Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
La société Colas a demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner le département de Mayotte à lui verser la somme de 535 620,08 euros en paiement de prestations effectuées et non prises en compte dans le décompte général du marché de travaux portant sur la construction d'un nouveau terminal à conteneurs sur le port de Longoni, de porter le décompte général de 79 078 305,54 euros à la somme de 102 924 270,91 euros, et en conséquence, le solde restant dû au titre de ce marché à la somme de 23 845 965,37, assortie des intérêts moratoires au taux d'intérêt légal augmenté de deux points en application de l'article 3.2.5 du cahier des clauses administratives particulières à compter du 17 septembre 2009, ainsi que la capitalisation des intérêts à compter du 17 septembre 2010.
Par un jugement n° 1000205 du 18 juin 2013, le tribunal administratif de Mayotte a condamné le département de Mayotte à verser à la société Colas une somme de 535 620,08 euros en paiement de prestations effectuées et non prises en compte dans le décompte général du marché de travaux, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception du mémoire en réclamation du 17 septembre 2009, et capitalisés à compter du 17 septembre 2010 et a rejeté le surplus de la requête de la société Colas.
Par un arrêt n° 13BX02978 du 9 décembre 2015, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement et rejeté la demande présentée devant le tribunal par la société Colas.
Par une décision n° 396851 du 9 juin 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour du 9 décembre 2015 en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Colas tendant à la rémunération des travaux de rechargement du talus de dragage, des travaux de réalisation de la couche de fondation du terre-plein et des travaux de réalisation de têtes de pieux et de recépage des pieux par application des prix 349b, 1001, 503i et 419e prévus au marché, et il a, dans cette mesure, renvoyé l'affaire à la cour.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 novembre 2013, un mémoire enregistré le 17 décembre 2014 et, après cassation, des mémoires enregistrés les 29 août, 30 novembre 2017 et 18 décembre 2017, la société Colas, représentée par le cabinet UGGC Associés, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du 18 juin 2013 du tribunal administratif de Mayotte en tant qu'il a rejeté le surplus de sa requête ;
2°) d'arrêter le décompte général à la somme de 85 718 570,71 euros, et en conséquence, le solde restant dû au titre de ce marché à la somme de 6 640 265,17 euros assortie des intérêts moratoires au taux d'intérêt légal augmenté de deux points en application de l'article 3.2.5 du cahier des clauses administratives particulières à compter du 5 juin 2009, avec capitalisation à compter du 5 juin 2010 ;
3°) de mettre à la charge du département de Mayotte la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, s'agissant des points faisant l'objet du renvoi, que :
- le prix 349b prévu par l'avenant n° 2 de septembre 2006 fixe à 40 euros/m3 le rechargement du talus de dragage en matériaux 0/200 ; l'exécution même de cette tâche précise à hauteur de 53 305 m3, entre mai et août 2007, n'a jamais été remise en cause ; c'est au prétexte d'une modification des conditions de cette exécution que le maître d'ouvrage a cru pouvoir modifier unilatéralement le prix convenu ; or, l'application du prix 349b ne pouvait dépendre de la mise en oeuvre effective des moyens décrits dans le sous-détail de prix correspondant étant donné que ce sous-détail n'avait aucune valeur contractuelle, mais encore les travaux de rechargement du talus avaient bien été réalisés au moyen d'une benne preneuse contrairement aux allégations du maître d'oeuvre ; c'est ce qui s'infère nécessairement de la motivation de l'arrêt du Conseil d'Etat ; les premiers juges ne pouvaient, sans se contredire, retenir qu'il n'était pas démontré que le coût des travaux de rechargement aurait été supérieur à celui retenu par le maître d'oeuvre ; le volume n'est pas contestable puisque c'est celui auquel le département lui-même appliquait le prix 301a ;
- le prix 1001 comprend " la fourniture à pied d'oeuvre du matériau ", sans aucune mention de sa provenance ; le Groupement avait initialement envisagé d'utiliser du matériau de carrière transporté par camion depuis la carrière de Koungou ; le sous-détail de prix n'ayant aucune valeur contractuelle, le groupement a préféré utiliser une technique de criblage du matériau issu des opérations de dragage du chantier ; le Conseil d'Etat n'a pu que constater que la cour avait dénaturé les stipulations du marché en estimant que le marché prévoyait l'utilisation d'un matériau de carrière apporté par camion depuis la carrière de Koungou, dès lors que le bordereau des prix est totalement silencieux sur la provenance du matériau ; la cour devra en tirer les conséquences ; la qualité du matériau après criblage a fait l'objet d'une demande d'agrément acceptée par le maître d'oeuvre ; il n'a jamais été constaté ni prétendu que le matériau qui a permis la réalisation de la couche de fondation n'aurait pas été conforme à la granulométrie spécifiée au marché ;
- initialement, la réalisation des chapiteaux de tête de pieux était prévue à l'air libre, et rémunérée par application des prix 503a, 506, 508a et 510 figurant au bordereau des prix, mais les contraintes géotechniques et sismiques mises en lumière après la notification du marché ont conduit à la décision du maitre d'oeuvre d'augmenter le diamètre des pieux prévus initialement et de prévoir une mise en oeuvre subaquatique ; pour tenir compte de ces conditions d'exécution nouvelles, les parties ont, à l'occasion de la conclusion de l'avenant n° 2, intégré un prix nouveau 503i dans le bordereau des prix supplémentaires ; toutefois, au final, la réalisation des chapiteaux de tête de pieux dans l'eau a été rémunérée par application des prix prévus pour la réalisation des chapiteaux de tête de pieux à l'air libre ; selon la Haute Juridiction, les interventions subaquatiques réalisées par le groupement, dont la cour a pu constater la réalité, justifient par elles-mêmes l'application du prix 503i, étant donné qu'il n'a pas été par ailleurs démontré, ni même soutenu au demeurant, que le maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage se seraient opposés à ce prétendu choix organisationnel du groupement ; la cour devra en tirer les conséquences ;
- la décision du maître d'oeuvre d'élargir le diamètre des pieux a nécessité de procéder au recépage des pieux à remplacer ; pour ce faire, les parties ont intégré deux prix nouveaux au bordereau des prix ; là encore, le Conseil d'Etat a jugé que les opérations subaquatiques réalisées par le groupement pour recéper les pieux de la file A justifiaient par elles-mêmes l'application du prix 419e, étant donné qu'il n'avait pas par ailleurs été démontré, ni même soutenu au demeurant, que le maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage se seraient opposés à ce prétendu choix organisationnel du groupement ; s'il avait appartenu au groupement de ne procéder aux opérations de recépage que durant les seules périodes pendant lesquelles le niveau de la mer était inférieur à la cote de découpe - ce qui aurait bouleversé le phasage du chantier - le prix 419e n'aurait pas été créé ; la cour devra en tenir compte ;
- les modalités de révision des prix figurent à l'article 3.3 du CCAP et devront s'appliquer ; contrairement à ce que soutient le département, les points de litige restant à trancher impliquent que soit fait application, dans chaque cas, de la clause de révision des prix, s'agissant d'une demande englobée dans la cassation prononcée par le conseil d'Etat ; le montant de la révision demandée n'est pas exorbitant et n'excède pas le double du montant réclamé ; il n'est que l'application des modalités prévues au marché, des index de référence retenus par le maître d'ouvrage et des valeurs des index des bâtiments nationaux ; les productions 95 et 96 permettent d'établir très clairement le montant demandé ; il n'est pas justifié par le département de son affirmation selon laquelle la révision des prix ne s'appliquerait qu'à l'exécution des travaux ; cela n'a pas de sens pour des travaux dont le paiement est exprimé en prix de base ; la révision est sans lien avec le paiement des intérêts moratoires, dont l'objet est exclusivement de sanctionner les retards de paiement ;
- conformément à l'article 3.2.5 du CCAP relatif aux délais de paiement, la créance de la société Colas doit donc porter intérêts à compter du 5 juin 2009 (date de la notification par l'entreprise de son projet de décompte final portant demande de paiement) au taux d'intérêt légal augmenté de deux points (production n° 4) ; ces intérêts moratoires, couvert par la cassation prononcée par le Conseil d'Etat, doivent être capitalisés à compter du 5 juin 2010.
Par des mémoires en défense enregistrés les 7 mai 2014 et le 15 octobre 2015 et, après cassation, les 31 octobre et 4 décembre 2017, le département de Mayotte conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 9 000 euros soit mise à la charge de la société Colas.
Il fait valoir, s'agissant des points qui font l'objet du renvoi, que :
- s'agissant des travaux de rechargement du talus de dragage, aucune justification n'est apportée par cette Société afin de justifier le volume de 53 305 m3 ;
- s'agissant de la couche de fondation, en réalité ce n'est pas un matériau 0/80 mm qui a été mis en oeuvre ; par suite, les travaux n'ont pas été exécutés dans les conditions de l'article 1.7.4.2 du CCTP et du libellé du prix 1001 ;
- s'agissant des chapiteaux de tête de pieux, la société Colas n'établit aucunement, et notamment pas par les extraits des journaux de chantier produits, que la réalisation des chapiteaux de tête de pieux a impliqué la mise en oeuvre de tous les éléments du prix 503i ;
- s'agissant des recépage de pieux, la société n'établit aucunement que les travaux de recépage des pieux ont impliqué la mise en oeuvre de tous les éléments du prix 419e ; d'autre part la société n'apporte aucun élément permettant d'établir le nombre de recépage intervenus sous l'eau ;
- la société Colas n'a pas contesté devant le Conseil d'Etat le rejet par la cour de ses conclusions tendant à l'application de la clause de révision de prix ; le Conseil ne s'est donc pas prononcé sur ces conclusions et le litige est clos en ce qui les concerne ;
- il en va de même en ce qui concerne les conclusions tendant au paiement des intérêts moratoires ;
- au demeurant, pour qu'une quelconque somme soit due au titre de la révision du prix, encore faut-il que des sommes soient dues aux entreprises ; or, il résulte des explications ressortant des écritures en première instance et en instance d'appel du département de Mayotte qu'aucune somme n'est due à la société Colas ; par ailleurs, tout comme le département de Mayotte l'avait soulevé en première instance, il convient de relever que la société Colas réclame une révision de 2 938 197,70 euros pour une réclamation de 3 702 067,47 euros, ce qui est exorbitant et manque du plus élémentaire sérieux dès lors qu'elle représente plus du double du montant réclamé pour un chantier ayant duré 5 ans, alors que durant le chantier, les indices TP n'ont augmenté en moyenne que de 20 à 25 % ; en troisième lieu, contrairement à ce qui qu'indique la société, les productions n° 95 et 96 ne permettent nullement de déterminer la façon de parvenir aux montants révisés réclamés ; enfin la révision ne s'applique qu'à la date d'exécution des prestations et une seule fois de sorte que, postérieurement, l'entreprise ne peut demander que le paiement d'intérêts moratoires pour autant qu'elle ait fait courir les intérêts moratoires.
- les intérêts moratoires ne peuvent être dus avant le 1er novembre 2009 et leur capitalisation avant le 1er novembre 2010, soit 45 jours après la réception de la réclamation de la société Colas par le département.
Par une ordonnance du 4 décembre 2017, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 19 décembre 2017 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 90-277 du 28 mars 1990 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laurent Pouget,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- les observations de MeA..., représentant la société Colas,
- et les observations de Me B...représentant le département de Mayotte.
Une note en délibéré, présentée pour le département de Mayotte, a été enregistrée le 26 janvier 2018.
Une note en délibéré, présentée pour la société Colas, a été enregistrée le 5 février 2018.
Considérant ce qui suit :
1. La collectivité départementale de Mayotte a lancé en 2003 un appel d'offres en vue de la conclusion d'un marché public de travaux portant sur la construction d'un nouveau terminal à conteneurs sur le port de Longoni, afin de faire face au développement du trafic maritime. Par un marché notifié le 29 mars 2004, la réalisation du nouveau terminal a été confiée au groupement solidaire constitué des sociétés Colas, SMEC et GTOI, pour un montant de 43 072 758,50 euros. Des études complémentaires sur la consistance du sous-sol ont conduit à la modification du marché par un avenant n° 2 conclu le 4 septembre 2006, portant le montant du marché à 55 981 900,50 euros. La réception de l'ensemble des travaux a été prononcée le 24 avril 2009 avec effet au 12 mars 2009. Le projet de décompte final établi par le groupement le 5 juin 2009 s'élevait à 103 003 505,66 euros, y compris la révision des prix. Le décompte général notifié en retour par le maître de l'ouvrage était fixé à 79 078 305,54 euros. Par mémoire du 17 septembre 2009, le groupement a contesté ce décompte général et a demandé le paiement de 15 104 801,55 euros avant révision, ainsi que la décharge des pénalités de retard qui lui ont été infligées pour un montant de 399 096,98 euros. Le silence gardé pendant plus de trois mois par le maître d'ouvrage a fait naître le 17 décembre 2009 une décision implicite de rejet de cette réclamation. La société Colas, agissant en qualité de mandataire du groupement solidaire d'entreprises, a porté le litige devant le tribunal administratif de Mayotte, lequel, par un jugement du 18 juin 2013, n'a fait droit à ses prétentions financières qu'à concurrence de 535 620,08 euros. La société Colas a en conséquence saisi la cour administrative d'appel de Bordeaux d'une demande de réformation de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, le département concluait pour sa part à l'annulation du jugement en tant qu'il le condamnait à payer une somme à la société Colas. Par un arrêt n° 13BX02978 du 9 décembre 2015, la cour a annulé le jugement et a rejeté la demande présentée devant le tribunal par la société Colas. Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux par une décision n° 396851 du 9 juin 2017, a annulé cet arrêt de la cour en tant qu'il rejetait les conclusions de la société Colas tendant à la rémunération des travaux de rechargement du talus de dragage, des travaux de réalisation de la couche de fondation du terre-plein, des travaux de réalisation de tête de pieu et des travaux de recépage des pieux, par application des prix respectifs 349b, 1001, 503i et 419e prévus au marché, et il a, dans cette mesure, renvoyé l'affaire à la cour. Dans le dernier état de ses écritures, la société Colas demande à la cour d'arrêter le décompte général à la somme de 85 718 570,71 euros, et en conséquence, de condamner le département de Mayotte à lui payer un solde non réglé de 6 640 265,17 euros.
2. Aux termes de l'article 3.1.1. du cahier des clauses administratives générales (CCAG) - Travaux : " Les pièces constitutives du marché comprennent : (...) - le bordereau des prix unitaires (...) - lorsque ces pièces sont mentionnées comme pièces contractuelles, (...) les sous-détails des prix unitaires ". Et selon l'article 10 du même cahier, dans sa rédaction applicable : " Contenu et caractère des prix (...) 10.11. Les prix sont réputés comprendre toutes les dépenses résultant de l'exécution des travaux (...) Les prix sont réputés fermes (...) ".
Sur le prix applicable aux travaux de rechargement du talus de dragage :
3. En vertu du bordereau de prix annexé à l'avenant n° 2 conclu en septembre 2006 pour la réalisation de travaux nouveaux ou modificatif, le prix 349b, d'un montant de 40 euros " rémunère, au mètre cube mesuré en place, le transport et la mise en oeuvre d'un matériau 0/200 concassé de carrière afin de constituer la recharge sur les talus à 5/2 issus du dragage afin de constituer un talus définitif à 3/2 sous les quais ". Il est constant que ces travaux visant à augmenter le pourcentage de pente du talus de dragage ont été effectivement exécutés. Toutefois, par un courrier du 14 décembre 2007, le maître d'oeuvre a fait savoir à la société Colas, mandataire du groupement, qu'il entendait remettre en cause l'application du prix 349b aux travaux considérés et lui a notifié, sur le fondement de l'article 14 du CCAG, un nouveau prix provisoire 301a de 5,40 euros/m3, au motif que ces travaux avaient été mis en oeuvre au moyen de simples poussées des matériaux par des bulldozers et non en recourant au procédé plus onéreux d'une benne preneuse actionnée par une grue, comme le prévoyait le descriptif du sous-détail de prix. Le maître d'ouvrage a entériné ce prix 301a dans le décompte général. Il est cependant constant que le cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché ne mentionne pas le sous-détail des prix au rang des pièces contractuelles, pour l'application de l'article 3.1.1 du CCAG. En conséquence, quelle qu'ait été la méthode employée par la société Colas pour la réalisation des travaux de rechargement des talus, leur mise en oeuvre doit être regardée non pas comme une opération non prévue par le contrat et dont le prix pourrait être fixé unilatéralement par ordres de service du maître d'ouvrage en application de l'article 14 du CCAG, mais comme la stricte exécution des travaux envisagés au marché, lesquels doivent être payés au prix contractuellement convenu. Contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la société Colas est donc fondée à solliciter l'application du prix 349b. Il résulte par ailleurs de l'instruction que ces travaux, contrairement à ce qu'allègue le département de Mayotte dans ses dernières écritures, ont porté sur un volume de 53 305 m3. La société Colas est donc en droit de revendiquer à ce titre le paiement par le maître d'ouvrage d'une somme de 1 844 353 euros hors révision.
Sur le prix applicable à la couche de fondation du terre-plein :
4. Le bordereau supplémentaire des prix annexé à l'avenant n° 2 au marché comporte un prix 1001 d'un montant de 35,55 euros correspondant à la rémunération, au mètre cube, de la réalisation d'une " couche de fondation 0/80 mm en tout venant ", comprenant " la fourniture à pied d'oeuvre du matériau ". Par un ordre de service n° 88 du 3 octobre 2008, le maître d'oeuvre a notifié au groupement un prix nouveau 1001a intitulé " couche de fondation 0/80 mm de criblage des matériaux de dragage ", d'un montant de 6,55 euros/m3, justifié par le recours à un matériau issu d'un criblage et d'un tri des matériaux de sables coralliens présents sur le site et provenant des opérations de dragage du chantier, et non pas d'un matériau importé par camions d'une carrière distante, comme le prévoyait le sous-détail des prix. Le maître d'ouvrage a entériné ce prix 1001a dans le décompte général. Pour les motifs déjà exposés au point 3, le département ne pouvait toutefois imposer à la société Colas un prix nouveau pour travaux non prévus sur le fondement de l'article 14 du CCAG, alors même que les modalités pratiques de leur mise en oeuvre, dûment acceptées par le maître d'oeuvre, n'étaient pas celles initialement envisagées, dès lors qu'il est constant que ces travaux ont été entièrement exécutés. Si le département affirme dans ses dernières écritures que les opérations de criblage n'ont pas été effectuées et que ce n'est donc pas un matériau de 0/80 mm qui a été mis en oeuvre mais un matériau plus grossier, en méconnaissance de l'article 1.7.4.2 du cahier des clauses techniques particulières, aucun élément du dossier ne vient corroborer cette allégation. Les travaux en cause doivent donc être rémunérés au prix contractuellement prévu issu du bordereau des prix annexé à l'avenant n° 2 au marché, pour un montant de 662 954,50 euros hors révision.
Sur le prix applicable à la réalisation de têtes de pieux :
5. Il résulte de l'instruction que la réalisation des chapiteaux de têtes de pieux était initialement prévue à l'air libre et rémunérée par application des prix 503a (578 euros/m3), 506 (292 euros/m3), 508a (25,40 euros/m²), 510b (1954 euros/T) et 510c (1954 euros/T) figurant au bordereau des prix. Les contraintes géotechniques et sismiques mises en évidence par le groupement postérieurement à la notification du marché, qui impliquaient l'usage de chapiteaux de têtes de pieux plus massifs et implantés dans l'eau, ont conduit les parties à s'entendre sur un prix nouveau 503i d'un montant de 1 091,40 euros/m3. Selon le bordereau supplémentaire de prix, celui-ci comprend " toutes les sujétions du prix n° 503a pour une réalisation des chapiteaux de têtes de pieux sous le niveau de la mer. Il comprend toutes les sujétions de coulage des bétons sous l'eau, de la réalisation et maintien des coffrages sous l'eau ". Toutefois, le maitre d'ouvrage a fait application, dans le décompte général, des prix initialement prévus, faisant valoir que la côte réelle des chapiteaux de têtes de pieux est finalement comparable à celle envisagée à l'origine, et que la pose subaquatique résulte donc d'un choix d'organisation de la part du groupement, et non d'une nécessité technique. Or, ainsi que le soutient la société Colas, un tel motif ne pouvait justifier que soit écartée l'application du prix révisé prévu par l'avenant n° 2 au contrat, dès lors qu'il n'est ni établi ni même allégué par le maître d'ouvrage que le maître d'oeuvre ou lui-même se seraient finalement opposés à la réalisation de travaux subaquatiques, ou que ces travaux n'auraient pas été réalisés selon les règles de l'art. Contrairement à ce qu'allègue le département de Mayotte, la société Colas, par la production de journaux de chantier faisant état de la mobilisation, entre mai et octobre 2008, d'équipes de plongeurs scaphandriers dont elle indique sans être sérieusement contredite que les interventions ont eu précisément pour objet des opérations de coffrages de béton et de mise en place de pièces mécano-soudées, justifie ainsi que la réalisation des chapiteaux de têtes de pieux en immersion a bien impliqué la mise en oeuvre de toutes les composantes du prix 503i. Par suite, elle a droit au paiement du prix supplémentaire de 1 068 067,97 euros hors révision.
Sur le prix applicable aux travaux de recépage des pieux :
6. La modification du diamètre des pieux après la notification du marché a nécessité de procéder au recépage des pieux à remplacer, selon des prix nouveaux 419d et 419e fixés respectivement à 267 euros et 3 601 euros l'unité par le bordereau supplémentaire des prix annexé à l'avenant n° 2 et correspondant respectivement au recépage des pieux respectivement hors de l'eau et sous l'eau, toutes sujétions comprises. Pour le même motif que celui indiqué au point 4, le maître d'ouvrage a finalement fait application du prix 419d à l'ensemble des pieux. Ce motif n'est cependant pas fondé, pour les raisons qui viennent d'être indiquées ci-dessus. Si le département fait valoir qu'il n'est justifié par la société requérante ni de l'exécution de l'ensemble des éléments composant le prix 419e, ni du nombre de pieux concernés par ces travaux, ces allégations sont contredites par les éléments du dossier, les journaux de chantier attestant de la mise en oeuvre de l'ensemble des sujétions pour le recépage subaquatique des pieux, et le maître d'oeuvre n'ayant d'autre part à aucun moment remis en cause le décompte des pieux sur lesquels ces interventions ont été réalisées. Il convient, en conséquence, de fixer à 126 992 euros, hors révision, la somme due à ce titre au groupement représenté par la société Colas.
7. Il résulte de ce qui précède que la somme due en principal par le département de Mayotte au groupement composé des sociétés Colas, SMEC et GTOI, à raison des travaux de rechargement du talus de dragage, de réalisation de la couche de fondation du terre-plein, de réalisation de têtes de pieux et de recépage des pieux, s'établit au montant global de 3 702 367,47 euros.
Sur la révision des prix :
8. Contrairement à ce que soutient le département de Mayotte, la cour se trouve ressaisie, par l'effet de la décision de renvoi du Conseil d'Etat, non seulement des demandes indemnitaires principales afférentes aux quatre catégories de travaux précédemment évoquées, mais aussi des demandes accessoires y afférentes, telles que celle portant sur l'application de la clause contractuelle de révision des prix, sur laquelle le juge de cassation ne peut être regardé comme s'étant définitivement prononcé.
9. D'une part, aux termes de l'article 92 du code des marchés publics, " Lorsque le marché comporte une clause de variation de prix, la valeur finale des références utilisées pour l'application de cette clause est appréciée au plus tard à la date de réalisation des prestations telle que prévue par le marché, ou à la date de leur réalisation réelle si celle-ci est antérieure (...) ".
10. D'autre part, en vertu de l'article 3.3.4.1 du cahier des clauses administratives particulières du marché, pour les prix afférents notamment aux terrassements généraux, aux dragages et aux pieux et palplanches, " Conformément aux dispositions des articles 16 et 17 du code des marchés publics, les prix seront révisables suivant les modalités définies par la circulaire du 12 janvier 1987, par application de la formule suivante : P = P0 (0,15 + 0,85.I/I0) ", les prix des terrassements généraux et ouvrages d'art intégrant au surplus un coefficient particulier tenant compte du coût de la main-d'oeuvre à Mayotte. La société Colas demande en conséquence l'application d'un coefficient de révision de 1,7450 au prix 349b, d'un coefficient de révision de 1,9920 au prix 1001, d'un coefficient de révision de 1,7880 au prix 503i et d'un coefficient de 1,5120 au prix 419e.
11. En se bornant à faire état de ce que les coefficients de révision dont la société Colas sollicite l'application sont déraisonnables et sans commune mesure avec la progression des indices de travaux publics, le département de Mayotte, qui a lui-même accepté le principe et les modalités particulières de détermination de la révision des prix en signant le marché du 29 mars 2004 en sa qualité de maître d'ouvrage, ne conteste pas valablement le bien-fondé de la demande de la société requérante sur ce point. Cependant, si celle-ci produit des feuilles de calculs et autres pièces de nature à déterminer le montant des sommes effectivement dues au titre de la clause de révision des prix, elle ne justifie pas de l'exactitude de la somme revendiquée dans la mesure où elle retient le mois de juin 2009 comme date finale d'application de cette clause. En effet, si les prix initiaux (P0) sont bien ceux du mois de janvier 2004, les dates à retenir pour l'appréciation de la valeur finale des références à utiliser pour l'application de la clause de révision sont en l'espèce, en application de l'article 92 du code des marchés publics, celles prévues pour l'achèvement des travaux par l'avenant n° 2 au marché, soit le 31 décembre 2006 pour les travaux de remblais et le 30 avril 2008 pour les travaux sur les pieux, la société Colas ne faisant pas valoir que la réalisation effective de ces travaux aurait été antérieure à ces dates.
12. Compte tenu de tout ce qui précède, le décompte général du marché est fixé au montant de 82 780 373 euros auquel s'ajoute la somme résultant de la mise en oeuvre de la clause de révision des prix appliquée dans les conditions décrites au point 11 aux travaux objet du présent litige. En conséquence, le solde à verser au groupement constitué des sociétés Colas et autres s'élève à la somme de 3 702 367,47 euros en principal, augmentée de cette même somme.
Sur les intérêts moratoires et la capitalisation :
13. Ainsi qu'il a déjà été dit, la cour se trouve ressaisie, par l'effet de la décision de renvoi du Conseil d'Etat, non seulement des demandes indemnitaires principales afférentes aux quatre catégories de travaux sus évoquées, mais aussi des demandes indemnitaires accessoires. Il en va donc ainsi de celle de ces demandes portant sur l'application aux sommes dues des intérêts moratoires et de leur capitalisation.
14. En application des stipulations de l'article 3.2.5 du CCAP, et conformément aux dispositions de l'article 96 du code des marchés publics, le défaut de mandatement du solde du marché dans les délais qu'il prévoit fait courir de plein droit et sans autre formalité, au bénéfice du titulaire des intérêts moratoires. La circonstance que le solde du marché ne puisse être établi par les parties elles-mêmes est sans incidence sur ce droit. Il y a lieu, pour calculer le montant de la créance, de retenir le point de départ qui garantisse de manière non sérieusement contestable le droit aux intérêts moratoires du groupement, à savoir la réception de sa contestation du décompte général. En vertu des stipulations de l'article 3.2.5 du CCAP, le point de départ des intérêts moratoires doit donc être fixé à quarante-cinq jours après la date de réception de la réclamation formée par le groupement à l'encontre du décompte général, soit le 1er novembre 2009, ainsi que le fait valoir le département. A compter de cette date, le solde dû au groupement et mentionné au point 12 portera donc intérêts au taux légal augmenté de deux points, conformément à l'article 3.2.5. du CCAP.
15. La société requérante a demandé pour la première fois l'anatocisme dans sa requête devant le tribunal administratif, enregistrée au greffe de ce dernier le 14 mai 2010. A cette date, les intérêts moratoires ne couraient pas depuis plus d'un an. Par suite, le groupement a droit à la capitalisation des intérêts échus à compter seulement du 1er novembre 2010, puis à chaque échéance annuelle.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Colas, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que sollicite le département de Mayotte au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de Mayotte la somme de 1 500 euros à verser à la société Colas en application des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : Le solde du marché conclu le 29 mars 2004 entre le département de Mayotte et le groupement constitué des sociétés Colas, SMEC et GTOI, est fixé à la somme de 3 702 367,47 euros en principal, majorée par application de la clause de révision des prix dans les conditions fixées par la motivation du présent arrêt.
Article 2 : Le département de Mayotte est condamné à verser à la société Colas, mandataire du groupement, la somme visée à l'article 1er, augmentée des intérêts moratoires au taux de 2,04 % à compter du 1er novembre 2009. Ces intérêts seront capitalisés au 1er novembre 2010, puis à chaque échéance annuelle.
Article 3 : Le jugement n° 1000205 du 18 juin 2013 du tribunal administratif de Mayotte est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le département de Mayotte versera une somme de 1 500 euros à la société Colas en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Colas, mandataire du groupement constitué avec les sociétés SMEC et GTOI, et au département de Mayotte.
Copie en sera adressée au ministre des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2018, à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Sabrina Ladoire, premier conseiller,
Lu en audience publique le 22 février 2018.
Le rapporteur,
Laurent POUGET Le président,
Aymard de MALAFOSSE Le greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX01881