté des cotisations sociales, appliqué à une durée journalière, dans le respect des règles du droit du travail et en tenant compte des congés payés.
8. Il résulte de l'instruction que, compte tenu des diverses hospitalisations intervenues avant la date de consolidation, l'intéressée a été présente à son domicile 505 jours. Eu égard à son état de santé, marqué en particulier par une impotence de ses membres supérieurs, ainsi que le relève notamment le deuxième expert, il convient de retenir que Mme D...a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne à raison de deux heures quotidiennes. Il y a lieu de calculer ces frais d'assistance en retenant un taux horaire de 13 euros, permettant d'intégrer les coûts salariaux supplémentaires liés au titre du travail le dimanche et les jours fériés et au titre des congés. Par suite, il sera fait une juste appréciation du montant de ces frais en les évaluant à la somme de 13 130 euros. Mme D...justifie en outre avoir dû bénéficier d'un service de portage de repas à domicile pour la période allant des mois d'avril à septembre 2010 pour un coût d'un montant de 752 euros.
Quant aux préjudices permanents :
9. Si au titre de ses dépenses de santé, Mme D...soutient qu'elle a recours à un traitement non conventionnel ou alternatif, il ne résulte pas de l'instruction, notamment des différents rapports d'expertise, que ce traitement serait rendu nécessaire par son état de santé. L'appelante n'est ainsi pas fondée à demander à être indemnisée de ce chef de préjudice.
10. Il résulte de l'instruction que l'état de Mme D...reste marqué par des douleurs, en particulier au niveau des mains et des poignets, qui sont majorées en cas d'efforts. Si les derniers experts ne se sont pas prononcés sur la nécessité pour l'intéressée d'une assistance par tierce personne à titre permanent, l'un des premiers experts retient une telle nécessité. À cet égard, Mme D...justifie avoir eu recours pour les années 2011 à 2013 à un service de portage de repas à domicile pour un coût global de 2 998 euros ainsi qu'à des prestations d'une l'association d'aide à domicile pour les années 2011 à 2016 pour un coût global
de 17 943,05 euros qu'il convient de retenir. Il résulte également des dernières opérations d'expertise que si Mme D...parvient à effectuer les actes de la vie quotidienne, elle a besoin d'une aide-ménagère dont l'intervention peut être fixée à quatre heures hebdomadaires.
Alors qu'il n'est pas contesté que la demande d'allocation de perte d'autonomie présentée par Mme D...lui a été refusée, il y a lieu, eu égard d'une part au montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire brut, augmenté des cotisations sociales et tenant compte des congés payés, d'autre part à l'âge de l'intéressée et à l'euro de rente viagère y afférent, de fixer le montant du capital viager dû au titre des frais d'assistance par tierce personne à la somme de 41 200,85 euros.
S'agissant des préjudices extra- patrimoniaux :
Quant aux préjudices temporaires :
11. Il résulte de l'instruction et en particulier du rapport d'expertise judiciaire, qu'avant la consolidation de son état de santé, Mme D...a subi plusieurs périodes d'hospitalisation, pour une durée totale de 146 jours imputables aux conséquences de sa vaccination, ainsi qu'une gêne temporaire de classe 3 pour les périodes allant du 17 mars 2008 au 17 mai 2009,
du 20 mai au 21 juin 2009, du 26 juin au 23 octobre 2009 et du 16 décembre 2009
au 31 septembre 2010. Il sera fait une juste appréciation du préjudice ayant résulté pour elle de son déficit fonctionnel temporaire en l'évaluant à la somme de 8 000 euros.
12. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise judiciaire,
que Mme D...a enduré des souffrances évaluées à 5 sur 7 par les experts. Il sera ainsi fait une juste appréciation des souffrances que l'intéressée a subies du fait des conséquences de sa vaccination en lui allouant une somme de 13 500 euros.
13. Il résulte de l'instruction que Mme D...a subi un préjudice esthétique temporaire du fait des déformations articulaires et de son amaigrissement massif qui, par une juste appréciation, peut être fixée à la somme de 5 000 euros.
Quant aux préjudices permanents :
14. Il résulte de l'instruction que, depuis la date de sa consolidation intervenue alors qu'elle était âgée de 61 ans, Mme D...reste atteinte d'un déficit fonctionnel permanent qui doit être évalué à 25 %. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à l'appelante une somme de 36 000 euros.
15. Le préjudice esthétique permanent subi par Mme D...du fait en particulier de la déformation de ses mains a été évalué à 4 sur une échelle allant de 1 à 7 par les experts. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant à l'appelante une somme
de 7 500 euros.
16. En revanche, Mme D...ne justifie, du fait des conséquences de sa vaccination, ni d'un préjudice d'agrément, ni d'un préjudice sexuel qui n'ont d'ailleurs pas été retenus par les experts.
17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est fondée, d'une part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande, d'autre part à obtenir le versement par l'ONIAM d'une somme globale
de 148 228,19 euros au titre de la solidarité nationale.
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
18. L'indemnité citée au point précédent sera majorée des intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2008, date à laquelle Mme D...a saisi l'ONIAM de sa demande indemnitaire.
19. La capitalisation des intérêts a été demandée par Mme D...le 21 février 2018.
À cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais d'expertise :
20. Les frais d'expertise tels que taxés et liquidés à la somme de 3 519,20 euros par l'ordonnance du 13 novembre 2017 sont mis à la charge de l'ONIAM, partie perdante à l'instance.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme D...et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 29 octobre 2012 est annulé.
Article 2 : l'ONIAM versera à Mme D...une indemnité d'un montant de 148 228,19 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2008. Les intérêts échus
au 21 février 2018 et à chaque échéance annuelle suivante seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Les frais d'expertise tels que taxés et liquidés à la somme de 3 519,20 euros sont mis à la charge de l'ONIAM.
Article 4 : L'ONIAM versera à Mme D...une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...D..., à l'Office national des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au centre hospitalier universitaire de Fort-de-France et à la caisse générale de la sécurité sociale
de la Martinique.
Délibéré après l'audience du 29 mai 2018 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 juin 2018.
Le rapporteur,
Didier A...
Le président,
Éric Rey-BèthbéderLe greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 13BX00304