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15/05/2018 | FRANCE | N°16BX01614

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 15 mai 2018, 16BX01614


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...A..., épouseB..., a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, de condamner le centre hospitalier universitaire de Poitiers (CHU) à lui verser des indemnités en réparation des préjudices qu'elle a subis à la suite des interventions chirurgicales des 9 janvier 2009, 20 novembre 2009 et 19 février 2010, d'autre part, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser, à titre principal

, une somme de 1 182 552,60 euros.

Par un jugement n° 1100686-1503128 du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...A..., épouseB..., a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, de condamner le centre hospitalier universitaire de Poitiers (CHU) à lui verser des indemnités en réparation des préjudices qu'elle a subis à la suite des interventions chirurgicales des 9 janvier 2009, 20 novembre 2009 et 19 février 2010, d'autre part, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser, à titre principal, une somme de 1 182 552,60 euros.

Par un jugement n° 1100686-1503128 du 23 mars 2016, le tribunal administratif de Poitiers a donné acte du désistement de Mme A...s'agissant de ses conclusions dirigées contre le CHU et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 mai 2016, MmeA..., représentée par MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 23 mars 2016 ;

2°) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme totale de 1 932 998,02 euros assortie des intérêts capitalisés à compter du 17 décembre 2015, en réparation de ses préjudices ;

3°) à titre subsidiaire d'ordonner une expertise ;

4°) de mettre à la charge de l'ONIAM, outre les entiers dépens dont les frais d'expertise, la somme de 7 000 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

Elle soutient que :

- elle a subi un aléa thérapeutique imputable à des actes de soins, ayant provoqué une incapacité permanente partielle supérieure à 24 %, des arrêts de travail d'une durée supérieure à six mois en raison d'un taux de déficit fonctionnel temporaire supérieur à 50 %, une inaptitude totale aux emplois qu'elle occupait précédemment et des troubles particulièrement graves dans ses conditions d'existence ;

- le dommage qu'elle a subi est anormal au regard de l'évolution prévisible de son état de santé en l'absence de traitement ;

- son état de santé doit être regardé comme consolidé à compter du 3 février 2015 et qu'elle justifie du quantum de ses préjudices.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 août 2016, l'ONIAM, représenté par Me C... conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, subsidiairement, à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée.

Il soutient que :

- les troubles neurologiques dont souffre Mme A...ne présentent pas de lien de causalité direct et certain avec les interventions chirurgicales dont s'agit ;

- les douleurs pelviennes dont souffre la requérante sont dues à un échec thérapeutique et non à un aléa et ne sont, en tout état de cause, pas d'une gravité suffisante pour justifier une prise en charge au nom de la solidarité nationale ;

- les troubles psychologiques dont souffre la requérante sont liés à un échec thérapeutique et au retentissement psychologique de ses douleurs neurologiques et pelviennes.

Par ordonnance du 27 octobre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 8 décembre 2017.

Un mémoire présenté pour Mme A...a été enregistré le 27 mars 2018, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M.G...,

- les conclusions de M. Katz, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant MmeA..., et de MeF..., représentant l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. Le 9 janvier 2009, Mme A...a bénéficié au sein du centre hospitalier universitaire de Poitiers d'une cure de cystocèle par hystérectomie et pose d'une prothèse. Une intervention chirurgicale de reprise pour ablation de cette prothèse, programmée le 19 février 2010, a été rendue nécessaire en raison d'importantes douleurs sur les zones d'insertion de la prothèse au niveau des épines sciatiques. Cette seconde intervention ayant été cependant interrompue du fait d'un choc hémorragique, une nouvelle intervention a été réalisée aux mêmes fins le 19 février 2010. Cette troisième intervention a été compliquée par de nouvelles hémorragies nécessitant une embolisation et le passage de douze culots sanguins. À son réveil, Mme A...a indiqué ressentir de fortes douleurs dans le membre inférieur gauche qu'elle estime en lien avec les trois interventions gynécologiques susmentionnées. Elle demande à la cour d'annuler le jugement n°1100686-1503128 du 23 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande indemnitaire dirigée contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), de condamner cet Office à lui verser la somme globale de 1 932 998,02 euros en réparation de ses préjudices et, subsidiairement, d'ordonner une nouvelle expertise.

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...). / II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme (...) n'est pas engagée, un accident médical, (...) ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, (...) au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret.". En application de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. (...) Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence ".

3. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du pré-rapport remis aux parties le 29 novembre 2013 par le premier expert nommé par le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers ainsi que du rapport établi le 23 janvier 2015 par le second expert judiciaire et par son sapiteur, que les douleurs invalidantes que Mme A...ressent à la jambe gauche sont apparues une première fois à l'issue de l'intervention chirurgicale du 9 janvier 2009 avant de disparaître spontanément puis sont réapparues à la suite de l'intervention du 19 février 2010 et qu'elles n'ont pu être traitées ni soulagées par voie médicamenteuse. Toutefois, il résulte également de l'instruction que ces douleurs subjectives ne peuvent que très partiellement être expliquées par une atteinte radiculaire nerveuse S1 à gauche dont l'organicité n'a pu être objectivée en l'absence d'amyotrophie et d'anormalité des potentiels sensitif et moteur des nerfs SPE et SPI et qu'en tout état de cause, ces douleurs ne peuvent être rattachées aux interventions dont s'agit, la nécrose de la racine nerveuse concernée, qui se trouve par ailleurs hors d'atteinte des gestes chirurgicaux pratiqués, ne pouvant, en particulier, pas être reliée aux chocs hémorragiques subis par la requérante.

5. En second lieu, il résulte de l'instruction que les douleurs pelviennes dont se plaint Mme A...préexistaient aux interventions en cause dès lors que Mme A...présentait une cystocèle dont la cure a justifié une hystérectomie et la pose d'une prothèse. En outre, si le second expert judiciaire a indiqué, dans son rapport, que les séquelles hyperalgiques pelviennes " sont à considérer en lien avec les actes de soin (...) " et " constituent des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution visible de celui-ci ", il n'explicite aucunement quel lien de causalité existerait entre ces douleurs et lesdits actes de soin. Par ailleurs, les troubles psychologiques dont souffre Mme A...depuis 2010 et qui justifient selon le sapiteur du second expert judiciaire un déficit fonctionnel partiel permanent de l'ordre de 10 % sont dus, en grande partie, aux douleurs neurologiques décrites au point 4 du présent arrêt et, dans cette mesure, ne présentent par de lien direct et certain avec les interventions chirurgicales en cause.

6. Enfin et en tout état de cause, il résulte de l'instruction et notamment du rapport établi par ce second expert, d'une part, que l'hyperalgie pelvienne de Mme A...n'est pas susceptible de justifier un déficit partiel permanent supérieur à 10 % et qu'elle n'a pas entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles elle était exposée par sa pathologie en l'absence de traitement même en prenant en compte son retentissement psychologique ainsi que celui lié à " l'accumulation des actes chirurgicaux ", d'autre part, que les douleurs engendrées par la prothèse dont a bénéficié Mme A...- lesquelles ont justifié les interventions de reprises susmentionnées - constituent une complication fréquente à l'origine d'une décision de retrait du marché de cette prothèse.

7. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que Mme A...n'est pas fondée à soutenir que les préjudices qu'elle a subis caractérisent un aléa thérapeutique dont elle serait fondée à demander la réparation à l'ONIAM au titre de la solidarité nationale. Par suite, elle n'est pas non plus fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'ONIAM. Enfin, il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...A...et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2018 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 mai 2018

Le rapporteur,

Manuel G...

Le président,

Éric Rey-BèthbéderLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°16BX01614


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX01614
Date de la décision : 15/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité sans faute. Actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : SCP DENIZEAU GABORIT TAKHEDMIT

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-05-15;16bx01614 ?
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