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27/06/2017 | FRANCE | N°15BX03842

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 27 juin 2017, 15BX03842


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...D...a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier d'Angoulême à lui verser la somme de 92 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis en raison des fautes commises lors de l'intervention chirurgicale du 26 novembre 2007, somme majorée des intérêts de retard à compter du 17 avril 2009 et de la capitalisation des intérêts à compter de cette même date, ou à défaut, d'ordonner une expertise pour déterminer l'ensemble de ses préjudices.

Par

un jugement n°1300128 en date du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Poiti...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...D...a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier d'Angoulême à lui verser la somme de 92 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis en raison des fautes commises lors de l'intervention chirurgicale du 26 novembre 2007, somme majorée des intérêts de retard à compter du 17 avril 2009 et de la capitalisation des intérêts à compter de cette même date, ou à défaut, d'ordonner une expertise pour déterminer l'ensemble de ses préjudices.

Par un jugement n°1300128 en date du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2015, Mme C...D..., représentée par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement en date du 1er octobre 2015 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) à titre principal, de condamner le centre hospitalier d'Angoulême à lui verser la somme de 94 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis en raison des fautes commises lors de l'intervention chirurgicale du 26 novembre 2007, somme majorée des intérêts de retard à compter du 17 avril 2009 et de la capitalisation des intérêts à compter de cette même date ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise pour déterminer l'ensemble de ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Angoulême une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la plaie accidentelle de la vessie survenue lors de l'intervention relève d'un geste maladroit et non conforme aux règles de l'art et cet acte fautif engage la responsabilité de l'hôpital ;

- le centre hospitalier d'Angoulême n'apporte pas la preuve qui lui incombe qu'elle a été informée des lésions des organes voisins qu'elle encourait du fait de l'intervention et ce manquement engage sa responsabilité ; elle n'a pas pu se préparer au risque qui s'est réalisé ;

- elle demeure atteinte de troubles mictionnels qui n'existaient pas avant l'intervention ; elle n'a plus de pratique sexuelle en raison d'une dyspareunie d'intromission ;

- le centre hospitalier d'Angoulême doit être condamné à réparer ses préjudices qui s'élèvent à 8 000 euros s'agissant du déficit fonctionnel temporaire total et de la gêne dans les actes de la vie courante, à 5 000 euros s'agissant du déficit fonctionnel temporaire partiel, à 25 000 euros s'agissant des souffrances endurées, à 20 000 euros s'agissant du déficit fonctionnel permanent, à 8 000 euros s'agissant du préjudice d'agrément, à 6 000 euros s'agissant du préjudice esthétique, à 15 000 euros s'agissant du préjudice sexuel et à 7 000 euros s'agissant du préjudice moral ;

- une expertise complémentaire pourrait être réalisée pour déterminer l'étendue des préjudices et pouvoir apprécier la possibilité d'engager la solidarité nationale.

Par un mémoire, enregistré le 1er décembre 2016, le centre hospitalier d'Angoulême et la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM), représentés par MeB..., concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

- leur responsabilité ne saurait être engagée du fait d'un accident médical ;

- ils apportent la preuve que le devoir d'information du centre hospitalier a été rempli ;

- en tout état de cause, Mme D...ne pouvait, en raison de la nécessité impérative d'un geste invasif, se soustraire au risque qui s'est réalisé.

La clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 19 janvier 2017 par une ordonnance du 2 décembre 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Philippe Delvolvé ;

- et les conclusions de M. David Katz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. MmeD..., qui avait alors 36 ans, a subi le 26 novembre 2007 une hystérectomie pratiquée par un chirurgien gynécologue du centre hospitalier d'Angoulême, intervention au cours de laquelle est survenue une plaie de la vessie qui a nécessité des soins dispensés par un urologue de cet établissement puis une nouvelle intervention le 21 mars 2008 pour la fermeture de la fistule vésico-vaginale qui a été réalisée au centre clinical de Soyaux. Après avoir vainement saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Poitou-Charentes qui s'est déclarée incompétente le 7 janvier 2010 et qui a dressé le 5 octobre 2011 le constat de l'échec de sa tentative de conciliation avec le centre hospitalier d'Angoulême, Mme D...a sollicité la condamnation de cet établissement à lui verser la somme de 92 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des fautes commises lors de l'intervention chirurgicale du 26 novembre 2007. Elle relève appel du jugement date du 1er octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du docteur Fiquet diligenté par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Poitou-Charentes qu'au cours de la réalisation de l'hystérectomie par voie vaginale du 26 novembre 2007 pour laquelle le chirurgien gynécologue du centre hospitalier d'Angoulême a utilisé une méthode classique et standardisée dans sa progression, une plaie vésicale au niveau de la base de l'organe est survenue lors du décollement obligatoire entre vessie et utérus. Si l'expert impute cette lésion vésicale à un geste maladroit du chirurgien, il résulte toutefois de l'instruction qu'elle constitue une complication connue dans ce type d'opération qui survient chez 0,2 à 0,9% des patientes malgré l'observance de bonnes pratiques et que cette déchirure a été immédiatement repérée et prise en charge par un urologue dans les règles de l'art. Dès lors, et ainsi que l'ont retenu, à juste titre, les premiers juges, cette lésion peut être qualifiée, compte tenu de ce qui précède, d'aléa thérapeutique, exclusif de toute faute. Dans ces conditions, la responsabilité pour faute du centre hospitalier d'Angoulême ne saurait être engagée en raison de la survenue de cette lésion.

4. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ". En application de ces dispositions, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. Il suit de là que la circonstance qu'un risque de décès ou d'invalidité répertorié dans la littérature médicale ne se réalise qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de le porter à la connaissance du patient. Toutefois, en cas d'accident, le juge qui constate que le patient n'avait pas été informé du risque grave qui s'est réalisé doit notamment tenir compte, le cas échéant, du caractère exceptionnel de ce risque, ainsi que de l'information relative à des risques de gravité comparable qui a pu être dispensée à l'intéressé, pour déterminer la perte de chance qu'il a subie d'éviter l'accident en refusant l'accomplissement de l'acte.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le chirurgien gynécologue du centre hospitalier d'Angoulême a proposé à MmeD..., lors de la consultation du 25 octobre 2007, deux options thérapeutiques en lui présentant les bénéfices et risques inhérents à chaque intervention. Cependant, il n'est pas établi qu'elle ait été informée, préalablement à son opération, des risques connus de complications dont elle a été victime qui, bien que survenant très rarement, présentent un degré de gravité suffisant et auraient dû, dès lors, être portées à la connaissance de Mme D..., quand bien même son état de santé nécessitait la réalisation d'un geste invasif, dès lors que l'absence d'un tel geste n'aurait pas eu des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dans ces conditions, la requérante est fondée à soutenir l'existence d'un manquement à l'obligation d'information de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier d'Angoulême.

6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme D...présentait des règles très abondantes accompagnées d'une anémie en raison d'un utérus fibromateux, que l'opération d'hystérectomie était conforme aux données de la science médicale et que la plaie de la vessie survient entre 0,2 et 0,9 % des cas. Dans ces circonstances, et compte tenu de l'état de santé antérieur de MmeD..., la perte de chance qu'avait cette dernière de se soustraire au risque qui s'est réalisé si l'information de la survenance de ce dernier lui avait été délivrée, doit être fixée à 10 %.

Sur les préjudices :

7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme D...a été hospitalisée du 25 novembre au 5 décembre 2007, puis du 7 au 8 janvier 2008 et

du 21 mars au 7 avril 2008. Elle a subi un déficit fonctionnel temporaire évalué à 35 % entre ces hospitalisations, et de 15 % à compter du 8 avril 2008 jusqu'au 30 juin 2008, date de la consolidation de son état. Il sera fait une juste appréciation de ces troubles dans les conditions de l'existence en les évaluant à la somme de 2 000 euros.

8. Mme D...demeure atteinte d'un déficit fonctionnel permanent

évalué à 10 %. Compte tenu de son âge, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 14 000 euros.

9. La requérante a enduré des souffrances physiques évaluées à 4,5/7 qui feront l'objet d'une juste appréciation en étant évaluées à la somme de 10 000 euros.

10. Mme D...justifie d'un préjudice esthétique qui doit être évalué à la somme de 3 000 euros, et d'un préjudice sexuel évalué à 1 000 euros.

11. Il résulte de ce qui précède que l'ensemble des préjudices nés des conséquences directes de l'opération subie par Mme D...s'élèvent à la somme de 30 000 euros. Compte tenu de la perte de chance de 10 % évoquée au point 6, le centre hospitalier d'Angoulême doit être condamné à payer la somme de 3 000 euros à MmeD....

12. Mme D...justifie, en outre, d'un préjudice moral d'impréparation à la survenance de l'aléa thérapeutique dont elle a été victime qui peut être évalué à la somme de 1 000 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Il y a lieu, eu égard à ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner la réalisation d'une nouvelle expertise, de condamner le centre hospitalier d'Angoulême à payer à la requérante la somme totale de 4 000 euros.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

14. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts de retard courent à compter de la réception par la partie débitrice de la réclamation de la somme principale. Mme D...a droit aux intérêts légaux afférents aux intérêts échus à compter de la réception de sa demande par l'administration, soit le 17 avril 2009.

15. Aux termes de l'article 1343-2 du code civil : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise ". Pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. Mme D...a demandé, pour la première fois, la capitalisation des intérêts dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal administratif de Poitiers

le 21 janvier 2013. Cette demande prend donc effet à compter de cette date. Il y a lieu, par suite, de faire droit à cette demande à cette date et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 500 euros à la charge du centre hospitalier d'Angoulême au titre des frais d'instance exposés

par Mme D...et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n°1300128 en date du 1er octobre 2015 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier d'Angoulême est condamné à payer à Mme D...la somme de 4 000 euros en réparation de ses préjudices, cette somme étant assortie des intérêts légaux à compter du 17 avril 2009. Les intérêts échus le 21 janvier 2013 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Le centre hospitalier d'Angoulême versera à Mme D...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...D..., au régime social des indépendants de Poitou-charentes, au centre hospitalier d'Angoulême et à la société hospitalière d'assurance mutuelle.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Gil Cornevaux, président-assesseur,

M. Philippe Delvolvé, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 juin 2017.

Le rapporteur,

Philippe DelvolvéLe président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme,

Le greffier

Vanessa Beuzelin

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No 15BX03842


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX03842
Date de la décision : 27/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité sans faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Philippe DELVOLVÉ
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-06-27;15bx03842 ?
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