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22/10/2013 | FRANCE | N°12BX00595

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 22 octobre 2013, 12BX00595


Vu la requête enregistrée le 7 mars 2012 sous forme de télécopie et régularisée par courrier le 13 mars 2012, présentée par Me C...pour Mme D...B...demeurant ...;

Mme B...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100124 du 17 novembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département de la Réunion à lui payer la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice que lui ont causé les agissements constitutifs de harcèlement moral dont elle a été victime ;

2°) de condamner l'Etat

au paiement de ladite somme ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 e...

Vu la requête enregistrée le 7 mars 2012 sous forme de télécopie et régularisée par courrier le 13 mars 2012, présentée par Me C...pour Mme D...B...demeurant ...;

Mme B...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100124 du 17 novembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département de la Réunion à lui payer la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice que lui ont causé les agissements constitutifs de harcèlement moral dont elle a été victime ;

2°) de condamner l'Etat au paiement de ladite somme ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale ;

Vu le décret n° 95625 du 10 janvier 1995 portant statut particulier du cadre d'emplois des rédacteurs territoriaux ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 septembre 2013 :

- le rapport de Mme Déborah De Paz, premier conseiller ;

- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;

- les observations de Me A...pour le cabinet Molas et associés, avocat du département de la Réunion ;

Vu, enregistrée le 4 octobre 2013, la note en délibéré présentée pour le département de la Réunion ;

1. Considérant que Mme D...B...a été recrutée le 3 janvier 1983 par le département de la Réunion dans le corps des rédacteurs et a été affectée à compter de l'année 1996 dans le service de l'aide sociale aux adultes ; qu'à la suite d'une réorganisation des services, elle a été affectée à compter du 1er février 2001 dans le service foncier jusqu'au 11 juillet 2005, date de son affectation dans le service de la gestion des mobiliers de la direction logistique ; qu'après avoir lié le contentieux par une demande indemnitaire datée du 6 octobre 2010, Mme B...a déposé un recours auprès du tribunal administratif de Saint-Denis tendant notamment à obtenir la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral causé par les agissements répétés de harcèlement moral dont elle prétend avoir été victime au sein de son administration ; qu'elle relève appel du jugement du 17 novembre 2011 du tribunal administratif de Saint-Denis qui a rejeté sa demande ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'en application de l'article L. 5 du code de justice administrative, l'instruction des affaires est contradictoire ; qu'aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties " ;

3. Considérant que le premier mémoire présenté par le département de la Réunion le 27 octobre 2011 en première instance a été communiqué le lendemain à Mme B...alors que la clôture de l'instruction intervenait le 31 octobre 2011 ; qu'eu égard aux éléments contenus dans ce mémoire et dans les pièces qui lui étaient annexées, le délai laissé à Mme B...avant l'audience 3 novembre 2011 pour présenter d'éventuelles observations était insuffisant ; qu'en raison de cette irrégularité le jugement attaqué doit être annulé ;

4. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B...devant le tribunal administratif de Saint-Denis ;

Sur la responsabilité du département de la Réunion :

5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel " ; que ces dispositions qui ont été introduites par l'article 178 de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale sont applicables à des faits qui se sont produits après leur entrée en vigueur, le 19 janvier 2002 ;

6. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

7. Considérant, d'autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;

8. Considérant, en revanche, que pour la période antérieure à l'entrée en vigueur, le 19 janvier 2002, de l'article 178 de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, il incombe au juge administratif d'examiner si les faits qui s'étaient traduits par des actes intervenus antérieurement à cette date pouvaient révéler un comportement vexatoire ou discriminatoire et être regardés comme des fautes susceptibles d'engager la responsabilité de l'administration ;

9. Considérant, en premier lieu, que Mme B...soutient que dès 2000 et en dépit de sa réussite à l'examen professionnel de rédacteur-chef le 18 juillet 2000, elle n'a jamais été promue à un poste correspondant à ses nouvelles qualifications ; qu'elle soutient avoir été victime d'un dénigrement professionnel dès lors que tous les lauréats, sauf elle, ont été inscrits sur le tableau d'avancement et promus ;

10. Considérant qu'aux termes de l'article 18 du décret n° 95625 du 10 janvier 1995 portant statut particulier du cadre d'emplois des rédacteurs territoriaux dans sa rédaction alors en vigueur: " Peuvent être nommés rédacteurs-chefs, après inscription sur un tableau d'avancement : (....) 2° Les rédacteurs ayant atteint le 7e échelon de leur grade et les rédacteurs principaux sans condition d'ancienneté qui ont satisfait à un examen professionnel organisé par le centre de gestion dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé des collectivités locales " ;

11. Considérant qu'il résulte des dispositions réglementaires précitées que la décision du président du conseil général de la Réunion de ne pas inscrire Mme B...depuis sa réussite à l'examen professionnel en 2000 sur le tableau d'avancement au grade de rédacteur-chef résulte d'un choix discrétionnaire de l'autorité administrative compétente ; qu'ainsi, la décision du président du conseil général de la Réunion de ne pas inscrire Mme B...sur le tableau d'avancement d'accès à ce grade n'a pas excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ; que cette décision ne peut dès lors être regardée ni comme un fait vexatoire, ni comme un fait discriminatoire, ni comme constituant des agissements répétés de harcèlement moral, qui seraient de nature à engager la responsabilité du Département de la Réunion à l'égard de MmeB... ;

12. Considérant, en deuxième lieu, que Mme B...soutient que ne disposant d'aucune fiche de poste définissant ses fonctions lors de son affectation dans le service foncier à compter du 15 février 2001, elle a été mise sous l'emprise complète de son supérieur hiérarchique, Mme E... ; que ce chef de service n'a cessé d'entraver sa carrière, de lui interdire l'accès à son secrétariat, de l'accuser de vol, de lui confisquer les clefs de son bureau, de lui interdire la manutention des dossiers et de relever à son encontre des absences injustifiées alors qu'elle se trouvait en congés ; qu'il résulte de l'instruction que par une lettre du 2 février 2002, Mme B...avait informé le président du conseil général des difficultés rencontrées avec Mme E...dans son travail ; que postérieurement, Mme B...a été victime d'une agression physique le 1er avril 2003 de la part de son supérieur hiérarchique, qui a été reconnue comme imputable au service par un arrêté du président du conseil général de la Réunion daté du 7 novembre 2003 ; que le département de la Réunion, qui n'a pas fait diligenter d'enquête administrative après ces faits, n'apporte aucun élément susceptible de contredire les faits alléguées par Mme B...concernant le comportement de sa supérieure hiérarchique à son égard ;

13. Considérant, en troisième lieu, que Mme B...soutient que malgré les agissements de MmeE..., son administration a laissé cette situation durer jusqu'à son changement de service le 11 juillet 2005;

14. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le département de la Réunion, informé également par le service de la médecine préventive depuis 2001 que le poste de travail de Mme B... au service foncier n'était pas adapté pour des raisons médicales, n'a pas affecté Mme B...dans un autre service et ne lui a pas apporté la protection que ce fonctionnaire était en droit d'attendre de la part son administration ; que les deux demandes d'affectation dans d'autres directions du département présentées par MmeB... ont été rejetées en décembre 2003 ; que si le département de la Réunion fait valoir que la candidature de Mme B...avait été retenue le 18 février 2005 pour occuper un poste de rédacteur territorial à pourvoir dans l'arrondissement Nord, sur le territoire de la commune de Sainte-Suzanne, commune dans laquelle Mme B...était domiciliée, ...; qu'en tout état de cause, l'acceptation du poste par Mme B...n'aurait avancé que de quelques mois son changement de poste dans un autre service intervenu le 11 juillet 2005 ;

15. Considérant, enfin, que Mme B...soutient qu'après que des fonctions correspondant à son grade lui ont été confiées à partir du 11 juillet 2005, le chef du service logistique du département lui a confié à partir du mois de juillet 2006 des tâches ponctuelles ne correspondant pas à son grade ;

16. Considérant qu'il résulte de l'instruction que postérieurement à son affectation le 10 juillet 2005 à la direction logistique du département, dans le service gestion des mobiliers, sur un poste de cadre intermédiaire chargé d'assurer la coordination administrative et comptable entre le service des mobiliers et l'ensemble des autres directions du département, il résulte de l'instruction que Mme B...s'est vu attribuer à partir du mois de mai 2006 un poste de référent d'une cellule comptabilité et à partir du 27 juillet 2006, où elle s'est vu confier des missions ponctuelles et transversales comprenant la mise à jour de la liste des correspondants logistiques et une mission de coordination et de suivi de l'inventaire ; que par ces dernières attributions, dont il ressort du dossier qu'elles ne correspondaient pas à son grade, Mme B...a subi une réduction non négligeable de ses attributions ; que depuis la fin du mois de juillet 2006, ses attributions n'ont pas évolué ;

17. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les faits qui viennent d'être décrits, par leur répétition dans le temps, ont porté atteinte à la dignité de ce fonctionnaire et ont contribué à la dégradation de son état de santé justifiant un congé de longue maladie de septembre 2008 à juin 2009, un congé d'office à compter du 9 août 2010 et un congé de longue durée à compter du 9 août 2011 ; que ces faits répétés excèdent les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique et n'étaient pas justifiés par l'intérêt du service ; qu'il résulte de ce qui précède que Mme B...justifie suffisamment d'éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre ; que, par suite, les agissements répétés de harcèlement moral dont a été victime Mme B...engagent la responsabilité du département de la Réunion à son égard ;

Sur l'évaluation du préjudice moral :

18. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi pendant environ huit années par MmeB..., compte-tenu de la condamnation de 1000 euros prononcée par le tribunal de Saint-Denis le 7 juin 2007 au titre de l'agression physique du 1er avril 2003, en condamnant le département de la Réunion à lui payer une indemnité de 15 000 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeB..., qui n'a pas la qualité de partie perdante, la somme que demande le Département de la Réunion au titre des frais exposés, non compris dans les dépens ; que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge du Département de la Réunion la somme de 1 500 euros sur le même fondement ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Saint-Denis du 17 novembre 2011 est annulé.

Article 2 : Le département de la Réunion est condamné à payer la somme de 15 000 euros à MmeB....

Article 3 : Le département de la Réunion versera la somme de 1 500 euros à Mme B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B...et les conclusions du département de la Réunion présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

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No 12BX00595


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 12BX00595
Date de la décision : 22/10/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme MARRACO
Rapporteur ?: Mme Déborah DE PAZ
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : BLAMEBLE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2013-10-22;12bx00595 ?
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