La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/10/2015 | FRANCE | N°13BX02585

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 20 octobre 2015, 13BX02585


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...A...a demandé au tribunal administratif de Fort-de-France de condamner le centre hospitalier régional de la Martinique à lui verser la somme de 1 123 297,98 euros en réparation des préjudices causés par le défaut d'information quant aux conséquences de son opération du tendon externe du genou gauche et en remboursement des frais d'expertise.

Par un jugement n°1200865 du 23 mai 2013, le tribunal administratif de Fort-de-France a condamné le centre hospitalier régional de la Martinique à

verser à Mme A...les sommes de 91 772 euros à titre de dommages et intérêts et de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...A...a demandé au tribunal administratif de Fort-de-France de condamner le centre hospitalier régional de la Martinique à lui verser la somme de 1 123 297,98 euros en réparation des préjudices causés par le défaut d'information quant aux conséquences de son opération du tendon externe du genou gauche et en remboursement des frais d'expertise.

Par un jugement n°1200865 du 23 mai 2013, le tribunal administratif de Fort-de-France a condamné le centre hospitalier régional de la Martinique à verser à Mme A...les sommes de 91 772 euros à titre de dommages et intérêts et de 578,39 euros au titre des dépens.

Procédure devant la cour :

I, par une requête n° 13BX02582, enregistrée le 11 septembre 2013, Mme C...A..., représentée par MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Fort-de-France du 23 mai 2013 en tant qu'il a limité la condamnation du centre hospitalier régional de la Martinique à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de la somme de 91 772 euros ;

2°) de condamner le centre hospitalier régional de la Martinique à lui verser la somme de 982 287,87 euros à titre de dommages et intérêts et 55 000 euros au titre de la perte de chance ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional de la Martinique la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la perte de chance :

- elle est fondée à solliciter une réparation intégrale de son préjudice et non la seule perte de chance pour défaut d'information, en raison du fait que son consentement n'a pas été obtenu avant l'opération en méconnaissance par le chirurgien des dispositions de l'article 16-3 du code civil;

- le centre hospitalier ne peut échapper à sa responsabilité en prétendant qu'avant l'opération son impotence fonctionnelle l'obligeait à déambuler en fauteuil roulant, alors que tel n'était pas le cas ; son état actuel est dû à la lésion du nerf fibulaire qu'elle a subie durant l'intervention chirurgicale et non à l'accident du travail dont elle a été victime ;

En ce qui concerne ses préjudices patrimoniaux temporaires :

- c'est à tort que le tribunal administratif a refusé de l'indemniser au titre de l'aide par une tierce personne pour la période avant sa consolidation au motif qu'elle ne justifiait pas avoir engagé la somme de 15 264 euros qu'elle demandait, alors que la preuve du paiement n'a pas à être rapportée ;

- elle a subi une perte de gains professionnels actuels qui aurait dû être réparée par une allocation forfaitaire de 1 500 euros ;

En ce qui concerne ses préjudices patrimoniaux permanents :

- l'aide à la tierce personne après consolidation doit être portée de 146 544 euros à 313 575,55 euros ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, son préjudice professionnel est incontestable du fait de son handicap pour exercer le métier de libraire qu'elle envisageait ; l'incidence professionnelle de la faute du centre hospitalier devrait être indemnisée par la somme de 518 198,11 euros ;

- les frais d'aménagement de son logement devraient être indemnisés par la somme de 2 874,21 euros qu'elle a payée à laquelle doit s'ajouter la somme forfaitaire de 80 000 euros ;

- si elle avait le permis de conduire, un véhicule adapté lui serait nécessaire, ce qui justifie une allocation de 56 000 euros pour frais de véhicule adapté ;

En ce qui concerne ses préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

- compte tenu de la gêne très importante qui lui a été occasionnée pendant la période d'incapacité avant la consolidation, elle est fondée à solliciter l'allocation d'une indemnité de 29 070 euros au titre du déficit physiologique temporaire;

- ses souffrances endurées ont été évaluées à 4/7, ce qui justifie une indemnité de 10 000 euros ;

- son préjudice esthétique temporaire ayant été évalué à 4,5/7, elle doit être indemnisée à hauteur de 10 000 euros ;

En ce qui concerne ses préjudices extrapatrimoniaux permanents :

- l'indemnisation de son déficit physiologique permanent doit être porté de 21 000 euros à 29 070 euros ;

- son préjudice esthétique définitif a été évalué à 3/7, ce qui justifie que son indemnité soit portée de 3 000 euros à 6 000 euros ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, elle a subi un préjudice d'agrément qui doit être indemnisé par la somme de 6 000 euros ;

Enfin, la faute commise par le centre hospitalier a entraîné dans les circonstances de l'espèce une perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé, qu'il convient de réparer à hauteur de 55 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 septembre 2014, le centre hospitalier régional de Martinique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le tribunal administratif ayant suivi l'expert, a indemnisé globalement MmeA..., elle n'est donc pas fondée à demander une indemnisation supplémentaire au titre de l'assistance de la tierce personne pour la période avant sa consolidation;

- la somme accordée à Mme A...au titre de l'assistance de la tierce personne est excessive car elle n'est atteinte que d'une invalidité permanente de 17% ;

- la demande de Mme A...de condamnation du centre hospitalier à lui verser la somme de 1 500 euros pour des " pertes de revenus et accessoires " est irrecevable car présentée pour la première fois en appel ;

- au titre de l'incidence professionnelle, MmeA..., en tout état de cause, ne pourrait bénéficier que d'une indemnisation forfaitaire qui ne saurait excéder 10 000 euros ;

- les autres demandes d'augmentation des sommes accordées par le tribunal ne sont pas non plus fondées.

II, par une requête n° 13BX02585, enregistrée le 11 septembre 2013, et un mémoire ampliatif enregistré le 7 février 2014, le centre hospitalier régional de Martinique, représenté par MeB..., demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Fort-de-France du 23 mai 2013.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, Mme A...n'a pas été victime d'un manquement fautif au devoir d'information du malade et elle doit être regardée comme ayant consenti à l'opération ;

- subsidiairement, le défaut d'information de Mme A...n'est pas à l'origine d'une perte de chance pour elle de se soustraire aux complications dont elle a été victime ; en conséquence, c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que la faute avait engendré une perte de chance de 50 % ;

- en toute hypothèse, le tribunal administratif aurait dû fixer la perte de chance à une valeur bien inférieure à 50 % ;

- dans le cas où la cour confirmerait la condamnation du centre hospitalier, il devrait considérer qu'une fraction seulement des préjudices est la conséquence de la chute dont Mme A... a été victime et qu'elle ne peut donc être mise à la charge du centre hospitalier ;

- en tout état de cause, le déficit fonctionnel permanent de Mme A...devrait être fixé à 15 % ;

- le jugement doit être réformé pour ce qui concerne l'évaluation du préjudice causé par la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique;

- le code de la sécurité sociale;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Pierre Valeins,

- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. MmeA..., alors âgée de 25 ans, a été victime d'un accident du travail le 1er septembre 2004 en chutant d'un escabeau. Une déchirure du tendon externe du genou gauche ayant été diagnostiquée le 10 novembre 2004, elle a subi le 30 décembre une intervention chirurgicale destinée à réparer le tendon au centre hospitalier universitaire de Fort-de-France devenu centre hospitalier régional de Martinique. Lors de cette opération Mme A...a été victime d'un accident médical : le nerf fibulaire commun a été lésé provoquant la paralysie du nerf sciatique poplité externe. Mme A...a subi le 12 janvier 2006 une nouvelle intervention dans un autre établissement de santé pour la réparation de cette paralysie. Le 12 septembre 2012 Mme A...a demandé au tribunal administratif de Fort-de-France la condamnation du centre hospitalier régional de Martinique à lui verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice que ce dernier lui a causé en ne l'informant pas préalablement à l'intervention du 30 décembre 2004 du risque qui est intervenu et en ne recueillant pas son consentement. Par jugement du 23 mai 2013 le tribunal administratif de Fort-de-France, après avoir examiné d'office et écarté la possibilité pour Mme A...de bénéficier d'une réparation au titre de la solidarité nationale en raison de l'aléa thérapeutique dont elle avait été victime, a condamné le centre hospitalier régional de Martinique à lui verser pour défaut d'information et absence de signature du consentement à l'opération la somme de 91 772 euros. Le centre hospitalier régional et Mme A...relèvent appel de ce jugement mais Mme A...en tant seulement qu'il a limité la condamnation du centre hospitalier régional à lui verser la somme citée.

2. Les requêtes du centre hospitalier régional de Martinique et de Mme A...sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

Sur la responsabilité du centre hospitalier :

3. Aux termes des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique alors en vigueur : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ".

4. Aux termes des dispositions de l'article L. 1111-4 du même code : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. / Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix (...) / Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment (...) ".

5. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a relevé que Mme A..." n'a pas été informée des risques qu'elle courait du fait du caractère rare de la désinsertion du jumeau externe ", qu'elle n'avait pas signé de consentement à l'opération et que le rapport établi par le chirurgien qui l'a opérée, s'il indiquait qu'elle avait été informée des risques encourus ne suffisait pas à établir que l'information requise avait bien été délivrée à l'intéressée dès lors qu'il avait été rédigé après l'opération. Il en a déduit que le défaut d'information et de consentement engageait la responsabilité du centre hospitalier.

6. Pour contester le jugement, le centre hospitalier fait valoir, d'une part, que le risque en cause ne pouvait être considéré ni comme fréquent ni comme normalement prévisible au sens des dispositions précitées de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique. Il résulte de l'instruction que la gravité de la désinsertion du jumeau externe dont souffrait Mme A...à la suite de son accident du travail n'est apparue que lors de l'intervention chirurgicale et selon les termes de l'expert " la lésion sévère du nerf fibulaire commun dans le creux poplité " dont a souffert Mme A...à la suite de l'opération s'est produite lors de l'intervention et a constitué un aléa thérapeutique et donc par définition un accident médical imprévisible. Par ailleurs, si le rapport d'expertise relève qu'une information aurait dû être donnée à Mme A...sur la " dangerosité des rapports nerveux en cas d'intervention ", il n'affirme pas que la lésion sévère du nerf fibulaire dont elle a souffert à la suite de l'intervention constituait un risque fréquent. Dans ces conditions, la lésion dont Mme A...a été victime ne peut être regardée comme fréquente ou normalement prévisible et le chirurgien qui a procédé à l'intervention sans l'informer du risque d'une telle lésion n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique.

7. D'autre part, pour contester le bien-fondé du jugement le centre hospitalier relève à bon droit que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, le consentement à l'opération n'avait pas à être signé par Mme A...dès lors qu'aucune disposition, notamment les dispositions précitées de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, ni aucun principe, n'exige que le consentement du malade revête la forme écrite. Il résulte par ailleurs de l'instruction et notamment d'un rapport établi par le chirurgien qui a opéré MmeA..., que celle-ci a été informée, le 26 octobre 2004, au vu d'une imagerie par résonnance magnétique montrant " une rupture post traumatique du jumeau externe à sa jonction myotendineuse " qu'il y avait une possibilité de traiter cette rupture par une intervention chirurgicale. L'intervention chirurgicale alors envisagée a été réalisée le 30 décembre 2004. Si ledit rapport ne peut être regardé comme établissant que le chirurgien avait informé Mme A...du risque qui est survenu, y figure toutefois l'affirmation non contestée selon laquelle l'intéressée a été informée des risques de l'opération tels qu'ils pouvaient être déduits de l'imagerie par résonnance magnétique. Cette intervention ne peut donc être regardée comme ayant été pratiquée sans le consentement libre et éclairé du malade, ainsi que l'exigent les dispositions précitées de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier régional de Martinique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a retenu sa responsabilité et l'a condamné à indemniser Mme A...pour défaut d'information et absence de consentement à l'opération. En conséquence, le jugement doit être annulé en tant qu'il condamne le centre hospitalier régional de Martinique et la requête de Mme A...doit être rejetée.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier régional de Martinique, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par Mme A...et non compris dans les dépens.

DECIDE

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Fort-de-France du 23 mai 2013 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme A...devant le tribunal administratif de Fort-de-France et sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...A...et au centre hospitalier régional de Martinique.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2015 à laquelle siégeaient :

M. Didier Péano, président,

M. Jean-Pierre Valeins, président assesseur,

Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller.

Lu en audience publique le 20 octobre 2015.

Le rapporteur,

Jean-Pierre Valeins

Le président,

Didier Péano

Le greffier,

Martine Gérards

La République mande et ordonne à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

''

''

''

''

7

N°s 13BX02582, 13BX02585


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 13BX02585
Date de la décision : 20/10/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. PEANO
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre VALEINS
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2015-10-20;13bx02585 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award