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24/03/2015 | FRANCE | N°12BX00390

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 24 mars 2015, 12BX00390


Vu, avec les pièces qui y sont visées, l'arrêt en date du 28 juin 2013, par lequel la cour a, avant de statuer sur la requête de M. D...B...et Mme C...B..., tendant à l'annulation du jugement n° 0902056 du 29 décembre 2011 du tribunal administratif de Pau, en tant qu'il a limité les sommes mises à la charge du centre hospitalier de Pau en réparation des préjudices subis du fait des conditions de la naissance de leur fils, A...et à la condamnation du centre hospitalier de Pau à leur verser diverses indemnités, décidé qu'il serait procédé à une expertise en vue de donner tous

les éléments utiles d'appréciation sur la perte de chance de leur ...

Vu, avec les pièces qui y sont visées, l'arrêt en date du 28 juin 2013, par lequel la cour a, avant de statuer sur la requête de M. D...B...et Mme C...B..., tendant à l'annulation du jugement n° 0902056 du 29 décembre 2011 du tribunal administratif de Pau, en tant qu'il a limité les sommes mises à la charge du centre hospitalier de Pau en réparation des préjudices subis du fait des conditions de la naissance de leur fils, A...et à la condamnation du centre hospitalier de Pau à leur verser diverses indemnités, décidé qu'il serait procédé à une expertise en vue de donner tous les éléments utiles d'appréciation sur la perte de chance de leur fils de voir son état s'améliorer ou ne pas s'aggraver si la rétinopathie de l'enfant avait été diagnostiquée à la fin du mois de septembre 2003 et sur les préjudices subis ;

Vu l'ordonnance du 16 septembre 2013 du président de la cour désignant Mme E... en qualité d'expert, ensemble, l'ordonnance du 17 février 2014 désignant un sapiteur ;

Vu, enregistré le 26 septembre 2014, le rapport de l'expertise ;

Vu l'ordonnance du 29 septembre 2014 du président de la cour taxant et liquidant à la somme de 1 800 euros les frais et honoraires de l'expertise ;

Vu le nouveau mémoire enregistré le 15 octobre 2014, présenté pour M. et Mme B... et tendant aux mêmes fins que la requête et leurs précédents mémoires, par les mêmes moyens ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 février 2015 :

- le rapport de M. Bernard Leplat ;

- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;

- les observations de Me Marco, avocat de M. D...B...et Mme C... B...;

1. Considérant que l'expertise décidée par l'arrêt susvisé de la cour a pour objet, en premier lieu, de permettre de déterminer le délai exact du retard de diagnostic de rétinopathie, et en conséquence, l'ampleur de la perte de chance subie par A...B...de voir son état s'améliorer ou ne pas s'aggraver, alors que les premiers juges ont estimé que, du fait du retard de diagnostic, l'enfant avait perdu 50% de chances de conserver une vision compatible avec l'accès à la vision utile ; que cette expertise a pour objet, en second lieu, d'apporter tous éléments pour l'évaluation des préjudices subis du fait de la cécité bilatérale totale dont demeure atteint l'enfant, né le 10 août 2003, au centre hospitalier de Pau, au terme de la vingt-cinquième semaine d'aménorrhée, avec des lésions de rétinopathie du prématuré avec décollement bilatéral de la rétine ;

Sur la perte de chance :

2. Considérant qu'ouvre droit à réparation le dommage corporel résultant de manière directe et certaine de la faute commise par le service public hospitalier ; que, dans le cas où celle-ci a compromis les chances d'un patient d'éviter l'aggravation de son état, le préjudice en résultant directement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise effectuée en exécution de l'arrêt susvisé de la cour, que le dépistage de la rétinopathie dont était atteint A...B...aurait dû être réalisé entre la 6ème et la 7ème semaine de vie et qu'un tel dépistage s'imposait impérativement dans le cas de ce grand prématuré dont l'état nécessitait une oxygénothérapie de longue durée ; que si, en raison de la date à laquelle sa pathologie a été dépistée, cet enfant n'avait plus aucune chance d'éviter la cécité bilatérale totale et irréversible dont il est atteint, le bénéfice de soins adaptés, même pratiqués aux premiers stades de la maladie, ne conduit à une évolution favorable que dans 90 % des cas ; que, dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges ont limité à 50 % la perte de chance de A...B...d'éviter l'aggravation de son état et ont mis à la charge du centre hospitalier la réparation de cette fraction des dommages subis, laquelle doit être portée à 90 % ;

Sur les préjudices de l'enfant :

En ce qui concerne les frais liés au handicap :

Quant aux dépenses actuelles :

4. Considérant qu'il n'est pas contesté que, de 2006 à 2014, pendant les périodes durant lesquelles A...B...n'était pas pris en charge par un établissement spécialisé et ne pouvait être gardé par ses parents, en raison des occupations professionnelles de ces derniers, cet enfant a dû être confié à des personnes qualifiées, qui n'étaient pas chargées simplement de la garde de l'enfant mais devaient non seulement faire montre de l'attention qu'appelait son état, mais encore participer à des soins ou examens dont il devait faire l'objet ; qu'en produisant les contrats de travail conclus avec ces personnes, les bulletins de salaire, faisant notamment ressortir le nombre de jours de garde effectués, les relevés de cotisations sociales ou les relevés établis pour l'emploi de ces personnes au titre du service du chèque emploi service universel (CESU), les requérants justifient suffisamment de la réalité et du montant de ces dépenses, qui, pour les raisons qui viennent d'être indiquées, ne sont pas de celles qui incombent aux parents d'un enfant en bas âge lorsqu'ils ne peuvent pas en assurer personnellement la garde ; que les rémunérations versées à ces personnes par ces parents se sont élevées à la somme de 57 253,18 euros ; que, compte tenu de la fraction des dommages dont il doit supporter la réparation, le centre hospitalier de Pau doit être condamné à verser, à ce titre, une indemnité de 51 527,86 euros ;

Quant aux dépenses futures :

5. Considérant que si le juge n'est pas en mesure de déterminer lorsqu'il se prononce si l'enfant sera placé dans une institution spécialisée ou s'il sera hébergé au domicile de sa famille, il lui appartient d'accorder à l'enfant une rente trimestrielle couvrant les frais de son maintien au domicile familial, en fixant un taux quotidien et en précisant que la rente sera versée au prorata du nombre de nuits que l'enfant aura passées à ce domicile au cours du trimestre considéré ; que les autres chefs de préjudice demeurés à la charge de l'enfant doivent être indemnisés par ailleurs, sous la forme soit d'un capital, soit d'une rente distincte ; que le juge doit condamner le responsable du dommage à rembourser à l'organisme de sécurité sociale qui aura assumé la charge du placement de l'enfant dans une institution spécialisée, le remboursement, sur justificatifs, des frais qu'il justifiera avoir exposés de ce fait ; qu'en cas de refus du centre hospitalier, il appartiendra à la caisse de faire usage des voies de droit permettant d'obtenir l'exécution des décisions de la justice administrative ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise, que l'état de A...B...nécessitera, de manière certaine, son hébergement dans un établissement spécialisé ; que, toutefois, M. et Mme B...font valoir qu'il n'est pas certain qu'ils puissent obtenir l'admission de l'enfant dans une telle institution et qu'en tout état de cause, le maintien de l'enfant à leur domicile, pendant les vacances scolaires, nécessitera l'aide d'une tierce personne ; que, dans ces conditions, pour l'avenir et jusqu'à la date de consolidation de l'enfant A...à son dix-huitième anniversaire, une rente calculée sur la base d'un taux quotidien dont le montant est fixé, compte tenu de la part de 9O % susmentionnée et des exonérations de charges sociales dont bénéficient M. et MmeB..., à 120 euros, doit être mise à la charge du centre hospitalier de Pau ; que cette rente sera versée au prorata du nombre de nuits que l'enfant aura passées à ce domicile au cours du trimestre considéré et déduction faite, le cas échéant, des montants de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et de son complément, prévus aux articles L. 541-1 à L. 541-4 et R. 541-1 à R. 541-10 du code de la sécurité sociale, ainsi que de la prestation de compensation, mentionnée à l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles ou d'autres aides ayant le même objet et qui se seraient substituées à celles qui viennent d'être mentionnées, dont les requérants auront pu bénéficier ; que le taux de cette rente devra être revalorisé annuellement depuis la date du présent arrêt et par la suite, par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale ;

En ce qui concerne les autres préjudices patrimoniaux :

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise, que le taux du déficit fonctionnel partiel directement imputable à la cécité de A...B...s'établit, à la date du dépôt du rapport, à 85 %, le surplus de 15% étant lié aux autres conséquences de la grande prématurité de sa naissance ; qu'en se bornant à faire état d'une autre estimation faite par un médecin, M. et Mme B...n'apportent pas d'éléments justifiant de majorer ce taux

8. Considérant que s'il résulte du rapport de l'expertise que le déficit fonctionnel de A...B...n'est susceptible d'aucune amélioration notable, ses conséquences sur sa vie professionnelle et sur la nécessité éventuelle de l'assistance tout au long de sa vie d'une tierce personne ne pourront être appréciées que lorsqu'il aura atteint l'âge de dix-huit ans ; qu'il lui appartiendra de saisir alors le tribunal en vue d'une telle évaluation ; que, dès lors, les conclusions de M. et Mme B...tendant à l'attribution d'indemnités au titre de la perte de gains professionnels futurs et au titre de l'assistance tout au long de sa vie de l'intéressé d'une tierce personne doivent être rejetées ; qu'en revanche, les droits de l'enfant à la fixation définitive de son préjudice lié à son déficit fonctionnel permanent sont réservés au jour de sa majorité ;

En ce qui concerne les préjudices personnels :

9. Considérant que l'expert a évalué les souffrances endurées par A...B...à 6 sur une échelle de 7, alors que, pour fixer à la somme de 7 500 euros le montant de l'indemnité destinée à réparer le préjudice en résultant, le tribunal administratif s'était fondé sur une évaluation à 5 sur une échelle de 7 et avait appliqué un taux de perte de chance de 50 % ; que compte tenu, d'une part et ainsi qu'il est dit au point 2, de la perte à hauteur de 90% de la chance d'éviter le dommage et, d'autre part, de l'évaluation susmentionnée des souffrances endurées, le montant de l'indemnité destinée à réparer le préjudice en résultant doit être fixé à la somme de 16 200 euros ;

10. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise que le préjudice esthétique de A...B...peut être évalué à 5 sur une échelle de 7 et que son préjudice d'agrément ainsi que celui résultant des autres troubles liés à son déficit fonctionnel doivent être qualifiés de majeurs ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste évaluation de l'indemnité destinée à les réparer en fixant son montant à la somme de 34 200 euros ;

Sur les préjudices de M. et MmeB... :

11. Considérant que M. et Mme B...demandaient la condamnation du centre hospitalier de Pau à verser à chacun une indemnité de 8 000 euros en réparation des troubles de toute nature dans leurs conditions d'existence subis du fait de l'état de leur enfant ; qu'ils demandent devant la cour une somme de 100 000 euros chacun ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 2, c'est à tort que les premiers juges ont limité à une fraction de 50 % des préjudices indemnisables les sommes devant être mises à la charge du centre hospitalier de Pau, pour leur accorder, ensemble, une indemnité de 8 000 euros; que, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment du retentissement de l'état de leur enfant sur leur propre état de santé et des troubles de toute nature dans leurs conditions d'existence qu'ils subissent de ce fait, il sera fait une juste évaluation du préjudice en résultant en le fixant à la somme de 50 000 euros pour chacun des deux parents ; que, par suite et compte tenu de la fraction de la réparation du dommage devant être mise à sa charge, le centre hospitalier de Pau doit être condamné à verser à chacun des requérants la somme de 40 500 euros ; qu'il y a lieu, en outre, de réserver leurs droits à être indemnisés des frais de compensation du handicap du jeune A...sur lesquels il n'a pas été expressément statué ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B...sont fondés , d'une part, à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a limité à la somme totale de 15 500 euros le montant des indemnités mises à la charge du centre hospitalier de Pau et à demander que ce montant soit fixé à la somme de 182 927,86 euros, d'autre part, à demander le versement d'une rente trimestrielle au taux quotidien de 120 euros ; qu'enfin, les droits du jeune A...B...à obtenir la fixation définitive de l'indemnité qui lui est due au titre des préjudices résultant de son déficit fonctionnel après la consolidation de son état de santé à la date de sa majorité, ainsi que les droits de M. et Mme B...à être indemnisés des frais de compensation du handicap du jeune A...sur lesquels il n'a pas été expressément statué doivent être réservés ;

Sur les frais d'expertise :

13. Considérant que les frais et honoraires de l'expertise effectuée en exécution de l'arrêt susvisé, taxés et liquidés à la somme de 1 800 euros, doivent être mis à la charge du centre hospitalier de Pau ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner, en application des dispositions de cet article, le centre hospitalier de Pau à verser à M. et Mme B... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : Le centre hospitalier de Pau est condamné à verser à M. et MmeB... :

- une indemnité dont le montant est porté de la somme de 15 500 euros à celle de 182 927,86 euros ;

- une rente de 120 euros par jour due au prorata du nombre de nuits que le jeune A...aura passées au domicile familial, depuis la date de la présente décision et jusqu'à sa majorité. Cette rente sera versée par trimestres échus et son montant, fixé à la date du présent arrêt, sera revalorisée annuellement par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale

Article 2 : Sont réservés :

- les droits du jeune A...B...à obtenir la fixation définitive de l'indemnité qui lui est due au titre des préjudices résultant de son déficit fonctionnel après la consolidation de son état de santé à la date de sa majorité ;

- les droits de M. et Mme B...à être indemnisés des frais de compensation du handicap du jeune A...sur lesquels il n'a pas été expressément statué.

Article 3 : Le jugement du 29 décembre 2011 du tribunal administratif de Pau est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Les frais et honoraires de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 800 euros, sont mis à la charge du centre hospitalier de Pau.

Article5: Le centre hospitalier de Pau versera à M. et Mme B...la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 6 : Le surplus des conclusions de M. et Mme B...est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...et Mme C...B..., au centre hospitalier de Pau et à la caisse nationale militaire de sécurité sociale.

Copie en sera adressée à MmeE..., expert.

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No 12BX00390


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 12BX00390
Date de la décision : 24/03/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public.


Composition du Tribunal
Président : Mme MARRACO
Rapporteur ?: Mme Déborah DE PAZ
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : SAGARDOYTHO.

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2015-03-24;12bx00390 ?
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