La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/02/2017 | FRANCE | N°16BX03845

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 27 février 2017, 16BX03845


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les décisions du 24 novembre 2014 et 29 décembre 2015 par lesquelles le préfet de la Haute-Garonne lui a retiré le bénéfice de l'autorisation de regroupement familial qui lui avait été accordée, le 8 août 2014, au profit de son épouse, Mme A...C....

Par un jugement n° 1500493-1601811 du 2 novembre 2016, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre la décision

du 24 novembre 2014, annulé la seconde décision contestée du 29 décembre 2015 et enjo...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les décisions du 24 novembre 2014 et 29 décembre 2015 par lesquelles le préfet de la Haute-Garonne lui a retiré le bénéfice de l'autorisation de regroupement familial qui lui avait été accordée, le 8 août 2014, au profit de son épouse, Mme A...C....

Par un jugement n° 1500493-1601811 du 2 novembre 2016, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre la décision du 24 novembre 2014, annulé la seconde décision contestée du 29 décembre 2015 et enjoint au préfet de la Haute-Garonne de rétablir M. C...dans ses droits résultant du bénéfice de l'autorisation de regroupement familial dans le délai de quinze jours suivant la notification de ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 décembre 2016, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement du 2 novembre 2016 du tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que :

- c'est au prix d'une erreur manifeste d'appréciation que le tribunal a annulé la seconde décision contestée du 29 décembre 2015 au motif tiré de ce qu'elle avait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que Mme C...a manifestement détourné la procédure de regroupement familial en sollicitant un visa de court séjour pour aller résider chez une autre personne que son époux et qu'elle se trouvait donc sur le territoire français lors de la demande de regroupement initiée à son profit ;

- en outre, le couple a fondé une famille sur le sol français en toute connaissance de la précarité de sa situation et mis l'Etat français devant le fait accompli ;

- M. C...a, pour sa part, délibéré menti à l'administration s'agissant de la résidence de son épouse, ce qui caractérise une fraude ;

- pour le reste, il s'en remet à ses observations formulées en première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2016, M.C..., représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 600 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que les moyens invoqués par le préfet ne sont pas fondés.

M. C...a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 30 décembre 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Axel Basset,

- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.

Une note en délibéré présentée par le préfet de la Haute-Garonne a été enregistrée le 23 février 2017.

Considérant ce qui suit :

1. Le 15 janvier 2014, M. B...C..., ressortissant algérien né le 5 février 1976 et titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de dix ans valable jusqu'au 18 septembre 2018, a déposé, sur le fondement de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, une demande de regroupement familial en faveur de son épouse, Mme A...C..., compatriote née le 21 juillet 1988, qu'il avait épousée le 28 mars 2011 en Algérie, en signalant à cette occasion qu'elle résidait encore dans cet Etat. Par une décision du 8 août 2014, le préfet de la Haute Garonne a fait droit à sa demande après avoir relevé que M. C...remplissait les conditions de logement et de ressources requises. Toutefois, dans le cadre de l'instruction d'une demande de document de circulation pour étranger mineur effectuée par l'intéressé au profit de ses deux jeunes enfants, nés respectivement le 21 mai 2013 et le 23 juin 2014 à Toulouse, les services préfectoraux ont constaté que MmeC..., entrée en France en 2012 sous couvert d'un visa de court séjour valable du 19 juillet au 16 septembre 2012, s'y était maintenue irrégulièrement après l'expiration de celui-ci et qu'elle se trouvait donc déjà sur le territoire français au moment de la demande de regroupement familial effectuée par son époux, contrairement à ses déclarations. Alors que l'intéressée venait de retourner en Algérie le 9 novembre 2014, accompagnée de son fils aîné né en 2013, le plus jeune étant resté en France avec son père, le préfet de la Haute Garonne a, par une décision du 24 novembre suivant, retiré l'autorisation de regroupement familial accordée à son profit au motif de cette présence irrégulière en France, ce qui a conduit le consul général de France à Alger, le 30 décembre 2014, à retirer le visa de long séjour initialement délivré à l'intéressée. Par une ordonnance n° 1500494 du 27 février 2015 devenue définitive, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, saisi dans le cadre des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de cette décision du 24 novembre 2014, considérant que les moyens tirés de ce que, d'une part, l'autorité préfectorale s'était cru en situation de compétence liée pour retirer l'autorisation de regroupement familial du seul fait de la présence en France de Mme C... à la date de l'introduction de la demande et, d'autre part, qu'une telle présence en France ne pouvait plus justifier cette mesure de retrait à la date de la décision litigieuse étaient de nature à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité. Le préfet de la Haute-Garonne, à qui il avait été enjoint à cette occasion de réexaminer la demande de regroupement familial de M. C... dans un délai de quinze jours, n'ayant pas justifié de ses diligences en ce sens, le juge des référés de ce même tribunal, saisi sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, a, par une ordonnance n° 1505147 du 17 décembre 2015, assorti cette injonction de réexamen d'une astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une décision du 29 décembre 2015, le préfet de la Haute-Garonne a confirmé, après réexamen, le retrait de l'autorisation de regroupement familial accordée le 8 août 2014 en indiquant que, compte tenu du caractère frauduleux de la dissimulation par l'intéressé de la présence en France de Mme C..., il n'y avait pas lieu pour lui de faire usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation. Le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 2 novembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse, saisi par M.C..., a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre la décision du 24 novembre 2014, annulé la seconde décision du 29 décembre 2015 et lui a enjoint de rétablir M. C...dans ses droits résultant du bénéfice de l'autorisation de regroupement familial délivrée initialement, dans le délai de quinze jours suivant la notification de ce jugement.

Sur la légalité de la décision du 29 décembre 2015 :

2. D'une part, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. I1 ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 susvisée : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces dernières stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Ces mêmes stipulations sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

3. D'autre part, un acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits et, par suite, peut être retiré par l'autorité compétente pour le prendre, alors même que le délai de retrait de droit commun est expiré.

4. En l'espèce, il est constant que, le 15 janvier 2014, date du dépôt de son dossier de demande de regroupement familial formée en faveur de son épouse, Mme A...C..., compatriote qu'il avait épousée le 28 mars 2011 en Algérie, M. C...a déclaré à tort que cette dernière résidait alors en Algérie alors qu'entrée en France sous couvert d'un visa de court séjour valable du 19 juillet au 16 septembre 2012, elle s'y était maintenue irrégulièrement à l'expiration de celui-ci. Si, ainsi que le soutient le préfet de la Haute-Garonne, une telle circonstance était de nature à justifier légalement le retrait, à tout moment, de l'autorisation de regroupement familial accordée le 8 août 2014 à M. C...à la suite de cette fraude, il ressort toutefois des pièces du dossier que, par ordonnance du 27 février 2015 devenue définitive, déjà mentionnée au point 1, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a suspendu l'exécution de la décision du 24 novembre 2014 de l'autorité préfectorale retirant ladite autorisation pour ce motif et lui a enjoint de réexaminer la demande de M.C.... Il appartenait ainsi à l'autorité administrative, au vu du ou des moyens servant de fondement à la mesure de suspension, de procéder à un nouvel examen de la situation de M. C...sans attendre la décision du juge saisi au principal, en fonction de l'ensemble des circonstances de droit et de fait au jour de ce réexamen. Il n'est pas contesté par le préfet qu'à la date à laquelle la seconde décision du 29 décembre 2015 a été prise, Mme C...était retournée en Algérie avec son fils aîné, né le 21 mai 2013, depuis le 9 novembre 2014 et qu'elle ne disposait plus d'aucune possibilité de rejoindre son époux et son autre enfant, né le 23 juin 2014 à Toulouse, en raison du retrait, par le consul général de France à Alger, du visa de long séjour qui lui avait été initialement délivré. En outre, M. C...est titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de dix ans valable jusqu'au 18 septembre 2018 et a, ainsi, vocation à rester en France. Dans ces conditions, et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la décision litigieuse a, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, porté une atteinte au droit de M. C...au respect de sa vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. En outre, dès lors que ladite décision a nécessairement pour effet de séparer les deux enfants de M. et de Mme M. C...de l'un de leurs deux parents, elle a également méconnu les stipulations précitées du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est, pour ce second motif, entachée d'illégalité.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a procédé à l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :

6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. C...tendant à l'application de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Haute-Garonne est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de M. C...tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2017, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

M. Axel Basset, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 février 2017.

Le rapporteur,

Axel BassetLe président,

Pierre LarroumecLe greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

2

N° 16BX03845


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX03845
Date de la décision : 27/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Textes applicables - Conventions internationales.

Étrangers - Séjour des étrangers - Autorisation de séjour - Octroi du titre de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: M. Axel BASSET
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : DE BOYER MONTEGUT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-02-27;16bx03845 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award