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16/05/2017 | FRANCE | N°15BX00766

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 16 mai 2017, 15BX00766


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...D...a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier universitaire de Poitiers à lui verser la somme de 86 675,62 euros en réparation de l'intégralité des préjudices que lui ont causés les fautes commises par le centre hospitalier lors de sa prise en charge pour une opération d'un hallux valgus gauche à l'orteil, à lui verser des intérêts de retard à compter du 6 février 2012 et les intérêts capitalisés à compter du 21 août 2012, de mettre à la charge d

u centre hospitalier universitaire de Poitiers les frais d'expertise et la somme d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...D...a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier universitaire de Poitiers à lui verser la somme de 86 675,62 euros en réparation de l'intégralité des préjudices que lui ont causés les fautes commises par le centre hospitalier lors de sa prise en charge pour une opération d'un hallux valgus gauche à l'orteil, à lui verser des intérêts de retard à compter du 6 février 2012 et les intérêts capitalisés à compter du 21 août 2012, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Poitiers les frais d'expertise et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier universitaire de Poitiers à lui verser la somme de 7 129,70 euros en remboursement de ses débours et du coût des prestations à venir en cas de nouvelle chirurgie, la somme de 997 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'ordonnance du 24 janvier 1996 et la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1202121 du 21 janvier 2015, le tribunal administratif de Poitiers a condamné le centre hospitalier universitaire de Poitiers à verser à Mme D...une somme totale de 22 049 euros, sous déduction des provisions de 6 000 euros et de 8 000 euros qui lui ont respectivement été allouées par ordonnances des 18 février 2011 et 12 octobre 2012 du juge des référés, et a jugé que les intérêts seront calculés à compter du 7 février 2012 sur la somme de 16 049 euros, puis, à compter du versement de la seconde provision, d'un montant de 8 000 euros, sur la somme résiduelle et que les intérêts échus le 21 août 2013 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Le tribunal administratif de Poitiers a en outre condamné le centre hospitalier universitaire de Poitiers à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne une somme de 5 098,21 euros en remboursement de ses débours et une somme de 997 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Il a par ailleurs rejeté le surplus des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne et du centre hospitalier universitaire de Poitiers, à la charge définitive duquel ont été mis les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme totale de 1 190,72 euros et une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au bénéfice de Mme D....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 mars 2015, MmeD..., représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Poitiers en ce qu'il a reconnu le centre hospitalier universitaire de Poitiers intégralement responsable des préjudices qu'elle a subis ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Poitiers à lui verser la somme totale de 99 135,80 euros, sous déduction des provisions versées pour un montant de 14 000 euros ;

3°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Poitiers en ce qu'il a décidé que les sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable d'indemnité, soit le 6 février 2012, et en ce qu'il a ordonné la capitalisation à compter du 21 août 2013 ;

4°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Poitiers en ce qu'il a mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Poitiers les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 190,72 euros ;

5°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Poitiers la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

6°) de déclarer la décision à intervenir commune et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne.

Elle soutient que :

- le centre hospitalier universitaire de Poitiers a commis une insuffisance technique qui s'est traduite par un décalage de l'épiphyse distale gauche, ce qui constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement de santé ;

- les séquelles subies étaient directement et quasi intégralement en rapport avec l'insuffisance technique ;

- le centre hospitalier universitaire de Poitiers est responsable d'une perte de chance d'amélioration de son état dans la mesure où l'intervention en vue de réparer la faute commise a été pratiquée trop tardivement comme le relèvent les expertises ;

- la première faute du centre hospitalier universitaire de Poitiers est déterminante, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'appliquer un taux de perte de chance pour l'indemnisation des préjudices ;

- le taux de perte de chance avancé par le centre hospitalier universitaire de Poitiers n'est pas fondé alors que la première faute a entraîné l'ensemble des préjudices et que la seconde n'a simplement pas permis de les diminuer ;

- il convient de lui allouer la somme de 3 495,58 euros au titre des dépenses de santé pour l'achat de deux paires de semelles orthopédiques ;

- son mari assure désormais l'entretien du foyer et des espaces verts à raison de 2 heures par semaine de sorte que cette assistance par une tierce personne doit être indemnisée ;

- le tribunal administratif a méconnu son office en refusant d'indemniser l'assistance par une tierce personne au motif que l'expert n'a pas évalué le temps consacré par M. D...alors qu'il lui appartenait de fixer lui-même le besoin en termes d'assistance ;

- elle pouvait prétendre à la somme de 6 849,32 euros au titre de l'assistance par une tierce personne entre la date de consolidation, le 1er septembre 2011, et le 31 décembre 2015 ;

- elle peut prétendre à la somme de 35 943,40 euros au titre de l'assistance par une tierce personne à compter du 1er janvier 2016 ;

- son travail en tant qu'employée polyvalente dans un restaurant scolaire nécessite de nombreux déplacements ainsi que l'adoption d'une posture en station debout constante, ce que la faute initiale du centre hospitalier de Poitiers a rendu plus pénible et plus fatiguant, comme en attestent son mari et son employeur ;

- la double erreur médicale qu'elle a subie est à l'origine de difficultés dans son travail et de sa dévalorisation sur le marché du travail ;

- l'incidence professionnelle des fautes commises par le centre hospitalier de Poitiers peut être évaluée forfaitairement à la somme de 9 000 euros, nonobstant le fait qu'elle a conservé son emploi ;

- elle a connu trois périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel selon le rapport d'expertise judiciaire du 16 juin 2007 au 4 juillet 2007, du 7 juillet 2007 au 26 août 2007 et du 5 octobre 2010 au 10 décembre 2010, soit 4,5 mois ;

- son déficit fonctionnel temporaire partiel pendant ces 4,5 mois peut raisonnablement être évalué à 50 % et justifie que lui soit allouée la somme de 1 552,50 euros ;

- exclusion faite des périodes précitées, elle a également subi une période de déficit fonctionnel temporaire partiel de 45 mois entre les périodes d'incapacité temporaire partielle et la consolidation, caractérisé par des raideurs et des douleurs du gros orteil ainsi que des douleurs de hanche ;

- ce second déficit fonctionnel temporaire partiel peut être évalué à 10 % et justifie que lui soit allouée la somme de 4 657,50 euros ;

- l'importance des souffrances tant psychiques que physiques qu'elle a endurées et qui ont été évaluées à 4 sur une échelle de 7 justifie que lui soit allouée la somme de 10 000 euros ;

- sa boiterie, eu égard à sa démarche anormale, donne lieu à un préjudice esthétique que l'expert judiciaire a estimé de l'ordre de 1,5/7 et qui justifie que lui soit allouée la somme de 2 250 euros ;

- la persistance d'une gêne fonctionnelle à la marche plus marquée du côté gauche en raison d'une raideur et d'une douleur du premier orteil gauche a permis à l'expert judiciaire d'évaluer à 7 % son incapacité permanente, de sorte que son indemnisation ne peut être inférieure à 9 940 euros ;

- ses pratiques sportives habituelles, à savoir la course deux fois par semaine sur 10 km, le footing deux fois 1 heure par semaine, la randonnée et le vélo, et le jardinage lui sont désormais impossibles en raison des séquelles de l'intervention, ce qui justifie que lui soit allouée la somme de 7 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

- à cause de la tardiveté de l'intervention destinée à réparer la faute initiale, elle a subi un préjudice moral important du fait de la perte de chance de voir son état s'améliorer, préjudice qu'il convient d'indemniser à hauteur de 10 000 euros ;

- il serait particulièrement inéquitable de laisser à sa charge les frais exposés par elle pour faire valoir ses droits alors que la saisine de la juridiction administrative est exclusivement liée à la position du centre hospitalier universitaire de Poitiers, à la charge duquel il convient de mettre 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par deux mémoires enregistrés les 30 mars 2015 et 19 janvier 2016, la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Poitiers à lui verser la somme de 6 123,66 euros ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Poitiers à lui rembourser les prestations à venir en cas de nouvelle intervention ;

3°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Poitiers à lui verser la somme de 997 euros en application des articles 9 et 10 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 ;

4°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Poitiers à lui verser la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les rapports d'expertise montrent que les soins nécessaires et imputables à l'erreur médicale se sont échelonnés entre avril 2007 et décembre 2010.

Par un mémoire enregistré le 23 février 2016, le centre hospitalier régional universitaire de Poitiers, représenté par MeE..., conclut au rejet des conclusions présentées par Mme D... et par la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne et, par la voie de l'appel incident, à la diminution de l'indemnité allouée en réparation des souffrances endurées par MmeD....

Il fait valoir que :

- le jugement du tribunal administratif a bien pris en considération le coût d'achat de deux paires de semelles orthopédiques ;

- l'expert ne se réfère qu'à une aide ponctuelle du mari de la requérante, ce qui correspond à son incapacité très modérée ;

- la raideur et la douleur ressentie par la requérante au niveau du premier orteil gauche ainsi que la marche sur le bord latéral du pied ne l'empêche pas d'accomplir des tâches élémentaires de la vie et, notamment, des tâches ménagères, de sorte que l'assistance d'une tierce personne ne se justifie pas ;

- en l'absence d'observation des experts indiquant le nombre d'heures d'assistance nécessaires, la demande d'indemnisation ne peut être prise en considération ;

- la requérante n'établit pas que le tribunal administratif ait fait une évaluation insuffisante de l'incidence professionnelle de la première intervention alors que les séquelles dont elle souffre sont très modérées et l'existence de douleurs ne reposent que sur ses affirmations et de personnes proches d'elles ;

- il n'est pas établi que les séquelles dont souffre la requérante sont permanentes et l'expert note qu'elles sont seulement susceptibles d'avoir une incidence sur les conditions d'exercice de la profession ;

- les périodes d'incapacité temporaire totale sont au maximum de trois jours ;

- l'expert n'a pas tenu compte de ce qu'une intervention visant à corriger un hallux valgus entraîne nécessairement des périodes d'incapacité temporaire partielle même lorsqu'il n'y a pas de complication, de sorte que, l'incapacité temporaire partielle subie par la requérante du 16 juin au 4 juillet 2007 n'est pas imputable à une faute de l'hôpital ;

- l'expert n'a pas relevé de période d'incapacité temporaire partielle entre le 10 décembre 2010 et la consolidation ;

- l'expert n'a pas tenu compte, pour l'évaluation des souffrances endurées par la requérante, des souffrances induites par toute intervention sur un hallux valgus en l'absence de complication, si bien que les symptômes qu'il décrit sont insuffisants pour justifier un taux de 4/7 ;

- le préjudice esthétique de la requérante ne justifie pas l'octroi d'une indemnité supérieure à 2 000 euros, somme allouée par le tribunal administratif ;

- la fixation à 8 000 euros de l'indemnité au titre de l'incapacité permanente partielle, fixée au taux de 7 %, est justifiée ;

- la demande tendant à l'augmentation de l'indemnité de 1 000 euros allouée par le tribunal administratif doit être rejetée dans la mesure où les attestations émanant de proches de la requérante ne permettent pas d'établir que celle-ci pratiquait la course, le footing, le vélo ou la randonnée de façon régulière et dans la mesure où il est incertain que les séquelles dont souffre la requérante l'empêche de pratiquer le vélo et le jardinage ;

- il n'est pas certain que l'état de la requérante est insusceptible d'amélioration de sorte qu'il n'y a pas lieu de l'indemniser d'une perte de chance de voir son état s'améliorer ;

- les souffrances morales liées à la perte de chance par la requérante de voir son état s'améliorer ont déjà été indemnisées au titre des souffrances endurées puisque les souffrances physiques et morales endurées constituent un même poste de préjudice ;

- la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne, se bornant à reprendre son argumentation de première instance et à se référer aux mêmes pièces, n'établit pas que les motifs pris par le tribunal administratif pour diminuer ses prétentions seraient erronés.

Par une ordonnance du 18 janvier 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 mars 2016 à midi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Elisabeth Jayat, rapporteur ;

- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;

- et les observations de Me C...représentant la CPAM de la Vienne.

Considérant ce qui suit :

1. Le 4 janvier 2007, Mme A...D..., alors âgée de 54 ans, a subi une intervention au centre hospitalier universitaire de Poitiers afin de corriger un hallux valgus à un orteil du pied gauche. Les radiographies post opératoires montraient une " marche d'escalier " articulaire au niveau de la première articulation métatarsophalangienne gauche. Deux nouvelles interventions, réalisées les 5 juillet 2007 puis 4 octobre 2010 au centre hospitalier ont permis de supprimer la " marche d'escalier " mais Mme D...est restée atteinte d'une nette diminution de la mobilité du premier orteil avec une tendance à l'hyperextension, accompagnée de douleurs. Mme D... relève appel du jugement du 21 janvier 2015 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a condamné le centre hospitalier de Poitiers à lui verser une somme limitée à 22 049 euros en réparation de l'ensemble des préjudices qu'elle a subis et une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne conteste également le jugement en tant qu'il a condamné le centre hospitalier à lui verser une somme de 5 098,21 euros seulement en remboursement de ses débours et une somme de 997 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Le centre hospitalier universitaire de Poitiers conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à la réduction de l'indemnité allouée à MmeD....

2. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport des expertises ordonnées en première instance, qu'ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, la " marche d'escalier " articulaire dont Mme D...a souffert après l'intervention chirurgicale du 4 janvier 2007 a pour origine une insuffisance technique lors de l'intervention, constitutive d'une faute médicale engageant la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Poitiers en application du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, ce qui n'est d'ailleurs plus contesté en appel. Il résulte également de l'instruction et notamment des rapports d'expertise, que malgré les douleurs dont s'est plainte MmeD..., malgré la raideur de l'orteil constatée dès la consultation post-opératoire du 5 février 2007 et malgré des radiographies montrant la " marche d'escalier " articulaire au niveau du gros orteil gauche, le cal vicieux articulaire, qui justifiait une reprise chirurgicale rapide, " dans les jours suivants ", selon l'expert, n'a été pris en compte que lors de la consultation du 16 avril 2007, où une nouvelle intervention a été proposée pour le 5 juillet 2007. Si cette deuxième intervention a permis une diminution temporaire des douleurs, elle n'a en revanche pas amélioré la mobilité de l'orteil, dès lors qu'elle n'a été réalisée qu'après consolidation des ostéotomies. Il résulte de l'instruction que ce retard de prise en charge constitue une faute médicale ayant entrainé pour Mme D...une perte de chance d'amélioration de son état de santé lié à la faute technique initiale.

Sur les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des dépenses de santé :

3. Il résulte de l'instruction, et notamment des expertises judiciaires, que les gênes et les douleurs dont souffre la requérante rendent nécessaire le port de semelles orthopédiques. Un courrier du 21 octobre 2011, de l'expert désigné par le tribunal, indique qu'il lui paraît justifié de prendre en charge une paire de semelles pour les chaussures de travail et une paire de semelles pour les chaussures de ville, " à raison d'une paire de semelles par an ". Mme D...produit par ailleurs une feuille de remboursement de frais de santé sur laquelle est indiqué un coût de 84 euros pour " 2 x SO ". En admettant que ce dernier document porte sur le coût d'une paire de semelles orthopédiques et non sur le coût de deux paires de semelles, la requérante, qui exerçait l'activité d'agent de service dans la restauration scolaire, n'apporte aucune précision concernant sa situation au regard de ses droits à la retraite et, par suite, la nécessité de disposer de semelles pour des chaussures de travail sur une longue période. Dans ces conditions, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante des frais futurs liés au port de semelles orthopédiques en allouant à MmeD..., âgée de 61 ans au jour du jugement du tribunal, une somme de 1 549 euros, correspondant à des frais annuels de 84 euros, compte tenu du prix de l'euro de rente viagère de 18,442.

4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'état récapitulatif de ses débours produit par la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne, accompagné d'une attestation d'imputabilité à la complication subie, établie par le médecin-conseil de la caisse, que les soins médicaux, paramédicaux et pharmaceutiques remboursés par la caisse pour un total de 1 623,52 euros ont été rendus nécessaires par la faute commise par le centre hospitalier universitaire de Poitiers lors de la première intervention subie par MmeD.... La circonstance qu'une partie de ces frais a été exposée en dehors des périodes de déficit fonctionnel subies par la victime n'est pas de nature à faire obstacle à l'imputabilité de cette partie des frais exposés à la faute médicale commise. Il est par ailleurs constant que la caisse primaire d'assurance maladie a pris en charge des frais d'hospitalisation de son assurée liés aux interventions chirurgicales des 5 juillet 2007 et 4 octobre 2010 pour un montant de 1880,47 euros. Par suite, la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu, s'agissant des dépenses de santé exposées par elle, une somme inférieure à 3 503,99 euros et à demander la réformation du jugement sur ce point. En l'absence d'éléments de l'instruction permettant d'estimer qu'une nouvelle intervention chirurgicale serait nécessaire, elle n'est, en revanche, pas fondée à demander l'indemnisation des frais futurs qu'elle serait amenée à exposer en cas de nouvelle intervention.

S'agissant des pertes de revenus :

5. Il résulte de l'instruction et il n'est d'ailleurs pas contesté que la caisse primaire d'assurance maladie a versé à Mme D...des indemnités journalières imputables à la complication subie, pour un montant de 2 619,67 euros.

S'agissant de l'incidence professionnelle :

6. Il résulte de l'instruction, et notamment des expertises judiciaires, que les séquelles dont souffre la requérante sont susceptibles d'avoir une incidence professionnelle avec une augmentation de la pénibilité eu égard à son activité d'employé polyvalente dans un restaurant scolaire. Compte tenu de la station debout constante requise dans le cadre de cette activité et des gênes et des douleurs que présente la requérante, mais eu égard à l'âge de la requérante, susceptible de faire valoir dans un proche avenir ses droits à la retraite, le tribunal administratif de Poitiers a fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en condamnant le centre hospitalier à verser à Mme D... la somme de 2 000 euros à ce titre.

S'agissant des frais liés à l'assistance d'une tierce personne non qualifiée :

7. Si la circonstance que l'assistance est assurée par un membre de la famille est, par elle-même, sans incidence sur le droit de la victime à en être indemnisée, le préjudice lié à la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne doit néanmoins être établi. En l'espèce, l'expert désigné par le tribunal a seulement relevé, au titre du préjudice d'agrément, " quelques difficultés domestiques " notamment dans les tâches ménagères " où une aide ponctuelle du mari de Mme D...est nécessaire ". Ni cette affirmation, ni aucun autre élément de l'instruction ne permet de regarder comme établie la nécessité de l'assistance d'une tierce personne qui excèderait la participation normale du mari de Mme D...aux tâches domestiques. La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que c'est tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions sur ce point.

Sur les préjudices extra-patrimoniaux :

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

8. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des expertises judiciaires, que la requérante a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire total du 5 au 6 juillet 2007 et le 4 octobre 2010, puis d'un déficit fonctionnel temporaire partiel du 16 juin 2007 au 4 juillet 2007, du 7 juillet 2007 au 26 août 2007 et du 5 octobre 2010 au 10 décembre 2010. Si, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier universitaire de Poitiers, ces périodes de déficit fonctionnel temporaire sont toutes liées à la faute initiale qui a rendu nécessaires les diverses tentatives de correction, les souffrances endurées par la requérante entre le 11 décembre 2010 et la date de consolidation, fixée au 1er septembre 2011, constituent un chef de préjudice distinct et ne peuvent être indemnisées au titre du déficit fonctionnel temporaire. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le tribunal administratif de Poitiers a fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant à Mme D...une somme de 1 500 euros.

S'agissant des souffrances endurées :

9. Il résulte de l'instruction, et notamment des expertises judiciaires, que la requérante a dû subir deux interventions afin de tenter de corriger la faute commise par le centre hospitalier universitaire de Poitiers lors de la première intervention. Elle a connu des douleurs permanentes au niveau du gros orteil et de la hanche jusqu'à la consolidation et elle a dû subir une rééducation ainsi que des infiltrations. Les séquelles dont elle souffre lui occasionnent également des douleurs, notamment à la marche. L'expert désigné par le tribunal a estimé à 4 sur une échelle de 1 à 7 l'importance des douleurs subies ce qui ne peut être considéré comme excessif au regard ce qui vient d'être dit. En condamnant le centre hospitalier universitaire de Poitiers à verser à Mme D... une somme de 6 000 euros, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante ni excessive de ce chef de préjudice.

S'agissant du préjudice esthétique permanent :

10. Il résulte de l'instruction, et notamment des expertises judiciaires, que la requérante souffre d'une boiterie qui a justifié, pour l'expert, l'évaluation de ce préjudice à 1,5 sur une échelle de 1 à 7. Le tribunal administratif de Poitiers n'a pas fait une appréciation insuffisante ni excessive de ce chef de préjudice en allouant à Mme D...une somme de 2 000 euros.

S'agissant du déficit fonctionnel permanent :

11. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des expertises judiciaires, que la requérante conserve un taux de déficit fonctionnel permanent de 7 % lié à ses difficultés à la marche et à la station debout. Le tribunal administratif de Poitiers a fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant à Mme D...une somme de 8 000 euros.

S'agissant du préjudice d'agrément :

12. Il ressort des pièces du dossier, et notamment d'attestations émanant de sportifs licenciés, que la requérante pratiquait, avant les complications dont elle a été victime, la course à pied deux fois par semaine sur une distance d'environ 10 km. Les rapports d'expertise indiquent que la requérante n'a pu reprendre la pratique de la course et du vélo et éprouve des difficultés pour jardiner. Par suite, il y a lieu de faire une plus juste appréciation de ce préjudice en portant la somme accordée à l'intéressée par les premiers juges de 1 000 à 2 000 euros.

S'agissant du préjudice moral :

13. Mme D...fait état d'un préjudice moral spécifiquement lié à la perte de chance d'amélioration de son état de santé, du fait du retard fautif de prise en charge de la complication dont elle a souffert après l'intervention du 4 janvier 2007. Ce préjudice, lié à la conscience qu'une chance existait d'échapper aux suites de la complication initiale mais qu'elle a été perdue du fait d'un retard fautif de prise en charge, est distinct des souffrances physiques et morales liées aux suites de la complication elle-même. Mme D...est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions sur ce point. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en condamnant le centre hospitalier universitaire de Poitiers à lui verser 1 000 euros à ce titre.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :

14. Aux termes du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 26 décembre 2016 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale : " Les montants maximum et minimum de l'indemnité forfaitaire de gestion visés aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 1055 euros et à 105 euros à compter du 1er janvier 2017 ".

15. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne est fondée à demander que la somme que le centre hospitalier universitaire de Poitiers a été condamné à lui verser soit portée à 6 123,66 euros. Elle peut donc prétendre, en application des dispositions précitées, à ce que l'indemnité forfaitaire de gestion qu'elle a obtenue devant le tribunal administratif soit portée à 1 055 euros, montant fixé par l'arrêté du 26 décembre 2016 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale.

16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est fondée à demander que la somme qui lui a été allouée par les premiers juges en réparation de ses préjudices soit portée de 22 049 euros à 24 049 euros, que la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne est fondée à demander que la somme qui lui a été allouée en remboursement de ses débours soit portée de 5 098,21 euros à 6 123,66 euros et que l'indemnité forfaitaire de gestion à laquelle elle peut prétendre soit portée de 997 euros à 1 055 euros et, enfin, que l'appel incident du centre hospitalier universitaire de Poitiers doit être rejeté.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Poitiers une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme D... et non compris dans les dépens ainsi qu'une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La somme que le centre hospitalier universitaire de Poitiers a été condamné à verser à Mme A...D...par le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 21 janvier 2015 est portée à 24 049 euros.

Article 2 : La somme que le centre hospitalier universitaire de Poitiers a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne en remboursement de ses débours par le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 21 janvier 2015 est portée à 6 123,66 euros.

Article 3 : La somme que le centre hospitalier universitaire de Poitiers a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale par le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 21 janvier 2015 est portée à 1 055 euros.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 21 janvier 2015 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le centre hospitalier universitaire de Poitiers versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à Mme A...D...et la somme de 1 000 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D..., au centre hospitalier universitaire de Poitiers, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne et à M.F..., expert.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Gil Cornevaux, président-assesseur,

Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 mai 2017.

Le président-assesseur

Gil CornevauxLe président-rapporteur

Elisabeth JayatLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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No 15BX00766


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