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22/02/2018 | FRANCE | N°16BX00135

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 22 février 2018, 16BX00135


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D...a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision par laquelle le recteur de l'académie de La Réunion a prononcé son licenciement à compter du 15 mai 2014 et l'arrêté du 21 mai 2014 ayant mis un terme à son contrat, et de condamner l'Etat à lui verser, avec intérêts et capitalisation, les sommes de 174 670 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif et irrégulier, de 1 345,30 euros au titre de l'indemnité de licenciement, de 1 345,30 euros au titre

de l'indemnité de préavis de licenciement, de 1 076,24 euros au titre de l'inde...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D...a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision par laquelle le recteur de l'académie de La Réunion a prononcé son licenciement à compter du 15 mai 2014 et l'arrêté du 21 mai 2014 ayant mis un terme à son contrat, et de condamner l'Etat à lui verser, avec intérêts et capitalisation, les sommes de 174 670 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif et irrégulier, de 1 345,30 euros au titre de l'indemnité de licenciement, de 1 345,30 euros au titre de l'indemnité de préavis de licenciement, de 1 076,24 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés annuels, de 4 554,21 euros au titre des salaires dont il a été privé et de 97 500 euros au titre de ses troubles dans ses conditions d'existence et de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1400743 du 12 novembre 2015, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 janvier 2016, et des mémoires présentés les 14 avril 2016, 20 janvier 2017, 31 mars 2017, 8 juin 2017, et le 18 septembre 2017, M.D..., représenté par Me C...Grenier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 12 novembre 2015 ;

2°) d'annuler la décision prononçant son licenciement et l'arrêté du 21 mai 2014 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser :

- une indemnité de licenciement d'un montant de 1 345,30 euros ;

- des dommages-intérêts pour licenciement abusif et irrégulier d'un montant de 174 670 euros ;

- l'indemnité de préavis de licenciement d'un montant de 1 345,30 euros ;

- l'indemnité compensatrice de congés annuels d'un montant de 1 076,24 euros ;

- une indemnité au titre du salaire dont il a été privé pour un montant de 4 554,21 euros ;

- une indemnité de 97 500 euros au titre de ses troubles dans ses conditions d'existence, de son préjudice moral, de l'outrage qu'il a subi, de la diffamation visant son orientation sexuelle et de la dénonciation calomnieuse dont il a été victime ;

4°) de lui accorder les intérêts et la capitalisation de ceux-ci ;

5°) de condamner l'Etat au paiement de l'amende prévue par l'article L. 1334-1 du code du travail ;

6°) d'enjoindre au rectorat d'exécuter l'arrêt de la cour et de lui verser les indemnités qui lui sont dues dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

7°) de lui accorder l'aide juridictionnelle provisoire ;

8°) de mettre à la charge des services académiques de La Réunion le montant des frais exposés au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans l'hypothèse où l'aide juridictionnelle ne lui serait pas accordée.

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement a été rendu en méconnaissance de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ; les copies d'écran issues de l'application " sagace " révèlent que le rapporteur public a conclu à la condamnation sans indiquer s'il entendait lui donner satisfaction totalement ou partiellement ni préciser le montant qu'il proposait de lui allouer ; il n'a pas non plus indiqué s'il envisageait de faire droit aux conclusions aux fins d'injonction lesquelles ne présentaient pas un caractère accessoire ;

- ce faisant, le jugement a également méconnu l'article 7 de la déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 ;

- les mémoires en défense du préfet ne comportent aucun inventaire, en méconnaissance des exigences énoncées par les articles R. 421-2 et R. 611-5 du code de justice administrative ;

Sur la légalité de la décision de licenciement :

- L'arrêté de licenciement est entaché d'incompétence au regard de l'arrêté rectoral n° 2013-08 et de l'article D. 2222-20 du code de l'éducation :

- l'article 4 de l'arrêté rectoral n° 2013-08 ne donnait pas à M.G..., chef de la division des personnels de l'enseignement secondaire, délégation de signature lui permettant de signer les arrêtés de licenciement ;

- un arrêté de cessation de contrat ne constitue pas une simple mesure d'exécution ; en effet, il met définitivement fin aux fonctions d'un agent alors que la lettre de licenciement est une simple mesure d'exécution qui fixe uniquement la date à laquelle le licenciement doit intervenir ; contrairement à la lettre de notification, l'arrêté de licenciement doit être signé par une personne compétente et habilitée à le faire, ce qui n'était pas le cas de M.G... ;

- il a été convoqué à l'entretien du 29 janvier 2014 en violation de l'article 47 du décret du 17 janvier 1986 et de la circulaire du 26 novembre 2007 :

- il a été convoqué à cet entretien par courriel et non par lettre recommandée ;

- l'entretien a eu lieu moins de cinq jours ouvrables après réception de cette convocation ; il n'a pris connaissance de cette convocation que la veille de cet entretien et n'a donc pas eu le temps de préparer sa défense ;

- il n'a pas eu connaissance, lors de cet entretien, des reproches que les services du rectorat s'apprêtaient à articuler à son encontre, la copie du courrier rédigé par M. A...au procureur de la République ne lui ayant été remis que le 21 mars 2014 ;

- si l'entretien du 27 janvier 2014 constituait une " visite de courtoisie ", il s'est alors trouvé privé d'un entretien préalable à son licenciement, et donc d'une garantie de fond ; l'avoir privé de cet entretien méconnaît le principe d'égalité et l'article 7 de la déclaration universelle des droits de l'homme ;

- La procédure de licenciement a méconnu les droits de la défense et le principe du contradictoire :

- il n'a jamais eu connaissance des résultats de l'enquête conduite en interne ; cette enquête ne figurait pas dans son dossier administratif alors que la circulaire du 26 novembre 2007 la rend indispensable ; il n'y a donc pas eu d'enquête pour démontrer la réalité des faits qui lui sont reprochés ;

- le licenciement se fonde uniquement sur le contenu du rapport qu'il a lui-même rédigé alors qu'il traversait une période d'angoisse, et que l'administration a obtenu de façon déloyale, ainsi que sur les rapports mensongers du conseiller principal d'éducation et du principal du collège ;

- le rapport de saisine du conseil de discipline ne lui a jamais été communiqué comme en témoigne le fait qu'il ne soit pas mentionné dans la liste des pièces constituant son dossier administratif ;

- la procédure devant le conseil de discipline a méconnu les articles 31, 33, 41 du décret n° 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux CAP, et l'article 26 de l'arrêté du 27 juin 2011 instituant les commissions consultatives paritaires à l'égard de certains agents non titulaires ;

- Mme H...I...était présente lors de la réunion du conseil de discipline bien que sa présence n'ait pas été mentionnée dans le procès-verbal ; sa présence, compte tenu de ses fonctions de chef de service, était un moyen d'intimidation pour contraindre les membres contractuels du conseil de voter en faveur de son licenciement ;

- M.G..., suppléant, ne pouvait lire le rapport disciplinaire dès lors que le quorum était atteint et qu'il ne remplaçait aucun membre de ce conseil ;

- la présence de ces deux personnes a pu avoir une influence sur le vote des membres du conseil et elles ne sauraient être regardées comme des experts alors au demeurant que l'intervention d'experts lors de ce conseil n'était pas prévue ;

- n'ayant jamais donné son accord à la présence de ces deux personnes, il a été privé de la garantie prévue par l'article 33 du décret du 28 mai 1982 et l'article 26 de l'arrêté du 27 juin 2011 tenant à ce que la séance ne soit pas ouverte au public ;

- il a aussi été privé de la garantie de discrétion professionnelle et du droit à la protection de sa vie privée, en violation de l'article 9 du code civil et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; en effet, lors de ce conseil, il a dû fournir des échanges de courriels avec son tuteur de stage dont le contenu présentait un caractère privé ;

- la procédure devant le conseil de discipline a méconnu les exigences de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison de la violation des principes d'impartialité, de l'égalité des armes, des droits de la défense et du droit à un procès équitable ;

- La retenue sur salaire qui lui a été infligée a méconnu le principe non bis in idem, l'article 1 147 du code civil et l'article 43 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 :

- la retenue illégale sur son salaire au mois de mars 2014 est une mesure punitive, prise en violation de la règle " non bis in idem " ;

- contrairement à ce qu'a relevé le tribunal, ce n'est pas au mois de février mais au mois de mars qu'il a été privé de son salaire ;

- en vertu de l'article 43 du décret du 17 janvier 1986, l'administration devait le rémunérer durant sa suspension ; sa rémunération n'a pas été suspendue le 27 janvier 2014, auquel cas, il n'aurait pu percevoir son salaire en février et mars 2014, mais pendant sa mise à pied, juste avant les oraux ; il s'agit d'une sanction disciplinaire déguisée ;

- sa mise à pied, qui a des conséquences financières, n'avait donc pas un caractère conservatoire mais disciplinaire ; cette requalification implique l'annulation de la mesure de licenciement ;

- ayant été sanctionné deux fois à raison des mêmes faits, il a droit à la réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans ses conditions d'existence ;

- les sanctions pécuniaires n'étant pas prévues par la fonction publique, les services du rectorat seront condamnés au paiement de l'amende prévue par l'article L. 1334-1 du code du travail ;

Sur l'utilisation de faux en écriture publique et la tentative d'escroquerie au jugement :

- le procès-verbal du conseil de discipline a omis des mentions essentielles tenant notamment à la présence de certaines personnes lors de ce conseil, lesquelles ne pouvait être considérées comme des experts ;

- l'administration est responsable d'une tentative d'escroquerie destinée à tromper les premiers juges ;

- les services académiques ont joint à leur mémoire en défense du 17 novembre 2014 un rapport mensonger du conseiller principal d'éducation du collège qui dit avoir reçu l'enfant à 13h30 alors que les pièces du dossier démontrent que ce dernier avait été autorisé à rentrer en cours à cette heure ;

- La sanction n'est pas justifiée :

- la sanction se fonde sur les éléments inexacts ainsi qu'un rapport qu'il a lui-même rédigé et que l'administration a obtenu de manière déloyale ;

- il n'a pas reçu le soutien de l'administration, et notamment pas celui de son tuteur ni du conseiller principal d'éducation, bien qu'il ait alerté l'administration et ses collègues des problèmes qu'il rencontrait ;

- il s'agissait de sa première expérience d'enseignement, pour laquelle il n'a bénéficié que d'une formation réduite ;

- il n'a offert des gains à ses élèves qu'en vue d'atténuer les tensions ; n'ayant plus supporté les insultes et diffamations à son encontre, il a fini par rétorquer en tenant des propos déplacés ; il n'a cependant fait l'objet d'aucune plainte ;

- la sanction est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation comme le révèle le fait que le conseil de discipline se soit prononcé en faveur d'un simple blâme ;

- il a fait l'objet d'accusations mensongères et gratuites, et a été sanctionné en raison de ses orientations sexuelles ;

- au moment des faits, il souffrait d'une dépression consécutive à la prise d'un médicament ; il a d'ailleurs rédigé le rapport dont se prévaut l'administration sous l'emprise de celui-ci ; or, les faits reprochés constitués de propos déplacés et de la somme de 50 euros donnée à un élève, étaient en rapport direct avec son état pathologique ; il ne pouvait donc être licencié pour faute ;

- son employeur s'est rendu coupable de discrimination en prononçant son licenciement, en méconnaissance du code du travail ;

- la lenteur de l'administration à produire un mémoire en défense révèle sa résistance abusive et sa réelle volonté de lui nuire ;

- sur les conclusions indemnitaires : ayant été illégalement évincé, il a droit à la réparation intégrale de ses préjudices ; Il a été victime d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse justifiant le versement d'indemnités pour licenciement abusif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2017, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête de M. D....

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- les mentions " sagace " permettaient de déterminer que le rapporteur public concluait à l'annulation de la décision de licenciement pour un motif de fond et faisait droit à sa demande indemnitaire ;

- bien qu'il n'y ait pas d'inventaire détaillé des pièces, celles-ci ayant toutes été communiquées au requérant, le jugement n'est pas entaché d'irrégularité ;

Sur la légalité de la décision de licenciement :

- M. D...ne saurait se prévaloir utilement des dispositions du code du travail ou de la jurisprudence de la Cour de cassation ;

- sa convocation à un entretien le 29 janvier 2014 ne portait pas sur une mesure de licenciement mais visait à " faire un point sur sa situation administrative " ;

- l'article 47 du décret du 17 janvier 1986 n'étant pas applicable aux mesures prononcées à titre disciplinaire, le moyen est inopérant ;

- il a pu consulter l'ensemble de son dossier en présence de son conseil le 21 mars 2014 et a pu prendre connaissance de l'ensemble des griefs formulés à son encontre et des pièces de son dossier avant la réunion de la commission consultative paritaire du 7 avril 2014 ;

- Mme I...n'a pas pris part aux débats et M. G...s'est borné à lire le rapport disciplinaire ; ils n'ont pas manifesté d'animosité personnelle et n'ont pu influencer, par leur seule présence, le sens du vote ; n'ayant pas participé au vote, ils n'avaient pas à être mentionnés sur le procès-verbal ; de même, le fait de s'être prévalu de ce PV taisant sur la présence de Mme I...n'est pas constitutif de l'infraction d'usage de faux en écriture publique et de tentative d'escroquerie au jugement ;

- la retenue sur salaire a fait rapidement l'objet d'une régularisation et ne saurait être assimilée à une sanction disciplinaire déguisée ; elle n'est pas intervenue en méconnaissance du principe non bis in idem ;

- la sanction n'est pas disproportionnée dès lors qu'il a commis des manquements graves à ses obligations professionnelles ; il a adopté un comportement ambigu à l'égard de jeunes élèves, en leur offrant des cadeaux ou de l'argent et a tenu des propos à caractère sexuel inappropriés avec des élèves de 6ème ;

Sur la légalité de l'arrêté du 21 mai 2014 :

- il n'emporte en lui-même aucun effet de droit sur la situation de M. D...et ne saurait être regardé comme lui faisant grief ; la demande tendant à l'annulation de cet arrêté est donc irrecevable ;

- en tout état de cause, le moyen tiré de l'incompétence de son signataire manque en fait ;

Sur les conclusions indemnitaires :

- la décision de licenciement étant légale, ses conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

Par ordonnance du 5 avril 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 12 juin 2017 à 12 heures.

M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 2 février 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. M. D...a été recruté par un contrat à durée déterminée pour la période du 1er septembre 2013 au 31 août 2014, afin d'exercer des fonctions de professeur de mathématiques au sein du collège Adam de Villiers de Saint-Pierre de La Réunion. Par décision du recteur de l'académie du 30 avril 2014, il a été licencié pour motif disciplinaire avec effet à la date de notification de cette décision, soit le 15 mai 2014. Un arrêté portant cessation de son contrat a ensuite été édicté le 21 mai 2014. M. D...doit être regardé comme ayant demandé au tribunal administratif de La Réunion, d'une part, d'annuler cette décision du 30 avril 2014 ainsi que l'arrêté du 21 mai 2014, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser diverses indemnités afin de réparer les conséquences de son licenciement qu'il estime illégal. M. D...relève appel du jugement du 12 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande et sollicite le versement d'indemnités pour un montant global de 280 491,05 euros.

Sur les conclusions du requérant tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Par une décision du 10 février 2016, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à M. D...le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, ses conclusions tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne (...) ".

4. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions de la partie réglementaire du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire. En revanche, s'il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, la communication de ces informations préalablement à l'audience n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. D...a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une demande tendant d'une part, à l'annulation des décisions ayant prononcé son licenciement pour motif disciplinaire et ayant mis un terme à son contrat, et d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser des indemnités en réparation, notamment, de ses préjudices financier et moral, et de ses troubles dans ses conditions d'existence. Cependant, le relevé de l'application " Sagace " révèle que le rapporteur public, avant la tenue de l'audience du tribunal, a porté à la connaissance des parties le sens des conclusions qu'il envisageait de prononcer dans les termes suivants " Condamnation ". Ainsi, la mention portée sur Sagace, qui ne permettait ni de connaître la position du rapporteur public sur la ou les décisions qu'il proposait d'annuler, ni s'il entendait proposer à la juridiction de donner satisfaction totalement ou partiellement au requérant, en indiquant alors le montant de l'indemnité qu'il proposait de lui allouer, ne satisfaisait pas aux prescriptions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen tiré de l'irrégularité du jugement, M. D...est fondé à soutenir que ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 12 novembre 2015 est entaché d'irrégularité et, par suite, à en demander l'annulation. Il y a lieu de statuer par voie d'évocation sur la demande présentée par M. D...devant le tribunal administratif.

Sur la légalité des décisions :

6. En premier lieu, aux termes de l'article 33 du décret n° 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires : " Les séances des commissions administratives ne sont pas publiques. ". En vertu de l'article 41 de ce même décret : " Les commissions administratives ne délibèrent valablement qu'à la condition d'observer les règles de constitution et de fonctionnement édictées par la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat et par le présent décret, ainsi que par le règlement intérieur (...). ". Selon l'article 19 de l'arrêté du 27 juin 2011 instituant les commissions consultatives paritaires à l'égard de certains agents non titulaires exerçant leurs fonctions au sein du ministère chargé de l'éducation nationale : " Les commissions consultatives paritaires sont obligatoirement consultées sur les décisions individuelles relatives aux licenciements intervenant postérieurement à la période d'essai et aux sanctions disciplinaires autres que l'avertissement et le blâme (...) ". En vertu de l'article 26 de cet arrêté : " Les séances des commissions consultatives paritaires ne sont pas publiques. ".

7. Il ressort de l'attestation du 23 juin 2015 rédigée par MeB..., l'avocat de M. D...devant le conseil de discipline, et dont le contenu n'est pas contesté par l'administration, que Mme H...I..., qui avait la qualité de chef de service pour l'affectation, le remplacement et la gestion des personnels non titulaires, était présente lors de la réunion du conseil de discipline. Contrairement à ce que soutient l'administration, cette dernière ne pouvait être regardée comme " expert ", une qualité qui, en tout état de cause, ne l'aurait pas autorisée à rester présente durant toute la durée de ce conseil de discipline. Ainsi, la présence continue de la chef de service, qui ne faisait pas légalement partie de cette commission administrative paritaire, a pu, compte tenu de ses fonctions, avoir une influence sur les positions prises par les membres de ce conseil et a ainsi privé M. D...de la garantie s'attachant à une consultation régulière de ce conseil.

Sur les conclusions indemnitaires :

8. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité.

9. En premier lieu, et d'une part, la décision de licenciement du 30 avril 2014 a été signée par le recteur de l'académie de La Réunion, conformément à l'article R. 222-25 du code de l'éducation. Le moyen tiré de l'incompétence de son signataire manque ainsi en fait. D'autre part, et à supposer même que M. G...n'aurait pas été compétent pour signer l'arrêté du 21 mai 2014 mettant un terme au contrat de travail de M.D..., cette décision devait être prise dès lors que son licenciement avait été précédemment prononcé.

10. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient M.D..., la retenue sur salaire au mois de février 2014 procède d'une simple erreur de l'administration, qui a d'ailleurs été rapidement régularisée, et non de la volonté de sanctionner l'intéressé. Par suite, la sanction en litige n'est pas intervenue en méconnaissance du principe " non bis in idem " interdisant de sanctionner un agent deux fois à raison des mêmes faits.

11. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la décision de licenciement en litige ait été prise en raison de l'orientation sexuelle de M.D.... Par suite, le détournement de pouvoir allégué par l'intéressé ne peut qu'être écarté.

12. En quatrième lieu, le licenciement de M. D...est motivé par le fait que ce dernier a eu un comportement déplacé avec ses élèves scolarisés au collège, en classe de 6ème. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier du rapport rédigé par le requérant lui-même et dans lequel il relate les incidents qui se sont déroulés depuis la rentrée scolaire de septembre 2014, que ce dernier a tenu des propos à connotation sexuelle durant ses cours, qu'il est entré dans le " jeu provocateur " initié par ses élèves en dessinant un sexe au tableau, et qu'il a remis à ceux-ci des cadeaux et même de l'argent afin d'asseoir son autorité. Le requérant fait valoir, pour justifier son comportement, que s'agissant de sa première expérience d'enseignement, il a rencontré des difficultés à se positionner, oscillant entre " autoritarisme " et un comportement trop familier avec ses élèves, et qu'il n'a pu compter sur le soutien de son tuteur pour mieux gérer cette situation. Cependant, il ressort des échanges de courriels versés au dossier qu'il a pu échanger régulièrement avec ce dernier, lequel lui a donné des conseils afin de remédier aux difficultés qu'il rencontrait. De même, s'il soutient que la classe qui lui a été confiée était excessivement difficile, il ne produit aucun élément à l'appui de cette allégation. Enfin, si l'intéressé fait valoir qu'il ne serait pas responsable de ses écarts de comportement, lesquels seraient liés à la prise d'un médicament destiné à lutter contre l'alopécie, il ne produit, en tout état de cause, aucun certificat médical attestant de ce qu'il prenait ce traitement médical durant la période considérée ni même qu'il aurait effectivement souffert d'une dépression consécutive à la prise de ce médicament. Dans ces conditions, les faits qui lui sont reprochés, dont la matérialité est établie par les pièces du dossier, sont des manquements graves aux obligations qui pèsent sur les enseignants, aussi bien vis-à-vis des élèves placés sous leur autorité, que vis-à-vis du service public dont ils doivent préserver la réputation. Eu égard à leur gravité, ces faits sont constitutifs d'une faute qui justifiait que soit prononcée, à l'encontre de M.D..., la sanction du licenciement.

13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 51 du décret du 26 janvier 1986 : " En cas de licenciement n'intervenant pas à titre de sanction disciplinaire, une indemnité de licenciement est versée : (...) 2° Aux agents engagés à terme fixe et licenciés avant ce terme (...). ". Ainsi qu'il a été dit au point 12, le licenciement de M. D...prononcé à titre de sanction disciplinaire étant justifié sur le fond, les dispositions précitées font obstacle à ce qu'il soit fait droit à sa demande tendant au versement d'une indemnité de licenciement d'un montant de 1345,30 euros.

14. En sixième lieu, M. D...n'est pas non plus fondé à demander l'octroi d'une indemnité compensatrice du non-respect de son préavis ni d'une indemnité de congés payés, dès lors que ces deux préjudices ne sont pas en lien direct avec l'irrégularité procédurale dont est entachée la décision de le licencier.

15. En septième lieu, en l'absence de service fait, un agent public ne peut prétendre au rappel des salaires qu'il aurait perçus s'il avait continué à exercer ses fonctions mais il est fondé à demander la réparation du préjudice qu'il a réellement subi du fait de la sanction disciplinaire prise à son encontre dans des conditions irrégulières. Il convient cependant, pour fixer l'indemnité à laquelle le requérant a droit, de tenir compte notamment de l'importance respective de l'irrégularité entachant les décisions annulées et des fautes relevées à la charge de M.D..., telles qu'elles résultent de l'instruction. Si, comme il a été dit au point 7, le licenciement de l'intéressé est entaché d'un vice de procédure, le conseil de discipline n'ayant pas régulièrement émis son avis, les fautes commises par l'intéressé justifiaient que soit édictée à son encontre la mesure de licenciement en litige. Par suite, M. D...n'est pas fondé, en l'espèce, à solliciter le versement d'une indemnité au titre des salaires dont il s'est trouvé privé à la suite de son licenciement.

16. En huitième lieu, la décision en litige ne reposant pas sur des faits matériellement inexacts ni n'étant entachée d'une erreur d'appréciation, M. D...n'est pas fondé à solliciter le versement d'une indemnité de 174 670 euros au motif qu'il aurait été licencié de manière abusive.

17. En neuvième et dernier lieu, M. D...sollicite le versement d'une indemnité de 97 500 euros au titre de ses troubles dans ses conditions d'existence, de son préjudice moral, de l'outrage qu'il a subi, de la diffamation visant son orientation sexuelle et de la dénonciation calomnieuse dont il a été victime. Cependant, et ainsi qu'il a été dit plus haut, il ne résulte pas de l'instruction que la décision en litige aurait été prise en raison de son orientation sexuelle ni même qu'il ait subi une quelconque forme d'outrage. En outre, s'il estime avoir été victime d'une dénonciation calomnieuse de l'un de ses élèves, ce fait ne saurait être imputé à l'administration. Dans ces conditions, et eu égard au fait que le licenciement prononcé à son encontre était justifié par les manquements de M. D...à ses obligations professionnelles, ce dernier n'est pas fondé à solliciter une indemnité en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans ses conditions d'existence.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. D...est seulement fondé à demander l'annulation des décisions des 30 avril et 21 mai 2014 et que ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de lui verser, sous astreinte, les indemnités qu'il a sollicitées ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat au paiement de l'amende prévue par l'article L. 1334-1 du code du travail :

19. Aux termes de l'article L. 1334-1 du code du travail : " Le fait d'infliger une amende ou une sanction pécuniaire en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1331-2 est puni d'une amende de 3750 euros. ". En vertu de ces dispositions : " Les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites (...)".

20. Ainsi qu'il a été dit plus haut, il ne ressort pas des pièces du dossier que la retenue sur salaire dont M. D...a fait l'objet en mars 2014 et qu'au demeurant, l'administration a régularisé rapidement, ait revêtu le caractère d'une sanction déguisée. Par suite, et en tout état de cause, M. D...n'est pas fondé à soutenir que le recteur d'académie aurait méconnu les dispositions précitées du code du travail prohibant les amendes ou autres sanctions pécuniaires. Les conclusions susvisées de M. D...ne peuvent dès lors, et en tout état de cause, qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

21. M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, sous réserve que Me Grenier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État, qui est dans la présente instance la partie perdante, la somme de 1000 euros à son profit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. D...tendant à son admission à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le jugement n° 1400743 du 12 novembre 2015 du tribunal administratif de La Réunion et les décisions des 30 avril et 21 mai 2014 sont annulés.

Article 3 : L'Etat versera à Me Grenier, avocat de M.D..., la somme de 1000 euros en application des dispositions des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Grenier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D...est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F...D..., au ministre de l'éducation nationale et à Me Grenier. Copie en sera adressée à la ministre des outre-mer et au préfet de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2018 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Sabrina Ladoire, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 22 février 2018.

Le rapporteur,

Sabrina E...Le président,

Aymard de MALAFOSSE Le greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

N° 16BX00135


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00135
Date de la décision : 22/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Agents contractuels et temporaires - Fin du contrat - Licenciement.

Procédure - Jugements - Tenue des audiences.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Sabrina LADOIRE
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : GRENIER

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-02-22;16bx00135 ?
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