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21/12/2023 | FRANCE | N°22PA02251

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 21 décembre 2023, 22PA02251


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2021 par lequel le préfet de police a refusé de renouveler son titre de séjour en qualité de salariée, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office à l'expiration de ce délai.



Par un jugement n° 2201294 du 6 avril 2022, le tribunal administratif de Pari

s a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête et un mémoire, enregist...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2021 par lequel le préfet de police a refusé de renouveler son titre de séjour en qualité de salariée, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 2201294 du 6 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 13 mai 2022 et le 10 mars 2023, Mme B..., représentée par Me Boamah, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou, à défaut, de réexaminer sa situation, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- il méconnaît les dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration dès lors que le préfet s'est abstenu de lui demander de fournir à l'appui de sa demande une autorisation de travail ;

- il est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur de fait dès lors qu'au regard des textes en vigueur à la date du dépôt de sa demande de renouvellement de titre de séjour et alors qu'elle bénéficiait déjà d'une autorisation de travail lui permettant de changer d'employeur pour exercer une activité similaire, il ne pouvait pas légalement lui être reproché de ne pas avoir fourni une autorisation de travail ;

- le refus de renouvellement de son titre de séjour est entaché d'une erreur de droit, au regard des dispositions de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration, d'une erreur de fait ou est illégal car pris en application d'un refus d'autorisation de travail ou fondé sur un tel refus, qui est lui-même illégal dès lors que son employeur a sollicité, le 18 août 2021, une telle autorisation, que, par un courriel du 6 octobre 2021, l'administration a demandé à ce dernier de produire des pièces complémentaires dans un délai de 14 jours et que, par un courriel du même jour, cette demande d'autorisation de travail a été clôturée par l'administration en l'absence de production d'un titre de séjour, alors que les services de la préfecture avait suspendu le renouvellement de son récépissé, bien qu'elle avait fourni les pièces demandées le 9 juin 2021 ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2022, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 21 mars 2023, la clôture de l'instruction de l'affaire a été fixée au 14 avril 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur,

- les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique,

- et les observations de Me Boamah, avocate de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante malienne, née le 5 février 1995 et entrée en France, selon ses déclarations, le 5 janvier 2010, s'est vu délivrer un titre de séjour en qualité de salariée valable du 20 mai 2019 au 19 mai 2020. Le 18 septembre 2020, elle en a sollicité le renouvellement. Par un arrêté du 14 décembre 2021, le préfet de police a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B... fait appel du jugement du 6 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable au présent litige : " L'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " d'une durée maximale d'un an. / La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail, dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail (...) ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 433-1 du même code : " Par dérogation au présent article la carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " prévue à l'article L. 421-1, ainsi que la carte de séjour pluriannuelle portant la mention " passeport talent " prévue aux articles L. 421-9, L. 421-10, L. 421-11 ou L. 421-14, sont renouvelées dans les conditions prévues à ces mêmes articles ". Aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / (...) 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail ". Aux termes de l'article L. 5221-5 du même code : " Un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de travail mentionnée au 2° de l'article L. 5221-2 (...) ". Aux termes de l'article R. 5221-1 de ce code : " I. - Pour exercer une activité professionnelle salariée en France, les personnes suivantes doivent détenir une autorisation de travail lorsqu'elles sont employées conformément aux dispositions du présent code : / 1° Etranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse (...). / II. - La demande d'autorisation de travail est faite par l'employeur. / (...) Tout nouveau contrat de travail fait l'objet d'une demande d'autorisation de travail ". Aux termes de l'article R. 5221-15 du même code : " La demande d'autorisation de travail mentionnée au I de l'article R. 5221-1 est adressée au moyen d'un téléservice au préfet du département dans lequel l'établissement employeur a son siège ou le particulier employeur sa résidence ". Enfin, en vertu du 4 du 1 de l'annexe 10 au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'étranger doit, à l'appui de sa demande de renouvellement d'un titre de séjour pour motif professionnel, fournir notamment, s'il occupe toujours l'emploi qui a justifié la délivrance de la dernière autorisation de travail, l'autorisation de travail correspondant au poste occupé, soit, s'il a changé d'emploi, l'attestation du précédent employeur destinée à Pôle Emploi justifiant la rupture du contrat de travail ainsi que l'autorisation de travail correspondant au poste occupé.

3. Un ressortissant étranger peut exciper de l'illégalité de la décision lui refusant une autorisation de travail, qui n'est pas devenue définitive, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation d'une décision de refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour en qualité de salarié dès lors que cette dernière décision est fondée sur le défaut d'autorisation de travail.

4. Par l'arrêté contesté du 14 décembre 2021, le préfet de police a refusé à Mme B... le renouvellement de son titre de séjour en qualité de salariée aux motifs que " si elle produit un contrat de travail à durée indéterminée, elle ne fournit pas l'autorisation de travail prévue par l'article L. 5221-2 du code du travail ".

5. D'une part, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a conclu, le 12 septembre 2018, un contrat de travail avec l'association " PEP'S Services Intervenants " en qualité d'" assistante de vie " et s'est vu délivrer, à ce titre, une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", valable du 20 mai 2019 au 19 mai 2020. Le 24 janvier 2020, elle a signé un nouveau contrat de travail auprès de l'association des intervenants à domicile aux personnes âgées de Charenton (" AIDAPAC ") en qualité d'" employée à domicile ". Après avoir sollicité le renouvellement de son titre de séjour en se prévalant de ce nouvel emploi, elle a obtenu un récépissé de demande de carte de séjour l'autorisant à travailler, valable du 18 septembre 2020 au 17 mars 2021. Toutefois, bien qu'à la suite d'une demande de pièces complémentaires par les services de la préfecture en date du 18 septembre 2020, l'intéressée, qui a sollicité, le 9 mars 2021, le renouvellement de son récépissé, a, le 9 juin 2021 et par l'intermédiaire de son conseil, communiqué les documents demandés, son récépissé n'a pas été renouvelé, alors que Mme B... avait droit au renouvellement de son récépissé de demande de carte de séjour, durant l'examen de sa demande de renouvellement de son titre de séjour en qualité de salarié, et que, de surcroît, le préfet, qui reconnaît en défense que l'intéressée a bien transmis les éléments manquants à l'appui de sa demande de titre de séjour, n'invoque aucun motif susceptible de justifier légalement le non-renouvellement de ce récépissé.

6. D'autre part, il ressort également des pièces du dossier que le nouvel employeur de Mme B..., la structure " AIDAPAC ", à qui il appartenait, s'agissant d'un nouveau contrat de travail, de solliciter une autorisation de travail pour l'embauche de l'intéressée, a déposé en ligne le 13 août 2020, conformément aux prescriptions de l'article R. 5221-15 précité du code du travail, une telle demande. Cependant, le service instructeur de cette demande a adressé à la structure " AIDAPAC " un courriel, le 6 octobre 2021 à 9h30, afin de production de pièces complémentaires dans un délai de 14 jours, puis un second courriel, le même jour à 11h55, l'informant que cette demande était clôturée au seul motif de " l'absence d'un titre de séjour valide ". Toutefois, cette décision du 6 octobre 2021 de clore l'instruction de la demande présentée par la structure " AIDAPAC ", qui doit être regardée comme un refus d'autorisation de travail, fondé uniquement sur " l'absence d'un titre de séjour valide ", est entachée d'illégalité dès lors qu'à cette date, ainsi qu'il a été dit au point 5, Mme B... ne pouvait pas être considérée comme étant en situation irrégulière.

7. Il suit de là que Mme B... est fondée à soutenir que le refus de renouvellement de son titre de séjour en qualité de salariée qui lui a été opposé par l'arrêté contesté du 14 décembre 2021, fondé exclusivement sur une absence ou un refus d'autorisation de travail, est illégal en raison de l'illégalité de la décision du 6 octobre 2021 lui refusant une autorisation de travail, qui n'était pas devenue définitive. Dès lors, la requérante est fondée, pour ce motif, à demander l'annulation de la décision portant refus de renouvellement de son titre de séjour et, par voie de conséquence, celle des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination qui l'assortissent.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 décembre 2021 du préfet de police.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulé, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".

10. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 7, le présent arrêt n'implique pas nécessairement la délivrance à Mme B... d'un titre de séjour en qualité de salariée, mais seulement le réexamen de sa situation. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de police de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2201294 du 6 avril 2022 du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 14 décembre 2021 du préfet de police sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseure la plus ancienne,

L. d'ARGENLIEULa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02251


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02251
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : BOAMAH

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;22pa02251 ?
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