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02/10/2017 | FRANCE | N°15BX00583

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 02 octobre 2017, 15BX00583


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Etablissements Pierre Harinordoquy et Fils, a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite de rejet du 2 juillet 2011 par le préfet du Lot, de sa demande indemnitaire, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 59 939,98 euros, en réparation des préjudices résultant de la destruction, le 7 mars 2011, par des manifestants, d'un chargement de viande de porc congelée au péage de Gignac, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre d

e l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Etablissements Pierre Harinordoquy et Fils, a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite de rejet du 2 juillet 2011 par le préfet du Lot, de sa demande indemnitaire, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 59 939,98 euros, en réparation des préjudices résultant de la destruction, le 7 mars 2011, par des manifestants, d'un chargement de viande de porc congelée au péage de Gignac, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1103236 du 17 décembre 2014, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 février 2015, la société Etablissements Pierre Harinordoquy et Fils, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 17 décembre 2014 ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet du 2 juillet 2011 par le préfet du Lot, de sa demande indemnitaire ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 59 939,98 euros, en réparation des préjudices financier et commercial qu'elle a subis ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité de l'Etat du fait des attroupements ou rassemblements sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales est engagée à son égard, dès lors que dans la nuit du 7 au 8 mars 2011, le camion qu'elle avait affrété pour le transport d'une cargaison de viande de porc congelée, en provenance d'Espagne, a été intercepté au péage de l'autoroute A20 au niveau de Gignac (Lot) par une soixantaine de manifestants ; une partie de la cargaison a été déversée sur la chaussée et incendiée, tandis que la partie restante était arrosée de carburant, la rendant ainsi impropre à la consommation ; elle a porté plainte auprès du Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Cahors le 9 mars 2011 pour destruction ou détérioration du bien d'autrui commise en réunion, réprimée par les articles 322-1 et suivants du code pénal ;

- ces dégradations doivent être regardées comme ayant été commises par un attroupement ou un rassemblement au sens de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, étant imputables à une action spontanée et non préméditée, dans la mesure où il ressort du procès-verbal de gendarmerie, que les auteurs n'avaient pas eu l'intention initiale de détruire la cargaison ; le caractère prémédité de ces agissements, lequel au demeurant, n'est pas un obstacle à l'engagement de la responsabilité légale de l'Etat ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu notamment de ce que cette manifestation n'a pas été déclarée en préfecture ;

- la responsabilité de l'Etat est également engagée, dès lors que les forces de l'ordre, informées dès 22 heures de la manifestation et qui étaient présentes sur les lieux dès 22 heures 15, n'ont rien fait pour prévenir les troubles à l'ordre public qui se sont produits et n'ont pas procédé à des arrestations ni même à des contrôles d'identité ;

- elle a subi un préjudice financier important, compte tenu de la perte de sa marchandise d'une valeur de 48 426,40 euros T.T.C., auquel s'ajoute le coût, nécessaire, de la destruction de la viande s'élevant à 3 713,58 euros, ainsi que le coût du transport d'un montant de 1 400 euros ;

- elle a subi également un préjudice commercial lié à son image, pouvant être chiffré à 5 000 euros, du fait qu'elle n'a pu tenir ses engagements contractuels de livrer la cargaison de viande.

Par ordonnance du 30 octobre 2015, la clôture de l'instruction a été fixée au 2 décembre 2015.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur les moyens relevés d'office, tiré de l'irrecevabilité des moyens nouveaux présentés en appel reposant sur la faute commise par les services de police dans la prévention relevant de la police administrative et l'incompétence de la juridiction administrative pour connaitre de la faute relative à l'absence d'identification des auteurs des infractions, relevant de la police judiciaire.

Par un mémoire enregistré le 3 juillet 2017, la société Etablissements Pierre Harinordoquy et Fils, représentée par MeA..., a présenté des observations en réponse au moyen d'ordre public et soutient que concernant la recevabilité des conclusions présentées sur le fondement de la faute commise par les services de police administrative, elle avait bien évoqué ce fondement juridique dans sa requête de première instance, alors que par ailleurs, en ce qui concerne la compétence juridictionnelle relative à ses conclusions se rapportant à la responsabilité de l'Etat du fait de l'absence de recherche des auteurs des infractions, elle s'en remet à la sagesse de la cour.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pierre Bentolila, rapporteur ;

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public ;

- les observations de Me Mascureau, avocat de la Société Etablissements Pierre Harinordoquy Et Fils Sas.

Considérant ce qui suit :

1. La société Etablissements Pierre Harinordoquy et Fils, spécialisée dans le commerce de gros et semi gros de viandes a demandé, par courrier du 28 avril 2011 adressé au préfet du Lot le 2 mai 2011, réparation à l'Etat des préjudices financier et commercial subis du fait de la destruction de sa cargaison de viande de porc congelée dans la nuit du 7 au 8 mars 2011 au péage de Gignac (Lot) de l'autoroute A20. Une décision implicite de rejet est née le 2 juillet 2011 du silence gardé par le préfet sur cette demande. La société Etablissements Pierre Harinordoquy relève appel du jugement du 17 décembre 2014 du tribunal administratif de Toulouse, qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices subis.

Sur la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales alors applicable, désormais repris à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés (...) contre les biens ". L'application de ces dispositions est notamment subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés.

3. Il résulte de l'instruction, et en particulier de l'enquête préliminaire conduite par la gendarmerie, que, dans la soirée et la nuit du 7 au 8 mars 2011, une soixantaine de personnes, éleveurs de porcs, ont investi le péage de l'autoroute A20 à la suite d'un appel d'un syndicat agricole en vue d'une " action coup de poing " pour interpeller les pouvoirs publics sur la baisse du prix du porc payé aux agriculteurs et dénoncer l'importation massive de produits étrangers. Les manifestants ont le 7 mars 2011 à compter de 22 h 00, procédé à un contrôle du frêt des camions transportant de la viande, puis, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de synthèse établi par la gendarmerie, entre 22 h 50 et 23 h 05, deux camions transportant de la viande espagnole, dont l'un d'eux était affrété par la société requérante Etablissements Pierre Harinordoquy, ont fait l'objet d'une destruction de leurs cargaisons, les manifestants ayant en ce qui concerne le camion affrété par la société Harinordoquy déversé une partie de la cargaison sur la chaussée et l'ont incendiée, tandis que la partie restante a été aspergée de détergent et d'essence, et rendue impropre à la consommation. Il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal de synthèse que ces actions ont été commises par un groupe de manifestants dont certains étaient cagoulés et revêtus de tee-shirts portant les inscriptions " police de la viande " et " manger français manger VPF " et qui s'étaient rassemblés au péage où ils avaient laissé leurs voitures- dès 22 h00. Il résulte de ce qui précède, que l'action de détérioration volontaire de la cargaison dont a été victime la société requérante a été perpétrée par un groupe de personnes, de façon préparée et concertée, et non de façon spontanée, cette action ciblée s'inscrivant dans une action collective nationale destinée à défendre les revendications des éleveurs de porc français. Dans les circonstances dans lesquelles cette action a été commise, elle ne peut être regardée comme imputable à un attroupement ou à un rassemblement au sens des dispositions précitées de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales .Les conclusions présentées par la société Harinordoquy sur ce fondement ne peuvent dès lors qu'être rejetées.

Sur la responsabilité de l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police :

4. Si, devant la cour, la société Etablissements Pierre Harinordoquy invoque sur le fondement de la responsabilité pour faute, la faute qui aurait été commise par l'Etat dans ses missions de police administrative, du fait de la carence des services de police à prévenir et empêcher les agissements en cause, un tel moyen ainsi que les parties en ont été informées sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative par lettre du 28 juin 2017, repose sur une cause juridique nouvelle, dès lors qu'en première instance, la société, malgré ce qu'elle persiste à soutenir en appel, ne se prévalait que de l'article L. 2216-3 précité du code général des collectivités territoriales, qui relève d'un régime de responsabilité sans faute. Les conclusions présentées sur le fondement de la responsabilité pour faute de l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative, doivent donc être rejetés pour irrecevabilité.

5. Par ailleurs, ainsi que les parties en ont également été informées par la lettre du 28 juin 2017, le moyen invoqué en appel par la société requérante, tiré de la faute commise par les services de police du fait de l'absence d'identification des auteurs des infractions, renvoie à leurs missions de police judiciaire, dont le contentieux ne relève pas de la juridiction administrative.

6. Il résulte de ce qui précède que la société Etablissements Pierre Harinordoquy n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Etablissements Pierre Harinordoquy au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE

Article 1er : La requête de la société Etablissements Pierre Harinordoquy et Fils est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Etablissements Pierre Harinordoquy et Fils et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet du Lot.

Délibéré après l'audience du 4 septembre 2017 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Gil Cornevaux, président-assesseur,

M. Pierre Bentolila, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 2 octobre 2017.

Le rapporteur,

Pierre Bentolila

Le président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

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No 15BX00583


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité sans faute.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: M. Pierre BENTOLILA
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : CABINET LACHAUD MANDEVILLE COUTADEUR et ASSOCIES

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Date de la décision : 02/10/2017
Date de l'import : 10/10/2017

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 15BX00583
Numéro NOR : CETATEXT000035743426 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-10-02;15bx00583 ?
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