Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D...B...a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une somme de 53 800 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de sa contamination par le virus de l'hépatite C.
Par un jugement n° 1300074 en date du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 septembre 2015, Mme D...B..., représentée par MeE..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 juillet 2015 du tribunal administratif de Limoges ;
2°) de condamner l'ONIAM à lui verser une somme de 53 800 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de sa contamination par le virus de l'hépatite C, au besoin en recourant à une expertise afin de déterminer et d'obtenir l'ensemble des pièces détenues par l'Etablissement français du sang (EFS) et le centre hospitalier de Brive portant sur son hospitalisation en 1976 ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les éléments dont fait état le rapport d'expertise démontrent le lien de causalité entre la transfusion sanguine dont elle a fait l'objet lors de son accouchement en 1976 et sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
- le tribunal a retenu une date erronée du diagnostic de l'hépatite C ;
- la transfusion a eu lieu le 13 avril 1976 ; le tribunal ne pouvait donc tirer aucune conséquence de l'absence de mention sur le compte rendu opératoire du 12 avril 1976 ;
- les attestations de son médecin traitant doivent être pris en compte, même trente ans après, dès lors qu'il était déjà son médecin traitant en 1976 comme l'indique le cahier du bloc opératoire ; la durée de son hospitalisation concorde avec le fait qu'elle a eu des transfusions sanguines ;
- son dossier médical aurait été détruit, à tort, en 1988 ; le rapport d'expertise comporte des lacunes ; il y a lieu d'ordonner une expertise afin d'obtenir de l'EFS et du centre hospitalier les éléments de son dossier médical ou une attestation d'acte de transfusion au 13 mars 1976 et son hospitalisation en 1976 (par exemple carnet de bloc ou registre au 13 mars 1976 du service chirurgie, gynécologie et maternité) ;
- le préjudice qu'elle a subi au titre du déficit fonctionnel temporaire est évaluable à hauteur de 12 800 euros ;
- elle subit un déficit fonctionnel permanent, indemnisable à hauteur de 16 000 euros ;
- les souffrances endurées pourront également être indemnisées, à hauteur de 25 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2015, l'ONIAM, représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que la requête de Mme B...n'est pas fondée.
Par ordonnance du 5 décembre 2012, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 février 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Philippe Delvolvé ;
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;
- et les observations de MeE..., représentant MmeB..., et de
Me A..., représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., porteuse du virus de l'hépatite C, impute sa contamination à la transfusion sanguine qu'elle aurait reçue le 13 avril 1976, le lendemain de son accouchement par césarienne au centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde. Elle relève appel du jugement en date du 10 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à l'indemniser des préjudices subis du fait de cette contamination.
Sur la responsabilité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, qui en vertu de l'article 72 de cette loi est applicable aux actions juridictionnelles introduites à compter du 1er juin 2010 : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3122-2, au premier alinéa de l'article L. 3122-3 et à l'article L. 3122-4, à l'exception de la seconde phrase du premier alinéa ". Aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur (...) ".
3. La présomption légale prévue par les dispositions précitées ne concerne pas l'existence même de la transfusion. Il incombe donc au demandeur d'établir l'existence de la transfusion qu'il affirme avoir subie conformément aux règles de droit commun gouvernant la charge de la preuve devant le juge administratif. Cette preuve peut être apportée par tout moyen et est susceptible de résulter, notamment dans l'hypothèse où les archives de l'hôpital ou du centre de transfusion sanguine ont disparu, de témoignages et d'indices concordants dont il appartient au juge d'apprécier la valeur.
4. Mme B...soutient que sa contamination par le virus de l'hépatite C, diagnostiquée en 2002, et non en 2012 comme l'a relevé, à tort, le tribunal administratif de Limoges, serait imputable à la transfusion sanguine qu'elle aurait reçue le lendemain de son accouchement par césarienne le 12 avril 1976 au centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde, et qu'elle a développé les symptômes d'une hépatite dans les semaines qui ont suivi cette transfusion. Pour apporter la preuve de l'existence d'une telle transfusion, Mme B... ne dispose pas des archives de cet hôpital, détruites, ainsi que l'ont révélé les opérations d'expertise, en 1988. Elle produit, à l'appui de ses allégations, des attestations établies en 2009 et 2012 par son médecin traitant qui la suivait notamment en 1976 qui, s'il n'était pas présent au moment de l'accouchement et de ses suites au sein de l'hôpital, affirme sans aucun doute ni ambiguïté que l'intéressée a bien reçu une transfusion sanguine dont il précise la date exacte, soit
le 13 avril 1976. Aucun élément de l'instruction ne permet de mettre en doute ces attestations qui émanent du médecin traitant de Mme B... et engagent l'autorité médicale de ce dernier et qui sont de plus corroborés par les symptômes d'hépatite attestés par le même médecin. Dans ces conditions, Mme B... doit être regardée comme apportant des témoignages et indices concordants permettant d'établir la réalité de la transfusion sanguine qu'elle a subie
le 13 avril 1976.
5. La présomption de l'origine transfusionnelle d'une contamination par le virus de l'hépatite C prévue par les dispositions de l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 est constituée dès lors qu'un faisceau d'éléments confère à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l'ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance. Tel est normalement le cas lorsqu'il résulte de l'instruction que le demandeur s'est vu administrer, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l'innocuité n'a pas pu être établie, à moins que la date d'apparition des premiers symptômes de l'hépatite C ou de révélation de la séropositivité démontre que la contamination n'a pas pu se produire à l'occasion de l'administration de ces produits. Eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite au demandeur, la circonstance que l'intéressé a été exposé par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l'instruction que la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions.
6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme B...n'a pas adopté de comportement à risque. Si elle a subi un accouchement par césarienne et une opération d'extraction de dents de sagesse postérieurement à la transfusion sanguine de 1976, il n'est pas établi que de telles opérations auraient été réalisées dans des conditions présentant un facteur de risque particulier de contamination par le virus de l'hépatite C. Dans ces conditions, la requérante apporte des éléments suffisants permettant de présumer que sa contamination par le virus de l'hépatite C a pour origine la transfusion de 1976 qu'elle a subie au centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde. L'ONIAM doit donc être condamné à réparer les conséquences dommageables de cette contamination.
Sur les préjudices :
7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme B...est désormais guérie de son hépatite C et que son état de santé est consolidé depuis le 30 mars 2011. Le déficit fonctionnel permanent est évalué à 8 % compte tenu de l'hypothyroïdie nécessitant un traitement substitutif mais sans signe fonctionnel, et de la persistance du syndrome dépressif, des troubles mnésiques et vestibulaires. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 10 000 euros.
8. Mme B...a subi un déficit fonctionnel total pendant 16 mois, dont il sera fait une juste appréciation en allouant à la requérante une indemnisation à hauteur de 6 400 euros.
9. Au titre des souffrances subies par la requérante, évaluées à 2,5/7 il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM une indemnisation à hauteur de 2 500 euros.
10. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de Mme B...en lui allouant la somme de 1 100 euros à ce titre.
11. Il résulte de ce qui précède que les préjudices indemnisables subis par Mme B... s'élèvent à la somme totale de 20 000 euros.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Il y a lieu, sans qu'il soit besoin de recourir à une expertise, de condamner l'ONIAM à payer à Mme B... la somme de 20 000 euros en réparation de ses préjudices.
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de l'ONIAM au titre des frais exposés par Mme B...et non compris dans les dépens en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1300074 en date du 10 juillet 2015 du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : L'ONIAM est condamné à payer la somme de 20 000 euros à Mme B...en réparation des préjudices subis à l'occasion de sa contamination par le virus de l'hépatite C.
Article 3 : L'ONIAM versera à Mme B...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...B..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze. Une copie en sera adressée à
MmeC..., expert.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2017 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Gil Cornevaux, président-assesseur,
M. Philipe Delvolvé, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 juillet 2017.
Le rapporteur,
Philippe DelvolvéLe président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme,
Le greffier
Vanessa Beuzelin
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No15BX03066