Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E...A...exploitait un établissement de restauration dénommé " Compagnie du Fleuve chezA... " situé sur la commune de Bordeaux. Par un arrêté du 19 juillet 2013 le Préfet de la Gironde a suspendu les activités de stockage, fabrication, préparation, manipulation, et de distribution au sein des parties cuisine, réserve sèche, vestiaire et appentis de l'établissement. M. E...A...a demandé l'annulation de cette décision devant le tribunal administratif de Bordeaux. A la suite du jugement du 11 décembre 2013 du tribunal de commerce de Bordeaux, plaçant M. A...en liquidation judiciaire, l'instance a été reprise par la Selarl ChristopheB..., liquidateur judiciaire de la société de M.A....
Par un jugement n° 1302796 du 10 février 2015 le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande en annulation de l'arrêté du 19 juillet 2013 du préfet de la Gironde
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 avril 2015, la Selarl Christophe B...représentée par Me C...demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 10 février 2015 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 juillet 2013 du préfet de la Gironde ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur le fait qu'une situation d'urgence permettait au préfet de ne pas respecter la procédure contradictoire de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000. En effet, l'arrêté lui-même indique la volonté du préfet d'appliquer la procédure contradictoire et non de se dispenser de cette procédure au motif de l'urgence ;
- il est de jurisprudence constante que lorsqu'une autorité administrative décide volontairement de se soumettre à une procédure, elle est ensuite tenue de respecter cette procédure ;
- tel n'a pas été le cas en l'espèce dès lors, que l'exploitant s'est vu remettre le même jour du 19 juillet 2013, le rapport d'inspection, le courrier l'informant des suites qui allaient être données et de ce qu'une suspension d'activité était envisagée, et l'arrêté de suspension des activités de stockage, fabrication, préparation, manipulation, et de distribution ;
- la décision de suspension a donc été prise avant même qu'il n'ait été demandé à l'exploitant d'apporter des explications sur le fondement de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, ce qui est sanctionné par la jurisprudence ;
- l'existence de l'urgence n'est pas établie et le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 10 mars 2010, n° 324076, a considéré qu'il ne suffisait pas de se prévaloir d'une situation d'urgence, pour qu'une telle situation soit établie ;
- en ce qui concerne le manquement aux dispositions de l'article L. 215-3 du code de la consommation, contrairement à ce qu'a considéré le tribunal administratif de Bordeaux, un tel manquement est établi dès lors que le contrôle a eu lieu en dehors des horaires légaux et dans des lieux non ouverts au public tel que l'appentis qui se trouve dans une zone de stockage extérieure et ce alors qu'au sens de l'article L. 218-3 du code de la consommation aucune opération de production, de fabrication, de transformation, de conditionnement, de transport ou de commercialisation n'avait lieu puisque c'est précisément l'absence d'opération de nettoyage laquelle ne peut avoir lieu qu'à la fin de ces opérations, qui est reprochée ;
- le tribunal n'a pas justifié du caractère nécessaire et proportionné de la mesure dont la société a fait l'objet ;
- les non-conformités majeures relevées l'ont été dans la zone de stockage extérieure où se trouve l'appentis et dans la zone de cuisson extérieure, alors que la suspension des activités concerne l'ensemble de l'établissement et notamment la cuisine intérieure pour laquelle aucune non-conformité majeure n'a été relevée ;
- dans ces conditions, à supposer nécessaire une suspension des activités, celle-ci aurait du être limitée à la zone de stockage extérieure et non pas à l'ensemble de l'établissement et la décision de suspension est donc illégale, pour ne pas être proportionnée ;
- le tribunal n'a pas tenu compte du fait qu'entre le 17 et le 19 juillet 2013 des travaux ont été réalisés, et qu'une formation a été entamée par M. D...et dès lors à la date du 19 juillet 2013, il n'existait plus de motifs de nécessité de mise en oeuvre d'une mesure aussi lourde que la suspension ;
- l'essentiel des prescriptions ont été mises en oeuvre entre le 17 et le 19 juillet 2013 ;
- le rapport d'inspection remis à M. A...le 19 juillet 2013 ne formule aucune critique sur la cuisine intérieure de la guinguette ;
- l'article L. 218-3 du code de la consommation prévoit une gradation des mesures pouvant être prises par le préfet et indique que c'est seulement en cas de nécessité, que la fermeture partielle ou totale de l'établissement peut être ordonnée ;
- il n'y a avait pas en l'espèce de nécessité de procéder à la suspension des activités pour tout l'établissement et notamment pour la partie cuisine intérieure, ni d'ailleurs pour les autres parties de l'établissement ;
- la décision du 19 juillet 2013 porte atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie, la jurisprudence du Conseil d'Etat sanctionnant les mesures de police portant une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie ;
- en l'espèce, il était possible de parvenir aux mêmes fins que celles recherchées par la mesure de police sans porter une atteinte aussi grave à la liberté du commerce et de l'industrie et ce au surplus en période estivale et à l'encontre d'une société dans une situation économique particulièrement difficile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2015 le ministre de l'économie de l'industrie et du numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la situation d'urgence est clairement caractérisée par les non-conformités aux règles d'hygiène qui sont clairement indiquées par l'arrêté ;
- contrairement à ce que soutient le requérant, l'administration a mis en place une procédure contradictoire, en indiquant dès la fin du contrôle le 17 juillet 2013, les manquements relevés et leurs conséquences et en permettant ainsi à l'exploitant d'entamer des opérations de nettoyage ;
- le procès-verbal de la visite du 17 juillet 2013 reprend les observations du restaurateur ;
- M. A...même dans des délais très courts a pu faire valoir ses observations lesquelles compte tenu de la gravité des manquements et du danger pour les consommateurs n'étaient pas de nature à modifier la position de l'administration ;
- contrairement à ce que soutient le requérant, au sens de L. 218-3 du code de la consommation, les locaux étaient ouverts lorsqu'a été effectué le contrôle qui pouvait donc être opéré après 20 heures ;
- les non-conformités constatées concernaient également la cuisine ;
- les mesures correctives prises étaient distinctes selon les locaux concernés et se trouvaient parfaitement adaptées et proportionnées aux constatations effectuées ;
- les mesures concernant la partie " cuisine et réserves sèches " nécessitaient une suspension de l'activité pour leur réalisation, mais pouvaient rapidement être mises en oeuvre afin de permettre la reprise de l'activité de restauration ;
- le préfet n'a pas suspendu indéfiniment l'activité de l'établissement, et n'a pas imposé une durée minimale de fermeture mais a soumis la réouverture du restaurant à la condition que les mesures mentionnées aux articles 2 et 4 soient mises en oeuvre ;
- la mesure était donc proportionnée aux risques encourus par la clientèle et donc ne portait pas une atteinte excessive et proportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie.
Vu les pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002 ;
- les règlements (CE) n° 852/2004 et n° 853-2004 du 29 avril 2004 ;
- le code de la consommation ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Bentolila,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., représentant la SELARLB....
Considérant ce qui suit :
1. M. E...A...exploitait depuis 1990 le bar-restaurant-guinguette " Compagnie du fleuve chezA... ", situé à Bordeaux. Le 19 juillet 2013, des inspecteurs de la direction départementale de la protection des populations de la Gironde ont établi un rapport faisant état de manquements aux règles d'hygiène et d'entretien, susceptibles de présenter un danger pour la santé publique ou la sécurité des consommateurs, constatés au cours d'une visite de l'établissement le 17 juillet 2013. A la suite du dépôt de ce rapport, le préfet a pris, le jour même, sur le fondement des dispositions de l'article L. 218-3 du code de la consommation, un arrêté portant suspension provisoire de toutes les activités de stockage, de fabrication, de préparation, de manipulation et de distribution au niveau de la zone de cuisine, réserve sèche, vestiaire et dans l'appentis de l'établissement et imposant à l'exploitant la réalisation de travaux, et l'observance d'un certain nombre de prescriptions. M. A...a présenté une demande devant le tribunal administratif de Bordeaux tendant à l'annulation de cet arrêté et cette instance a été reprise par la SELARL Christophe B...agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société " compagnie du fleuve chez A..." en vertu d'un jugement du 11 décembre 2013 du tribunal de commerce de Bordeaux. Me B... relève appel du jugement du 10 février 2015, par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les demandes de M. A...en l'annulation de l'arrêté du 19 juillet 2013 du préfet de la Gironde.
Sur la légalité externe :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : - restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...)". Aux termes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L'autorité administrative n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique. Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables : 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles (...) ".A supposer même que le préfet de la Gironde ait entendu opposer à M.A..., une situation d'urgence de nature à lui permettre, conformément aux dispositions précitées de se dispenser de la procédure contradictoire, il s'est par ailleurs de lui-même soumis à la procédure contradictoire de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, en demandant à M. A...dans un courrier du 19 juillet 2013, sur le fondement de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, de présenter ses observations. Dans ces conditions, le moyen invoqué par M. A...sur le fondement de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, est opérant.
3. Toutefois, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. Le respect, par l'autorité administrative compétente, de la procédure prévue par les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, constitue une garantie pour l'exploitant de l'établissement dont le préfet envisage la fermeture, qui est ainsi illégale s'il ressort de l'ensemble des circonstances de l'espèce que l'exploitant a été effectivement privé de cette garantie.
4. En l'espèce, dès lors que M. A...a pu faire valoir ses observations le 19 juillet 2013, comme l'indique le procès-verbal de déclaration et de saisie de documents, il ne peut être regardé comme ayant été privé d'une garantie, et le moyen invoqué sur le fondement de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 doit être écarté.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 215-3 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Pour rechercher et constater les infractions au présent livre, les agents peuvent opérer sur la voie publique, pénétrer entre 8 heures et 20 heures dans les lieux utilisés à des fins professionnelles et dans les lieux d'exécution d'une prestation de service, ainsi que procéder au contrôle du chargement des véhicules utilisés aux mêmes fins et de ses conditions de conservation. / Ils peuvent également pénétrer en dehors de ces heures dans ces mêmes lieux lorsque ceux-ci sont ouverts au public ou lorsqu'à l'intérieur de ceux-ci sont en cours des activités de production, de fabrication, de transformation, de conditionnement, de transport ou de commercialisation (...) ". Le requérant fait valoir que le contrôle a eu lieu à 21 h 30, soit en dehors des horaires légaux et dans des lieux non ouverts au public et donc de façon non conforme aux dispositions précitées. Toutefois, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, dès lors que le 17 juillet 2013 à 21 h 30, au moment de la visite des inspecteurs, l'établissement de restauration exploité par M. A...était ouvert au public, l'article L. 215-3 du code de la consommation permettait aux inspecteurs de pénétrer, comme cela a été le cas, dans les lieux de confection des repas et de stockage des denrées alimentaires, pour y recueillir tous les éléments d'information.
Sur la légalité interne :
6. Aux termes de l'article L. 218-3 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Lorsque du fait d'un manquement à la réglementation prise pour l'application de l'article L. 214-1 du présent code ou d'un règlement de la Communauté européenne contenant des dispositions entrant dans le champ d'application des chapitres II à VI, un établissement présente ou est susceptible de présenter une menace pour la santé publique, les agents mentionnés à l'article L. 215-1 peuvent ordonner la réalisation de travaux, d'opérations de nettoyage, d'action de formation du personnel et d'autres mesures correctives, ainsi que le renforcement des auto-contrôles. / En cas de nécessité, l'autorité administrative peut prononcer, sur proposition de ces agents, la fermeture de tout ou partie de l'établissement ou l'arrêt de plusieurs de ses activités. ".
7. Ces dispositions, applicables aux restaurants, permettent au préfet de prononcer la fermeture totale ou temporaire, définitive ou provisoire, d'un établissement présentant ou susceptible de présenter une menace pour la santé publique afin qu'il soit mis en conformité avec les règlementations que ces dispositions mentionnent.
8. Comme l'ont relevé les premiers juges, au vu, d'une part, des résultats non contestés de l'inspection qui a identifié 16 non-conformités majeures et 6 non-conformités moyennes intéressant toutes les parties de l'établissement et les équipements consacrés aux activités de production, de transformation, de conditionnement et de stockage, tenant notamment en la conservation d'aliments avariés, l'absence de traçabilité des denrées, le délabrement et le désordre régnant dans l'appentis servant de cuisine, l'absence de règle d'hygiène et l'état de vétusté du matériel utilisé, d'autre part, de l'insuffisance des mesures correctives envisagées par le requérant, lequel contrairement à ce qu'il soutient, ne justifie pas avoir au 19 juillet 2013, effectué la totalité des travaux nécessaires pour remédier aux carences constatées lors de l'inspection du 17 juillet 2013 , l'arrêté contesté a imposé des mesures nécessaires et proportionnées à la gravité des manquements constatés aux règles d'hygiène telles que définies tant par la législation nationale que par les règlements communautaires susvisés applicables aux établissements de restauration.
9. Dès lors que l'exercice de pouvoirs de police administrative est susceptible d'affecter des activités de production, de distribution ou de services, la circonstance que les mesures de police ont pour objectif la protection de l'ordre public n'exonère pas l'autorité investie de ces pouvoirs de police de l'obligation de prendre en compte également la liberté du commerce et de l'industrie et les règles de concurrence. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier la légalité de ces mesures de police administrative en recherchant si elles ont été prises compte tenu de l'ensemble de ces objectifs et de ces règles et si elles en ont fait, en les combinant, une exacte application.
10. La décision contestée, qui est justifiée par un motif d'intérêt général tiré de la protection de la santé publique et la sécurité du consommateur, et qui se fixe un but qui n'aurait pu être atteint par des mesures moins contraignantes n'est pas susceptible en l'espèce de porter atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie.
11. Il résulte de ce qui précède que Me B...n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du 10 février 2015, par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande en annulation de l'arrêté du 19 juillet 2013 du préfet de la Gironde.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que Me B...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Me B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Me B...et au ministre de l'économie et des finances. Copie en sera transmise au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2017 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Pierre Bentolila, premier conseiller,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller
Lu en audience publique, le 13 février 2017.
Le rapporteur,
Pierre Bentolila
Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 15BX01149