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24/10/2016 | FRANCE | N°16BX01539

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre (formation à 3), 24 octobre 2016, 16BX01539


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...C...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 16 octobre 2015 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a accordé un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1600002 du 6 avril 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de M.C....

Procédure devant la cour :

Par une re

quête, enregistrée le 5 mai 2016, M. D...C..., représenté par MeE..., demande à la cour :

1°) ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...C...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 16 octobre 2015 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a accordé un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1600002 du 6 avril 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de M.C....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 mai 2016, M. D...C..., représenté par MeE..., demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 6 avril 2016 ;

3°) d'annuler l'arrêté précité du préfet de la Haute-Garonne du 16 octobre 2015 ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de se prononcer sur son droit au séjour dans le délai d'un mois à compter de ladite notification, sous la même astreinte ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat, au profit de son conseil, outre les entiers dépens, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé, dès lors qu'il ne précise pas sur laquelle de ses maladies s'est prononcé le médecin de l'agence régionale de santé et qu'il ne dit rien des conséquences médicales d'une interruption des traitements actuels et des possibilités de prise en charge en Arménie ; par ailleurs, il est dans l'incapacité de voyager, élément essentiel qui n'a pas été pris en compte par le préfet ;

- les dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues ; le préfet n'a pas pris en compte les circonstances exceptionnelles dont il a fait état ; en effet, il ne pourra avoir un accès effectif aux soins dans son pays d'origine ; les soins requis par son état de santé ne peuvent être interrompus ; le préfet ne démontre pas que les soins dont il a besoin existeraient en Arménie, alors que la preuve lui en incombe ;

- il demande la production du document officiel établissant l'existence des soins dont il a besoin en Arménie ; en réalité, ces soins n'y sont pas disponibles ; il produit un certificat médical traduit de l'arménien le prouvant ; vu son état de santé, la présence à ses côtés d'une tierce personne, en l'occurrence son épouse, est indispensable ;

- au titre de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, son éloignement porterait une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;

- le délai de départ, fixé à trente jours, est insuffisant pour qu'il puisse organiser la poursuite de son traitement dans un autre pays ; il conduira à l'interruption de celui-ci ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2016, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le requérant ne se prévaut ni ne justifie d'aucun élément nouveau ;

- aucun des moyens soulevés par M. C...n'est fondé.

Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 7 juin 2016 M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., représentant M.C....

Considérant ce qui suit :

1. M. D...C..., de nationalité arménienne, né en 1956, est entré en France accompagné de son épouse, le 19 septembre 2012, selon ses déclarations. Les deux époux ont sollicité, le 24 septembre 2012, leur admission au séjour au titre de l'asile. Saisi dans le cadre de la procédure prioritaire, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté leurs demandes le 26 mars 2013. A la suite de ces rejets, le préfet de la Haute-Garonne a pris à leur encontre, le 2 juillet 2013, deux arrêtés portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de renvoi. Par deux arrêts du 27 octobre 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté leurs requêtes tendant à l'annulation des jugements du tribunal administratif de Toulouse du 17 décembre 2013 ayant rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés. Le 27 avril 2015, chacun des deux époux a sollicité la délivrance d'un titre de séjour, en qualité d'étranger malade s'agissant de M.C.... Par deux arrêtés du 16 octobre 2015, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté leurs demandes en leur faisant obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. C...fait appel du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 6 avril 2016 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 16 octobre 2015 le concernant.

Sur la demande d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

2. M. C...a obtenu, le 7 juin 2016, le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dès lors, il n'y a pas lieu de statuer sur sa demande tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. D'une part, aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979, en vigueur à la date de la décision attaquée : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : -restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 1 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...). Aux termes de l'article R. 313-22 du même code : "Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d'un avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général. (...) 1 L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé(...) ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé : " Au vu de ce rapport médical et des informations dont il dispose, le médecin de l'agence régionale de santé émet un avis précisant : 1 - si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; 1 - si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; 1- s'il existe dans le pays dont il est originaire, un traitement approprié pour sa prise en charge médicale ; 1 - la durée prévisible du traitement. 1 Dans le cas où un traitement approprié existe dans le pays d'origine, il peut, au vu des éléments du dossier du demandeur, indiquer si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers ce pays (...) ".

5. Le requérant soutient que le préfet de la Haute-Garonne a omis de vérifier sa capacité à voyager sans risque vers son pays d'origine.

6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des bilans et certificats médicaux établis le 25 novembre 2014 par le pôle neurosciences du service de médecine physique et de réadaptation du CHU de Rangueil, le 22 janvier 2015 par le département d'urologie de ce même CHU, le 18 mai 2015 par le DrA..., généraliste, le 28 octobre 2015 par le Dr B... du centre de santé du CCAS de Toulouse, que M. C...présente une polypathologie orthopédique, neurologique et urologique lourde. Amputé de la jambe gauche lorsqu'il était enfant, il a présenté, en 2014, un épisode infectieux sévère de ce membre, qui a entraîné une thrombose, ce qui a nécessité une intervention chirurgicale, la mise en place d'un filtre cave et la prise d'anticoagulants au long cours. Il a été récemment appareillé de son membre inférieur gauche et utilise aussi un fauteuil roulant. Il présente également une tétraparésie post-traumatique à la suite d'une intervention nécessitée par un rétrécissement du canal cervical, ainsi qu'une hernie discale entraînant de fortes douleurs. Les documents médicaux précités précisent que l'accumulation de ces trois pathologies entraîne une perte d'autonomie sévère et que la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) lui a accordé, pour cette raison, une invalidité à 80 %. Ces documents précisent également qu'en raison de sa perte d'autonomie, il a besoin de l'aide d'une tierce personne, en l'occurrence, son épouse. En outre, il ressort également de ces documents que ces différentes pathologies ont entraîné une atonie neurologique de la vessie, ayant nécessité la mise en place d'une sonde vésicale à demeure depuis avril 2015 avec obligation de sondages pluri-quotidiens, les tentatives de sevrage de cette sonde ayant échoué.

7. Dans ces conditions, il existait à la date de l'arrêté en litige, eu égard à l'âge de M. C..., à la gravité des affections dont il souffre et à sa perte d'autonomie, des interrogations sur sa capacité à voyager sans risque vers son pays d'origine. Quand bien même le médecin inspecteur de santé ne s'est pas prononcé, dans son avis du 3 juin 2015 sur la capacité de M. C...à voyager sans risque pour rejoindre son pays d'origine, il appartenait dès lors au préfet de se prononcer sur ce point dans son arrêté. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que le refus de séjour qui lui a été opposé est, dans les circonstances particulières de l'espèce, entaché d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle et à en demander, pour cette raison, l'annulation.

8. L'annulation du refus de séjour entraîne nécessairement l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixant le délai de départ volontaire et le pays de destination, contenues dans l'arrêté du 16 octobre 2015.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

10. Eu égard au motif d'annulation retenu par le présent arrêt, il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne d'examiner à nouveau le droit au séjour de l'intéressé dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente du réexamen de sa situation, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de ces articles, à verser au conseil du requérant, sous réserve que ledit conseil renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de M. C...tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : Le jugement n° 1600002 du 6 avril 2016 du tribunal administratif de Toulouse et l'arrêté du 16 octobre 2015 sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer la demande de titre de séjour présentée par M. C...dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'intervalle, une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera au conseil de M. C...une somme de 1 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi su 10 juillet 1991, sous réserve que le conseil du requérant renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...C...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2016 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Pierre Bentolila, président-assesseur,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 24 octobre 2016.

Le rapporteur,

Florence Rey-GabriacLe président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

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N° 16BX01539


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 16BX01539
Date de la décision : 24/10/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : MAINIER - SCHALL

Origine de la décision
Date de l'import : 28/10/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-10-24;16bx01539 ?
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