Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière les Toits du lac a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 28 novembre 2019 du président de Toulouse Métropole portant exercice du droit de préemption urbain renforcé sur la vente de quatre lots d'un ensemble immobilier situé 8 place André Abbal à Toulouse.
Par un jugement n° 2000476 du 15 octobre 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux sous le n°21BX04653 puis au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°21TL24653 les 20 décembre 2021, 27 avril 2022, 3 juin 2022 et 21 octobre 2022, la société les Toits, anciennement société les Toits du lac, représentée par Me Larrouy-Castera, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 28 novembre 2019 du président de Toulouse Métropole ;
3°) de mettre à la charge de Toulouse Métropole une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas analysé le caractère suffisant de l'intérêt général du projet de renouvellement urbain du quartier de la Reynerie ;
- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de l'incohérence de ce projet ;
- Toulouse Métropole ne justifie pas de la réalité d'un projet entrant dans les prévisions des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme ;
- Toulouse Métropole ne justifie pas du caractère suffisant de l'intérêt général du projet de renouvellement urbain du quartier de la Reynerie ;
- en outre, la décision attaquée est illégale du fait de l'illégalité de la délibération du 11 avril 2019 portant institution du droit de préemption urbain, cette dernière étant fondée sur la délibération portant plan local d'urbanisme intercommunal tenant lieu de programme local de l'habitat adoptée le même jour ;
- la décision attaquée est entachée d'un détournement de pouvoir.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 février 2022, 17 mai 2022, 13 septembre 2022 et le 5 octobre 2022, Toulouse Métropole, représentée par le cabinet Goutal, Alibert et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société les Toits une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la société les Toits n'est fondé.
Par ordonnance du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de la société les Toits.
Par ordonnance du 14 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 26 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lasserre, première conseillère,
- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,
- et les observations de Me Petit dit A..., représentant Toulouse Métropole.
Considérant ce qui suit :
1. La société les Toits relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 28 novembre 2019 du président de Toulouse Métropole portant exercice du droit de préemption urbain renforcé sur la vente de quatre lots d'un ensemble immobilier situé 8 place André Abbal sur le territoire de la commune de Toulouse (Haute-Garonne).
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué, en son point 6, que le tribunal administratif de Toulouse, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments des parties, a expressément répondu au moyen tiré de ce que Toulouse Métropole ne justifierait pas de la réalité d'un projet entrant dans les prévisions des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait entaché d'irrégularité à défaut d'avoir statué sur l'argument à l'appui de ce moyen tiré de l'incohérence de ce projet doit être écarté.
3. En second lieu, le moyen tiré de ce que les premiers juges n'ont pas analysé le caractère insuffisant de l'intérêt général du projet de renouvellement urbain du quartier de la Reynerie ne se rapporte pas à la régularité du jugement attaqué mais à son bien-fondé dont le contrôle est opéré par l'effet dévolutif de l'appel.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) / Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. Il en est de même lorsque la commune a délibéré pour délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, (...), de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. ".
5. Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
6. Lorsque la loi autorise la motivation par référence à un programme local de l'habitat, les exigences résultant de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en œuvre de ce programme, et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. À cette fin, la collectivité peut, soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la décision en litige portant exercice du droit de préemption urbain renforcé sur la vente de quatre lots d'un ensemble immobilier situé 8 place André Abbal à Toulouse se réfère à la délibération du 27 juin 2019 par laquelle Toulouse Métropole a approuvé la convention pluriannuelle des projets du nouveau programme national de renouvellement urbain. Cette convention délimite notamment le périmètre du projet de renouvellement urbain du quartier de la Reynerie dans lequel se situe le bien préempté. De plus, elle précise que " la centralité Abbal sera entièrement recomposée via le repositionnement de l'offre commerciale sur les 2 nouveaux linéaires en rez-de-chaussée des îlots 10 et 13 (...) l'accueil d'activités sur l'ilot 10 (hors convention), et la construction de nouveaux logements sur les îlots 10 et 13 ". Dans ces conditions, par la décision en litige, Toulouse Métropole doit être regardée comme ayant identifié la nature de l'opération d'aménagement qu'elle entend mener sur le bien préempté situé sur l'îlot n°10. En outre, la cession de la parcelle cadastrée B 108, qui résulte d'une procédure contentieuse, ne permet pas de révéler une incohérence dans le projet de la collectivité. De même, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ressort des pièces du dossier que les travaux du projet de renouvellement urbain du quartier de la Reynerie ont débuté. Par suite, le moyen tiré de ce que Toulouse Métropole ne justifierait pas de la réalité d'un projet entrant dans les prévisions des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme doit être écarté.
8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le projet de renouvellement urbain du quartier de la Reynerie a été estimé à environ 170 millions d'euros, dont environ 100 millions d'euros seront à la charge de Toulouse Métropole. Un tel coût, dont il n'est ni démontré ni même allégué qu'il excèderait les capacités financières de cette dernière, ne saurait remettre en cause le caractère suffisant de l'intérêt général de l'opération de renouvellement urbain poursuivie au travers de la décision de préemption en litige. Par suite, le moyen tiré de ce que Toulouse Métropole ne justifierait pas du caractère suffisant de l'intérêt général du projet en litige doit être écarté.
9. En deuxième lieu, l'acte instituant un droit de préemption urbain, qui se borne à rendre applicables dans la zone qu'il délimite les dispositions législatives et réglementaires régissant l'exercice de ce droit, sans comporter lui-même aucune disposition normative nouvelle, ne revêt pas un caractère réglementaire et ne forme pas avec les décisions individuelles de préemption prises dans la zone une opération administrative unique comportant un lien tel qu'un requérant serait encore recevable à invoquer par la voie de l'exception les illégalités qui l'affecteraient, alors qu'il aurait acquis un caractère définitif.
10. Il ressort des pièces du dossier que la délibération du conseil communautaire de Toulouse Métropole du 11 avril 2019 portant institution du droit de préemption urbain a été affichée du 14 mai au 14 juin 2019 à la mairie de Toulouse et a fait l'objet d'une publicité dans un journal d'annonces légales dans les conditions prévues par les articles R. 211-2 et R. 211-4 du code de l'urbanisme. Cette délibération a donc acquis un caractère définitif à l'expiration du délai de recours ouvert à son encontre et son illégalité ne peut être soulevée par la voie de l'exception dans le présent litige. Par suite, la société Les Toits ne peut utilement se prévaloir en appel de l'annulation de la délibération du 11 avril 2019 approuvant le plan local d'urbanisme intercommunal de Toulouse Métropole valant plan local de l'habitat prononcée par un jugement du tribunal administratif de Toulouse du 30 mars 2021 confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 15 février 2022, pour soutenir que la décision en litige est privée de base légale.
11. En troisième lieu, le détournement de pouvoir allégué tiré de ce que Toulouse Métropole aurait pour seul but d'empêcher la société requérante de réaliser son projet n'est pas établi alors que, ainsi qu'il a été dit aux points précédents, cette collectivité a décidé de préempter son bien dans le cadre du projet de renouvellement urbain du quartier de la Reynerie.
12. Il résulte de tout ce qui précède, que la société les Toits n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Toulouse Métropole qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que la société les Toits demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la société les Toits une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à verser à Toulouse Métropole.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société les Toits est rejetée.
Article 2 : La société les Toits versera à Toulouse Métropole une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière les Toits et à Toulouse Métropole.
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
Mme Lasserre, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.
La rapporteure,
N. Lasserre
Le président,
D. ChabertLa greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21TL24653