Vu la requête, enregistrée le 20 décembre 2013, présentée pour Mlle F...A..., demeurant ...et M. et Mme B...A..., demeurant..., par MeC... ; les consorts A...demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1102569 du 22 octobre 2013 du tribunal administratif de Bordeaux qui a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat à verser à Mlle F...A...une somme de 150 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison des fautes commises lors de sa naissance le 27 août 1989 et une somme de 50 000 euros à verser à M. et Mme B...et Christine A...en réparation du préjudice résultant des conditions dans lesquelles est intervenue la naissance de leur enfant, assorties des intérêts au taux légal ;
2°) d'ordonner avant-dire droit une nouvelle expertise ;
3°) de condamner le centre hospitalier Jean Leclaire à réparer le préjudice patrimonial et extrapatrimonial de Mlle A...en lui versant la somme de 2 810 000 euros à parfaire ;
4°) de condamner le centre hospitalier Jean Leclaire à réparer le préjudice patrimonial et extrapatrimonial de M. et Mme A...en leur versant la somme de 200 000 euros à parfaire ;
5°) de condamner le centre hospitalier Jean Leclaire aux entiers dépens ;
6°) de mettre à la charge du centre hospitalier Jean Leclaire la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- les premiers juges ont repris les conclusions de l'expert sans tenir compte de l'avis du docteur Marcovitch établi le 11 août 2010 et ont considéré de façon arbitraire que le centre hospitalier n'avait pas commis de faute ; le tribunal va même au-delà des conclusions de l'expert pour justifier l'absence de faute de l'hôpital ;
- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leur demande de contre-expertise alors que les conclusions de ces deux rapports d'expertise divergent sur de nombreux points ; de plus, le rapport du professeur Milliez n'avait pas évalué l'entier préjudice de MlleA... ; enfin, de nombreuses contradictions médicales dans les pièces versées au débat et les zones d'ombre non débattues par l'expert justifient d'ordonner une contre expertise judiciaire ;
- il ressort du dossier médical de Mme A...et de celui de sa fille ainsi que de l'avis sur pièces du docteur Marcovitch que l'accident médical dont elle a été victime aurait pu être évité et que les bons gestes n'ont pas été effectués ; l'enregistrement du rythme cardiaque foetal entre 18 heures 30 et 21 heures le 27 août 1989 a montré la survenance de ralentissements variables, dont certains profonds ; le docteur Caliot appelée à plusieurs reprises ne s'est pas déplacée et n'a pas pris ses dispositions pour s'assurer qu'un chirurgien serait disponible en cas de césarienne d'urgence ; il ressort du dossier médical que le liquide amniotique prélevé était teinté et non clair comme indiqué sur le dossier obstétrical ; lorsque le docteur Caliot a rompu artificiellement les membranes de l'oeuf à 21 heures elle n'a pas pris les précautions requises ; il n'y avait aucune urgence à rompre ; elle aurait dû, avant de pratiquer ce geste, s'assurer de la disponibilité du chirurgien ; lors de la procidence du cordon ombilical, le docteur Caliot indique avoir refoulé continuellement la tête du foetus jusqu'au bloc, ce qui est faux puisqu'il y a eu changement de main avec la sage femme ; elle a dû chercher en urgence un chirurgien disponible puisqu'elle ne pratiquait pas les césariennes ; la césarienne en cas de procidence du cordon doit être réalisée dans les 10 minutes pour éviter des séquelles neurologiques irréversibles ; le temps entre la décision de césariser et l'extraction d'F... A...a été de 35 minutes ce qui constitue une faute ;
- Mlle A...a perdu une chance de subir des séquelles moindres ; les maladresses du docteur Caliot ont joué un rôle causal dans le processus dommageable ;
- Mme A...n'a pas été informée du fait que le docteur Caliot n'était pas gynécologue obstétricienne et ne pratiquait pas de césarienne ;
- ils sont fondés à se prévaloir de la loi n°2006-1640 du 21 décembre 2006 et de solliciter l'évaluation du préjudice corporel de Mlle A...et du préjudice de ses proches sur la base de la nomenclature Dintilhac ;
- dans l'attente de la contre-expertise sollicitée, le montant total de l'indemnisation sollicitée au titre du préjudice de Mlle A...est de 2 810 000 euros et le montant du préjudice des victimes indirectes est de 200 000 euros ;
Vu le mémoire, enregistré le 16 janvier 2014, présenté par l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales qui informe la cour de ce que compte tenu de la date du fait générateur à l'origine du dommage allégué, il ne participera pas aux débats relatifs à cette affaire ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2014, présenté pour le centre hospitalier Jean Leclaire, par MeD..., qui conclut au rejet de la requête ;
Il fait valoir que :
- l'avis du Docteur Marcovitch a été établi à la demande et pour le compte des requérants et ne revêt aucun caractère contradictoire ; il n'est pas aussi circonstancié que celui de l'expert judiciaire ; son appréciation repose sur une analyse à postériori des évènements et non à la date des faits ; une lecture à posteriori le conduit à mettre en relation les ralentissements variables notés lors de l'enregistrement du rythme cardiaque foetal à une latérocidence du cordon ; or en l'absence de toute autre anomalie constatée postérieurement à l'accouchement, ce n'est que rétrospectivement que l'on pouvait supposer la compression du cordon ; les anomalies du rythme cardiaque foetal n'ont jamais constitué une alerte significative de souffrance foetale ; son analyse est également incomplète puisqu'il s'appuie sur deux brèves citations d'ouvrage dont on ignore le contexte ; on ne peut donc reprocher au docteur Caliot de ne pas s'être renseignée au moment du constat des anomalies du rythme cardiaque foetal de la disponibilité d'un médecin ;
- de plus lorsque la procidence du cordon a été constatée, un chirurgien était sur place de sorte que la décision de mettre en oeuvre une césarienne a été prise immédiatement et que la naissance a eu lieu 30 minutes plus tard ;
- l'expert a répondu à tous les chefs de mission dont il a été saisi aux termes d'un rapport précis et circonstancié ; la nouvelle expertise sollicitée présenterait un caractère frustratoire ;
- les conditions de mise en jeu de la responsabilité de l'hôpital ne sont pas réunies ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Dordogne qui n'a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 juin 2015 :
- le rapport de Mme Florence Madelaigue, premier conseiller ;
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;
- les observations de Me Barat, avocat de Mlle F...A...et de M. et Mme A...;
1. Considérant que Mme E...A...a donné naissance, le 27 août 1989 à 21 heures 35, au centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat à son quatrième enfant prénomméeF..., née par césarienne décidée en urgence en raison d'une procidence du cordon ombilical ; que l'enfant, née en état de mort apparente, a été réanimée et est atteinte depuis lors de troubles neurologiques sévères ; qu'estimant que ces derniers sont consécutifs aux circonstances dans lesquelles l'accouchement s'est réalisé, Mlle F... A...et ses parents, M. et Mme B...et Christine A...ont cherché devant le tribunal administratif de Bordeaux à obtenir réparation des préjudices en résultant et subsidiairement ont sollicité la mise en oeuvre d'une contre-expertise ; qu'ils relèvent appel du jugement du 22 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leurs demandes ;
Sur les conclusions aux fins de prescription d'une nouvelle expertise :
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les opérations de l'expertise du professeur Milliez, gynécologue accoucheur, désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, se sont déroulées au contradictoire de l'ensemble des parties et ont été régulièrement conduites ; que l'expert qui s'est prononcé sur les conditions de la prise en charge de Mme A...à l'occasion de son suivi prénatal et de son accouchement au centre hospitalier Jean Leclaire a répondu de façon suffisamment précise et circonstanciée à l'ensemble des questions de la mission d'expertise ; que pour demander que soit prescrite avant-dire droit une nouvelle expertise, les requérants s'appuient sur un avis sur pièces établi par un gynécologue-obstétricien ; que toutefois cet avis a été établi de façon non contradictoire à la demande et pour le compte des requérants, après la remise du rapport de l'expert judiciaire ; que ses conclusions au demeurant moins précises et circonstanciées que celles de l'expert judiciaire ne sont pas de nature à mettre en doute les conclusions de l'expert judiciaire, notamment quant à la prise en compte par le personnel médical des anomalies du rythme cardiaque foetal et à la disponibilité du médecin de garde, ni à établir que le rapport de ce dernier ne comportait pas tous les éléments nécessaires au tribunal administratif pour apprécier le bien-fondé de la demande dont il était saisi ; qu'ainsi le tribunal administratif a pu régulièrement se référer à l'expertise judiciaire pour se prononcer sur la demande de Mme F... A...et de ses parents ; que dès lors que la cour dispose des éléments lui permettant de statuer sur le litige, les conclusions présentées par les requérants aux fins de prescription d'une nouvelle expertise doivent être rejetées ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier Jean Leclaire :
3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que le suivi de la grossesse de Mme A...par le centre hospitalier Jean Leclaire à compter du 8 août 1989 a été conforme aux pratiques médicales en vigueur à l'époque alors même qu'un déclenchement artificiel qui avait été prévu pour le 25 août 1989 a échoué et qu'en l'absence de contraction utérine, elle a été autorisée à regagner son domicile avant d'être de nouveau été admise le 27 août suivant à 18 heures 30, à 40 semaines ; que les requérants n'apportent aucun élément au soutien de leur affirmation selon laquelle un examen pré-opératoire ou pré-anesthésique aurait dû être réalisé avant le déclenchement artificiel du travail le 25 août 1989 alors que l'expert judiciaire a considéré que ce déclenchement n'était pas justifié dès lors que le terme de la grossesse n'était pas encore atteint en ajoutant qu'il importe peu que ce déclenchement n'ait pas abouti dans la mesure où il a été sans conséquence sur la survenance de la procidence du cordon ombilical à l'origine du handicap d'F... A...; que de même si les requérants reprochent au médecin du centre hospitalier d'avoir prescrit du Salbutamol à Mme A...alors qu'elle se trouvait à son domicile sans l'avoir examiné, il ressort du rapport d'expertise que la prescription de ce médicament n'a pas empêché la bonne dilatation du col utérin et demeure sans lien avec la survenance ultérieure de la procidence du cordon ; que le rapport ajoute que, contrairement à ce qu'affirment les requérants sans toutefois apporter d'élément au soutien de cette affirmation, qu'il n'existait avant l'admission de Mme A...à la maternité de l'hôpital aucune indication justifiant de recourir à une césarienne alors qu'elle en était à sa quatrième grossesse ; qu'enfin la circonstance qu'il n'y ait eu qu'un seul gynécologue obstétricien de garde au centre hospitalier Jean Leclaire le jour de l'accouchement de Mme A...ne peut être considérée à elle seule comme constitutive d'une faute dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité de l'établissement dès lors notamment qu'ainsi que le relève le rapport d'expertise, " il n'était pas possible d'exiger, surtout à l'époque des faits, la présence de deux chirurgiens simultanément sur le site en cas de césarienne d'urgence " ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'aucune indication ne justifiait de recourir à une césarienne avant le moment où la procidence du cordon ombilical a été constatée ; que si les requérants soutiennent que le personnel médical disposait d'éléments permettant de prévoir et d'éviter la procidence du cordon, il ressort notamment de l'expertise que la survenance d'un tel évènement est imprévisible et que si en l'espèce, le monitorage avait enregistré des ralentissements du rythme cardiaque foetal, ni séparément ni par leur somation, ces décélérations n'ont constitué, à aucun moment, une alerte significative de souffrance foetale dès lors qu'ils sont restés espacés les uns des autres, sans itération continue, avec dans l'intervalle un tracé normal et rassurant ; que dans ces conditions, il ne saurait être reproché au gynécologue obstétricien du centre hospitalier de ne pas avoir mis en relation les ralentissements variables notés lors de l'enregistrement du rythme cardiaque foetal avec un risque de procidence du cordon et de ne pas s'être renseigné au moment du constat de ces anomalies, sur la disponibilité d'un chirurgien de garde alors que de plus, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif, une amnioscopie pratiquée à 19 heures 30 s'est révélée rassurante ; qu'au demeurant, il est établi que ce n'est qu'à 21 heures, lorsque le gynécologue obstétricien a décidé de rompre artificiellement la poche des eaux, compte tenu de la dilation du col de l'utérus, qu'a été constatée la procidence du cordon qui a entrainé l'anoxie foetale ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'il n'est pas établi qu'une faute imputable au personnel du centre hospitalier aurait été commise dans la prise en charge de la procidence du cordon ; qu'ainsi l'expert relève que même s'il existe des témoignages divergents sur ce point, il est certain que, conformément aux bonnes pratiques médicales, dès le constat de la procidence du cordon et pendant le transfert en salle d'opération, il a été procédé au refoulement de la tête du foetus évitant que le cordon soit comprimé en permanence et préservant les fonctions intellectuelles de l'enfant ; qu'il est vrai qu'ainsi que le relève l'expert, il s'est probablement écoulé 32 ou 33 minutes entre le moment où le gynécologue obstétricien a pris la décision de césarienne et la naissance d'F... alors qu'on estime par consensus international qu'il ne faut pas dépasser trente minutes dans un tel cas ; que toutefois, d'une part l'expert relève que ce retard de quelques minutes s'explique par l'indisponibilité du seul chirurgien de garde qui était en train de réaliser une opération alors qu'ainsi qu'il a été dit plus haut il n'était pas possible d'exiger, surtout à l'époque des faits, la présence de deux chirurgiens simultanément sur le site en cas de césarienne d'urgence ; que dès lors cette indisponibilité ne peut être considérée comme une faute dans l'organisation du service de nature à entraîner la responsabilité du centre hospitalier ; que d'autre part, l'expert conclut qu'il n'existe aucun argument établissant que le " retard théorique de deux ou trois minutes à la césarienne " ait significativement influencé le degré de handicap dont a été victimeF..., de sorte que le lien de causalité entre ce retrad et les préjudices dont il est demandé réparation n'est pas établi ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que, lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit, sauf en cas d'urgence, d'impossibilité, ou de refus de sa part, en être informé ; qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, le diagnostic de procidence du cordon ombilical est un accident imprévisible nécessitant une prise en charge médicale en urgence ; que la survenance d'une tel accident ne fait pas l'objet d'une information spécifique avant l'accouchement et dispensait en l'espèce l'établissement de l'obligation d'informer Mme A...sur les risques liés aux méthodes d'extraction envisageables et, en tout état de cause, sur l'organisation du service et des soins dispensés par le centre hospitalier ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier Jean Leclaire ne saurait être regardé comme ayant commis une faute en relation avec la procidence du cordon à l'origine des préjudices subis par la jeuneF..., susceptible d'engager sa responsabilité lors de l'accouchement de Mme E...A..., même au titre d'une perte de chance ; que dès lors, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Jean Leclaire, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les consorts A...demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des consorts A...est rejetée.
Article 2: Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., à Mme E...A..., à Mlle F...A..., au centre hospitalier Jean Leclaire et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Dordogne.
Copie en sera adressée au professeur Milliez, expert et à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 16 juin 2015 à laquelle siégeaient :
M. Didier Péano, président,
M. Jean-Pierre Valeins, président-assesseur,
Mme Florence Madelaigue, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 7 juillet 2015.
Le rapporteur,
Florence MADELAIGUELe président,
Didier PEANO
Le greffier,
Martine GERARDS
La République mande et ordonne à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
No 13BX03514