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15/05/2018 | FRANCE | N°16BX00431

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 15 mai 2018, 16BX00431


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...A...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, sous le n° 1402234, de condamner, à titre principal, le centre hospitalier de Libourne ou, subsidiairement, cet établissement et le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, à lui payer la somme globale de 391 229,80 euros en réparation des préjudices résultant des conséquences d'un infarctus du myocarde. Sous le n° 1304331, il a demandé au même tribunal de condamner, à titre principal, le CHU de Bordeaux ou, subsidiairement, de cond

amner solidairement cet établissement et le centre hospitalier de Libourne ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...A...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, sous le n° 1402234, de condamner, à titre principal, le centre hospitalier de Libourne ou, subsidiairement, cet établissement et le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, à lui payer la somme globale de 391 229,80 euros en réparation des préjudices résultant des conséquences d'un infarctus du myocarde. Sous le n° 1304331, il a demandé au même tribunal de condamner, à titre principal, le CHU de Bordeaux ou, subsidiairement, de condamner solidairement cet établissement et le centre hospitalier de Libourne à lui payer ladite somme.

La caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF a demandé la condamnation solidaire du CHU de Bordeaux et du centre hospitalier de Libourne à lui payer la somme de 38 611,67 euros au titre de ses débours, ainsi que la somme de 1 037 euros au tire de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1402234 et n° 1304331 du 15 décembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le CHU de Bordeaux et le centre hospitalier de Libourne à verser à M. A...les sommes respectives de 6 932,26 euros et de 1 733,06 euros et à payer respectivement à la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF les sommes

de 10 296,45 euros et de 2 574,11 euros. Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 2 018,50 euros, ont été mis à la charge du CHU de Bordeaux et du centre hospitalier de Libourne dans des proportions respectives de 80 % et 20 %.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 janvier et 1er juillet 2016, le centre hospitalier de Libourne, représenté par MeI..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 15 décembre 2015 en ce qu'il retient sa responsabilité ;

2°) de rejeter les demandes de M. A...et de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF présentées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de M. A...la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les carences au niveau de la prise en charge dont M. A...a bénéficié de la part du SAMU, dont le médecin régulateur ne s'est pas donné les moyens d'établir un diagnostic sont à l'origine d'une faute de nature à engager la responsabilité du CHU de Bordeaux ;

- en ne procédant à l'examen de M. A...que deux heures après son arrivée, le centre hospitalier n'a pas commis de faute dans l'organisation du service et du personnel qui était conforme à la règlementation applicable au service des urgences issue du décret du 22 mai 2006, ni dans sa prise en charge, eu égard à la fréquentation importante des urgences au moment des faits litigieux et à l'absence d'alerte sur la gravité de son état donnée par le SAMU, permettant de le traiter par priorité alors en outre qu'il n'était pas particulièrement inquiétant ;

- M. A...n'établit pas le lien de causalité entre sa prise en charge par le centre hospitalier de Libourne et la nécrose de son muscle cardiaque dès lors qu'il avait commencé à présenter des douleurs thoraciques plus de quatre heures avant son admission aux urgences de sorte qu'il n'a subi aucune perte de chance et le tribunal ne pouvait pas, du seul constat qu'aucune étude portant sur des sujets jeunes n'avait été trouvée par l'expert, tirer la conclusion que l'intéressé aurait pu bénéficier d'une chance supérieure de sauvetage d'une partie du muscle ;

- en tout état de cause, seule l'indemnisation du pretium doloris retenu par l'expert serait susceptible d'être pris en charge par le centre hospitalier ;

- pour les mêmes raisons, la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF ne pourra qu'être déboutée des demandes présentées à l'encontre du centre hospitalier, puisque aucune faute n'a été commise, et par ailleurs que les dépenses de santé, d'une part, et les pertes salariales évoquées, d'autre part, ne sont pas en lien avec le pretium doloris dont, le cas échéant, le centre hospitalier de Libourne devrait répondre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2016, M. E...A..., représenté par MeG..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a limité aux sommes de 6 932,26 euros et de 1 733,06 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le CHU de Bordeaux et le centre hospitalier de Libourne en réparation du préjudice qu'il a subi et de les condamner in solidum au paiement de :

- la somme de 7 070,40 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- la somme de 8 700 euros au titre du préjudice professionnel temporaire,

- la somme de 239 193 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs,

- la somme de 100 000 euros au titre de la perte d'espérance de vie,

- la somme de 6 000 euros au titre des souffrances subies,

- la somme de 25 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

- la somme de 10 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

3°) de mettre à la charge solidaire du CHU de Bordeaux et du centre hospitalier de Libourne la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le médecin régulateur du SAMU, qui n'a pas tiré les conséquences de symptômes décrits lors de l'appel en l'absence d'un interrogatoire orienté, a commis une erreur de diagnostic qui a retardé la prise en charge effective de M. A...à son arrivée aux urgences et est la cause directe et certaine de ses préjudices, à savoir la perte de 30 % du ventricule gauche ;

- le centre hospitalier de Libourne a commis des fautes de soins et dans l'organisation du service et n'a pas effectué les diligences nécessaires pour l'établissement d'un diagnostic dès lors qu'aucun personnel n'était présent pour faire un minimum de triage entre les patients à l'arrivée aux urgences de sorte que M. A...n'a été examiné qu'à 3h35, alors que l'affluence des patients n'était pas ingérable, et n'a pas fait l'objet d'un diagnostic dans un délai raisonnable alors que la gravité de son état aurait dû être détectée, nonobstant les informations données par le SAMU ;

- l'ensemble des manquements constatés a concouru à la réalisation du dommage et c'est à tort que le tribunal a retenu que seul un tiers des dommages causés était imputable aux centres hospitaliers partant du principe que l'angioplastie pouvait alors être pratiquée au mieux dans la cinquième heure suivant l'apparition des douleurs ;

- il subit une perte de chance de sauver le ventricule gauche dans son ensemble et donc, une perte importante d'espérance de vie pour laquelle il réclame la somme de 100 000 euros ;

- une somme de 7 070, 40 euros doit lui être allouée et non pas de 3 496 euros comme retenue par le Tribunal qui correspond au déficit fonctionnel temporaire pris dans son ensemble ;

- n'ayant pas pu travailler du 25 novembre 2010 au 17 avril 2011 en raison des problèmes résultant de la reprise du travail sur un poste de " sécurité ", il a perdu des primes d'un montant de 8 700 euros durant ces cinq mois d'ITT et voit ses possibilités d'évolution professionnelle réduites, notamment celles de conduire un train à grande vitesse et, par suite, de percevoir le salaire correspondant, soit une perte de gains professionnels futurs de 239 193 euros ;

- il a subi des souffrances physiques, psychiques et morales directement causées par les fautes du SAMU 33 et du centre hospitalier de Libourne, pour lesquelles il réclame une somme de 6 000 euros ;

- il souffre d'un préjudice d'agrément évalué à 25 000 euros compte tenu de son âge, dès lors que toute licence dans un club lui est interdite et il ne peut plus pratiquer une activité sportive aussi intense que celle qu'il avait avant son accident ;

- enfin, il souffre également d'un préjudice sexuel en raison d'une baisse de libido à la suite du traitement qui lui est administré pour lequel il réclame une somme de 10 000 euros.

Par un mémoire, enregistré le 18 mai 2016, la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF, représentée par MeF..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en ce qu'il a jugé que le CHU de Bordeaux et le centre hospitalier de Libourne ne sont responsable qu'à hauteur d'un tiers des dommages subis par M.A... et de les condamner solidairement en remboursement de sa créance à lui verser la somme de 38 611,67 euros ;

3°) de condamner le CHU de Bordeaux et le centre hospitalier de Libourne à lui payer la somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Elle soutient que :

- le rapport d'expertise met en évidence que le SAMU 33 ainsi que le service d'urgences de l'hôpital de Libourne ont commis des fautes ayant incontestablement concouru à la réalisation du préjudice de M.A... ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu un taux de perte de chance conduisant à la réparation de seulement un tiers des dommages de M. A...en se fondant sur l'hypothèse d'une obstruction déjà totale de l'artère au moment où l'angioplastie aurait théoriquement pu être pratiquée au plus tôt, et par conséquent a condamné le CHU de Bordeaux et le centre hospitalier de Libourne au remboursement de seulement un tiers des dépenses engagées par la caisse ;

- la caisse qui agit, d'une part, pour son propre compte pour le recouvrement des prestations qu'elle a versées au titre de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale et, d'autre part, pour le compte de la SNCF pour le recouvrement des charges patronales afférentes au salaire versé par la SNCF en sa qualité d'employeur, sollicite la condamnation du

CHU de Bordeaux et du centre hospitalier de Libourne au remboursement des sommes

de 25 230,84 euros au titre des dépenses de santé engagées du 25/11/2010 au 02/06/2011,

de 8 988,03 euros au titre du maintien de salaires du 25/11/2010 au 03/04/2011, et

de 4 392,80 euros au titre des charges patronales du 25/11/2010 au 03/04/2011 ;

- le tribunal a omis dans son jugement de condamner le CHU de Bordeaux et le centre hospitalier de Libourne à lui payer la somme due au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, ne tirant pas les conséquences de sa constatation.

Par un mémoire, enregistré le 22 décembre 2017, le CHU de Bordeaux, représenté par MeH..., conclut au rejet de la requête et des demandes présentées par M. A...et la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF.

Le CHU de Bordeaux soutient que :

- la responsabilité du centre hospitalier de Libourne est engagée en raison d'une prise en charge tardive et c'est à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a jugé que la prise en charge fautive du centre hospitalier de Libourne est en lien, à hauteur de 20 %, avec les préjudices subis par M.A... ;

- les conclusions de M. A...et de la caisse de prévoyance, en tant qu'elles constituent un appel provoqué à l'encontre du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, sont irrecevables dès lors que l'appel du centre hospitalier de Libourne sera rejeté ;

- à titre subsidiaire, les conclusions de M. A...sont irrecevables, en tant qu'il sollicite, en appel, une somme totale de 395 963,40 euros, supérieure à celle sollicitée en première instance ;

- les conclusions de M. A...et de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF ne sont, en tout état de cause, pas fondées dès lors que c'est à bon droit que le tribunal a jugé que la perte de chance devait être évaluée à un tiers et a évalué les préjudices de M.A....

Par ordonnance du 26 décembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée

au 31 janvier 2018.

Un mémoire présenté pour la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF a été enregistré le 26 mars 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;

- le décret n° 2007-730 du 7 mai 2007 ;

- l'arrêté du 20 décembre 2017 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Katz, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant le centre hospitalier de Libourne, de

MeG..., représentant M. A...et de MeB..., représentant la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF.

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., conducteur de train alors âgé de 29 ans, a éprouvé, le 24 novembre 2010, aux alentours de 21h40 durant un entraînement de basket des douleurs thoraciques importantes. La sensation de malaise, les nausées et les douleurs se sont aggravées à son retour à son domicile conduisant son épouse, à 0h53 le 25 novembre, à contacter le " centre 15 " du service d'aide médicale urgente (SAMU) de la Gironde, rattaché au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux. Alors qu'étaient décrites des douleurs à la poitrine, déclenchées par un effort, à la carotide, des fourmillements dans les mains, une gêne pour respirer, des nausées, la peur de mourir, le médecin régulateur de la centrale d'appel, à l'issue de l'entretien téléphonique avec M. A... a conclu à une crise d'angoisse et a demandé au service départemental de secours de le prendre en charge et de le transporter aux urgences. M. A...a ainsi été conduit par les pompiers au service des urgences du centre hospitalier de Libourne où il est arrivé à 1h37 et n'a bénéficié d'un examen clinique qu'à 3h35. L'électrocardiogramme alors pratiqué a révélé qu'une prise en charge cardiologique immédiate était nécessaire et l'intéressé a bénéficié d'un traitement par angioplastie de l'occlusion complète de l'artère interventriculaire antérieure mise en évidence par la coronarographie débutée à 4h52 et à l'implantation d'une andoprothèse. À la suite d'une réadaptation fonctionnelle, M. A...a conservé des séquelles en raison d'une nécrose de 30 % de son ventricule gauche.

2. Estimant que l'erreur de diagnostic par le médecin régulateur du CHU de Bordeaux ainsi qu'un retard dans sa prise en charge clinique par le service des urgences du centre hospitalier de Libourne avaient contribué à ces séquelles, M. A...a saisi le tribunal administratif de Bordeaux. Le centre hospitalier de Libourne relève appel du jugement n° 1402234 et n° 1304331 du 15 décembre 2015, par lequel le tribunal l'a condamné, ainsi que le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, à verser à M. A...les sommes respectives de 1 733,06 euros et de 6 932,26 euros en réparation des préjudices résultant des conséquences de l'infarctus du myocarde dont il a été victime et à payer respectivement à la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF les sommes de 2 574,11 euros et

de 10 296,45 euros. Par la voie de l'appel incident, M.A..., d'une part, et la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF d'autre part, demandent la réformation dudit jugement en ce qui concerne le taux de perte de chance retenu par les premiers juges et les indemnités allouées.

Sur la responsabilité et l'étendue des dommages imputables :

3. Il y a lieu par adoption des motifs retenus par les premiers juges, d'ailleurs non sérieusement contestés par les parties, de juger que le médecin régulateur du centre 15 a commis une erreur de diagnostic, laquelle a notamment conduit à l'absence de signalement de l'état de M. A...à son arrivée au centre hospitalier de Libourne, de nature à engager la responsabilité du CHU de Bordeaux.

4. Il est constant que M. A...a attendu près de deux heures aux urgences du centre hospitalier de Libourne où il avait été transporté par les pompiers pour avoir présenté des douleurs à la poitrine avec malaise, nausées et fourmillements au niveau des deux bras, avant de bénéficier d'un examen clinique, alors qu'environ trois patients par heure en moyenne seulement étaient reçus dans le service. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport du 4 septembre 2013 de l'expert désigné par le tribunal administratif de Bordeaux que l'absence d'un personnel assurant un minimum de triage, alors même que la règlementation n'imposait pas au moment des faits en litige une infirmière d'orientation à l'accueil, constitue un défaut dans l'organisation du service des urgences qui, en l'espèce, n'a pas permis de rectifier le diagnostic erroné cité au point précédent et la délivrance de soins adaptés à la gravité de l'état de santé de l'intéressé, lequel nécessitait une prise en charge plus précoce. Si les actes médicaux du service des urgences et du centre de cardiologie du centre hospitalier, une fois la prise en charge effectuée, ont été exécutés, selon le rapport, conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science, les conditions dans lesquelles cette prise en charge est intervenue avec retard ont constitué, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Libourne.

5. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

6. Il n'est pas contesté que les fautes commises par le CHU de Bordeaux et le centre hospitalier de Libourne ont entrainé une prise en charge tardive de l'infarctus du myocarde dont M. A...a été victime et qui a entraîné une perte définitive de 30 % de son ventricule gauche. Les symptômes ayant débuté, aux alentours de 21h40, soit près de trois heures avant son appel au centre 15 à 00h53 et plus de quatre heures avant son admission aux urgences, il n'est pas certain, ainsi que le relève l'expertise, qu'une angioplastie plus précoce aurait permis d'éviter les dégâts myocardiques subis par le patient. Toutefois, l'expert note que, d'après une étude EMERALD, une " reperfusion à la 4ème heure amène encore une diminution de la taille de l'infarctus évaluée par scintigraphie de 10 % du ventricule gauche par rapport à une reperfusion au-delà de

la 4ème heure " et conclut ainsi à la possibilité, en l'absence de faute, de

sauver 10 % supplémentaires du ventricule gauche de l'intéressé. Ce dernier a ainsi perdu une chance d'améliorer son état d'un tiers par rapport au dommage qui s'est réalisé. Si les parties critiquent l'étude sur laquelle se fonde l'expert, dès lors notamment qu'elle repose sur l'examen d'un panel de patients ne correspondant pas au profil de M.A..., eu égard à son jeune âge, ils n'apportent toutefois aucune autre référence plus précise ou mieux adaptée. En particulier, le document produit par M.A..., qui se borne à indiquer que jusqu'à 72 heures d'intervention après les premiers symptômes, des patients ont pu sauver une partie de leur myocarde, n'est pas de nature à contredire les conclusions du rapport d'expertise. Dans ces conditions, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de l'ampleur de la perte de chance d'éviter le dommage survenu à l'intéressé en la fixant à un tiers.

7. Eu égard aux manquements reprochés, d'une part, au CHU de Bordeaux, qui selon le rapport d'expertise est " essentiellement " à l'origine de la fraction du préjudice résultant pour M. A...de la perte de chance de sauver son muscle cardiaque et, d'autre part, au retard de prise en charge par le service des urgences du centre hospitalier de Libourne, c'est à bon droit que les premiers juges ont fixé leurs responsabilités respectives dans la part du dommage subi à 80 % et 20 %.

8. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Libourne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamné, dans la proportion citée au point précédent, à réparer un tiers des préjudices subis par M.A....

Sur les préjudices de M. A...:

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

9. Si M.A..., conducteur de train, soutient que n'ayant pas pu travailler

du 25 novembre 2010 au 17 avril 2011, il a subi la perte de son allocation déplacement, qui s'élève à 1 700 euros par mois, ainsi que la moitié de la prime traction, qui s'élevait à 800 euros, il se borne à verser à nouveau en appel des bulletins de salaire, sans produire de nouvelles pièces et sans critiquer utilement l'appréciation faite par les premiers juges quant au caractère variable de ces primes dont il n'établit pas qu'elles ne seraient pas seulement destinées à compenser les frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions de cheminot qu'il n'a pas assurées durant la période en cause. C'est ainsi à juste titre que les premiers juges ont rejeté sa demande sur ce point.

10. Si M. A...prétend qu'il a perdu une chance de conduire un jour un train à grande vitesse et tout espoir de gagner la rémunération afférente, il n'établit pas davantage en appel le caractère certain du préjudice allégué, alors qu'il résulte de l'instruction qu'il a repris son activité professionnelle et que les tests médicaux qu'il a passés sont rassurants. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que le déficit fonctionnel dont il est atteint serait à l'origine pour lui d'une perte de chance d'exercer une activité plus rémunératrice que celle qu'il pourra obtenir dans le cadre d'une évolution normale de carrière à la SNCF. Dans ces conditions, les pertes de gains professionnels futurs ne présentent qu'un caractère éventuel n'ouvrant pas droit à indemnisation.

En ce qui concerne les préjudices personnels :

11. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'expertise précité que M. A... a subi deux périodes d'hospitalisation du 25 au 30 novembre 2010 et du

31 mai au 2 juin 2011, ainsi qu'une gêne temporaire de 50 % d'un total de 82 jours et

de 728 jours à 35 %. Il sera fait une juste appréciation du préjudice ayant résulté pour lui de son déficit fonctionnel temporaire en l'évaluant à la somme de 4 063 euros.

12. Les premiers juges ont fait une juste appréciation des souffrances physiques et psychiques et du préjudice d'agrément subis par M. A...dans leur réalité et leur étendue en allouant respectivement les sommes de 4 500 et 12 000 euros à ce titre.

13. Si M. A...demande l'indemnisation de la perte d'espérance de vie dont l'existence est reconnue par l'expert, ce préjudice, tel qu'il est invoqué, lié à la réduction de la durée de la vie, n'est pas suffisamment certain au regard des aléas innombrables de la vie quotidienne et des fluctuations de l'état de santé de toute personne. Il y a lieu par suite de rejeter cette demande.

14. Enfin, M. A...n'apporte pas plus en appel d'éléments de nature à établir le préjudice sexuel dont il demande réparation, alors que l'expert n'a pas retenu la réduction de libido qu'il subit liée à la prise de médicaments bétabloquant, estimant que ce traitement était nécessaire du fait de sa pathologie, indépendamment des manquements observés. Dès lors, sa demande doit être rejetée.

15. Il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble des préjudices dont M. A...a demandé l'indemnisation s'élève à la somme totale de 20 563 euros.

Sur les conclusions incidentes de M.A... :

16. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l'appel interjeté par le centre hospitalier de Libourne entraine une diminution globale de l'indemnité allouée à M. A...par les premiers juges. Par suite, les conclusions de ce dernier tendant à la réformation du jugement du 15 décembre 2015 en ce qui concerne le montant des indemnités que le CHU de Bordeaux et le centre hospitalier de Libourne ont été condamnés à lui payer en réparation du préjudice qu'il a subi sont recevables.

17. Compte tenu du taux de perte de chance retenu, soit un tiers, et du partage de responsabilité établi au point 7, ainsi que du montant total des préjudices cité au point 15, il y a lieu de ramener à 1 370,86 euros et à 5 483,20 euros le montant des indemnités dues

à M.A..., respectivement, par le centre hospitalier de Libourne et le CHU de Bordeaux et de réformer en ce sens le jugement attaqué du tribunal administratif de Bordeaux.

Sur les conclusions de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF :

18. En application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF a droit au remboursement des dépenses de santé et salaires qu'elle a exposées pour son assuré, et au titre de la loi

du 5 juillet 1985, pour le compte de la SNCF, employeur de l'intéressé, au titre des charges patronales afférentes aux salaires versés, en lien direct et certain avec l'erreur de diagnostic et le défaut de prise en charge dont M. A...a été victime le 25 novembre 2010, pour un montant non contesté de 38 611,67 euros. Compte tenu de l'ampleur de la chance perdue retenue au

point 7, il y a lieu de confirmer les montants alloués de 10 296,45 euros et de 2 574,11 euros que le CHU de Bordeaux et le centre hospitalier de Libourne ont été condamnés à lui verser respectivement. Il s'ensuit que les conclusions présentées en appel par la caisse tendant au remboursement par lesdits centres hospitaliers de l'intégralité des prestations versées ne peuvent qu'être rejetées.

19. En revanche, la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF a droit à l'indemnité forfaitaire régie par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, pour le montant de 1 066 euros auquel elle a été fixée par l'arrêté du

20 décembre 2017 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale, en contre partie des frais qu'elle a engagés pour obtenir le remboursement des prestations mentionnées au point précédent. Après avoir affirmé dans ses motifs que la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF avait droit au paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de

l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, le tribunal administratif de Bordeaux a omis, dans le dispositif de son jugement de statuer sur les conclusions présentées à ce titre par la caisse. Ainsi, ce jugement comporte une contrariété entre ses motifs et son dispositif et la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF est, dès lors, fondée à en demander l'annulation en tant qu'il a omis de statuer sur sa demande tendant au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion.

20. Il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur ces conclusions de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF et de condamner le CHU de Bordeaux et le centre hospitalier de Libourne à lui verser les sommes respectives

de 852,80 euros et 213,20 euros.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier de Libourne qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A...et de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF la somme que le centre hospitalier demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 décembre 2015 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 2 : Le CHU de Bordeaux et le centre hospitalier de Libourne sont condamnés à verser les sommes respectives de 852,80 euros et 213,20 euros à la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 3 : Les sommes respectives de 6 932,26 euros et de 1 733,06 euros que le CHU de Bordeaux et le centre hospitalier de Libourne ont été condamnés à verser à M. A...sont ramenées à 5 483,20 et 1 370, 86 euros.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 décembre 2015 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le surplus de la requête du centre hospitalier de Libourne, les conclusions

de M. A...présentées par la voie de l'appel incident et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que le surplus de celles présentées par la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF sont rejetés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Libourne, à M. A..., au centre hospitalier universitaire de Bordeaux et à la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2018, à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 15 mai 2018.

Le rapporteur,

Aurélie D...

Le président,

Éric Rey-BèthbéderLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX00431


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00431
Date de la décision : 15/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier - Existence d'une faute.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Aurélie CHAUVIN
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : ABEILLE ET ASSOCIES CABINET D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-05-15;16bx00431 ?
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