Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 12 octobre 2017 par lequel le préfet de la Corrèze l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 1701501 du 18 décembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2018, régularisée le 10 février 2018, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges du 18 décembre 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté précité du préfet de la Corrèze du 12 octobre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Corrèze de réexaminer sa situation dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 15 euros par jour de retard ;
4°) en tout état de cause, d'enjoindre au préfet de la Corrèze de régulariser sa situation dans le délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, en attendant qu'un titre de séjour lui soit délivré ou que sa situation soit réexaminée, sous astreinte de 15 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37-2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation de son conseil à percevoir la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire est illégale, dès lors qu'elle a été prise sur le seul fondement de la retenue administrative dont il a fait l'objet ; or, cette retenue était irrégulière, faute du non respect de ses droits fondamentaux, en violation des articles L. 611-1 et L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et également infondée ;
- le préfet a commis un abus de pouvoir, dès lors qu'il a déjà classé sans suite deux demandes de sa part de titres de séjour, qu'il aurait pu assortir d'une mesure d'éloignement ;
- l'article L. 313-11-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été violé ; c'est à tort que les premiers juges ont considéré que ce moyen ne saurait être invoqué dans le cadre de la contestation d'une mesure d'éloignement, dès lors qu'aucun texte ne l'interdit ; il entrait dans les conditions d'attribution de plein droit d'un titre de séjour sur ce fondement ; il est en effet père d'un enfant français ; malgré sa situation tant administrative que matérielle, il a toujours contribué à l'entretien et à l'éducation de son enfant ; il produit des attestations en ce sens ; le juge aux affaires familiales lui a accordé un droit de regard sur les choix éducatifs importants ;
- l'article L. 511-4-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a également été violé, pour les mêmes raisons ;
- la mesure d'éloignement méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ; l'enfant se verra privé de son père, ce qui sera néfaste à son équilibre ; pour remplir son obligation de participer aux choix éducatifs importants, que lui a reconnue le juge aux affaires familiales, et compte-tenu des difficultés relationnelles importantes qu'il a avec sa mère, il ne pourra correctement remplir cette obligation qu'en restant sur le territoire français ; la circonstance qu'il ait été condamné à une peine de prison est sans incidence à cet égard ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ; en l'espèce, il n'y avait aucune demande de titre de séjour, de sorte qu'un refus, comme c'est le cas en l'espèce, s'avère impossible, voire fantaisiste ; c'est de toute façon à tort que le préfet mentionne qu'il n'entre dans aucun cas d'attribution d'un titre de séjour, dès lors qu'il devait se voir attribuer de plein droit un titre sur le fondement de l'article L. 313-11-6°, pour les raisons sus-mentionnées ; par ailleurs, le préfet a mal apprécié sa situation : en particulier, s'il est sans ressources, c'est la conséquence de sa situation administrative, il est dépourvu d'attaches dans son pays d'origine, il est bien intégré en France ; en réalité, le préfet ne s'est pas livré à un examen attentif de sa situation ;
- la mesure fixant le pays de renvoi est illégale en conséquence de l'illégalité de la mesure d'éloignement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2018, le préfet de la Corrèze conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés ; en particulier, la procédure de rétention administrative dont il a fait l'objet n'a pas été irrégulière et cette mesure était fondée ; les articles L. 313-11-6° et L. 511-4-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont pas été méconnus, non plus que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ; le requérant, s'il avait antérieurement sollicité un titre en tant que parent d'enfant français n'avait apporté aucun élément justificatif et n'avait pas donné suite à la demande d'éléments nécessaires à l'instruction de son dossier.
Par une ordonnance en date du 12 février 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 mars 2018.
Par une décision en date du 15 février 2018, l'aide juridictionnelle totale a été accordée à M.B....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A...B..., ressortissant tunisien né en 1983, est entré irrégulièrement en France, le 2 octobre 2011 selon ses déclarations. Le 16 janvier 2017 et 18 mai 2017, il a sollicité auprès des services de la préfecture de la Corrèze un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. N'ayant cependant pas fourni les éléments qui lui étaient réclamés, nécessaires à l'instruction de ses demandes, celles-ci ont été classées sans suite. Convoqué pour une audition libre au commissariat de Tulle en tant que témoin dans le cadre d'une enquête pour un vol commis chez son hébergeant, il s'est présenté démuni de tout papier d'identité et de justification de son droit au séjour. Il a aussitôt été placé en rétention administrative le temps nécessaire aux vérifications d'usage et le même jour, 12 octobre 2017, le préfet de la Corrèze a pris à son encontre un arrêté intitulé " arrêté portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ", portant, aux termes de son dispositif, obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours à destination de son pays d'origine ou de tout autre pays dans lequel il serait légalement admissible et obligation de se présenter au commissariat de police de Tulle en indiquant ses diligences dans la préparation de son départ. Il fait appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Pour considérer que le moyen tiré d'une violation de l'article L. 313-11-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile était inopérant, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a estimé que l'arrêté attaqué portait uniquement obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination, la circonstance qu'il s'intitule " arrêté portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français " constituant selon lui une simple erreur matérielle dès lors que ni ses motifs, ni son dispositif ne faisaient état d'un refus de titre de séjour opposé à M. B....
3. Cependant, outre l'intitulé donné par le préfet à son arrêté, celui-ci mentionne explicitement qu' " après étude de sa situation ", M. B..." n'entre dans aucun cas d'attribution d'un titre de séjour de plein droit en application du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ". Cette mention implique nécessairement que le préfet a procédé à un examen de la situation de l'intéressé au regard de son droit au séjour et a implicitement refusé de lui accorder un titre, quel qu'en soit le fondement, alors qu'il est constant que M. B...avait déjà formé, en janvier et mai 2017, deux demandes de titre de séjour, la seconde en qualité de parent d'enfant français, sur lesquelles étaient intervenues des décisions de classement sans suite. Dans ces conditions, M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné a considéré que l'arrêté attaqué ne portait pas également refus de séjour. Son jugement doit, dans cette mesure, être annulé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Limoges tendant à l'annulation de l'arrêté pris le 12 octobre 2017 à son encontre par le préfet de la Corrèze en tant qu'il portait refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi.
Sur la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif :
5. Il ressort des pièces du dossier, comme cela a déjà été dit ci-dessus, que M. B... a déjà, par deux fois, les 16 janvier et 18 mai 2017, sollicité un droit au séjour, le premier en qualité de salarié, le second en qualité de parent d'enfant français. Si ces demandes ont été classées sans suite, comme l'en ont informé deux courriers des services de la préfecture en date des 31 mars et 3 juillet 2017, dès lors que l'intéressé n'a pas fourni les pièces qui lui étaient réclamées pour l'instruction de celles-ci, il est constant, comme cela ressort des termes de l'arrêté attaqué, que le préfet n'ignorait pas l'existence de ces demandes et donc de leurs fondements, puisqu'il y fait expressément référence ainsi qu'au motif de leur classement sans suite. Pour autant, et alors que le fils de M.B..., de nationalité française, est né le 21 août 2016 et a été reconnu par son père le 23 août 2016, l'arrêté attaqué ne mentionne à aucun moment cette paternité et n'examine pas la situation de l'intéressé en prenant en compte le fait qu'il est le père d'un enfant français, se bornant à relever, notamment, qu'il n'entre dans aucun cas d'attribution d'un titre de séjour de plein droit, que la décision qui lui est opposée ne contrevient pas aux articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et que M. B...n'apporte pas la preuve qu'il est démuni d'attaches familiales dans son pays d'origine. Dans ces conditions, M. B...est fondé à soutenir que le refus de séjour attaqué est entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle et à en demander, pour cette raison, l'annulation.
6. L'annulation du refus de séjour implique nécessairement l'annulation des décisions subséquentes, prises sur son fondement, à savoir les décisions portant éloignement, fixant le délai de départ volontaire et fixant le pays de destination, contenues dans l'arrêté contesté.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...est fondé à demander l'annulation de l'arrêté pris à son encontre par le préfet de la Corrèze le 12 octobre 2017.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
8. Le motif d'annulation retenu par le présent arrêt implique seulement que le préfet réexamine la situation de M. B...dans le délai d'un mois à compter de sa notification, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37-2 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 800 euros à verser à MeC..., conseil de M.B..., sur ces fondements, sous réserve que ce dernier renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat, pour la part lui revenant.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1701501 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Corrèze en date du 12 octobre 2017 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Corrèze de réexaminer la situation de M. B...dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me C...la somme de 800 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat, pour la part lui revenant.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Corrèze.
Délibéré après l'audience du 30 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Gil Cornevaux, président-assesseur,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 27 avril 2018.
Le rapporteur,
Florence Rey-GabriacLe président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 18BX00238