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17/12/2013 | FRANCE | N°13BX01957

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre (formation à 3), 17 décembre 2013, 13BX01957


Vu la requête, enregistrée le 15 juillet 2013, présentée par le préfet de la Charente ;

Le préfet de la Charente demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1300789 du 28 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé, sur la demande de M.C..., son arrêté du 13 mars 2013 par lequel il a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

2°) de confirmer la légalité de cet arrêté ;

Il soutient :

- que

son arrêté est motivé en fait et en droit et satisfait aux exigences de la loi du 11 juillet 1979 ;...

Vu la requête, enregistrée le 15 juillet 2013, présentée par le préfet de la Charente ;

Le préfet de la Charente demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1300789 du 28 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé, sur la demande de M.C..., son arrêté du 13 mars 2013 par lequel il a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

2°) de confirmer la légalité de cet arrêté ;

Il soutient :

- que son arrêté est motivé en fait et en droit et satisfait aux exigences de la loi du 11 juillet 1979 ; qu'il prend en compte l'ensemble de la situation du requérant ; qu'il a refusé le séjour à l'intéressé au motif qu'il n'avait pas présenté un contrat tel qu'exigé par l'article L. 313-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- que son arrêté n'est pas entaché d'une erreur de droit ; que la maison des auteurs, dont le requérant n'était au demeurant pas résident à la date de la décision attaquée, n'est pas chargée d'exploiter ou de créer une oeuvre de l'esprit au sens des dispositions de l'article précité ; que le requérant n'a pas passé de contrat de travail avec cette dernière ;

- que n'étant pas saisi d'une demande de titre de séjour sur la base de l'article L. 315-1 du code précité, il n'était pas tenu d'examiner sa demande sur ce fondement ;

- que les éléments présentés par le requérant tendant à l'annulation de la décision fixant un délai de départ volontaire sont inopérants ;

- que l'arrêté attaqué n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que M. C...est entré en France à l'âge de trente-trois ans et qu'il conserve des attaches au Brésil où il est retourné en mars 2012 ;

Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 1er août 2013, présenté pour M. B...C..., par MeA..., qui conclut au rejet de la requête, à ce que le préfet de la Charente soit enjoint de lui délivrer un titre de séjour et à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Il fait valoir :

- qu'il remplit les conditions de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que la réalisation d'une bande dessinée constitue une oeuvre de l'esprit au sens de l'article précité ; que le contrat exigé par les dispositions de cet article ne saurait être exclusivement un contrat de travail ; qu'il est en possession d'un contrat d'accueil d'une durée de dix mois au sein de la maison des auteurs d'Angoulême qui a pour objet de favoriser la création dans le domaine de la bande dessinée en apportant un véritable soutien aux auteurs ; que la maison des auteurs est ainsi nécessairement un établissement ayant pour activité la création des oeuvres de l'esprit ; que le préfet a commis une erreur de droit en ajoutant une condition relative à ses ressources ;

- qu'il peut également bénéficier d'un titre de séjour " compétences et talents " sur le fondement de l'article L. 315-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'ayant connaissance de son projet ainsi que de son cursus universitaire, le préfet devait lui délivrer un tel titre ; que le fait qu'il ne soit pas titulaire d'un contrat de travail ne fait nullement obstacle à la délivrance de ce titre de séjour ; qu'il remplit les conditions tenant à la définition d'artiste, du niveau d'études et de l'expérience professionnelle ;

- que l'illégalité du refus de séjour prive de base légale l'obligation de quitter le territoire français ;

- que l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il est présent en France depuis 2010 et a tissé un réseau relationnel et social intense et stable ; que son insertion dans la société française est notable ;

- que cette décision emporte pour sa situation personnelle des conséquences d'une particulière gravité ; que son projet ne pourra être poursuivi au Brésil et qu'il travaille en France en collaboration avec un scénariste espagnol qui a vocation à demeurer sur le sol français ; que la ville d'Angoulême constitue le pôle mondial de la bande dessinée ; que le sérieux de son travail lui a permis d'être résident de la maison des auteurs ;

- qu'il justifie de circonstances exceptionnelles pour se voir octroyer un délai de départ volontaire supérieur à trente jours ;

Vu l'ordonnance en date du 17 juillet 2013 fixant en dernier lieu la clôture d'instruction au 18 octobre 2013 ;

Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 19 septembre 2013, décidant le maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale au bénéfice de M.C... ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 décembre 2013 :

- le rapport de M. Henri Philip de Laborie, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Déborah De Paz, rapporteur public ;

1. Considérant que M.C..., ressortissant brésilien, né le 12 décembre 1980, est entré en France le 25 octobre 2010 sous couvert d'un visa long séjour afin de poursuivre ses études ; qu'il a été mis en possession d'un titre de séjour mention " étudiant " jusqu'au 22 octobre 2012 ; que M. C...a par la suite sollicité la délivrance d'un titre de séjour en tant qu'artiste-interprète sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que par arrêté du 13 mars 2013, le préfet de la Charente a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination ; que ce dernier a contesté cet arrêté préfectoral devant le tribunal administratif de Poitiers qui, par jugement du 28 juin 2013, l'a annulé ; que le préfet de la Charente fait appel de ce jugement ;

Sur la légalité du refus de titre de séjour :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que : " La carte de séjour temporaire délivrée à un artiste-interprète tel que défini par l'article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle ou à un auteur d'oeuvre littéraire ou artistique visée à l'article L. 112-2 du même code, titulaire d'un contrat de plus de trois mois passé avec une entreprise ou un établissement dont l'activité principale comporte la création ou l'exploitation d'une oeuvre de l'esprit, porte la mention "profession artistique et culturelle" " ; que l'article R. 313-14 du même code dispose : " Pour l'application de l'article L. 313-9, l'étranger artiste-interprète ou auteur d'oeuvre littéraire ou artistique présente à l'appui de sa demande un contrat d'une durée supérieure à trois mois conclu avec une entreprise ou un établissement dont l'activité principale comporte la création ou l'exploitation d'oeuvres de l'esprit. Ce contrat est visé : 1° s'il s'agit d'un contrat de travail, par le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle du lieu de résidence de l'étranger ; 2° Dans les autres cas, par le directeur régional des affaires culturelles du lieu où est situé l'entreprise ou l'établissement signataire du contrat. L'appréciation préalable à la délivrance du visa porte, d'une part, sur l'objet et la réalité de l'activité de l'entreprise ou de l'établissement et, d'autre part, sur l'objet du contrat " ;

3. Considérant qu'il ressort de l'acte attaqué que le préfet de la Charente a refusé de délivrer à M. C...une carte de séjour temporaire en qualité d'artiste-interprète en raison de l'absence du contrat tel qu'exigé par les dispositions susvisées de l'article L. 313-9, et non pas au seul motif de la faiblesse de ses ressources, comme l'ont relevé à tort les premiers juges ; que, par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, qu'à l'appui de sa demande de délivrance d'une carte de séjour temporaire en tant qu'elle était présentée en qualité d'artiste-interprète, M. C...ait produit un contrat d'une durée supérieure à trois mois conclu avec une entreprise ou un établissement dont l'activité principale comporte la création ou l'exploitation d'une oeuvre de l'esprit au sens de l'article L. 313-9 sus-rappelé ; que compte tenu du caractère impératif de la production d'un tel contrat visé par le directeur régional des affaires culturelles, et quand bien même M. C...a produit l'acceptation par la maison des auteurs d'Angoulême de sa demande de résidence, c'est à tort que le tribunal a estimé que le Préfet de la Charente a commis une erreur de droit en refusant à l'intéressé le titre de séjour sollicité ;

4. Considérant qu'il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. C...à l'appui de sa demande ;

5. Considérant, en premier lieu, que la décision de refus de séjour du 13 mars 2013 mentionne les différents articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont le préfet de la Charente a entendu faire application, et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elle expose les éléments de fait afférents à la situation du requérant, sur lesquels le préfet de la Charente a entendu se fonder, relatifs notamment à ses conditions d'entrée en France, à l'absence de présentation d'un contrat d'une durée supérieure à trois mois passé avec une entreprise ou un établissement dont l'activité principale comporte la création d'une oeuvre de l'esprit, et à la présence de liens familiaux dans le pays d'origine ; que, dès lors, la décision du préfet, qui a procédé à l'examen de la situation particulière de M.C..., est suffisamment motivée ;

6. Considérant, en second lieu, que, lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux, notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressé ; qu'en l'espèce, M. C... ne justifie pas avoir sollicité du préfet la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention " compétences et talents " sur le fondement de l'article L. 315-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de la Charente est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé son arrêté du 13 mars 2013 précité en tant qu'il a refusé la délivrance d'un titre de séjour à M. C... ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours :

Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...est entré régulièrement en France le 25 octobre 2010 pour y poursuivre ses études ; qu'il a brillamment obtenu le diplôme de Master Littérature et Arts mention " bande dessinée " dispensé à l'école européenne supérieure de l'image d'Angoulême au titre de l'année universitaire 2010-2011, puis le diplôme de Master II recherche spécialité " bande dessinée " pour l'année universitaire 2011-2012 ; qu'outre les nombreux projets de bandes dessinées auxquels il a participé, il était sur le point d'intégrer la maison des auteurs située à Angoulême, partie intégrante de la cité internationale de la bande dessinée et de l'image, à la date de la décision attaquée, en raison de la qualité du projet artistique qu'il entendait mettre en oeuvre avec la collaboration d'un scénariste espagnol ; que le requérant fait en outre état d'une bonne intégration en France ; que, dans ces conditions, et eu égard en particulier aux circonstances qu'il a réalisé un travail sérieux tout au long de son parcours et qu'il est dans l'impossibilité de bénéficier dans son pays d'origine des mêmes conditions dont il dispose au sein de la maison des auteurs pour mener à bien son projet de bande dessinée, et alors même qu'il conserve des attaches familiales au Brésil, la décision portant obligation de quitter le territoire français, prise à son encontre le 13 mars 2013 par le préfet de la Charente, doit être regardée comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur la situation personnelle de l'intéressé ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le Préfet de la Charente est seulement fondé à demander l'annulation du jugement du 28 juin 2013 du tribunal administratif de Poitiers, en tant qu'il a annulé la décision du 13 mars 2013 refusant à M. C...la délivrance d'un titre de séjour ; que, s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire et fixant le pays de destination, le préfet n'est, en revanche, pas fondé à se plaindre de l'annulation prononcée par ce jugement et, par suite, de l'injonction prononcée à son encontre ; que, par voie de conséquence il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. C...tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour ;

Sur les conclusions de M. C...tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 800 euros au conseil de M. C...au titre des frais exposés par le requérant et non compris dans les dépens, sous réserve de renonciation à percevoir la part de l'Etat dans l'aide juridictionnelle ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1300789 du 28 juin 2013 du tribunal administratif de Poitiers est annulé en tant qu'il annule la décision du Préfet de la Charente du 13 mars 2013 refusant à M. C... la délivrance d'un titre de séjour.

Article 2 : La demande de M.C..., présentée devant le tribunal administratif de Poitiers, tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Charente du 13 mars 2013 en tant qu'elle lui refuse la délivrance d'un titre de séjour, est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du préfet de la Charente est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera au conseil de M.C..., sous réserve de renonciation à l'aide juridictionnelle, une somme de 800 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C...et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée au préfet de la Charente.

Délibéré après l'audience du 3 décembre 2013 à laquelle siégeaient :

M. Michel Dronneau, président,

M. Jean-Michel Bayle, président-assesseur,

M. Henri Philip de Laborie, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 décembre 2013.

Le rapporteur,

Henri PHILIP de LABORIELe président,

Michel DRONNEAULe greffier,

Evelyne GAY-BOISSIERES

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Evelyne GAY-BOISSIERES

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No 13BX01957


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 13BX01957
Date de la décision : 17/12/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. DRONNEAU
Rapporteur ?: M. Henri de LABORIE
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : SCP BREILLAT DIEUMEGARD MASSON

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2013-12-17;13bx01957 ?
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