Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 30 mai 2006 sous le n° 06BX01135, présentée pour la SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE, ayant son siège 11 place Edouard VII à Paris ( 75316 ) par Me Richer et Me Tonnet, avocats ;
La SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 9 mars 2006 du Tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Castres à lui verser la somme de 16.198.769 euros au titre des contributions spéciales mises à sa charge par les deux contrats de délégation de service public en date du 21 septembre 1990 et une somme de 29.750.000 euros au titre des annuités d'emprunt non amorties au 1er juillet 2004 et des intérêts financiers sur les contributions spéciales ;
2°) de condamner la commune de Castres à lui verser une somme de 16.198.769 euros au titre des contributions spéciales mises à sa charge par les deux contrats de délégation de service public et une somme de 29.750.000 euros au titre des annuités d'emprunt et des intérêts financiers sur les contributions spéciales, lesdites sommes portant intérêts au taux légal avec capitalisation ;
3° ) de condamner la commune de Castres à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 novembre 2008,
- le rapport de M. Larroumec, président assesseur ;
- les observations de Me Richer et de Me Tonnet, avocats de la SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE ;
- les observations de Me Courrech, avocat de la commune de Castres ;
- et les conclusions de M. Lerner, commissaire du gouvernement ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées le 27 novembre et le 1er décembre 2008, présentées pour la commune de Castres ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées le 28 novembre et le 2 décembre 2008, présentées pour la SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE ;
Considérant que par délibération en date du 17 septembre 1990, la commune de Castres a décidé de confier l'exploitation des services de distribution d'eau potable et d'assainissement à la SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE ; que subséquemment, deux contrats d'affermage ont été signés par la commune de Castres le 21 septembre 1990 ; que par jugement en date du 25 octobre 2001, le Tribunal administratif de Toulouse a annulé un avenant tarifaire de chacun des deux contrats de délégation de service public notamment au motif que les tarifs reportaient sur les usagers des charges étrangères aux services en cause ; que par jugement en date du 9 mars 2006, le Tribunal administratif de Toulouse a notamment d'une part, déclaré nuls les contrats en date du 21 septembre 1990 par lesquels la commune de Castres a délégué à la SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE le service public de distribution d'eau potable et celui de l'assainissement et d'autre part, rejeté les conclusions indemnitaires de cette dernière relatives aux contributions spéciales, à l'immobilisation des capitaux et aux annuités d'emprunt versées jusqu'au 1er juillet 2004 non amorties ; que par un autre jugement du même jour, les premiers juges ont rejeté comme irrecevables, compte tenu de la constatation de la nullité des deux contrats du 21 septembre 1990 par le précédent jugement, les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du conseil municipal de Castres décidant la résiliation de ces contrats ; que par requête enregistrée sous le n° 06BX01135, la SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE interjette appel du premier jugement du 9 mars 2006 en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires sus-évoquées ;
En ce qui concerne la validation législative des deux contrats :
Considérant que l'article 101 de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques dispose : «(...) VII. - Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés les contrats conclus par les communes ou leurs groupements avant le 10 juin 1996 pour la gestion de leurs services publics locaux d'eau et d'assainissement, dans la mesure où ils seraient contestés pour un motif tiré de l'absence de caractère exécutoire, à la date de leur signature, de la délibération autorisant cette signature, et sous réserve de la transmission effective de ladite délibération au représentant de l'Etat dans le département au titre de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales (...) » ;
Considérant que l'article 1er du jugement en date du 9 mars 2006 qui déclare les conventions du 21 septembre 1990 nulles n'est pas contesté en appel par la SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE ; que la commune de Castres, en se bornant à soutenir que les dispositions précitées de l'article 101 de la loi du 30 décembre valident les deux contrats en cause ne peut être regardée comme contestant l'article 1er du jugement attaqué ; que par suite, la déclaration de nullité prononcée par cet article du jugement du 9 mars 2006 est passé en force de chose jugée ; que dès lors, les deux contrats en cause ne sont pas validés en application de l'article 101 de la loi du 30 décembre 2006 ;
En ce qui concerne le droit à indemnité de la SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE :
Considérant que l'entrepreneur dont le contrat est entaché de nullité peut demander, sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle, et indépendamment de toute considération tenant aux fautes éventuellement commises, d'une part, le remboursement de celles de ses dépenses qui, engagées dans le cadre de l'exécution de ce contrat, ont été utiles à l'autre partie et, d'autre part, la répétition des sommes qu'elle a versées en exécution de ladite convention, sous réserve qu'il n'en résulte pas pour lui un enrichissement, eu égard aux conditions dans lesquelles le service public a été effectivement exécuté ; que dans le cas où la nullité du contrat résulte d'une faute de l'administration, l'entrepreneur peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration ; qu'à ce titre il peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l'exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé par sa nullité, notamment du bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l'indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée ;
Considérant que la SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE demande à être indemnisée sur le fondement de l'enrichissement sans cause et sur celui de la responsabilité quasi délictuelle des contributions spéciales qu'elle a versées à la commune de Castres dans le cadre de l'exécution des contrats de distribution d'eau potable et d'assainissement en date du 21 septembre 1990 ainsi que des annuités d'emprunt non amorties au 1er juillet 2004, date de la fin d'exécution des conventions dont il s'agit, et des frais financiers générés par l'ensemble des dépenses qualifiées par elle d'utiles ; qu'elle demande aussi le remboursement des contributions spéciales sus-évoquées sur le fondement de la répétition de l'indu ; qu'à l'appui de ses prétentions, elle ne produit devant la cour que deux notes, l'une sur l'estimation de ses pertes pour la période de 1991 à 2004, l'autre sur les méthodes de comptabilisation des droits d'entrée et des annuités d'emprunt, réalisées de manière non contradictoire par un expert comptable à la seule demande de la SOCIETE LYONNNAISE DES EAUX FRANCE ; que les conclusions de ces notes sont contestées par la commune de Castres tant en ce qui concerne le mode de comptabilisation que l'estimation des pertes, d'ailleurs modifiée en cours d'instance ; que le montant total de l'indemnisation demandée par la requérante n'est pas par ailleurs en totale cohérence avec les conclusions de l'expert comptable sans que la moindre justification soit avancée sur ce point ; qu'aucune autre pièce versée au dossier ne permet ni de connaître les modalités selon lesquelles les contributions spéciales ont notamment été répercutées sur les tarifs de l'eau et de l'assainissement, ni de connaître le montant des dépenses utiles qu'auraient effectuées la SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE ; qu'ainsi l'état du dossier ne permet pas de déterminer si la requérante a subi, du fait de l'exécution des deux conventions entachées de nullité, un appauvrissement ou des dommages du fait de l'illégalité fautive commise par la commune de Castres résultant de la passation de deux contrats entachés de nullité, ou versé indûment des sommes à cette commune dont elle serait fondée à demander la répétition ; qu'il y a lieu par suite, avant de statuer sur la requête de la SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE, d'ordonner une expertise afin de déterminer, sur la période de 1991 à 2004, l'ensemble des recettes et des dépenses de la requérante dans le cadre de l'exécution des deux contrats du 21 septembre 1990, le mode de comptabilisation des contributions spéciales versées à la commune de Castres et des annuités d'emprunt qu'elle a pris en charge et notamment de dire dans quelle mesure et selon quelles modalités ces dépenses ont été répercutées dans les tarifs des services publics concernés ainsi que les frais financiers générés par l'ensemble des dépenses et les profits financiers qu'auraient pu produire le montant de ces dépenses, et enfin de rechercher et d'évaluer tous les éléments qui auraient participé à l'appauvrissement de la société durant cette période et à l'enrichissement de la commune de Castres ;
DECIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions en indemnité de la SOCIETE LYONNAISE DES EAUX FRANCE, procédé à une expertise en vue de déterminer, sur la période de 1991 à 2004, l'ensemble des recettes et des dépenses de la requérante dans le cadre de l'exécution des deux contrats du 21 septembre 1990, le mode de comptabilisation des contributions spéciales versées à la commune de Castres et des annuités d'emprunt qu'elle a pris en charge et notamment de dire dans quelle mesure et selon quelles modalités ces dépenses ont été répercutées dans les tarifs des services publics concernés ainsi que les frais financiers générés par l'ensemble de ces dépenses ainsi que les profits financiers qu'auraient pu produire le montant de ces dépenses, et enfin de rechercher et d'évaluer tous les éléments qui auraient participé à l'appauvrissement de la société durant cette période et à l'enrichissement de la commune de Castres.
Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-1 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 3 : Tous les droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué sont réservés jusqu'en fin d'instance.
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No 06BX01135