Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... E... et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Bergerac à leur verser une somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par un jugement n° 2002080 du 2 mars 2022, le tribunal a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 avril 2022 et le 23 juin 2023, Mme G... E..., représentée par le cabinet AGN Avocats, agissant par Me Vimini, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2002080 du 2 mars 2022 ;
2°) de condamner la commune de Bergerac à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable ;
3°) de mettre à la charge de la commune une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la recevabilité de sa demande de première instance :
- elle est l'héritière d'une concession située dans le cimetière Beauferrier sur le territoire de la commune de Bergerac, que le maire a déclarée en état d'abandon en vue de sa rétrocession à la commune ; par courriers du 4 novembre 2016 et du 12 janvier 2017, elle a consenti à cette rétrocession tout en demandant à être informée des opérations d'ouverture du caveau ; elle justifie d'un intérêt à agir dès lors que la commune a procédé à la destruction du caveau familial sans sa présence et sans qu'elle en ait été informée alors qu'elle avait manifesté expressément ce souhait auprès de la commune ;
- la commune n'a pas accusé réception de sa demande préalable d'indemnisation du 21 août 2019 conformément à l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration ; dans ces conditions, le délai de recours contentieux n'a pas couru à l'encontre de la décision implicite de rejet opposée à sa demande ; en tout état de cause, elle a saisi le tribunal administratif de Bordeaux dans le délai raisonnable d'un an ;
En ce qui concerne la responsabilité de la commune :
- elle a commis une faute de nature à engager sa responsabilité dès lors qu'elle n'a pas respecté la règle selon laquelle l'héritier d'une concession funéraire ne peut renoncer aux droits réels qu'il tient de la concession et qu'il doit respecter la volonté du fondateur ; s'il est vrai que Mme E... a manifesté la volonté de renoncer à ses droits sur la concession, il n'en demeure pas moins qu'elle avait expressément indiqué au maire son souhait d'être présente à l'ouverture du caveau comme condition de reprise de la concession par la commune ; en ne respectant pas ce souhait, la commune engage sa responsabilité ;
- la commune a également commis une faute en ne notifiant pas à Mme E... le second constat d'abandon et en ne mettant pas en œuvre les mesures de publicité adéquates indiquant la date de la reprise de la sépulture et le délai laissé à la famille pour enlever les objets et signes présents sur celle-ci ;
- la commune a évité d'appliquer la procédure légale d'abandon qui est plus longue et coûteuse ; celle-ci n'est en effet possible que sur les concessions existantes depuis trente ans et n'ayant pas connu d'inhumation dans les dix années précédant le premier constat d'abandon ;
- la commune a commis une faute dans le déplacement de la dépouille B... E... dont l'ossuaire ne comporte pas la mention " mort pour la France " ;
- la commune n'a pas vérifié si la sépulture présentait des signes de délabrement permettant de mettre en œuvre la procédure d'abandon ; les pièces versées au dossier montrent que ce n'était pas le cas de la sépulture ;
- les manquements de la commune lui ont fait perdre une chance de vérifier le bon déroulement de la procédure d'exhumation et de rendre un dernier hommage à ses ascendants ; elle n'a pu non plus vérifier la présence des médailles et de la mention " mort pour la France " B... E... ; elle a été mise dans l'impossibilité de récupérer les objets ou décorations éventuels présents sur le caveau ; elle a droit à une somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- à titre subsidiaire, la cour retiendra que la responsabilité de la commune est engagée sur le terrain contractuel ; elle ne pouvait accepter la demande de rétrocession émanant d'une personne qui n'était pas la titulaire originelle de la concession ; il y a dès lors reprise illégale d'une concession funéraire.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 août 2022, 11 novembre 2022 et 7 juillet 2023, la commune de Bergerac, représentée par le cabinet HMS Atlantique Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme E... une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la demande de première instance est irrecevable faute de qualité pour agir et d'intérêt à agir de Mme G... E... ; au fond, que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par ordonnance du 8 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 10 juillet 2023 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,
- et les observations de Me Safar, substituant le cabinet HMS Atlantique Avocats, pour la commune de Bergerac.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 22 août 1944, le maire de Bergerac a accordé à René E... et à Marthe Fraisse une demi-concession perpétuelle à l'emplacement n° 1159 du cimetière Beaufferier, sépulture dans laquelle ils ont été inhumés ainsi que le père de la requérante. Le 9 septembre 2014, le maire de Bergerac a dressé un premier procès-verbal de constat d'abandon de la sépulture au motif que l'emplacement n° 1159 avait cessé d'être entretenu. Par courrier du 4 novembre 2016, Mme C... E... a indiqué au maire sa décision d'abandonner la sépulture, qu'elle a confirmée dans un nouveau courrier du 12 janvier 2017 présenté également au nom de sa fille, Mme G... E.... Après la destruction du caveau effectuée par ses services, le maire de Bergerac a pris un arrêté en date du 24 novembre 2017 portant rétrocession de la demi-concession, déclarée libre de tout corps, à la commune pour motif d'abandon de sépulture. Par courrier du 21 août 2019, Mmes C... et G... E... ont saisi le maire de Bergerac d'une demande indemnitaire en réparation de leurs préjudices causés par les opérations d'exhumation et de destruction du caveau effectuées sans qu'elles en aient été préalablement informées. Cette demande ayant fait l'objet d'une décision implicite de rejet, Mmes C... et G... E... ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux de conclusions tendant à la condamnation de la commune de Bergerac à leur verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts. Mme G... E..., en sa qualité d'enfant et héritière de la concession en cause, relève appel du jugement rendu le 2 mars 2022 par lequel le tribunal a rejeté cette demande.
Sur la responsabilité de la commune :
2. La procédure de reprise par la commune d'une concession funéraire pour cause d'abandon est régie par les articles L. 2223-17 et R. 2223-13 et suivants du code général des collectivités territoriales. Ainsi qu'il a été dit, le maire de Bergerac a engagé cette procédure en faisant dresser, le 9 septembre 2014, le premier procès-verbal de constat d'abandon de l'emplacement n° 1159 situé dans le cimetière Beauferrier. Toutefois, il résulte de l'instruction que cette procédure n'a pas été menée à son terme dès lors que Mme C... E..., héritière de René E... et de Marthe Fraisse bénéficiaires de la concession délivrée en 1944, et mère de la requérante, a fait connaître au maire de Bergerac sa décision d'abandonner la concession par un courrier du 4 novembre 2016, auquel était joint trois demandes de rétrocession de la sépulture au profit de la commune, signées par les héritiers, M. B... D..., M. A... D... et par elle-même. A la suite d'un échange téléphonique qu'elle a eu avec les services de la commune, qui lui ont indiqué ne pas avoir reçu le courrier du 4 novembre 2016, Mme E... a confirmé sa décision d'abandonner la sépulture dans un courrier du 12 janvier 2017 présenté également au nom de sa fille, Mme G... E.... L'arrêté du 24 novembre 2017, par lequel le maire de Bergerac a prononcé la rétrocession au profit de la commune de la concession n° 1159 pour cause d'abandon, visait à cet égard les demandes présentées en ce sens par les consorts E... et D....
3. Il s'ensuit que la rétrocession à la commune de l'emplacement n° 1159 est fondée, comme l'a relevé à bon droit le tribunal, sur la manifestation expresse de volonté des héritiers des fondateurs de la concession, et non sur la mise en œuvre, par le maire de Bergerac, de la procédure de reprise d'une concession pour abandon définie aux articles L. 2223-17 et R. 2223-13 et suivants du code général des collectivités territoriales. La requérante ne peut par suite soutenir que le second procès-verbal prévu à l'article R. 2223-18 du code général des collectivités territoriales ne lui aurait pas été notifié dès lors qu'elle indique elle-même avoir renoncé à ses droits sur la concession en cause. A cet égard, si elle indique avoir renoncé à ses droits sur la concession en signalant vouloir être présente lors de l'exhumation, la commune de Bergerac conteste avoir reçu son courrier du 4 novembre 2016, dans lequel elle demandait effectivement à être informée de l'ouverture du caveau afin d'être présente, et le second courrier de la requérante du 12 janvier 2017 ne fait pas état de cette condition. Aucune disposition législative ou réglementaire n'imposant à la commune de Bergerac d'aviser les héritiers qui renoncent à leurs droits sur une concession funéraire, comme pouvaient le faire au cas d'espèce les consorts E... et D... en leur qualité d'héritiers co-indivisaires de la concession, des opérations d'exhumation et de destruction de la sépulture, la commune de Bergerac, qui n'avait pris aucun engagement à ce titre, ne peut être regardée comme ayant commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité.
4. En outre, la requérante ne justifie pas avoir subi un préjudice moral faute pour elle d'avoir assisté à l'exhumation des restes B... E... dès lors qu'il résulte de l'instruction, et notamment du courriel adressé le 29 novembre 2021 à la mairie de Bergerac par le responsable du Souvenir français, que B... E... n'a pas été inhumé à Bergerac, ce que confirme le procès-verbal des opérations d'exhumation dressé par la commune en 2017. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que B... E... aurait bénéficié de la mention " Mort pour la France ", n'ayant pas été répertorié parmi les soldats morts pour la France par l'association du Souvenir français. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de la commune serait engagée pour avoir omis d'apposer la mention " Mort pour la France " sur l'ossuaire constitué après la destruction du caveau.
5. Il résulte de tout ce qui précède que la responsabilité de la commune de Bergerac ne peut être regardée comme étant engagée vis-à-vis de la requérante, que ce soit sur le fondement contractuel ou quasi-délictuel. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur les frais d'instance :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par Mme F... tendant à ce que la commune de Bergerac, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de Mme E... la somme demandée par la commune de Bergerac au titre de ses frais non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Bergerac présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... E... et à la commune de Bergerac.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
M. Julien Dufour, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023. Le rapporteur,
Frédéric Faïck
La présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au préfet de la Dordogne en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 22BX01175 2