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24/05/2018 | FRANCE | N°16BX01574

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 24 mai 2018, 16BX01574


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B...ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Saint-Vivien à leur verser la somme de 276 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de deux certificats d'urbanisme négatifs en date des 4 février 2008 et 4 mars 2010, avec intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2013.

Par un jugement n° 1302520 du 3 mars 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une

requête, enregistrée le 6 mai 2016, M. et MmeB..., représentés par la SCP F... -Kolenc, demand...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B...ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Saint-Vivien à leur verser la somme de 276 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de deux certificats d'urbanisme négatifs en date des 4 février 2008 et 4 mars 2010, avec intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2013.

Par un jugement n° 1302520 du 3 mars 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 mai 2016, M. et MmeB..., représentés par la SCP F... -Kolenc, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 3 mars 2016 ;

2°) de condamner la commune de Saint-Vivien à leur verser la somme de 276 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2013 et capitalisation des intérêts ;

3°) de condamner la commune de Saint-Vivien aux entiers dépens, comprenant la contribution pour l'aide juridique ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Vivien la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la commune de Saint-Vivien a commis une faute en édictant des décisions illégales ; les certificats d'urbanisme négatifs en date des 4 février 2008 et 4 mars 2010 ont été annulés par le tribunal administratif de Poitiers pour erreur manifeste d'appréciation ; même s'ils n'ont pas sollicité l'annulation du certificat d'urbanisme du 5 mai 2006, les motifs, identiques à ceux opposés en 2010, sont également entachés d'illégalité ; la circonstance qu'ils n'ont pas contesté cette décision ainsi que l'irrecevabilité opposée à la demande de permis de construire ne fait pas obstacle à ce qu'ils puissent discuter leur légalité dans la présente instance ;

- le refus de la société " REV Habitat Cholet " résulte du refus du maire de Saint-Vivien d'autoriser le changement de destination de l'immeuble appartenant aux époux B...préalablement à la première demande de certificat d'urbanisme ;

- le montant des loyers qu'ils auraient dû percevoir pendant la durée du bail doit leur être alloué ; sur la base d'un loyer annuel de 13 200 euros hors taxes, ils peuvent prétendre à la somme de 118 000 euros ;

- la somme de 20 000 euros, correspondant aux taxes foncières qu'ils ont acquittées entre 2006 et 2012, doit leur être versée ;

- ils ont subi des troubles dans leurs conditions d'existence qui peuvent être évalués à la somme de 10 000 euros ;

- ils ont subi un préjudice moral en raison de l'impossibilité de réaliser leur projet qui doit être évalué à 10 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 décembre 2017, la commune de Saint-Vivien, représentée par MeE..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge des requérants de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- si les requérants semblent soutenir que la décision du 13 mai 2004 du maire de Saint-Vivien de déclarer sans suite leur demande de permis de construire serait illégale, ces conclusions ont le caractère d'une demande nouvelle en appel ; pour les mêmes motifs, les conclusions reposant sur un nouveau fait générateur de préjudice résultant de l'illégalité du refus de changement de destination opposé préalablement aux certificats d'urbanisme de 2008 et 2006, au demeurant non invoqué dans une demande préalable, doivent être rejetées comme irrecevables ;

- M. et Mme B...ont commis une double faute de nature à l'exonérer de sa responsabilité ; d'une part, préalablement à l'acquisition des parcelles en litige, une note de renseignement du 6 février 1995 et un certificat d'urbanisme du 3 février 1995 précisaient que les terrains étaient affectés d'une servitude d'utilité publique relative à une marge de reculement impliquant une inconstructibilité ; d'autre part, la promesse de bail signée le 20 novembre 2003 avec la SAS Rev Habitat Cholet stipulait l'obtention par le bailleur d'une autorisation d'urbanisme relative au changement d'affectation des lieux ; or, les requérants n'ont jamais donné suite à la demande de pièces complémentaires qui leur a été faite pour l'instruction d'un dossier de permis de construire sollicitant un changement de destination de leurs locaux, et sont donc à l'origine du classement de cette demande ;

- aucun lien de causalité n'existe entre les fautes et les préjudices allégués ; s'agissant des loyers, la promesse de bail a été conclue deux ans avant la délivrance du certificat d'urbanisme du 6 mai 2006 mentionnant pour la première fois l'impossibilité de changer la destination des locaux ; la société Rev Habitat Cholet a renoncé à la promesse de bail et s'est installée sur le territoire d'une autre commune avant la délivrance du premier certificat d'urbanisme ; en outre, les requérants n'ont pas respecté la clause suspensive de la promesse de bail imposant la délivrance d'une autorisation d'urbanisme emportant un changement de destination des locaux ; enfin, les certificats d'urbanisme portaient sur le hangar implanté sur la parcelle n° 20, présenté au demeurant de façon erronée comme à usage d'habitation, et non sur le bâtiment situé sur la parcelle n° 24 ; s'agissant du remboursement de la taxe foncière, la jurisprudence citée n'est pas transposable car elle a trait à des ventes annulées à la suite d'une autorisation d'urbanisme illégale ; en tout état de cause, les taxes foncières ont été acquittées pour la parcelle n° 24 et non pour la parcelle n° 20 ; s'agissant des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral, il n'est pas démontré que les locaux étaient destinés à bail commercial ;

- le montant global des sommes sollicitées est inférieur au montant de l'indemnité demandée ;

- pour les mêmes motifs, les préjudices liés à la perte de loyers et les troubles dans les conditions d'existence présentent un caractère éventuel ; par ailleurs, s'agissant des loyers, il n'est pas certain que le bail aurait été renouvelé pendant toute sa durée ; les époux B...ne justifient pas de démarches de recherche d'un autre locataire ;

- la période d'indemnisation devrait être limitée de la date de la notification de la décision illégale à la date de notification du jugement de première instance ;

- à titre subsidiaire, le montant ne pourra qu'être réduit ; compte tenu de la période d'indemnisation et de la surface de la parcelle n° 20, le remboursement des loyers s'élèverait à 27 280,32 euros ; l'impossibilité de louer une autre partie de la parcelle 24 n'est pas avérée ; de même, la totalité de la somme de 6 563 euros, au titre de la taxe foncière, ne doit pas être mise à la charge de la commune ; les montants sollicités au titre des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral devraient être réduits à de plus justes proportions ;

- les requérants ne démontrent pas les illégalités qui entacheraient les décisions des 13 mai 2004 et 5 mai 2006 ; en tout état de cause, le certificat d'urbanisme du 5 mai 2006, qui ne portait que sur la parcelle n° 20 et statuait sur une demande déposée deux ans après la promesse de bail, a déclaré réalisable le projet de changement de destination d'une maison individuelle en local commercial, à condition de ne pas y recevoir du public ; par ailleurs, ils n'indiquent pas par quels agissements elle se serait toujours opposée à leur projet ; le lien de causalité entre l'illégalité de ces décisions et les préjudices allégués n'est pas démontré ; pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés, les préjudices ne sont pas constitués ;

- enfin, la créance susceptible de naître des fautes qu'elle aurait commises en 2004 et 2006 serait prescrite faute d'interruption du délai quadriennal.

Par ordonnance du 20 novembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 22 janvier 2018 à 12 h.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Cécile Cabanne ;

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

- et les observations de MeF..., représentant M. et Mme B...et de MeA..., représentant la commune de Saint-Vivien.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B...sont propriétaires des parcelles cadastrées section AA n° 19, 20 et 24 situées au lieu-dit " Loin du bruit " sur le territoire de la commune de Saint-Vivien, sur lesquelles sont implantés des bâtiments à destination d'habitation qui, dans le passé, ont été utilisés comme commerces. Ils ont conclu le 20 novembre 2003 une promesse de bail portant sur une partie de cet ensemble immobilier avec la société " Rev habitat Cholet ", qui envisageait d'y développer une activité commerciale. Une demande de permis de construire a été présentée le 6 novembre 2003 afin de changer la destination des bâtiments, laquelle a été classée sans suite le 13 mai 2004 en l'absence de réponse à la demande de pièces complémentaires qui leur avait été adressée par le service instructeur. Ils ont déposé, le 30 novembre 2005, une demande de certificat d'urbanisme en vue également de changer la destination du bâtiment situé sur la parcelle AA 20 en usage commercial. Le maire de la commune de Saint-Vivien leur a délivré le 5 mai 2006 un certificat d'urbanisme positif, sous réserve que la construction existante ne soit pas affectée à une activité recevant du public. Ensuite, par deux arrêtés successifs, en date des 4 février 2008 et 4 mars 2010, cette même autorité a délivré aux requérants des certificats d'urbanisme indiquant que le changement de destination d'une maison individuelle située sur la parcelle AA 20 en local commercial n'était pas réalisable. Sur demande de M. et MmeB..., le tribunal administratif de Poitiers a, par jugements n° 0800987 du 21 janvier 2010 et n° 1001081 du 14 juin 2012, annulé ces décisions sur plusieurs motifs de fond. M. et Mme B...ont saisi le 15 novembre 2013 cette même juridiction d'une demande indemnitaire tendant à la réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de ces décisions. M. et Mme B...relèvent appel du jugement n° 1302520 du 3 mars 2016 par laquelle le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Si toute décision illégale est en principe fautive, la faute ainsi commise n'est de nature à engager la responsabilité de la puissance publique que si le préjudice invoqué est en relation directe et certaine avec l'illégalité commise et donc imputable à la personne publique qui en est l'auteur.

3. M. et Mme B...sollicitent le montant des loyers qu'ils auraient obtenus si la promesse de bail commercial n'avait pas échoué, ainsi que des taxes foncières que cette promesse mettait à la charge du preneur et qu'ils ont acquittées pour les années 2006 à 2012. S'il résulte de l'instruction que la promesse de bail datée du 20 novembre 2003 était subordonnée à l'obtention par le bailleur d'une " autorisation administrative relative au changement d'affectation des lieux ", il n'est pas contredit que la société " Rev habitat Cholet " avait abandonné son projet dès 2005 pour s'implanter sur une commune voisine. Or, il n'est pas sérieusement contesté que c'est après l'échec de la promesse de bail que les requérants ont sollicité le 30 novembre 2005 un certificat d'urbanisme afin de savoir si le changement de destination de la maison d'habitation située sur la parcelle AA 20 en local commercial ou profession libérale était réalisable. Ainsi, l'illégalité de la prescription fondée sur l'article UE 6 du plan local d'urbanisme interdisant l'implantation de constructions dans la bande de 50 mètres à compter de la RN n°137 entachant le certificat d'urbanisme du 5 mai 2006, dès lors que le projet consistait seulement à un changement de destination d'une construction existante, serait en tout état de cause sans lien direct avec les préjudices invoqués. De même, les certificats d'urbanisme des 4 février 2008 et 4 mars 2010 annulés par le tribunal administratif de Poitiers sont postérieurs de 3 et 5 ans à l'abandon des relations contractuelles. En réalité, alors que la promesse de bail prévoyait une mise à disposition des lieux en janvier 2004, les requérants n'ont pas donné suite à la demande de pièces complémentaires du 20 novembre 2003 les invitant à compléter le dossier de permis de construire qu'ils avaient déposé le 6 novembre précédent. Leur demande a donc été classée sans suite en mai 2004. Si les requérants contestent pour la première fois en appel la légalité de cette décision, ils n'assortissent pas en tout état de cause leur moyen des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé. Dans ces conditions, l'échec de la promesse de bail doit être regardé comme étant de leur fait. Par ailleurs, les requérants ne font état dans leurs écritures d'aucun autre projet constitué auquel auraient fait obstacle les décisions précitées.

4. Pour les mêmes motifs, les troubles allégués dans les conditions d'existence en l'absence de poursuite de la relation contractuelle avec la société " Rev Habitat Cholet " ne sont pas en lien avec les illégalités des certificats d'urbanisme. Si les requérants font état également de démarches réalisées en vain, ils ne les caractérisent pas. Ils ne sauraient davantage soutenir qu'ils auraient acquis les parcelles en litige afin de les donner à bail alors qu'il résulte de l'instruction, et notamment de la déclaration d'intention d'aliéner, que la destination commerciale des bâtiments a été supprimée par les époux B...au moment de leur acquisition, laquelle au demeurant est antérieure de plus de vingt ans aux décisions en litige.

5. Enfin, si M. et Mme B...sollicitent l'indemnisation de leur préjudice moral, il ne résulte pas de l'instruction que le maire de la commune de Saint-Vivien ait été partial à leur égard lors de l'examen des demandes de certificats d'urbanisme. De même, pour les motifs exposés au point 3, le préjudice moral résultant de l'échec de leur projet avec la société " Rev Habitat Cholet " n'est pas en lien avec les illégalités des décisions annulées par le tribunal.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir et l'exception de prescription opposées par la commune aux nouveaux fondements invoqués en appel à la demande de réparation, que M. et Mme B...ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Vivien, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent M. et Mme B...au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants la somme que demande la commune de Saint-Vivien sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme B...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Saint-Vivien sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...et Mme C...B...et à la commune de Saint-Vivien.

Délibéré après l'audience du 26 avril 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

Mme Cécile Cabanne, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 mai 2018

Le rapporteur,

Cécile CABANNELe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au préfet de la Charente-Maritime en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

5

No 16BX01574


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX01574
Date de la décision : 24/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-04-01-03-01 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Préjudice. Caractère direct du préjudice. Absence.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Cécile CABANNE
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : SCP PIELBERG KOLENC

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-05-24;16bx01574 ?
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