Vu la requête, enregistrée le 13 avril 2006, présentée pour la société HERA, société civile immobilière, dont le siège est Hôtel Amyris - Amandiers Resort à Sainte Luce (97228), par Me Delpeyroux ; la société HERA demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0100453 du 9 février 2006 par lequel le Tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté sa demande en décharge de l'impôt sur les sociétés, de la contribution complémentaire à l'impôt sur les sociétés, auxquels elle a été assujettie au titre des années 1995 et 1996, des pénalités dont ils ont été assortis et de la pénalité prévue à l'article 1763 A du code général des impôts qui a été mise à sa charge au titre de l'année 1995 ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le nouveau code de procédure civile ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative et notamment son article R. 222-26 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 décembre 2007 :
- le rapport de M. Lerner, premier conseiller ;
- les observations de Me Devillières, pour la société HERA ;
- et les conclusions de M. Doré, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la société HERA, société civile immobilière, constituée en avril 1995, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur les exercices 1995 et 1996 et s'est terminée le 5 juin 1998 ; qu'elle a été mise en demeure par le service, le 30 juin 1998, de déposer ses déclarations de résultat pour les sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés au titre des années 1995 et 1996 ; que les déclarations qu'elle a déposées le 10 juillet 1998 ne faisant apparaître, pour les deux années en cause, ni charge, ni produit et des résultats nuls, l'administration lui a adressé, dans le cadre de la procédure de redressement contradictoire, une notification de redressements datée du 14 décembre 1998 ; que le litige a été soumis à la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires qui a rendu son avis le 11 octobre 2000 ; que l'administration ayant maintenu ces redressements, la société HERA demande l'annulation du jugement par lequel le Tribunal administratif de Fort-de-France a refusé de lui accorder la décharge des impositions correspondantes ;
Sur les redressements d'impôt sur les sociétés :
En ce qui concerne le principe de l'imposition :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société HERA a eu comme seule activité, durant les exercices 1995 et 1996, la souscription de « prêts habitat » auprès de la Caisse d'épargne de la Martinique pour un montant global de 39 799 000 F et qu'elle a mis à la disposition de ses associés et des sociétés contrôlées par ces derniers les fonds ainsi empruntés ; qu'elle doit être regardée comme s'étant, de ce fait, livrée à des actes d'entremise caractérisant une activité commerciale entrant dans les prévisions de l'article 34 du code général des impôts ; que, par suite, c'est à bon droit que l'administration a considéré qu'elle était passible, au titre de ces deux années, de l'impôt sur les sociétés en application des dispositions du 2 de l'article 206 du code général des impôts ;
En ce qui concerne l'exercice 1995 :
S'agissant de la prescription :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L.169 du livre des procédures fiscales : «Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due (…) » ; qu'aux termes de l'article L. 189 du même livre dans sa rédaction en vigueur à la date de notification des redressements litigieux : « La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de redressement (…) » ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 651 du nouveau code de procédure civile : « Les actes sont portés à la connaissance des intéressés par la notification qui leur en est faite. La notification faite par acte d'huissier de justice est une signification. La notification peut toujours être faite par voie de signification alors même que la loi l'aurait prévue sous une autre forme. » ; qu'aux termes de l'article 653 du même code : « La date de la signification d'un acte d'huissier de justice est celle du jour où elle est faite à personne, à domicile, à résidence, au parquet …» ;
Considérant que les redressements relatifs à l'année 1995 ont été signifiés par voie d'huissier le 31 décembre 1998 au siège social de la société HERA, avant l'expiration du délai de reprise pour l'année 1995 ; que, par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que l'imposition relative à cette année était prescrite ;
S'agissant du bien-fondé de l'imposition :
Considérant, d'une part, que l'administration, après avoir relevé que la société requérante s'était abstenue de facturer aux bénéficiaires les intérêts d'une partie des sommes qu'elle leur prêtait, a redressé les produits déclarés, en retenant respectivement s'agissant des prêts consentis aux associés, les intérêts résultant de l'application d'un taux de 12,5 % et s'agissant des prêts consentis à la société Fabre Domergue, les intérêts comptabilisés, soit 1 096 053 F, qu'elle a considérés comme se rapportant à un seul prêt de 7 650 000 F ainsi que les intérêts versés à la Caisse d'Epargne, soit 429 333 F qu'elle a regardés comme afférents à deux autres prêts de 4 000 000 F et 8 000 000 F ; que la société HERA fait valoir que le montant d'intérêts de 1 096 053 F facturé à la société Fabre Domergue concernait, en réalité, les trois prêts consentis à cette entreprise et qu'il résulte de l'instruction que le vérificateur, pour établir que ledit montant ne concernait que la rémunération du prêt de 7 650 000 F à un taux de 14,32 %, n'a en effet pas tenu compte de la circonstance que celui-ci n'avait été consenti que pour une durée de sept mois durant l'année 1995 ; qu'eu égard à la durée effective des prêts en cause, accordé le premier, le 30 mai 1995, et les deux suivants en septembre 1995, l'administration n'apporte donc pas la preuve, qui lui incombe, que les intérêts des prêts de 4 000 000 F et 8 000 000 F n'étaient pas inclus dans le montant des intérêts comptabilisés, soit 1 096 053 F ; que, par suite, la société HERA est fondée à soutenir que ses bases d'imposition doivent être diminuées du redressement correspondant, soit la somme de 429 333 F ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : « Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (…) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (…) » ; qu'en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; qu'il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ; qu'en ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée ; que dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive ; que la société HERA ne justifie ni dans leur principe, ni dans leur montant, de la réalité des charges dont elle demande la déduction ; qu'elle ne produit notamment ni les factures, ni aucun autre élément permettant de vérifier leur inscription en comptabilité et le bien-fondé de cette inscription ;
En ce qui concerne l'exercice 1996 :
Considérant que la société HERA a prêté, sans intérêt, des fonds aux sociétés « SCIM SE » et « Echo » ainsi qu'à ses associés MM. Marcel, Patrice et Laurent Fabre et qu'elle n'a facturé que partiellement les intérêts sur les fonds prêtés à la société « Prairie Ouest » ; que pour déterminer le bénéfice de la société au titre de l'année 1996, le vérificateur a retenu, en ce qui concerne les produits, d'une part, les intérêts facturés et non déclarés et, d'autre part, pour les sommes mises gratuitement à disposition, des intérêts calculés à un taux de 12,5 % ; que s'agissant des charges, il a retenu les frais financiers effectivement payés ; que pour contester ce redressement, la société se borne à soutenir que le taux de 12,5 % serait erroné ; que, toutefois, l'administration, en faisant valoir sans être contredite que ce taux est inférieur à celui perçu par un associé, qui prêtait lui-même les sommes mises à sa disposition, et qu'il équivaut au taux payé par la société requérante à la Caisse d'Epargne majoré d'une marge commerciale raisonnable, justifie de ce qu'il correspond à celui que la société HERA aurait pu pratiquer dans le cadre d'une gestion normale ; que, par suite, elle doit être regardée comme apportant la preuve du bien-fondé du redressement des bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés de l'exercice 1996 ;
En ce qui concerne les pénalités pour mauvaise foi :
Considérant qu'en relevant que la société s'était déclarée en tant que société civile de gestion d'un patrimoine immobilier afin de dissimuler son activité d'intermédiation financière et d'échapper à l'impôt, l'administration justifie l'application aux impositions litigieuses des pénalités de mauvaise foi prévues à l'article 1769 du code général des impôts ;
Sur les pénalités mises à la charge de la société au titre des dispositions de l'article 1763 A du code général des impôts :
Considérant qu'aux termes de l'article 111 du code général des impôts : « Sont notamment considérés comme revenus distribués : (…) c. Les rémunérations et avantages occultes » ; qu'aux termes de l'article 117 du même code : « Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visée à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. / En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1763 A » ;
Considérant que l'administration a constaté que la société avait enregistré, dans sa comptabilité de l'année 1995, le versement d'une commission de 1 445 000 F dont elle ne justifiait, ni de la nature, ni de l'identité du bénéficiaire ; que, par suite, l'administration était en droit de considérer cette commission comme un avantage occulte devant être regardé, en application des dispositions précitées de l'article 111 du code général des impôts, dont la mise en oeuvre n'implique pas, contrairement à ce que soutient la requérante, la réalisation de bénéfices au moins égaux au montant de l'avantage en cause, comme un revenu distribué et qu'elle pouvait, par suite, régulièrement inviter la société à lui en désigner le bénéficiaire ; que celle-ci ne l'ayant pas fait, l'administration a pu, légalement, soumettre la société à la pénalité prévue par les dispositions de l'article 1763 A du code général des impôts en cas de versement de revenus à des personnes dont l'identité n'est pas révélée ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société HERA est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Fort ;de-France a refusé de la décharger, au titre de l'année 1995, de la fraction des cotisations litigieuses d'impôt sur les sociétés procédant de la réintégration à ses résultats d'une somme de 429 333 F (65 451,39 euros) ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le paiement à la société HERA d'une somme de 1 300 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés de la société HERA sont réduites de 429 333 F (65 451,39 euros) au titre de l'année 1995.
Article 2 : La société HERA est déchargée de la différence entre les cotisations d'impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes, mises à sa charge au titre de l'année 1995, et celles résultant de la base d'imposition définie à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Fort-de-France en date du 9 février 2006 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.
Article 4 : L'Etat versera à la société HERA une somme de 1 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la société HERA est rejeté.
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N° 06BX00788