Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement le centre hospitalier de Lens et son assureur, la société hospitalière d'assurance mutuelle, à lui verser la somme de 266 849,37 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2018 et de la capitalisation des intérêts, correspondant aux prestations versées pour Mme A... B....
Par un jugement n° 1900046-1901609 du 4 avril 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 27 mai, 13 septembre 2022 et 23 janvier 2023, la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing, représentée par Me Benoît de Berny, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes ;
2°) de condamner solidairement le centre hospitalier de Lens et la société hospitalière d'assurance mutuelle, à lui verser la somme de 266 849,37 euros, éventuellement à proportion d'une perte de chance, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2018 et de la capitalisation des intérêts, ainsi que la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité de gestion ;
3°) de mettre les frais d'expertise à la charge du centre hospitalier de Lens et de la société hospitalière d'assurance mutuelle ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lens et de la société hospitalière d'assurance mutuelle une somme de 1 500 euros, au titre de la première instance et de 2 000 euros, au titre de la procédure d'appel, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'impossibilité pour le centre hospitalier de produire le dossier médical de Mme B... permet de renverser la charge de la preuve, de sorte que le centre hospitalier de Lens doit établir qu'il n'a pas commis de faute dans sa prise en charge à la naissance ;
- la luxation de Mme B... étant apparue dès la naissance, le centre a commis une erreur de diagnostic de nature à engager sa responsabilité pour faute.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2023, le centre hospitalier de Lens et la société hospitalière d'assurance mutuelle, représentés par la société d'avocats Le Prado-Gilbert, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que les moyens soulevés par la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 11 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe,
- et les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 25 octobre 1988, Mme A... B... est née à la maternité du centre hospitalier de Lens. A l'âge de deux ans, elle présentait une boiterie de la marche et a été prise en charge au centre hospitalier de Lens en raison d'une luxation de sa hanche droite qui a nécessité plusieurs opérations à ce centre hospitalier, intervenues du 26 avril au 7 juin 1991, du 12 juillet au 4 septembre 1991 et du 7 mai au 21 juin 1992, afin de repositionner la tête fémorale dans son emplacement naturel et de l'immobiliser par la pose d'un plâtre. Insatisfaite de la prise en charge de sa fille à Lens, la mère de l'enfant a consulté le centre hospitalier régional universitaire de Lille où, outre un traitement à base de physiothérapie au cours des mois de février et mars 1993, des interventions chirurgicales ont été réalisées en novembre 1993, juin 1994, juin 1995, juin 1996, décembre 1996, mars 1997, ainsi qu'une rééducation de la hanche à compter du mois de janvier 1997. En dépit des multiples interventions chirurgicales réalisées, l'évolution de la pathologie de Mme B... s'est révélée défavorable en raison d'une dégradation de l'articulation coxo-fémorale nécessitant de procéder à la pose d'une prothèse totale du bassin réalisée du 24 septembre au 2 octobre 2006 au centre hospitalier régional universitaire de Lille. Les phénomènes douloureux persistant, Mme B... a été hospitalisée au sein de cet établissement du 29 décembre 2014 au 6 janvier 2015 pour un changement de l'implant. A compter de cette date, Mme B... a présenté des séquelles consistant en une marche limitée avec boiterie, des lombalgies ainsi que des douleurs au niveau des cuisses irradiant jusqu'aux genoux, représentant un déficit fonctionnel permanent de 20 %.
2. Estimant que le centre hospitalier de Lens avait commis une faute lors de sa prise en charge, Mme B... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille aux fins de réalisation d'une expertise judiciaire. Par une ordonnance n° 1801210 du 27 mars 2018, le juge des référés de ce tribunal a désigné le docteur E..., chirurgien orthopédique, avec mission d'apprécier la réalité des manquements allégués et d'évaluer l'étendue des préjudices subis. Le rapport d'expertise a été déposé au greffe du tribunal le 4 juillet 2018. Mme B... et la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing ont demandé au tribunal administratif de Lille la condamnation du centre hospitalier de Lens à les indemniser de leurs préjudices. La caisse relève appel du jugement du 4 avril 2022 en tant que le tribunal a rejeté ses conclusions.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
4. L'incapacité d'un établissement de santé à communiquer aux experts judiciaires l'intégralité d'un dossier médical n'est pas, en tant que telle, de nature à établir l'existence de manquements fautifs dans la prise en charge du patient. Il appartient en revanche au juge de tenir compte de ce que le dossier médical est incomplet dans l'appréciation portée sur les éléments qui lui sont soumis pour apprécier l'existence des fautes reprochées à l'établissement dans la prise en charge du patient.
5. Il n'est pas contesté que le centre hospitalier de Lens n'a pas été en mesure de produire le dossier médical de naissance Mme B..., ni aucune autre pièce avant l'année 1991, alors qu'il avait l'obligation de conserver ce dossier jusqu'à son vingt-huitième anniversaire en application de l'article R. 1112-7 du code de la santé. Toutefois, la méconnaissance de cette obligation, si elle a conduit le tribunal à indemniser le préjudice moral de Mme B..., n'a pas pour conséquence de renverser la charge de la preuve d'un manquement de l'hôpital dans sa prise en charge à la naissance, contrairement à ce que soutient l'appelante. Il résulte du rapport de l'expert désigné par le tribunal, premièrement, qu'en l'absence de ce dossier médical de naissance et compte tenu des éléments disponibles l'existence d'une erreur de diagnostic de la luxation congénitale de la hanche de l'enfant n'est pas établie, deuxièmement, qu'un diagnostic précoce de cette luxation aurait permis d'éviter une partie des séquelles de Mme B..., et troisièmement, qu'aucun manquement n'a été commis par le centre hospitalier de Lens dans la prise en charge de Mme B... à partir de l'année 1991. Il résulte en outre de l'instruction, et en particulier de la lettre du 14 septembre 1992 adressée par un praticien du service orthopédique du centre hospitalier de Lens à l'institut Calot de Berck que le diagnostic de luxation de la hanche a été posé dès la naissance de l'enfant mais que les parents de Mme B... n'ont alors pas estimé utile de la faire prendre en charge. Ainsi, cette luxation a été " négligée ", selon un courrier du 6 janvier 1991, en raison d'une " mauvaise surveillance familiale " ayant nécessité plusieurs changements de plâtre et la reprise du traitement initial. À cet égard, il résulte de l'instruction que par un jugement du 13 novembre 1991, le tribunal pour enfants F... a ordonné le placement A... B... auprès des services du département du Pas-de-Calais en raison de négligences parentales, en mentionnant que " Mme B... semble aujourd'hui avoir pris la mesure des problèmes A... ". Dès lors, compte tenu des éléments produits par le centre hospitalier de Lens, et non démentis par la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing, celle-ci n'établit pas que le défaut de prise en charge de la luxation congénitale de Mme B... à sa naissance serait imputable au centre hospitalier de Lens et qu'il serait de nature à engager sa responsabilité.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande et a mis à sa charge définitive les frais d'expertise. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Par ailleurs, et dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur ce dernier fondement par le centre hospitalier de Lens et son assureur.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Lens et la société hospitalière d'assurance mutuelle, devenue la société Relyens Mutual Insurance, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing, au centre hospitalier de Lens et à la société Relyens Mutual Insurance.
Copie sera adressée à Mme A... B....
Délibéré après l'audience publique du 12 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. Vandenberghe
Le président de la formation
de jugement,
Signé : M. D...La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°22DA01111