Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler les arrêtés du 16 octobre 2017 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a décidé son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante cinq jours.
Par un jugement n° 1701444 du 20 octobre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 17 novembre 2017 et le 4 janvier 2018, M. B... C..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges du 20 octobre 2017 ;
2°) d'annuler les deux arrêtés du 16 octobre 2017 du préfet de la Haute-Vienne susmentionné ;
3°) de dire que la France est l'Etat responsable de sa demande d'asile en application du Règlement Dublin III ;
4°) d'ordonner la traduction du décret d'expulsion et de l'ordre de quitter le territoire émis par les autorités italiennes le 19 octobre 2017 et mandater à cet effet tel interprète assermenté qu'il lui plaira ;
5°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat, en application des dispositions combinées des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 200 euros à verser à son conseil, sous réserve que celui-ci renonce à la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
Sur la décision de transfert :
- cette décision méconnaît les articles 3 et 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dés lors que le risque qu'il subisse des traitements contraire à ces stipulations en cas de retour dans son pays d'origine doit être considéré comme crédible ;
- elle a été prise en violation des articles 3 et 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dés lors qu'en l'absence de toute garantie individuelle fournie par les autorités italiennes à l'administration française et de toute réponse à sa demande d'admission pour l'examen de sa demande d'asile, le risque qu'il soit, en cas de transfert vers l'Italie, exposé à des traitements inhumains et dégradants tant de par ses conditions de vie en Italie, compte tenu notamment de son état de santé, que de son exposition à un renvoi vers le Soudan sans que sa demande d'asile soit examinée, ne peut en aucun cas être écarté ;
- son renvoi vers l'Italie l'exposerait à des défaillances dans l'étude de sa demande d'asile et notamment à un renvoi vers le Soudan sans que sa demande d'asile ait été examinée en méconnaissance de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinée aux articles 3 et 5 de cette même convention ;
- la décision de transfert a été prise en méconnaissance de l'article 4 du protocole n° 4 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui prohibe les expulsions collectives ;
- la France doit être déclarée responsable de sa demande d'asile en application de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dit " Dublin III ".
Sur la décision d'assignation à résidence :
- elle est illégale compte tenue de l'illégalité de l'arrêté de transfert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2017 le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- au soutien de ses moyens tirés de la méconnaissance des articles 3, 4 du protocole n°4 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'appelant n'apporte aucun élément justifiant du fait qu'il serait personnellement soumis à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine ; il ne fait qu'évoquer la situation générale en Italie où les demandeurs d'asile affluent mais n'apporte aucun élément sur le fait que, personnellement, il ne serait pas traité dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile en cas de transfert en Italie, qui est un pays de l'Union Européenne, signataire de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et de la convention européenne des droits de l'homme ; il n'apporte par ailleurs aucun élément pour justifier qu'il est atteint d'une hépatite et que, si son état de santé nécessite des soins, ils ne pourraient pas se faire en Italie ;
- contrairement à ce que soutient l'intéressé, l'accord implicite des autorités italiennes ne renforce pas les incertitudes quant à leur capacité à l'accueillir, puisqu'il est prévu par l'article 22 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; aucun texte n'exige de l'Italie qu'elle fournisse aux autorités françaises des informations concernant la structure d'accueil du demandeur d'asile ;
- l'intéressé est célibataire, sans enfant et ne peut justifier de liens anciens, intenses et stables sur le territoire français ;
- la décision l'assignant à résidence n'est pas dépourvue de base légale en conséquence de l'absence d'illégalité de la décision de transfert.
M. C...été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 décembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole n°4 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dit " Dublin III ", établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats-membres par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison d'empreintes digitales aux fins de l'application effective du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Gil Cornevaux a été entendu au cours de l'audience publique :
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., ressortissant soudanais, né le 14 janvier 1995, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 10 février 2017. Il a sollicité l'asile le 20 mars 2017 auprès de la préfecture de la Haute-Vienne qui a procédé au relevé de ses empreintes digitales et établi que celles-ci avaient déjà été saisies le 5 février 2017 par les autorités italiennes. Le 21 mars 2017, le préfet de la Haute-Vienne a formé auprès des autorités italiennes une demande de transfert, sur le fondement de l'article 18.1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. A la suite de l'accord implicite rendu par lesdites autorités le 21 mai 2017, le préfet de la Haute-Vienne a, par deux arrêtés du 16 octobre 2017, prononcé, d'une part, son transfert vers l'Italie et, d'autre part, son assignation à résidence dans le département de la Haute-Vienne pour une durée de quarante-cinq jours. M. C...relève appel du jugement du 20 octobre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Par une décision du 7 décembre 2017, M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, sa demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle est devenue sans objet.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013: " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Il résulte des dispositions précitées que la présomption selon laquelle un Etat membre de l'Union européenne participant à la mise en oeuvre du règlement (UE) n°604/2013/UE du 26 juin 2013, respecte ses obligations découlant de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, peut être renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans cet Etat membre, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers.
4. D'une part, l'arrêté décidant la remise de M. C...aux autorités italiennes n'a pas pour objet de l'éloigner à destination du Soudan. Par suite, le moyen tiré de ce que ledit arrêté méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il risquerait d'encourir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine ne peut qu'être écarté. Il en va de même du moyen tiré de ce que cet arrêté méconnaitrait pour les mêmes raisons les stipulations de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. D'autre part, l'Italie est un membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit, dès lors, être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
6. M. C...soutient que son renvoi vers l'Italie l'exposerait d'une part à des défaillances dans l'étude de sa demande d'asile et notamment à un renvoi vers le Soudan sans que sa demande d'asile soit examinée et d'autre part à des conditions d'accueil et d'hébergement susceptibles de constituer des traitements inhumains ou dégradants. Il produit à l'appui de ses affirmations des rapports de l'organisation non gouvernementale Anmesty International, de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés, de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, une résolution du Parlement européen du 6 octobre 2016 sur le Soudan, un article d'Anmesty International et des articles de presse, décrivant les difficultés d'accueil des réfugiés dans ce pays. Toutefois ces documents à caractère général ne suffisent pas à établir l'existence en Italie de défaillances qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et qu'il risquerait d'être personnellement soumis à des traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans ce pays. En outre, si M. C...soutient qu'en cas de retour en Italie, il serait renvoyé au Soudan, en raison " d'accord bilatéraux " conclus avec ce pays en " aout 2016 ", il ne verse au dossier aucun élément permettant de regarder ces allégations sur l'éventualité d'un tel renvoi comme établies. La circonstance, à la supposée avérée, qu'un de ses compatriotes transféré aux autorités italiennes ait fait l'objet le jour même de son arrivée d'un décret d'expulsion sans que sa demande d'asile ait été examinée, ne permet pas d'établir qu'il serait personnellement exposé à un tel risque. Enfin en se bornant à alléguer souffrir d'une hépatite et avoir prochainement rendez vous au centre Hospitalier de Guéret pour la mise en place d'un traitement approprié, il n'établit pas que les soins qui seraient nécessaires à son état de santé ne pourraient être dispensés ou poursuivis en Italie. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 3 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ce qu'en application de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 la France doit être déclarée responsable de sa demande d'asile doivent être écartés.
7. En second lieu, si l'intéressé soutient qu'en l'absence d'accord explicite des autorités italiennes sur sa demande de reprise en charge, c'est à l'administration française qu'il incombe de s'assurer, que ces autorités fournissent des garanties individuelles permettant de s'assurer du respect de ses droits fondamentaux et de sa protection contre un risque de renvoi vers son pays d'origine sans examen sérieux de sa situation, toutefois et ainsi que l'a relevé à bon droit le premier juge, aucune stipulation ni aucun principe ne l'impose, alors que les stipulations du 7 de l'article 22 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoient que l'acceptation implicite d'une demande de prise en charge au titre de l'asile entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du protocole additionnel n°4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Les expulsions collectives d'étrangers sont interdites ". Ainsi le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations est inopérant à l'encontre d'une décision de remise à des autorités d'autres Etats membres de l'Union européenne, qui ne concerne qu'un seul individu. ".
9. En quatrième et dernier lieu, ainsi que l'a relevé le premier juge, M. C...ne peut utilement invoquer une méconnaissance des stipulations de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui garantit le droit à la liberté et à la sûreté dès lors que la décision de transfert contestée n'a ni pour objet ni pour effet de procéder à son arrestation ou à sa détention.
En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
10. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.-L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : / 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un État membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ".
11. Il résulte de ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de l'arrêté prononçant sa remise aux autorités italiennes à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision ordonnant son assignation à résidence.
12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner la traduction du décret d'expulsion et de l'ordre de quitter le territoire émis par les autorités italiennes le 19 octobre 2017, que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. C...tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : Le surplus de la requête de M. C...est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C...et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 22 janvier 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Gil Cornevaux, président assesseur,
M. Axel Basset, premier conseiller
Lu en audience publique, le 16 février 2018.
Le rapporteur,
Gil CornevauxLe président,
Pierre LarroumecLe greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
2
N° 17BX03588