Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler la décision par laquelle le préfet de Mayotte a implicitement refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2101013 du 10 mai 2023, le tribunal administratif a rejeté sa demande comme irrecevable.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 12 juin 2023, Mme A... B..., représentée par Me Koutavy Moussa-Bé, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Mayotte n° 210103 du 10 mai 2023 ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet en litige ;
3°) d'enjoindre au préfet de Mayotte de réexaminer sa demande, dans le délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à circuler librement sur le territoire français et à travailler jusqu'à ce qu'il soit statué sur son droit au séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
- c'est à tort que le tribunal a rejeté sa requête comme irrecevable au motif qu'elle n'avait pas présenté de demande de titre de séjour sur la plate-forme dédiée de la préfecture ; elle a bien déposé une telle demande en février 2020 ; elle a par la suite régularisé sa demande en mars 2022 en adressant au préfet une lettre recommandée avec demande d'accusé de réception contenant une demande de titre de séjour et des pièces pour son instruction ; cette dernière demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet ;
- le tribunal a retenu l'irrecevabilité de sa demande sans l'inviter à la régulariser au préalable et sans l'informer de ce qu'il envisageait de retenir cette irrecevabilité ; il a ainsi méconnu les dispositions des articles R. 612-1 et R. 611-7 du code de justice administrative ;
Au fond :
- le préfet n'a pas répondu à sa demande de communication des motifs de la décision implicite de rejet de sa demande présentée en ligne en février 2020, ce qui rend celle-ci illégale pour absence de motivation ;
- la décision méconnaît son droit à une vie privée et familiale garanti par les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet méconnaît son droit à bénéficier d'une régularisation de son séjour sur le territoire français au regard des critères définis dans la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 ;
- le préfet méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2023, le préfet de Mayotte conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la demande de première instance de Mme B... est irrecevable dès lors qu'elle était tenue de se présenter personnellement en préfecture pour déposer sa demande de titre de séjour, ce qu'elle n'a pas fait ; ainsi, il n'existe pas de décision implicite de rejet à une demande de titre de séjour qui n'a pas été régulièrement déposée ; au fond, il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés.
Par une ordonnance du 5 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 octobre 2023 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frédéric Faïck a été entendu au cours de l'audience publique :
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante comorienne née le 20 octobre 1976, est entrée sur le territoire de Mayotte en 1999 selon ses déclarations. Elle a saisi le tribunal administratif de Mayotte d'une demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le préfet de Mayotte a implicitement rejeté sa demande de titre de séjour. Par un jugement rendu le 10 mai 2023, dont Mme B... relève appel, le tribunal a rejeté cette demande comme irrecevable.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (...) ".
3. Devant les premiers juges, le préfet de Mayotte a fait valoir que la requérante, qui ne s'est pas présentée physiquement en préfecture, ne justifiait pas de l'envoi de ses demandes de titre de séjour faites en 2016 et 2017 et que les demandes qu'elle soutient avoir effectué le 5 septembre 2019 et 16 février 2020 ont été adressées à une adresse électronique non prévue pour recevoir de telles demandes. Le tribunal administratif de Mayotte a ainsi estimé que les conditions dans lesquelles Mme B... avait déposé sa demande n'étaient pas susceptibles de faire naître une décision implicite de rejet pouvant être contestée. Il en a déduit qu'en l'absence d'une telle décision, les conclusions aux fins d'annulation présentées par Mme B... étaient irrecevables.
4. Toutefois, par une lettre recommandée avec accusé de réception datée du 10 mars 2022, reçue le 15 mars suivant et produite devant les premiers juges sous l'intitulé " régularisation du dépôt de la demande de titre de séjour ", Mme B... a sollicité du préfet de Mayotte un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La circonstance que Mme B... ne se soit pas présentée personnellement en préfecture pour déposer cette demande, en méconnaissance de l'article R. 431-3 du même code, ne fait pas obstacle, en l'absence de disposition expresse en sens contraire, à ce que celle-ci donne lieu à une décision implicite de rejet en cas de silence gardé par le préfet pendant plus de quatre mois à compter du dépôt de cette demande. Ainsi, la demande de titre de séjour présentée par Mme B... a bien fait l'objet d'un refus implicite qui a pris naissance le 15 juillet 2022, soit au cours de l'instance devant le tribunal administratif de Mayotte. Dans ces conditions, les conclusions présentées par Mme B... en première instance devaient être regardées comme tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet du 15 juillet 2022. Par suite, en rejetant ces conclusions comme irrecevables, les premiers juges ont entaché leur décision d'irrégularité.
5. Le jugement attaqué doit être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de régularité soulevés par Mme B.... Et, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer sur la demande de première instance.
Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision implicite de rejet de la demande de titre de séjour :
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (...) ".
7. Par courrier du 25 janvier 2021, Mme B... a demandé au préfet de lui communiquer les motifs de la décision implicite de rejet opposée, selon elle, à ses demandes de titre de séjour faites en ligne les 5 septembre 2019 et 16 février 2020. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'adresse électronique utilisée à cette occasion par Mme B... n'était pas habilitée à recevoir les demandes de titre de séjour en ligne. Par suite, aucune décision implicite de rejet n'a pu naître à la suite de ces demandes, et le préfet de Mayotte n'était ainsi pas tenu de répondre à la demande de communication des motifs présentée par Mme B.... Le moyen tiré du défaut de motivation d'une prétendue décision implicite de rejet née le 16 juin 2020 doit être écarté comme inopérant.
8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger (...) qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1.Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".
9. Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
10. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, comme elle le prétend, Mme B... séjournerait de manière continue depuis 1999 à Mayotte, la copie de son passeport délivré en juin 2016 mentionnant au contraire qu'elle est domiciliée aux Comores. Mme B..., qui est sans emploi ni ressources, a changé d'adresse trois fois en trois ans à Mayotte et produit une simple attestation d'hébergement chez un tiers datée du 13 janvier 2021. Elle verse au dossier les copies des carnets de santé de ses enfants, des factures d'achats pour ces derniers ainsi que diverses ordonnances médicales. Toutefois, ces éléments ne suffisent pas à établir que Mme B... aurait noué à Mayotte des liens privés ou familiaux présentant un caractère ancien, stable et intense. En outre, le refus de titre de séjour en litige n'a ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la cellule familiale que Mme B... forme avec ses trois enfants. Dans ces conditions, la décision implicite de rejet en litige n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
12. La décision implicite de rejet en litige n'a ni pour objet ni pour effet de séparer la cellule familiale que Mme B... forme avec ses enfants, qui pourront notamment poursuivre leur scolarité aux Comores. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 précité de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
13. En quatrième, lieu, Mme B... ne peut utilement se prévaloir des énonciations de la circulaire du 28 novembre 2012, relatives aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière, qui ne constituent que des orientations générales adressées aux préfets pour la mise en œuvre de leur pouvoir de régularisation.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la demande de première instance présentée par Mme B... doit être rejetée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par Mme B... tendant à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Mayotte du 10 mai 2023 n° 2101013 est annulé.
Article 2 : La demande de première instance et le surplus des conclusions d'appel de Mme B... sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie pour information en sera délivrée au préfet de Mayotte.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
La présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX01603 2