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26/10/2017 | FRANCE | N°17BX01477

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 26 octobre 2017, 17BX01477


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F...E...a demandé au tribunal administratif de Limoges, sous le n° 1600607, d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a refusé de faire droit à sa demande d'admission au séjour, ainsi que la décision portant rejet de son recours gracieux et, " en tant que de besoin ", le rejet explicite intervenu le 21 juillet 2016 et sous le n° 1700024, d'annuler l'arrêté du 21 juillet 2016 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à qu

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F...E...a demandé au tribunal administratif de Limoges, sous le n° 1600607, d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a refusé de faire droit à sa demande d'admission au séjour, ainsi que la décision portant rejet de son recours gracieux et, " en tant que de besoin ", le rejet explicite intervenu le 21 juillet 2016 et sous le n° 1700024, d'annuler l'arrêté du 21 juillet 2016 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, ainsi que la décision portant rejet du recours gracieux qu'elle a exercé le 11 décembre 2015.

Par un jugement n° 1600607 et n° 1700024 du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Limoges a rejeté ses requêtes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires en production de pièces, enregistrés les 11, 15 et 30 mai 2017 et le 3 juillet 2017, et le 28 septembre 2017, MmeE..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 13 avril 2017 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté du 21 juillet 2016 portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français, ensemble le rejet de son recours gracieux ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour et de travail portant la mention " vie privée et familiale ", à défaut de réexaminer sa situation, sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant dire droit une expertise avec mission de déterminer la filiation paternelle ;

5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 920 euros au titre de la première instance et de 2 400 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de séjour est entachée d'un vice de forme dès lors que la commission du titre de séjour n'a pas été saisie pour avis ;

- elle a été prise en méconnaissance du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par le Préambule de la Constitution de 1946, l'article 23 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle a été prise en violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense et des pièces nouvelles, enregistrés les 8 juin et 27 septembre 2017, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête en soutenant que les moyens soulevés par Mme E...ne sont pas fondés.

Mme E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 juillet 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de MmeB...,

- les conclusions de M. Katz, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant MmeE....

Considérant ce qui suit :

1. Mme F...E..., née le 2 avril 1979, de nationalité congolaise, est entrée en France, selon ses déclarations, le 1er août 2013 accompagnée de son fils mineur, G..., né le 15 septembre 2010 au Congo. À la suite de la naissance,

le 2 mars 2014, à Limoges de son enfant Christ OlivierE..., reconnu par

M. A...D..., de nationalité française, elle a sollicité du préfet de la Haute-Vienne la délivrance d'un titre de séjour en qualité de mère d'un enfant français sur le fondement

du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 21 juillet 2016, le préfet de la Haute-Vienne a rejeté cette demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français. Mme E...relève appel du jugement

du 21 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de la Haute-Vienne avait refusé de faire droit à sa demande d'admission au séjour, ainsi que de la décision portant rejet de son recours gracieux, de l'arrêté du 21 juillet 2016 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, et de la décision portant rejet du recours gracieux qu'elle a exercé le 11 décembre 2015.

Sur le bien fondé du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) ".

3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement

du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. Pour rejeter la demande de délivrance de titre de séjour présentée par

Mme E...en qualité de mère d'un enfant français, le préfet de Haute-Vienne a estimé qu'un faisceau d'indices faisait apparaître que la reconnaissance de paternité par un ressortissant français de l'enfant Christ Olivier E...était de pure complaisance dans le but de permettre à la requérante d'obtenir un titre de séjour. Il ressort des pièces du dossier que cette dernière, entrée en France le 1er août 2013, y a donné naissance, le 2 mars 2014, à un enfant qui a été reconnu de façon anticipée par M. A...D..., de nationalité française, le 23 septembre 2013, avec lequel elle a indiqué, sans en établir la réalité, avoir eu une relation lors d'un voyage au Maroc. Lors de son audition le 9 mars 2015 par la police aux frontières, M. D... a déclaré avoir repris contact avec Mme E...en France au début de l'année 2013 et avoir été informé de sa grossesse au cours des mois d'avril ou mai 2013, soit plus de neuf mois avant la naissance de Christ Olivier et alors que Mme E...n'était pas encore sur le territoire. Il a ensuite déclaré, le 26 août 2015, à l'agent de police judiciaire, avoir revu l'intéressée en France durant l'été 2013 et avoir alors appris sa grossesse, qu'il aurait suivie jusqu'à la naissance de l'enfant à Limoges. L'appelante a, quant à elle, déclaré, le 8 septembre 2015, avoir appris qu'elle était enceinte à Saint-Brieuc, en septembre 2013, mais qu'elle ne l'aurait pas été à son entrée sur le territoire le 1er août précédent alors qu'une telle hypothèse apparait peu probable au regard de la date de naissance de l'enfant. Au surplus, il est constant que Mme E...et M. D...n'ont jamais partagé de communauté de vie. Eu égard aux incohérences et imprécisions dans les déclarations de M. D... et de Mme E...en ce qui concerne les périodes de leur relation intime et de la date et du lieu de conception de l'enfant, en estimant que la reconnaissance de paternité avait été souscrite de manière frauduleuse dans le but de faciliter l'obtention d'un titre de séjour, le préfet, à qui il appartenait de faire échec à cette fraude, n'a pas fait une inexacte application du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de délivrer à l'intéressée le titre de séjour qu'elle sollicitait sur ce fondement, alors même que son enfant bénéficie d'un certificat de nationalité française délivré le 17 avril 2014. Sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise en reconnaissance de paternité, le moyen devra être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département, est instituée une commission du titre de séjour(...) ". Et aux termes de l'article L. 312-2 de ce même code : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné aux articles L. 314-11 et L. 314-12, ainsi que dans le cas prévu à l'article L. 431-3. ".

6. Il résulte de l'article R. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le préfet n'est tenu de saisir la commission du titre de séjour, lorsqu'il envisage de refuser un titre de séjour mentionné à l'article L. 312-2 de ce même code, que du cas des étrangers qui remplissent effectivement l'ensemble des conditions de procédure et de fond auxquelles est subordonnée la délivrance d'un tel titre et non de celui de tous les étrangers qui se prévalent de ces dispositions. Mme E...n'étant pas, ainsi qu'il a été dit plus haut, au nombre des étrangers pouvant obtenir de plein droit un titre de séjour en application des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Haute-Vienne n'était pas tenu de soumettre son cas à la commission du titre de séjour préalablement à l'édiction de cet arrêté.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

8. Il ressort des pièces du dossier que MmeE..., entrée en France au mois d'août 2013 à l'âge de trente-quatre ans, qui ne partage pas de communauté de vie

avec M.D..., ne produit aucun document de nature à démontrer qu'elle aurait tissé des liens personnels et familiaux en France. Elle n'établit pas non plus, ni même n'allègue, qu'elle serait isolée en République démocratique du Congo où résident ses deux filles. Dans ces conditions, compte tenu de l'existence d'attaches familiales dans son pays d'origine, de la durée et des conditions de séjour en France de l'intéressée, la décision de refus de titre de séjour n'a pas porté au droit de Mme E...au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a donc pas méconnu les stipulations précitées. Cette décision n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'appelante.

9. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990, " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

10. Il ressort des pièces du dossier que le refus de séjour contesté n'a ni pour objet ni pour effet de séparer Mme E...et son fils, Christ Olivier, dont il n'est pas établi par les seules pièces produites qu'il entretiendrait depuis sa naissance une relation paternelle suivie avec M.D.... Le préfet n'a donc pas porté atteinte à l'intérêt supérieur de cet enfant. La circonstance que l'autre enfant de l'appelante soit scolarisé en France depuis 2013 en classe de maternelle, ne constitue pas un obstacle à la poursuite de sa scolarité dans le pays d'origine de sa mère dont il a également la nationalité. Dans ces conditions, et eu égard au jeune âge des enfants de l'intéressée, le préfet de la Haute-Vienne n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions en injonction et tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F...E...et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2017 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 octobre 2017

Le rapporteur,

Aurélie B...Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Vienne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 17BX01477


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX01477
Date de la décision : 26/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03-04 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour. Motifs.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Aurélie CHAUVIN
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : MALABRE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-10-26;17bx01477 ?
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