Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D...C...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux et son assureur, la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) ou, à défaut, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 74 426,66 € en réparation de ses préjudices subis du fait de l'intervention pratiquée le 20 octobre 2006.
Par un jugement n° 1102142 du 3 décembre 2013, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné solidairement le CHU de Bordeaux et la SHAM à verser à la succession de M. C...une somme de 21 200 euros et le CHU de Bordeaux à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde les sommes de 255 821,90 euros au titre de ses débours et de 1 015 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire, enregistrée le 3 février 2014, par un mémoire complémentaire, enregistré le 26 mars 2014 et par un mémoire en réplique, enregistré le 30 mai 2014, présentés par Me Le Prado, avocat, le CHU de Bordeaux, représenté par son directeur général en exercice et la SHAM, représentée par son président en exercice, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1102142 du 3 décembre 2013 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) de rejeter la demande de première instance.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 1er décembre 2015 :
- le rapport de M. Bernard Leplat,
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. Le 18 septembre 2006, M. D...C..., alors âgé de 53 ans, qui présentait une artérite très évoluée des membres inférieurs, a été admis au centre hospitalier de Bordeaux pour y subir un pontage axillo bi-fémoral en raison d'un début de gangrène de ses deux membres inférieurs. Le 5 octobre 2006 une amputation transfémorale droite ainsi qu'une amputation de l'avant pied gauche ont dû être réalisées, suivies le 20 octobre 2006 d'une amputation transtibiale gauche en raison de l'évolution défavorable de cette jambe. Le 14 février 2007, un abcès a été localisé au niveau de l'abord sous-claviculaire droit. Les prélèvements biologiques effectués ont permis de retrouver un bacille pyocyanique, entrainant une surinfection du pontage axillo bi-fémoral à l'origine d'une amputation transfémorale gauche réalisée le 10 mai 2007, suivie de la dépose du pontage le 6 juillet suivant et de deux autres interventions chirurgicales au niveau du moignon d'amputation gauche les 11 et 22 octobre 2007. M. D...C...a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) de la région Aquitaine le 29 décembre 2008, qui, au vu du rapport d'expertise remis le 5 août 2009, a émis, le 20 janvier 2010, un avis favorable à l'indemnisation de celui-ci, en invitant l'assureur du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui faire une offre. Cet assureur, la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), a par un courrier du 27 octobre 2010, refusé de lui faire une offre et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) l'a informé, par un courrier du 7 mars 2011, qu'il n'entendait pas se substituer à l'assureur du centre hospitalier. M. D...C...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux la condamnation solidaire du centre hospitalier de Bordeaux et de son assureur à lui verser la somme de 74 426,66 € en réparation des préjudices qu'il estime liés à l'infection nosocomiale contractée ou, à titre subsidiaire, de condamner l'ONIAM à l'indemniser de ses préjudices. Il est décédé en cours d'instance. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde a demandé au tribunal administratif de Bordeaux la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser la somme de 255 821,90 euros en remboursement de ses débours. Par jugement n° 1102142 du 3 décembre 2013, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné solidairement le CHU de Bordeaux et la SHAM à verser à la succession de M. C...une somme de 21 200 euros et le CHU de Bordeaux à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde les sommes de 255 821,90 euros au titre de ses débours et de 1 015 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Le CHU de Bordeaux et la SHAM relèvent appel de ce jugement. Mme B... C...et M. A...C..., ayants droit de la victime, demandent à la cour, par la voie de l'appel incident, la réformation de ce jugement, en tant qu'il leur accorde une indemnité d'un montant qu'ils estiment insuffisant. La CPAM de la Gironde présente à la cour des conclusions tendant au bénéfice de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement attaqué et sur la recevabilité de la demande de M. D...C...et des conclusions de ses ayants droit
2. Le CHU de Bordeaux et la SHAM n'apportent à l'appui de leur affirmation selon laquelle le jugement du 3 décembre 2013 du tribunal administratif de Bordeaux ne serait pas suffisamment motivé aucune précision permettant d'en apprécier le bien fondé.
3. Ce n'est, en vertu de l'article R. 634-1 du code de justice administrative, que lorsque l'affaire n'est pas en état d'être jugée à la date à laquelle il est informé du décès de l'une des parties que le tribunal administratif doit suspendre l'instance et peut, s'il s'agit du décès de l'auteur de la demande, prononcer un non lieu à statuer en l'état. A la date de l'enregistrement, le 14 janvier 2013, de la lettre de l'avocat de M. D...C...informant du décès de celui-ci le tribunal administratif de Bordeaux, toutes les parties avaient présenté leurs observations et le président de la formation de jugement avait même pris une ordonnance de clôture de l'instruction. L'affaire était ainsi en état d'être jugée. En outre, par cette lettre, cet avocat indiquait expressément l'intention des ayants droit de la victime de reprendre l'instance. Dans ces conditions, le CHU de Bordeaux et la SHAM ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal administratif de Bordeaux aurait dû prononcer un non lieu à statuer sur la demande de M. D...C....
4. Le CHU de Bordeaux et la SHAM invoquent les dispositions du code civil selon lesquelles le tuteur agit seul en justice pour faire valoir les droits patrimoniaux de la personne protégée. Toutefois, il n'est pas contesté que M. D...C...avait été placé en curatelle et non en tutelle. En vertu du dernier alinéa de l'article 468 du code civil, issu de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, la personne en curatelle peut introduire une action en justice ou y défendre, assistée de son curateur. Il n'est pas établi ou allégué que le juge des tutelles aurait pris une des mesures de tutelle renforcée visées à l'article 472 du même code. La demande de M. D...C...a été présentée au tribunal administratif de Bordeaux par celui-ci, assisté de son curateur, l'Association tutelle et intégration (ATI) d'Aquitaine. Dans ces conditions, le CHU de Bordeaux et la SHAM ne sont pas fondés à soutenir que cette demande n'était pas recevable.
5. Selon le principe énoncé à l'article 720 du code civil, les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt. Mme B...C...et M. A...C..., qui sont les enfants du défunt, n'avaient donc, contrairement à ce que soutiennent le CHU de Bordeaux et la SHAM, à apporter aucune justification de leur qualité pour agir, autre que celle d'enfant du défunt. Dans ces conditions, le CHU de Bordeaux et la SHAM ne sont pas fondés à soutenir que les requérants ne justifient pas de leurs droits dans la succession et n'avaient pas qualité pour reprendre l'instance et pour agir devant la cour.
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité et la détermination de la personne chargée de l'indemnisation :
6. Le jugement du 3 décembre 2013 du tribunal administratif de Bordeaux rappelle que les infections survenues au cours ou au décours d'une prise en charge et qui n'étaient ni présentes, ni en incubation au début de la prise en charge, présentent le caractère d'infections nosocomiales au sens de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, de nature à engager, à moins que la preuve d'une cause étrangère soit rapportée, la responsabilité des professionnels de santé. Pour estimer que l'ischémie du moignon tibial gauche, constatée le 2 mai 2007 et ayant rendu nécessaire une amputation complémentaire de la jambe gauche de M.C..., résultait d'une infection nosocomiale ce jugement se fonde sur le rapport de l'expertise effectuée à la demande de la CRCI de la région Aquitaine, qui, en tenant compte du délai séparant ces interventions chirurgicales et en relevant le constat de la présence, dans les hémocultures prélevées dès février 2007, d'un germe multi-résistant de type " pseudomonas aeruginosa ", conclut à l'existence d'une d'infection nosocomiale de nature exogène liée aux actes médicaux effectués les 5 et 20 octobre 2006. Le CHU de Bordeaux et la SHAM se bornent à soutenir que le délai séparant les interventions est de plus de trois mois et que l'infection n'est ainsi pas apparue dans les suites immédiates des premières interventions. Ils relèvent également que les résultats des analyses effectuées juste avant le transfert de M. C...dans un établissement de rééducation sont négatifs, ce qui n'enlève rien au fait que la présence de germes infectieux avait été constatée auparavant. Ils ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a estimé qu'ils n'apportaient pas la preuve d'une cause étrangère.
7. Le CHU de Bordeaux et la SHAM soutiennent également que l'infection nosocomiale dont a été victime M. C...ne lui a fait perdre qu'une chance d'échapper à l'amputation transfémorale de son membre inférieur gauche, s'ajoutant à l'amputation à ce niveau de son membre inférieur droit et à l'amputation transtibiale de ce membre inférieur gauche, qui avaient dû être pratiquées précédemment en raison de son état de santé. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise évoqué au point précédent que l'infection nosocomiale liée à ces précédentes amputations est la cause directe de l'aggravation de son état et ne lui a pas seulement fait perdre une chance d'y échapper. Par suite, le CHU de Bordeaux et la SHAM ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a estimé que la responsabilité de l'établissement n'était pas engagée seulement pour une fraction du dommage corporel subi.
8. Pour contester le taux de l'incapacité permanente partielle de 25 % directement imputable à l'amputation rendue nécessaire par l'infection nosocomiale, dont est resté atteint M.C..., le CHU de Bordeaux et la SHAM se bornent à faire valoir que le taux d'incapacité globale résultant de l'ensemble des amputations, à partir duquel le tribunal administratif de Bordeaux se fondant sur le rapport de l'expertise déjà mentionné, a retenu ce taux de 25 % est sous-estimé. Toutefois, ils n'invoquent que des taux d'incapacité retenus pour des amputations pratiquées dans d'autres circonstances que celles, tenant notamment à l'état antérieur de la victime, de l'espèce. Ainsi, le CHU de Bordeaux et la SHAM ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a estimé que, compte tenu du taux de 25 % devant être retenu et en application de l'article de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, la réparation du préjudice n'avait pas à être mise à la charge de l'ONIAM .
En ce qui concerne le montant des réparations :
9. Le CHU de Bordeaux et la SHAM soutiennent que le tribunal administratif de Bordeaux ne pouvait pas retenir la date du 14 février 2007 comme point de départ de la période durant laquelle M. C...a souffert, jusqu'au 28 mars 2008, date de la consolidation de son état, d'une incapacité temporaire totale, alors qu'il se trouvait dans un centre de rééducation où il aurait dû séjourner jusqu'au 30 avril 2007, indépendamment de son infection nosocomiale. Toutefois, le jugement du 3 décembre 2013 du tribunal administratif de Bordeaux n'a alloué aucune indemnité réparant un préjudice patrimonial au titre de cette incapacité temporaire totale et a confondu, comme il pouvait le faire s'agissant de postes de préjudice de même nature du point de vue de recours éventuels de tiers payeurs, la réparation des préjudices personnels résultant des déficits fonctionnels temporaire et permanent de l'intéressé. Il a évalué à la somme de 16 000 euros le montant de la réparation des préjudices de toute nature subis du fait des troubles dans ses conditions d'existence en raison de ces déficits fonctionnels. Cette somme n'est pas excessive. Dès lors et sans qu'il soit besoin de rechercher si et dans quelle mesure l'infection nosocomiale aurait entraîné un allongement de la durée de la période de rééducation, une éventuelle erreur sur la date du point de départ susmentionné ne peut pas être utilement invoquée par le CHU de Bordeaux et la SHAM.
10. Les ayants droit de M. C...soutiennent que la réparation des préjudices personnels subis par celui-ci du fait des déficits fonctionnels temporaire et permanent devait donner lieu à des indemnités, respectivement, de 9 426,66 euros et 50 000 euros. Toutefois ils se bornent à se référer, comme en première instance, à un barème sans développer aucune argumentation relative aux circonstances particulières de l'espèce ayant conduit le tribunal administratif de Bordeaux à s'écarter sensiblement, comme il pouvait le faire, des sommes accordées en application du barème pour des taux de déficits comparables.
11. Le jugement du 3 décembre 2013 du tribunal administratif de Bordeaux a évalué à la somme de 4 600 euros le montant de l'indemnisation du préjudice subi du fait des souffrances endurées et à la somme de 600 euros le montant de l'indemnisation du préjudice esthétique. Le CHU de Bordeaux et la SHAM se prévalent du barème de l'ONIAM et de ce que M.C..., étant décédé peu de temps après, la somme accordée à ses ayants droit devait être minorée au pro rata de la durée de survie. Les ayants droit de M. C...se prévalent d'un autre barème pour soutenir que la réparation de ces préjudices justifiait des indemnités, respectivement, de 12 000 euros et de 3 000 euros.
12. A la différence du montant de l'indemnité allouée en réparation du préjudice esthétique, d'une intensité de 1 sur une échelle de 7 selon le rapport de l'expertise, celui de l'indemnité destinée à réparer le préjudice subi du fait des souffrances endurées, d'une intensité de 4 sur une échelle de 7 selon le même rapport, est très sensiblement inférieur à celui figurant dans les barèmes couramment pratiqués. Toutefois, ces barèmes n'ont qu'un caractère indicatif et les circonstances de l'espèce, notamment celles relatives à l'état préexistant de la victime et à la durée durant laquelle il a éprouvé ce préjudice justifient que le que le tribunal administratif de Bordeaux ait pu s'en éloigner. Dans ces conditions, ni le CHU de Bordeaux et la SHAM, ni les ayants droit de M.C..., qui n'apportent aucun élément de nature à faire regarder le tribunal administratif de Bordeaux comme ayant accordé à ces circonstances particulières une importance manifestement démesurée, ne sont fondés à soutenir que ce montant est excessif ou insuffisant.
13. Il résulte de ce qui précède que le CHU de Bordeaux et la SHAM ne sont pas fondés à demander l'annulation du jugement du 3 décembre 2013 du tribunal administratif de Bordeaux et que les ayants droit de M. C...ne sont pas fondés à en demander la réformation.
Sur les conclusions de la CPAM de la Gironde :
14. Aux termes de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier : " En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision (...)". Le point de départ du délai de deux mois prévu par ces dispositions est la date à laquelle la décision prononçant la condamnation est notifiée à la partie condamnée.
15. La CPAM de la Gironde présente des conclusions tendant à ce que les indemnités mises à la charge du CHU de Bordeaux et de la SHAM portent intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt à intervenir. Il résulte des dispositions précitées du code monétaire et financier que ces conclusions de la CPAM de Seine-et-Marne sont dépourvues d'objet et doivent être rejetées.
16. Les conclusions tendant à l'allocation de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale, présentées par la CPAM de la Gironde, qui n'obtient le remboursement d'aucun frais dans la présente instance, doivent être rejetées.
Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
17. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions la CPAM de la Gironde tendant à leur application. Dans les circonstances de l'espèce et en application de cet article, il y a lieu de condamner solidairement le CHU de Bordeaux et la SHAM à verser à Mme B...C...et M. A...C...une somme totale de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : La requête du CHU de Bordeaux et de la SHAM, les conclusions d'appel incident de Mme B...C...et M. A...C...et les conclusions de la CPAM de la Gironde sont rejetées.
Article 2 : Le CHU de Bordeaux et la SHAM verseront solidairement à Mme B...C...et M. A... C...la somme globale de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux et à la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à Mme B...C...et à M. A... C..., à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde.
Une copie en sera adressée à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).
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N° 14BX00370