La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/12/2023 | FRANCE | N°22BX00536

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 21 décembre 2023, 22BX00536


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 13 mars 2020 par lequel le président du conseil départemental de la Dordogne a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.





Par un jugement n° 2002020 du 20 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à sa demande et a enjoint au président du conseil départemental de la Dordogne de reconnaître l'imputabilité au

service de la pathologie de Mme D... et de régulariser sa situation.









Procédure devant la Cour :
...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 13 mars 2020 par lequel le président du conseil départemental de la Dordogne a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.

Par un jugement n° 2002020 du 20 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à sa demande et a enjoint au président du conseil départemental de la Dordogne de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme D... et de régulariser sa situation.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 février 2022 et le 10 mai 2023, le département de la Dordogne, représenté par la SELAS Adaltys Affaires publiques, agissant par Me Heymans demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 décembre 2021 précité ;

2°) de rejeter l'ensemble des demandes de Mme D... ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a jugé que la maladie mentale dont souffre Mme D... est imputable au service ; la cour de céans a jugé par un arrêt devenu définitif que son employeur ne pouvait être regardé comme ayant fait preuve de harcèlement moral à son endroit ; le rapport d'expertise médicale se fonde uniquement sur le ressenti de l'intéressée pour conclure au lien entre sa pathologie et le service ; aucune faute n'est imputable à son employeur ; l'intéressée avait bien avant 2008 été placé en congés de maladie pour des troubles d'anxiété et un état dépressif ;

- contrairement à ce qu'affirme à titre liminaire Mme D..., il a procédé à l'exécution du jugement contesté en versant à l'intéressée le montant des salaires qui lui sont dus.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2023, Mme C... D..., représentée par Me Maixant, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge du département de la Dordogne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 10 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 16 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;

- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;

- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, ont été entendus :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Platel représentant le département de la Dordogne.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... D... a été recrutée en décembre 1987 par le département de la Dordogne en tant d'agent temporaire de bureau auxiliaire, puis intégrée dans le corps d'emploi des agents de bureau stagiaire et titularisée le 1er janvier 1990. Elle a été promue en qualité d'adjoint administratif territorial de 1ère classe à compter du 1er janvier 2007. Elle a été placée en congé de maladie du 11 août 2008 au 20 mai 2009 et a ensuite fait l'objet d'un temps partiel thérapeutique à 50 % jusqu'au 20 novembre 2009. Déclarée apte à reprendre son travail à temps complet à compter du 9 octobre 2009, elle a repris son emploi par intermittence avec des congés de maladie ordinaire et jusqu'à épuisement de ses droits à congés, son dernier congé de maladie ordinaire ayant été transformé en congé longue maladie, puis en congé longue durée du 25 juillet 2011 au 24 juillet 2015, prolongé jusqu'au 24 juillet 2016. La commission départementale de réforme a émis, le 3 mai 2016, un avis d'inaptitude totale et définitive de l'intéressée à toutes fonctions. Par un arrêté du 27 mai 2016, le président du conseil départemental a reconnu Mme D... inapte de façon absolue et définitive à toutes fonctions à compter du 25 juillet 2016. Estimant que sa maladie était imputable au service, ce dont l'arrêté du 27 mai 2016 ne fait pas mention, Mme D... a présenté, le 22 juillet 2016, un recours gracieux contre cet arrêté du 27 mai 2016, qui a été rejeté par courrier du 30 août 2016. Par un arrêté du 5 décembre 2016, le président du conseil départemental l'a ensuite radiée des effectifs du département de la Dordogne à compter du 25 juillet 2016.

2. Mme D... a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'annulation de l'arrêté du 27 mai 2016 précité et de la décision de rejet de son recours gracieux, en tant que ces décisions n'ont pas reconnu son inaptitude définitive comme imputable au service et de l'arrêté du 5 décembre 2016 la radiant des effectifs ainsi qu'une demande tendant à la condamnation du département de la Dordogne à lui verser notamment une rente viagère d'invalidité. Par deux jugements n° 1604474 et n° 1700308 des 23 juin 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ces demandes. Par un arrêt n°s 17BX02857-17BX02860 du 19 décembre 2019, qui est devenu définitif, la Cour a annulé le jugement n° 1700308 du tribunal et l'arrêté du 5 décembre 2016 du président du conseil général de la Dordogne en tant qu'il a rejeté implicitement la demande de rente viagère d'invalidité de Mme D..., qui n'était pas forclose à présenter sa demande tendant à ce que sa maladie soit reconnue imputable au service, et, en l'absence de consultation de la commission de réforme sur cette demande, a enjoint au département de la Dordogne de réexaminer sa situation. Saisie par le département de la Dordogne, la commission départementale de réforme a émis le 14 janvier 2020 un avis défavorable à la reconnaissance de l'imputabilité de sa maladie au service. Par un arrêté du 13 mars 2020, le président du conseil départemental de la Dordogne a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'invalidité de Mme D.... Cet arrêté a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 décembre 2021, dont le département de la Dordogne demande l'annulation dans la présente instance.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale dans sa version, alors en vigueur : " (...) Le fonctionnaire en activité a droit : 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. /Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ".

4. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

5. Pour refuser de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie dépressive diagnostiquée en 2009, le président du conseil départemental de la Dordogne s'est fondé sur l'absence d'élément permettant d'établir un lien direct entre la pathologie évoquée et le service. Le tribunal a estimé au contraire que le lien direct entre la pathologie mentale dont souffre Mme D... et le service était établi.

6. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours de l'année 2008, Mme D... a souffert de difficultés professionnelles et s'est plainte de relations conflictuelles avec sa hiérarchie. Son employeur a alors décidé, sur avis favorable du médecin du travail, son changement d'affectation à compter du 24 mai 2009 au centre médico-social d'Excideuil. En dépit de ce changement, ses difficultés ont perduré et, sur avis favorable du médecin du travail, Mme D... a de nouveau sollicité un changement de poste et le département de la Dordogne lui a alors adressé sept fiches de postes, Mme D... ayant accepté la proposition de poste au sein du service des personnes âgées à compter du 22 février 2011. Il ressort ainsi des pièces du dossier que son employeur a mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour lui permettre d'accomplir les tâches qui lui sont confiées dans de bonnes conditions. A cet égard, les fiches d'évaluation de Mme D... ne font pas état de l'existence de conflits avec sa hiérarchie alors que le travail de cette dernière est reconnu et qu'elle a par ailleurs bénéficié d'une promotion. En outre, si les rapports d'expertise des 29 février 2016 et 13 avril 2016 du docteur A... indiquent " un syndrome dépressif sévère ( ...) et une relation conflictuelle avec son chef de service " et qu'il existe " une névrose à composante dépressive qui, selon tous les documents que nous avons consultés (courriers de psychiatres, avis du service de médecine du travail et de pathologie professionnelle (...) apparaît comme en relation certaine et directe avec les activités professionnelle ", ce rapport, qui fait mention d'éléments médicaux non produits par l'intimée, ne se fonde que sur les dires et ressentis de l'intéressée et les différents certificats médicaux de son psychiatre et de ses courriers de transmission ne s'accordent pas avec ces constatations dès lors qu'ils ne font état d'aucune relation de son état de santé avec ses fonctions. Par ailleurs, par son arrêt n° 17BX02857, 17BX02860 du 19 décembre 2019 non frappé de pourvoi en cassation, la Cour a estimé que les conditions de travail de Mme D... depuis 2004 ne caractérisaient pas une situation de harcèlement moral, en particulier que le comportement vexatoire dont s'était plainte Mme D... de la part de son employeur n'était pas établi. Enfin, il ressort des rapports médicaux produits dans le cadre de l'instance que Mme D... est décrite comme présentant une personnalité obsessionnelle et avait des antécédents médicaux dès lors qu'elle avait déjà été placée en arrêt de maladie notamment en 1997 et 2000 pour un état d'anxiété. Ainsi, il ressort des pièces du dossier que la pathologie anxio-dépressive, dont est atteinte la requérante, ne présente pas un lien direct avec l'exercice de ses fonctions ou de ses conditions de travail de nature à susciter le développement de sa maladie alors que les faits qu'elle invoquait n'ont pas été jugés par la Cour, ainsi qu'il a été dit, comme constitutifs de harcèlement moral et qu'elle a présenté des antécédents de nature à détacher la survenance ou l'aggravation de sa maladie à ses fonctions. Dans ces conditions, et conformément à l'avis du 14 janvier 2020 rendu par la commission de réforme, le président du conseil départemental de la Dordogne a pu, sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation, refuser de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie dont souffre Mme D....

7. Il résulte de tout ce qui précède que le département de la Dordogne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté en litige et enjoint le département de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme D... ainsi qu'à en demander l'annulation pour ce motif.

8. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur les autres moyens invoqués par Mme D... en première instance et en appel.

Sur les autres moyens :

9. En premier lieu, aux termes de l'article 31 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales alors applicable : " Une commission de réforme est constituée dans chaque département pour apprécier la réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, les conséquences et le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions. / (...) / L'avis de la commission de réforme est communiqué au fonctionnaire sur sa demande. (...) ".

10. Si Mme D... soutient que l'avis de la commission de réforme ne lui a pas été notifié, les dispositions précitées ne prévoient une communication que sur demande de l'intéressé et il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme D... aurait sollicité la communication de l'avis du 14 janvier 2020 précité, que le département de la Dordogne a produit tant en première instance qu'en appel. Par suite le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure tenant à l'absence de communication de cet avis ne peut qu'être écarté.

11. En second lieu, l'arrêté du 13 mars 2020 par lequel le président du conseil départemental de la Dordogne en litige vise les avis de la commission de réforme rendus les 3 mai 2016 et 14 janvier 2020, lesquels ont été émis sur la base du rapport du médecin expert. La circonstance que l'arrêté contesté n'indique pas le sens des conclusions du rapport de l'expert, mention qui n'est prévue par aucun texte législatif ou règlementaire, est sans incidence sur sa légalité.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la demande de Mme D... tendant à l'annulation de l'arrêté en litige doit être rejetée, de même par voie de conséquence que ses conclusions à fin d'injonction au département de la Dordogne de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.

Sur les frais de l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du département de la Dordogne, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la requérante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme D... une somme à verser au département de la Dordogne en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2002020 du 20 décembre 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Bordeaux par Mme D... et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions du département de la Dordogne présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Dordogne et à Mme C... D....

Délibéré après l'audience du 27 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2023.

La rapporteure,

Caroline B...

La présidente,

Ghislaine Markarian

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au préfet de la Dordogne en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22BX00536


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00536
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : ADALTYS – AARPI INTERBARREAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;22bx00536 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award