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21/12/2023 | FRANCE | N°21BX03455

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 21 décembre 2023, 21BX03455


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



La société Ineo Aquitaine a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de la décharger des pénalités de retard que la commune de Bordeaux lui a appliquées à hauteur de 469 178,20 euros hors taxes dans le cadre des travaux de construction de la cité des civilisations du vin, de condamner la commune de Bordeaux à lui verser la somme de 42 489,99 euros hors taxes en remboursement des réfactions appliquées aux prestations supplémentaires qu'elle a réalisées, de co

ndamner la commune de Bordeaux, ou à titre subsidiaire la société X'TU, à lui verser la somme d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ineo Aquitaine a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de la décharger des pénalités de retard que la commune de Bordeaux lui a appliquées à hauteur de 469 178,20 euros hors taxes dans le cadre des travaux de construction de la cité des civilisations du vin, de condamner la commune de Bordeaux à lui verser la somme de 42 489,99 euros hors taxes en remboursement des réfactions appliquées aux prestations supplémentaires qu'elle a réalisées, de condamner la commune de Bordeaux, ou à titre subsidiaire la société X'TU, à lui verser la somme de 791 594,25 euros hors taxes en réparation de ses préjudices résultant des difficultés rencontrées en cours de chantier, de fixer le décompte général de son marché à la somme de 4 597 467,16 euros hors taxes, et de condamner la commune de Bordeaux à lui verser la somme de 1 337 822,33 euros hors taxes soit 1 605 386,80 euros toutes taxes comprises au titre du solde du marché. La société Ineo Aquitaine a également demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner solidairement la commune de Bordeaux et la société X'TU à lui verser la somme de 53 670 euros hors taxes au titre de ses frais administratifs.

Par un jugement n° 1805669 du 22 février 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a, par les articles 1er et 2 du jugement, fixé le décompte définitif du marché de travaux correspondant au lot n° 4 à 5 598 474,59 euros toutes taxes comprises et condamné la commune de Bordeaux à verser à la société Ineo Aquitaine la somme de 508 168,72 euros au titre du solde de ce marché. Par l'article 3, le tribunal a également condamné la société X'TU à verser à la société Ineo Aquitaine la somme de 299 028 euros, et, par l'article 4, a condamné solidairement la commune de Bordeaux et la société X'TU à verser à la société Ineo Aquitaine la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice résultant des frais administratifs.

Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1805669 du 22 février 2021 a fait l'objet, à la demande de la société Ineo Aquitaine, d'une ordonnance en rectification d'erreur matérielle le 23 mars 2021 par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 août 2021, 4 novembre 2022, 19 janvier 2023 et 27 septembre 2023, la société X'TU, représentée par l'AARPI CLL Avocats, agissant par Me Caron, demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 3, 4 et 5 du jugement du tribunal de Bordeaux n° 1805669 du 22 février 2021 prononçant sa condamnation ;

2°) de rejeter les demandes de la société Ineo Aquitaine dirigées à son encontre au titre de ses préjudices résultant des difficultés rencontrées en cours de chantier ;

3°) de mettre à la charge de la société Ineo Aquitaine une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la recevabilité de sa requête d'appel :

- les dispositions de l'article R. 741-4-1 du code de justice administrative dispensent le greffe du tribunal de notifier aux parties le jugement par lettre recommandée avec accusé de réception lorsque ces dernières sont inscrites sur l'application informatique Télérecours ; ces dispositions prévoient que les parties qui n'ont pas consulté l'application informatique sont réputées avoir reçu notification du jugement dans un délai de deux jours ouvrés à compter de cette mise à disposition ; ainsi, l'article R. 741-4-1 du code de justice administrative permet au délai d'appel de courir y compris quand les parties n'ont pas, de bonne foi, consulté l'application informatique ; un tel mécanisme ne saurait toutefois être appliqué à un justiciable ayant la qualité de défendeur à l'encontre duquel des conclusions n'ont été présentées qu'à titre subsidiaire, et qui n'a pas utilisé l'application informatique pour produire un mémoire ;

- la correspondance que le greffe du tribunal lui a adressée le 29 janvier 2019, l'invitant à s'inscrire sur l'application Télérecours, ne comportait aucun avertissement sur la nécessité pour elle de consulter régulièrement ladite application, et notamment sur le fait que la mise à disposition du jugement sur l'application vaudrait notification du jugement ;

- ainsi, elle n'a eu connaissance du jugement du tribunal qu'avec la réception de la lettre du 22 juin 2021 par laquelle le conseil de la société Ineo Aquitaine lui a transmis ce jugement ; sa requête d'appel du 22 août 2021 n'est, dans ces conditions, pas tardive ;

- les dispositions de l'article R. 741-4-1 du code de justice administrative ne doivent pas recevoir application dès lors qu'elles méconnaissent les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au droit au procès équitable et au droit au recours.

Au fond :

- elle a formé avec les autres maîtres d'œuvre un groupement conjoint sans désignation d'un mandataire solidaire ; eu égard à la pluralité des maîtres d'œuvre et des missions qui leur ont été confiées, chaque membre de la maîtrise d'œuvre n'est responsable que de ses propres manquements ;

- le tribunal a méconnu ce principe en ne distinguant pas les missions d'ordonnancement, pilotage coordination (OPC) attribuées à une autre société de la mission DET (direction de l'exécution et des travaux) ; les fautes retenues par le tribunal se rapportaient à des manquements de la société IM Projet chargée de la mission OPC, et notamment de l'élaboration du calendrier détaillé d'exécution en vertu de l'article 6.1 du cahier des clauses administratives particulières ; aucune faute ne peut être reprochée à la société X'TU qui a adressé à la commune de Bordeaux un courrier du 2 octobre 2015 répondant point par point aux retards relevés par le maître de l'ouvrage dans la conduite du chantier ; la société X'TU, qui n'est pas mandataire solidaire du groupement de maîtrise d'œuvre, ne serait, le cas échéant, responsable que de ses propres manquements compte tenu de la répartition des tâches entre les maîtres d'œuvre fixée à l'annexe 1 de l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'œuvre ;

- la responsabilité de la commune de Bordeaux, maître de l'ouvrage, est engagée à raison de ses propres fautes dès lors que son évaluation initiale de ses besoins était insuffisante ; de plus, elle s'est abstenue de mettre en œuvre les mesures coercitives qui étaient en son pouvoir pour contraindre les entrepreneurs à respecter le calendrier des travaux ;

- la responsabilité de la société Inéo Aquitaine est engagée en raison de ses manquements à ses obligations contractuelles ; elle a remis avec retard les études d'exécution prévues à l'article 10 du cahier des clauses administratives particulières ; elle n'a pas remis le plan d'implantation niveau R2 précisant le cheminement d'implantation des câbles ; elle a également remis avec retard le dossier des ouvrages exécutés prévu à l'article 40 du cahier des clauses administratives générales ; elle est également responsable d'un défaut de calfeutrement de ses réservations en amont, d'une absence d'incorporation dans les banches et les planches, d'une absence de mise en place des éclairages dans les locaux techniques extérieurs, du remplacement du tripode installé par la société BEC, et du tracé de certains réseaux ne respectant pas le dessin de synthèse ;

- il n'existe pas de lien de causalité entre les préjudices invoqués par la société Ineo Aquitaine et les fautes alléguées à l'encontre de la société X'TU ; les sommes retenues par le tribunal au titre des frais de personnels et des frais administratifs supplémentaires prétendument assumés par la société Ineo Aquitaine ne sont pas justifiées ; les frais afférents au mémoire en réclamation présenté à l'encontre du décompte général du marché ont le caractère de frais généraux non indemnisables.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2021, la commune de Bordeaux, représentée par le cabinet Richer et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société appelante la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la requête d'appel est irrecevable pour tardiveté.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 avril 2022 et 5 décembre 2022, la société Ineo Aquitaine, représentée par la SELARL Interbarreaux Racine, agissant par Me Hounieu, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête d'appel pour tardiveté ;

2°) à titre subsidiaire, à la confirmation du jugement attaqué ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, à la condamnation in solidum de la société X'TU et de la société IM Projet à lui verser la somme de 302 278 euros en réparation de ses préjudices liés aux difficultés rencontrées en cours de chantier ;

4°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société appelante une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la requête d'appel est irrecevable pour tardiveté. Au fond, elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Par un mémoire enregistré le 5 juillet 2023, la société IM Projet, représentée par la SCP Bayle-Joly agissant par Me Escande, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire au rejet au fond des conclusions dirigées à son encontre par la société Ineo Aquitaine ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Ineo Aquitaine une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la société Ineo Aquitaine n'est pas recevable à la mettre en cause pour la première fois en appel dès lors qu'aucune conclusion n'a été présentée à son encontre en première instance. Au fond, elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Par ordonnance du 25 août 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 29 septembre 2023 à 12h00.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Darmon, substituant Me Caron, pour la société X'TU, de Me Caijeo, substituant Me Hounieu, pour la société Inéo Aquitaine et de Me Escande pour la société IM Projet.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 8 juillet 2011, la commune de Bordeaux a signé un marché de maîtrise d'œuvre avec un groupement conjoint de maîtres d'œuvre ayant pour mandataire non solidaire la société X'TU. Ce marché a été conclu dans le cadre de la construction de la cité des civilisations du vin dont le délai global d'exécution a été fixé à 32 mois à compter du 2 septembre 2013. Le lot n° 4 " électricité, courants forts et courants faibles, détection incendie, sonorisation, contrôle d'accès, gestion technique du bâtiment " du marché de travaux a été attribué à la société Ineo Aquitaine pour un montant fixé, après avenants, à 4 597 467,16 euros hors taxes. La réception des travaux du lot n° 4 a été prononcée, avec réserves, le 9 mai 2016. Le 26 janvier 2017, la commune de Bordeaux a notifié à la société Ineo Aquitaine le décompte général du marché, fixé à 5 092 934,68 euros toutes taxes comprises. Le 1er mars 2017, la société a adressé à la commune de Bordeaux un mémoire de réclamation puis a saisi, le 26 juillet 2017, le comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges relatifs aux marchés publics, qui a rendu son avis le 7 février 2018. Après le rejet, le 26 novembre 2018, de sa réclamation, la société Ineo Aquitaine a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande qui tendait, notamment, à la condamnation, à titre principal, de la commune de Bordeaux et, à titre subsidiaire de la société X'TU, à lui verser la somme de 791 594,25 euros hors taxes soit 949 913,10 euros toutes taxes comprises en réparation de ses préjudices résultant des difficultés auxquelles elle a été confrontée en cours de chantier. La demande de la société Ineo Aquitaine tendait également à fixer le décompte général de son marché à la somme de 5 423 222,01 euros hors taxes soit 6 507 840,73 euros toutes taxes comprises, et à la condamnation de la commune de Bordeaux à lui verser la somme de 1 337 822,23 euros hors taxes soit 1 605 386,80 euros toutes taxes comprises au titre du solde du marché.

2. Par les articles 1er et 2 du jugement rendu le 22 février 2021, rectifiés pour erreur matérielle par une ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Bordeaux du 23 mars 2021, les premiers juges ont fixé le décompte définitif du marché à la somme de 5 694 814,25 euros toutes taxes comprises et condamné la commune de Bordeaux à verser à la société Ineo Aquitaine la somme de 601 879,33 euros au titre du solde de son marché. Le tribunal a également jugé que la société X'TU était responsable des préjudices de la société Ineo Aquitaine, résultant des difficultés rencontrées en cours de chantier, à hauteur des deux tiers de leur montant. Aux articles 3, 4 et 5 de sa décision, le tribunal a ainsi condamné la société X'TU à verser à la société Ineo Aquitaine la somme de 299 028 euros, a condamné solidairement la société X'TU et la commune Bordeaux à verser à la société Ineo Aquitaine la somme de 5 000 euros et a mis à la charge de ces dernières la somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance. La société X'TU relève appel de ce jugement en demandant à la Cour d'annuler les articles 3, 4 et 5 du jugement tel que rectifiés.

Sur la recevabilité de la requête d'appel de la société X'TU :

3. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " (...) le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 (...) ". Aux termes de l'article R. 751-3 du même code : " Sauf disposition contraire, les décisions sont notifiées le même jour à toutes les parties en cause et adressées à leur domicile réel, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...) ". Aux termes de l'article R. 751-4-1 de ce code dans sa rédaction alors applicable : " Par dérogation aux articles R. 751-2, R. 751-3 et R. 751-4, la décision peut être notifiée par le moyen de l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 aux parties qui sont inscrites dans cette application ou du téléservice mentionné à l'article R. 414-2 aux parties qui en ont accepté l'usage pour l'instance considérée. Ces parties sont réputées avoir reçu la notification à la date de première consultation de la décision, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition de la décision dans l'application, à l'issue de ce délai. Sauf demande contraire de leur part, les parties sont alertées de la notification par un message électronique envoyé à l'adresse choisie par elles. ".

4. Il ressort des pièces du dossier que, par courrier du 29 janvier 2019, le greffe du tribunal administratif de Bordeaux a proposé à la société X'TU de lui communiquer la requête introductive d'instance présentée par la société Ineo Aquitaine par voie dématérialisée au moyen de l'application " Télérecours citoyens " prévue à l'article R. 414-2 du code de justice administrative. La société X'TU était ainsi invitée à créer un compte sur le site internet " https//www.telerecours.fr " à la rubrique " Particuliers et personnes morales de droit privé - Télérecours citoyens ". Il ressort des pièces du dossier que la société X'TU a déféré à cette invitation en créant un compte sur l'application informatique " Télérecours citoyens " et en transmettant une adresse électronique. Cette application comporte une rubrique intitulée " conditions générales d'utilisation " dans laquelle l'utilisateur est clairement informé que les actes de procédure lui seront transmis dans " Telerecours citoyens " à l'adresse électronique transmise et qu'il est réputé avoir reçu les communications et les notifications qui lui sont adressées par l'application à la date de première consultation du document ou, à défaut de consultation dans un délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition du document, à l'issue de ce délai. La société a ensuite transmis au greffe du tribunal son adresse électronique à laquelle lui ont ainsi été communiqués tous les actes de procédure conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article R. 751-4-1 précité du code de justice administrative.

5. Il ressort de l'accusé de réception délivré par l'application informatique que le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 22 févier 2021 a été mis à la disposition de la société X'TU le 22 février 2021 à 15h52. Si la société X'TU n'a pas consulté l'application, elle était cependant réputée avoir reçu notification du jugement à l'issue d'un délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition de la décision dans l'application, soit le 24 février 2021. Par suite, le délai d'appel contre le jugement attaqué expirait le 25 avril 2021 qui était un dimanche, et s'est trouvé prorogé jusqu'au 26 avril 2021.

6. Toutefois, aux termes de l'article R. 741-11 du code de justice administrative : " Lorsque le président du tribunal administratif (...) constate que la minute d'une décision est entachée d'une erreur ou d'une omission matérielle non susceptible d'avoir exercé une influence sur le jugement de l'affaire, il peut y apporter, par ordonnance rendue dans le délai d'un mois à compter de la notification aux parties, les corrections que la raison commande. La notification de l'ordonnance rectificative rouvre, le cas échéant, le délai d'appel ou de recours en cassation contre la décision ainsi corrigée. ". La correction d'une erreur matérielle effectuée sur le fondement de ces dispositions conduit à différer le point de départ du délai d'appel lorsque cette correction, soit par elle-même, soit de façon indivisible avec d'autres parties du jugement qui en fait l'objet, a une incidence sur la portée qui était la sienne initialement.

7. Il s'ensuit que l'ordonnance du 23 mars 2021, par laquelle la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a modifié les montants retenus par les premiers juges au titre du solde du marché et de la condamnation prononcée à l'encontre de la commune de Bordeaux, a rouvert le délai d'appel contre le jugement du 22 février 2021 à compter de sa notification. Il ressort des pièces du dossier que cette ordonnance a été notifiée à la société X'TU au moyen de l'application informatique prévue à l'article R. 414-2 du code de justice administrative le 25 mars 2021 à 14h45. Faute pour la société X'TU d'avoir consulté l'application, elle est réputée avoir reçu notification de l'ordonnance de rectification d'erreur matérielle le 29 mars 2021, les 27 et 28 mars n'étant pas des jours ouvrés, conformément aux dispositions de l'article R. 751-4-1 du code de justice administrative. Par suite, le délai d'appel ouvert contre le jugement attaqué expirait le 31 mai 2021 dès lors que le 30 mai était un dimanche.

8. La société X'TU était inscrite, ainsi qu'il a été dit précédemment, dans l'application informatique " Télérecours citoyens " pour recevoir l'ensemble des actes de la procédure à l'adresse électronique qu'elle a communiquée au greffe. Bien qu'elle ait reçu notification des écritures des autres parties, d'une mise en demeure de défendre, de plusieurs ordonnances de clôture et de réouverture de l'instruction et de deux avis d'audience, elle n'a produit aucun mémoire, ni même consulté l'application pour s'informer de l'état d'avancement de l'instruction. La société X'TU ne peut utilement justifier son abstention à produire par le fait que l'instance porterait sur un litige opposant seulement la société Ineo Aquitaine à la commune de Bordeaux, dès lors que la société Ineo Aquitaine a présenté contre elle, devant les premiers juges, des conclusions aux fins de condamnation, ce qui lui conférait la qualité de partie défenderesse en première instance.

9. Alors que le délai d'appel expirait le 31 mai 2021 comme il a été dit au point 7, la société a saisi la Cour le 22 août 2021 seulement. Par suite, sa requête d'appel est tardive compte tenu des dispositions des articles R. 811-2 et R. 751-4-1 du code de justice administrative.

10. Comme il a été dit au point 4, la société X'TU a accepté l'usage de l'application " Telerecours citoyen " en déférant à l'invitation adressée par le greffe du tribunal de créer un compte sur cette application, et a clairement été informée des conditions générales d'utilisation de celle-ci au moment de son inscription. La règle prévue à l'article R. 751-4-1 du code de justice administrative, selon laquelle les parties sont réputées avoir reçu la notification du jugement mis à leur disposition sur l'application informatique à l'issue d'un délai de deux jours ouvrables, lorsqu'elles n'ont pas consulté l'application, fait obstacle à ce que le délai d'appel ne puisse courir du seul fait qu'une partie fasse preuve de négligence en s'abstenant de consulter l'application informatique, ou soit déclenché de façon aléatoire en fonction de la date à laquelle une partie s'avise de consulter l'application. Si la société X'TU soutient que les dispositions de l'article R. 751-4-1 du code de justice administrative méconnaissent le droit à un procès équitable et le droit au recours consacrés par les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il résulte de ce qui a été dit précédemment que ce rejet ne découle que de l'application des dispositions précitées du code de justice administrative qui, dans le cadre qu'elles fixent et avec les garanties qu'elles prévoient, n'ont ni pour objet ni pour effet de restreindre l'accès à la justice ou, en tout état de cause, de porter atteinte au droit au recours effectif.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête d'appel de la société X'TU est tardive et par suite irrecevable.

Sur les frais d'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par la société X'TU tendant à ce que la société Ineo Aquitaine, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de la société X'TU une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés, d'une part, par la commune de Bordeaux et, d'autre part, par la société Ineo Aquitaine. Enfin, les conclusions présentées par la société IMP Projet sur ce même fondement doivent être rejetées dès lors qu'elles sont dirigées contre la société Ineo Aquitaine qui n'est pas la partie perdante à l'instance d'appel.

DECIDE

Article 1er : La requête de la société X'TU est rejetée.

Article 2 : La société X'TU versera à la commune de Bordeaux et à la société Ineo Aquitaine chacune une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société IM Projet au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société X'TU, à la ville de Bordeaux, à la société Ineo Aquitaine et à la société IM Projet.

Délibéré après l'audience du 11 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Ghislaine MarkarianLa greffière,

Catherine JussyLa République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX03455 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03455
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : RICHER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;21bx03455 ?
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