Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F...G..., veuveA..., Mlle B...A...et Mlle D...A...ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 2 août 2011 de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) refusant de les indemniser des conséquences dommageables de la contamination par le virus de l'hépatite C (VHC) de leur mari et père et de condamner l'ONIAM à leur verser des indemnités en réparation des préjudices subis de ce fait.
Par un jugement n° 1104447 du 17 avril 2014, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 mai 2014 et par un mémoire enregistré le 21 juillet 2014, présentés par Me Roson-Vales, avocat, Mme veuve A...et autres demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1104447 du 17 avril 2014 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) d'annuler la décision du 2 août 2011 du directeur de l'ONIAM ;
3°) de condamner l'ONIAM à leur verser, le cas échéant après expertise, des indemnités de 123 000 euros au titre des préjudices propres de la victime, de 28 000 euros au titre du préjudice moral de la veuve et de 47 611,16 euros au titre de son préjudice économique, de 20 000 euros au titre du préjudice moral de chacun des enfants, augmentées des intérêts au taux légal à compte de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'ONIAM de la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- c'est à tort que le tribunal a fait application de la prescription quadriennale, alors que leur action n'était soumise qu'à la prescription trentenaire, en tant qu'elle était relative à la responsabilité du fait de la mauvaise qualité des produits fournis ou à la prescription décennale instituée par la loi du 4 mars 2002, en tant qu'elle tendait à une indemnisation au titre de la solidarité nationale et a retenu la date du décès de leur mari et père comme point de départ de la prescription, alors que ce point de départ ne pouvait être que la date, du 3 mars 2008, à laquelle elles ont eu connaissance des résultats d'enquêtes transfusionnelles, alors également que le cours de la prescription avait été interrompu par leur demande de communication d'informations relatives à la santé ;
- le décès de leur mari et père doit être présumé imputable à une contamination transfusionnelle par le VHC ;
- la victime a subi un préjudice du fait des troubles de toute nature et de souffrances endurées, un préjudice d'anxiété et un préjudice spécifique de contamination ;
- elles ont personnellement subi, en tant que veuve et filles un préjudice moral et, en tant que veuve, un préjudice matériel.
Par un mémoire enregistré le 25 juillet 2014, présenté par la société d'avocats Thévenot et associés, avocat, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Garonne, représentée par son directeur en exercice, demande la condamnation de l'ONIAM à lui verser les sommes de :
- 244 727,41 euros, en remboursement de ses débours,
- 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion,
- 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir :
- que c'est à tort que la prescription quadriennale a été opposée, la prescription décennale étant seule opposable ;
- que l'ONIAM, qui est substitué à l'établissement français du sang (EFS) doit l'indemniser, en sa qualité de tiers payeur ;
- qu'elle justifie de ce que ces dépenses ont bien été engagées du fait de la contamination de son assuré par le VHC.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2016 et un mémoire complémentaire enregistré le 2 mars 2016, présentés par Me de La Grange, avocat, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par son président en exercice, conclut :
- au rejet de la requête et des conclusions de la CPAM la Haute-Garonne ;
- à l'allocation d'indemnités d'un montant raisonnable à Mme veuve A...et autres.
Il fait valoir que :
- il s'en remet à la sagesse de la cour quant à la prescription ;
- le préjudice résultant du déficit fonctionnel temporaire de la victime ne peut pas être évalué à plus de 3 053,01 euros et celui résultant des souffrances endurées à 25 000 euros ;
- le préjudice d'affection de la veuve de la victime peut être indemnisé à hauteur de 25 000 euros et celui de chacune des ses filles à hauteur de 20 000 euros ;
- en revanche, aucune indemnisation du préjudice spécifique de contamination n'est susceptible d'être alloué et il n'est pas justifié des pertes de revenus de la veuve de la victime ;
- l'action de la CPAM la Haute-Garonne qui ne dispose d'aucun recours subrogatoire contre lui est irrecevable.
Par courrier en date du 25 février 2016, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision est susceptible d'être fondée sur le moyen soulevé d'office tiré de l'application des dispositions de l'article 188 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et de la modification de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique qui en résulte.
Un mémoire présenté pour la CPAM la Haute-Garonne a été enregistré le 7 mars 2016, postérieurement à la clôture d'instruction.
Mme veuveA..., Mlle B...A...et Mlle D...A...ont été admises, chacune, au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par trois décisions du 28 août 2014.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique, notamment son article L. 1142-28 dans sa rédaction issue de l'article 188 de la loi n° 2016-41 du février 2016 de modernisation de notre système de santé ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.E...,
- les conclusions de M. Katz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C...A..., qui avait reçu des transfusions de produits sanguins à l'occasion d'une intervention chirurgicale pratiquée en 1988 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse, s'est révélé atteint d'une cirrhose post-hépatique, diagnostiquée au mois de janvier 2000 et est décédé le 2 octobre 2000. Sa veuve et ses deux filles ont assigné les 5 août et 9 septembre 2009, devant le tribunal de grande instance (TGI) de Toulouse, le centre régional de transfusion sanguine (CRTS) de Toulouse, personne de droit privé placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 20 décembre 1993, représenté par son liquidateur judiciaire, son assureur, la compagnie AXA France Iard, ainsi que l'Etablissement français du sang (EFS) aux fins d'obtenir la réparation des conséquences préjudiciables de la contamination de M. A...qu'elles estiment imputable à la transfusion de produits sanguins défectueux fournis par le CRTS de Toulouse. Elles se sont désistées de leur action contre l'EFS mais ont poursuivi devant le TGI, en assignant, en outre, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) devant ce tribunal, leurs autres actions, qui ont donné lieu à plusieurs décisions du juge de la mise en état du TGI, du TGI lui-même et de la Cour d'appel de Toulouse, dont aucune ne statue au fond et n'est devenue définitive. Mme Veuve A...et chacune de ses filles ont, parallèlement saisi, par des lettres du 6 septembre 2010, l'ONIAM de demandes d'indemnisation amiable. Ces demandes ont été rejetées par trois décisions du 2 août 2011 au motif que les créances étaient prescrites. Tout en poursuivant leurs actions devant la juridiction judiciaire, elles ont saisi le tribunal administratif de Toulouse en se prévalant aussi bien du régime de réparation sur le fondement de la solidarité nationale institué par l'article L. 1221-14 du code de la santé publique et entré en vigueur le 1er juin 2010 que de la responsabilité du fournisseur de produits sanguins. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Garonne a également demandé la condamnation de l'ONIAM à lui rembourser les dépenses exposées pour son assuré du fait de cette contamination. Mme Veuve A...et autres relèvent appel du jugement n° 1104447 du 17 avril 2014 du tribunal administratif de Toulouse, qui a rejeté leur demande de condamnation de l'ONIAM. Il en va de même de la CPAM de la Haute-Garonne.
Sur la prescription :
2. Le I de l'article 188 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé modifie l'article L. 1142-28 du code de la santé publique en fixant à 10 ans à compter de la consolidation du dommage le délai de prescription opposable aux demandes d'indemnisation formées devant l'ONIAM par les victimes, notamment, de contamination par le VHC à l'occasion d'une transfusion sanguine ou par leurs ayants droit. Le II de cet article précise les conditions de l'applicabilité dans le temps du délai de la prescription décennale aux demandes formées devant l'ONIAM et son second alinéa prévoit que ce délai s'applique aux demandes d'indemnisations n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable, présentées à l'ONIAM avant l'entrée en vigueur de la loi et après le 1er janvier 2006.
3. Le décès de M. C...A...est survenu le 2 octobre 2000 et cette date constitue, en l'espèce, celle du point de départ du délai de prescription. Les ayants droit de M. A...ont présenté à l'ONIAM par des lettres du 6 septembre 2010, dont il n'est ni établi ni même allégué qu'elles auraient été envoyées après le 3 octobre 2010, une demande portant sur l'une des indemnisations énumérées à l'article L. 1142-28 du code de la santé publique. Elle n'a fait l'objet d'aucune décision de justice irrévocable. Cette demande est donc au nombre de celles auxquelles pouvait être opposée seulement la prescription de 10 ans prévue par les dispositions de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de l'article 188 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Dès lors, c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que l'ONIAM était fondé à opposer aux ayants droit de M. A...la prescription quadriennale de leur créance dont le bien fondé doit être examiné au regard de la présomption instituée par les dispositions de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé modifiée.
Sur les demandes de Mme Veuve A...et autres :
4. En vertu de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, en cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le VHC C antérieure à la date d'entrée en vigueur de cette loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur.
5. Il résulte de l'instruction et notamment des résultats, communiqués par lettre du 3 mars 2008, de l'enquête transfusionnelle réalisée par le centre hospitalier universitaire de Bordeaux auprès de l'Etablissement français du sang qu'un des donneurs qui ont pu être identifiés et dont provenaient les produits sanguins transfusés à M. A...à l'occasion d'une intervention chirurgicale pratiquée en 1988, était porteur du VHC. Dans ces conditions l'hypothèse que les transfusions de produits sanguins reçus au mois d'avril 1986 soient à l'origine de la contamination présente un degré suffisamment élevé de vraisemblance. Il n'est pas contesté que le décès de M. A...est la conséquence directe de sa contamination par le VHC. Mme Veuve A...et autres sont donc fondées à soutenir que l'ONIAM doit les indemniser des préjudices résultant de la contamination de leur mari et père par le VHC.
6. Mme Veuve A...et autres demandent réparation des préjudices subis par leur mari et père, avant son décès et après l'aggravation en 2010 de son état de santé, du fait des troubles de toute nature et des souffrances morales et physiques endurées, ainsi que d'un préjudice d'agrément et d'un préjudice résultant du déficit fonctionnel permanent. Elles n'apportent aucun élément relatif au préjudice d'agrément allégué ni aux troubles résultant du déficit fonctionnel permanent. Il résulte, en revanche, de l'instruction que, du fait des périodes de traitements subis par la victime, celle-ci a subi un préjudice résultant du déficit fonctionnel temporaire dont il sera fait une juste appréciation en fixant à 3 053,01 euros son indemnisation. Il sera fait une juste appréciation du préjudice résultant des souffrances endurées par la victime avant son décès et après l'aggravation en 2010 de son état de santé en raison de sa contamination en fixant à 25 000 euros son indemnisation.
7. Mme Veuve A...et autres n'ont produit aucun élément de nature à justifier que leur soit accordée l'indemnisation qu'elles demandent au titre des pertes de revenus subies du fait du décès de leur mari et père.
8. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par la veuve de M. A...en l'évaluant à 25 000 euros et de celui subi par chacune de ses filles en l'évaluant à 20 000 euros.
9. L'ONIAM ne doit prendre en charge, au titre de la solidarité nationale, que l'indemnisation des préjudices du patient et, en cas de décès, de ses ayants droit. Ainsi, Mme Veuve A...et autres ne sauraient demander l'indemnisation d'aucun préjudice subi en propre par elles du fait des séquelles de la contamination de leur mari et père avant son décès. Par suite leur demande de réparation de préjudices d'accompagnement ne peut qu'être rejetée.
10. Dans ces conditions Mme Veuve A...et autres sont fondées à demander la condamnation de l'ONIAM à leur verser la somme de 28 053,01 euros, en qualité d'ayants droit de M.A..., et les sommes de 25 000 euros et 20 000 euros en qualité, respectivement, de veuve et d'orphelines.
Sur les conclusions de la CPAM de la Haute-Garonne :
11. Il résulte des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, que les recours des tiers payeurs, subrogés dans les droits d'une victime d'un dommage qu'ils indemnisent, s'exercent à l'encontre des auteurs responsables de l'accident. En confiant à l'ONIAM, établissement public à caractère administratif de l'Etat placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé, la mission d'indemniser, selon une procédure amiable exclusive de toute recherche de responsabilité, les dommages subis par les victimes de contamination transfusionnelle par le VHC dans la mesure où ces dommages ne sont pas couverts par les prestations versées par les tiers payeurs et sans préjudice de l'exercice par l'office d'un recours subrogatoire contre " la personne responsable ", le législateur a institué aux articles L. 1142-22 et L. 1221-14 du code de la santé publique un dispositif assurant l'indemnisation des victimes concernées au titre de la solidarité nationale. Il s'ensuit que, dans l'exercice de la mission qui lui est confiée par ces articles, l'ONIAM est tenu d'indemniser à ce titre et non en qualité d'auteur responsable. Il en résulte que les tiers payeurs ayant versé des prestations à la victime d'un dommage entrant dans les prévisions de l'article L. 1221-14 ne peuvent exercer contre l'ONIAM le recours subrogatoire prévu par les articles L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
12. Les conclusions de la CPAM de la Haute-Garonne tendant à la condamnation de l'ONIAM à lui rembourser les dépenses exposées pour son assuré du fait de la contamination par le VHC de M. A...ou à lui verser l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, ne peuvent donc pas être admises.
Sur l'application de l'article L. 761- du code de justice administrative :
13. Cet article fait obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la CPAM de la Haute-Garonne tendant à son application. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de condamner l'ONIAM à verser, en application de cet article, une somme quelconque à Mme Veuve A...et autres au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : Le jugement n° 1104447 du 17 avril 2014 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : L'ONIAM versera une indemnité de 28 053,01 euros à Mme Veuve A...et autres en qualité d'ayants droit de M. A...ainsi que les sommes de 25 000 euros à Mme F...G..., veuveA..., 20 000 euros à Mlle B...A...et 20 000 euros à Mlle D...A....
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme Veuve A...et autres et les conclusions de la CPAM de la Haute-Garonne sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F...G..., veuveA..., à Mlle B...A...et à Mlle D...A..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2016 à laquelle siégeaient :
M. Didier Péano, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
M. Bernard Leplat, faisant fonction de premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 avril 2016.
Le rapporteur,
Bernard E... Le président,
Didier Péano
Le greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 14BX01513