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09/05/2017 | FRANCE | N°15BX01058

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 09 mai 2017, 15BX01058


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société guadeloupéenne de consignations et manutention (SGCM) a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner l'Etat à lui verser la somme de 485 573 euros en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi en raison du mouvement social qui a eu lieu à la Guadeloupe aux mois de janvier à mars 2009, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable du 18 juin 2013, ainsi que la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement n° 1301479 du 29 janvie

r 2015, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Procédure de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société guadeloupéenne de consignations et manutention (SGCM) a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner l'Etat à lui verser la somme de 485 573 euros en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi en raison du mouvement social qui a eu lieu à la Guadeloupe aux mois de janvier à mars 2009, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable du 18 juin 2013, ainsi que la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement n° 1301479 du 29 janvier 2015, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 mars 2015 et un mémoire complémentaire du 10 novembre 2015, la société guadeloupéenne de consignations et manutention (SGCM), représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 29 janvier 2015 du tribunal administratif la Guadeloupe ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 595 311,78 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison du mouvement social qui a eu lieu à la Guadeloupe aux mois de janvier à mars 2009, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable du 18 juin 2013, ainsi que la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens de l'instance constitués par les frais d'expertise ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 30 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- elle exerce une activité portuaire partagée avec les sociétés qui appartiennent au même groupe ;

- elle a participé à hauteur de 20 % à l'exploitation d'un bateau " Spirit Star ", assurant le transport de passagers et de marchandises de Pointe à Pitre à Fort de France et assure par ailleurs le déchargement de navires affrétés par des armateurs ;

- la société emploie un président et sept salariés qui ont eu du mal à s'acheminer vers leurs lieux de travail ou vers la clientèle, du fait de barrages routiers, ou de violences qu'ils ont subis ;

- compte tenu de la paralysie de l'activité économique, le frêt a également chuté et ce conflit a entrainé la fermeture définitive de la ligne exploitée par le bateau " Spirit Star " ;

- ces débordements ont été rendus possibles par l'inaction de l'Etat ;

- l'Etat est responsable du fait de l'absence d'intervention lors de ces émeutes alors que l'article 1er de la loi du 21 janvier 1995 relative à la sécurité, rappelle que le droit à la sécurité est un droit fondamental ;

- l'absence d'intervention des forces de l'ordre lors des émeutes qui ont eu lieu à la Guadeloupe entre janvier et mars 2015 résulte d'une volonté politique délibérée, de l'aveu même de M. B...A..., ancien secrétaire d'Etat à l'outre-mer ;

- le jugement du tribunal administratif n'explique pas en quoi, l'intervention de l'Etat pour libérer le passage dans la zone de Jarry aurait été rendue impossible compte tenu des circonstances, la charge de la preuve en la matière incombant comme l'a rappelé la Cour de justice des communautés européennes dans un arrêt C 265/95, Commission contre France, à l'Etat ;

- il ne s'agissait pas en l'espèce, d'assurer une surveillance généralisée de l'ensemble des rues de la Guadeloupe, mais seulement de la zone de Jarry, qui est la zone industrielle et économique la plus importante de la Guadeloupe, qui emploie 10 000 personnes ;

- les risques d'occupation des locaux de l'entreprise, l'interdiction pour les clients de se rendre dans l'entreprise, l'impossibilité pour les engins de manutention et de levage de se transporter sur les chantiers, ont causé un trouble à l'ordre public qui devait entrainer l'intervention des forces de l'ordre et cette abstention à le faire est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, comme le rappelle la jurisprudence issue de l'arrêt du Conseil d'Etat du 3 juin 1938, Société Cartonnerie Imprimerie Saint-Charles ;

- est également fautive, l'absence comme l'a notamment relaté la presse, de surveillance des rues et des commerces ;

- la jurisprudence du Conseil d'Etat, Société Citroën, 6 mai 1991, n° 62405, considère qu'est fautive, au titre de la faute lourde, l'abstention de l'Etat à réaliser des mesures de surveillance et de protection des lieux privés et notamment des entreprises et des commerces ;

- de façon plus générale, la responsabilité de l'Etat est engagée du fait des violences urbaines commises en Guadeloupe du fait de la faute lourde commise par l'Etat pour absence de protection des entreprises et des commerces, comme l'a jugé la cour administrative d'appel de Paris dans un arrêt du 22 janvier 2003 ;

- par ailleurs l'abstention des forces de police à lever les barrages routiers engage la responsabilité sans faute de l'Etat ;

- le blocage de l'entreprise a perturbé l'accès des salariés, des clients et des fournisseurs, à l'entreprise

- la fermeture des entreprises à la demande de la police, engage la responsabilité de l'Etat d'autant plus que la grève présentait en l'espèce, un caractère illicite présentant essentiellement, non un caractère professionnel, mais politique ;

- l'inaction des forces de l'ordre porte atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté du travail et de la circulation, toutes libertés, qui sont protégées par les règles constitutionnelles et les règles supranationales ;

- en ce qui concerne la question de la responsabilité de l'Etat du fait de crimes ou délits commis à force ouverte ou par violence, les grèves ont été illégales, des armes à feu ont été utilisées et des barrages routiers ont été dressés, sur les principales voies de circulation de la Guadeloupe et des menaces graves de destruction de bâtiments ont été proférées, des menaces ayant été également adressées aux salariés, ces faits, qui ont d'ailleurs été confirmés par l'expert, étant constitutifs d'infractions au code de la route au sens de l'article L. 412-1 et aux articles 322-12 et 431-1 du code pénal ;

- si le tribunal se fonde sur l'absence de caractère spécial du préjudice, contrairement à ce qu'il a jugé, le caractère spécial ne signifie pas que seule une personne doit l'avoir subi, mais une catégorie, comme l'a jugé le Conseil d'Etat dans un arrêt du 22 juin 1984, Secrétaire d'Etat à la Mer, n° 53630 ;

- compte tenu du fait du mouvement social, de l'arrêt de l'exploitation de la ligne, assurant le transport de passagers et de marchandises de Pointe-à-Pitre à Fort-de-France, la SGCT a subi un préjudice anormal et spécial, qui s'élève à la somme de 595 311,78 euros ;

- il est incompréhensible que le tribunal n'ait pas retenu l'existence d'un lien de causalité, retenu dans le rapport d'expertise, entre le préjudice subi et le blocage ;

- en ce qui concerne la réparation du préjudice, ce préjudice s'établit à la somme de 446 495 euros, mais doit être rajouté à cette somme, l'impôt sur les sociétés, au taux de 14 % qui représente un préjudice net et le préjudice subi par la société s'établit donc, comme l'indique une attestation de l'expert-comptable à la somme de 595 311,78 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2015, le préfet de la Guadeloupe conclut au rejet de la requête de la société SGCM.

Il fait valoir que :

- l'engagement de la responsabilité de l'Etat au titre de la faute ne peut être mis en oeuvre que si une faute lourde des services de l'Etat est prouvée ;

- comme l'a jugé la cour administrative d'appel de Nantes, par un arrêt du 9 mai 2014, n° 12NT03230, un climat de tension peut en cas d'intervention des forces de l'ordre, présenter un risque encore plus important pour l'ordre public et dès lors l'absence d'intervention des forces de l'ordre, ne peut être qualifiée de faute lourde ;

- la SGCM en faisant état " d'un mouvement social qui a embrasé la Guadeloupe au cours du premier semestre 2009 " reconnait elle-même une situation de trouble général consécutive à des manifestations et des blocages et le fait que les forces de l'ordre n'auraient pas pu mettre en oeuvre un dispositif de surveillance adapté dans la mesure où toute action des forces de l'ordre aurait été considérée comme une provocation qui aurait pu entrainer des conséquences bien plus graves ;

- en ce qui concerne la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, elle ne peut être engagée que si les dommages subis résultent de manière directe et certaine de crimes ou délits commis lors de rassemblements ou attroupements ;

- le rapport d'expertise n'apporte ni la preuve du lien de causalité entre le préjudice subi et la situation de blocage du département de la Guadeloupe en février 2009, ni l'existence de rassemblements ou attroupements au sens de l'article L. 2216-3, ni la commission d'un crime ou d'un délit pénal, pas plus que l'usage de violence ou " force ouverte " ;

- de nombreuses sociétés ont été victimes de dommages, si bien que la condition de spécialité du préjudice n'est pas établie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pierre Bentolila,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant la société Guadeloupéenne de Consignation et Manutention.

Considérant ce qui suit :

1. La société guadeloupéenne de consignations et manutention (SGCM) a demandé devant le tribunal administratif de la Guadeloupe la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle aurait subis du fait de la période d'émeute et de barrages, qui s'est produite en Guadeloupe entre le 21 janvier et le 5 mars 2009, en se fondant à la fois sur les fautes des services de l'Etat du fait de l'inaction des services de police, et sur l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat au titre des rassemblements et attroupements, ainsi qu'au titre de la rupture d'égalité devant les charges publiques. La SGCM relève appel du jugement du 29 janvier 2015, par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat :

Sur la responsabilité sans faute au titre des rassemblements et attroupements :

2. Aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales désormais repris à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) ". L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des attroupements ou rassemblements précisément identifiés.

3. Il résulte de l'instruction et il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté par la société requérante, que les actions qui se sont produites entre le 21 janvier et le 5 mars 2009 dans le département de la Guadeloupe, dont le caractère violent et de nature à tout le moins délictuel ne peut être remis en cause, consistant notamment en un blocage des routes, des zones portuaires, des zones d'activité économique, notamment la zone de Jarry, et des sites de plateformes logistiques, sont le fait d'organisations en particulier syndicales agissant de façon préméditée et organisée par des groupes structurés et équipés en vue de commettre de telles actions de blocage. Dans ces conditions, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, les agissements à l'origine des dommages n'ont pas, au sens des dispositions précitées été commis, dans l'impréparation, par des personnes s'étant trouvées attroupées ou rassemblées, mais au contraire de façon coordonnée et planifiée. La gravité des faits commis et l'éventuelle illicéité de la grève sont sans incidence sur la qualification au sens de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, de la nature de ces violences. Les conclusions présentées contre l'Etat sur le fondement de la responsabilité sans faute au titre des rassemblements et attroupements doivent donc être rejetées.

Sur la responsabilité sans faute au titre de la rupture d'égalité devant les charges publiques :

4. Compte tenu du caractère général des blocages et manifestations de toute nature déclenchées dans le département de la Guadeloupe entre le 21 janvier et le 5 mars 2009, un nombre important d'acteurs économiques ont été affectés par des incidents du même type. Dans ces conditions, la société requérante alors même qu'elle indique oeuvrer dans le secteur d'activité de la manutention portuaire et du transport maritime, ne peut soutenir qu'elle aurait subi des préjudices de nature différente de ceux subis par d'autres entreprises. Faute de justification d'un préjudice spécial susceptible en tant que tel d'être indemnisé sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques, les conclusions présentées contre l'Etat sur le fondement de cette responsabilité sans faute doivent être rejetées.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat pour faute lourde :

5. La société requérante soutient que la responsabilité de l'Etat pour faute lourde devrait être engagée à la fois à la fois pour défaut de surveillance des routes et des rues, et notamment de la zone économique de Jarry, pour défaut de levée des barrages routiers et des blocages d'entreprise et pour avoir au contraire, incité les entreprises à la fermeture. Il résulte toutefois de l'instruction qu'eu égard à l'ampleur et au climat de tension extrême régnant dans le département de la Guadeloupe, une éventuelle intervention des forces de l'ordre dans ce contexte, présentait pour l'ordre public, un risque d'aggravation de la situation. Dans ces conditions ni le défaut de surveillance des routes et des rues, ni à la supposer avérée, l'incitation des entreprises à la fermeture, ne révèlent dans les circonstances de l'espèce, une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la société SGCM n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Sur la contestation des frais d'expertise :

7. Compte tenu du rejet des conclusions indemnitaires, présentée par la société SGCM les conclusions tendant à ce que les frais de l'expertise qui a été ordonnée en référé par le tribunal administratif de la Guadeloupe par une ordonnance du 22 mars 2013, soient mis à la charge de l'Etat, doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. L'Etat n'étant pas, dans la présente instance, la partie perdante les conclusions présentées par la SGCM sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être que rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société SGCM est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société SGCM, au ministre de l'Intérieur, et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 27 mars 2017 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Pierre Bentolila, premier conseiller,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 9 mai 2017.

Le rapporteur,

Pierre Bentolila

Le président,

Pierre LarroumecLe greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

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N° 15BX01058

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