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21/12/2023 | FRANCE | N°21BX03416

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 21 décembre 2023, 21BX03416


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 3 septembre 2020 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale de la Gironde de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine a autorisé la société PSD à le licencier pour un motif économique.



Par un jugement n° 2004967 du 17 juin 2021, le tribunal a fait droit à la deman

de de M. B... A....





Procédure devant la Cour :



Par une requête et des mémoir...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 3 septembre 2020 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale de la Gironde de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine a autorisé la société PSD à le licencier pour un motif économique.

Par un jugement n° 2004967 du 17 juin 2021, le tribunal a fait droit à la demande de M. B... A....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 août 2021, 10 juin 2022 et 29 octobre 2023, la société PSD, représentée par Eurex Avocats, agissant par Me Rousseau et Me Loaëc-Berthou, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2004967 du 17 juin 2021 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. B... A... ;

3°) de mettre à la charge de ce dernier une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

- les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire dès lors que le greffe du tribunal ne lui a communiqué qu'une version incomplète de la requête de M. B... A..., dépourvue de l'exposé des moyens soulevés, et sans les pièces qui lui étaient jointes ; ils ont aussi fondé leur solution sur des éléments de droit avancés par M. B... A... dans son dernier mémoire qui n'a pas été communiqué ;

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle a bien adressé à M. B... A... une offre de reclassement ; celle-ci a pris la forme d'une offre de modification de son contrat de travail par la désignation du site de Libourne comme nouveau lieu d'affectation ; cette proposition a eu lieu au cours de la période de recherche du reclassement des salariés concernés par le projet de licenciement, qui a nécessité la consultation du comité social et économique et les dispositions des articles L. 1233-3 et L. 1233-4 du code du travail ont été respectées ; c'est donc à tort que les premiers juges ont annulé la décision attaquée au motif que la proposition de modification du contrat de travail était celle visée par l'article L. 1222-6 du code du travail, non applicable en l'espèce, alors qu'elle relevait de l'article L. 1233-4 relatif à l'obligation de recherche d'un reclassement ;

- après avoir constaté qu'il n'existait pas de possibilité de reclasser M. B... A... au sein de l'entreprise, en raison de son refus d'accepter la modification de son contrat de travail, la société a recherché à reclasser l'intéressé dans les entreprises du groupe situées sur le territoire national ; elle établit, par les éléments du dossier, que cette recherche est restée vaine.

En ce qui concerne les moyens soulevés en première instance par M. B... A... à l'encontre de l'arrêté attaqué :

- dès lors qu'elle était confrontée au refus de l'ensemble des salariés affectés sur le site de Saint-Jean d'Illac d'accepter une nouvelle affectation sur le site de Libourne, elle n'était tenue de respecter aucun critère dans l'ordre des licenciements, et le comité économique et social n'avait pas à être consulté sur cette question ;

- le caractère économique du licenciement, d'ailleurs reconnu par l'inspecteur du travail, est avéré ; elle a produit des éléments précis retraçant sa situation financière sur plusieurs années et qui montrent que le volume de ses commandes et son chiffre d'affaires ont baissé de manière sensible et régulière.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 février 2022, 11 octobre 2023, 12 octobre 2023 et 20 novembre 2023, M. B... A..., représenté par Me Bisiau, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société PSD une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 octobre 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Loaëc-Berthou pour la société PSD et de Me Bisiau pour M. B... A....

Vu la note en délibéré présentée pour la société PSD enregistrée 28 novembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Le groupe international Cellutec exerce une activité de transformation de mousses techniques pour la constitution d'emballages de protection ou de présentation sur mesure dans les secteurs de l'ameublement et de l'automobile, et dans les domaines de l'isolation thermique et acoustique. Ce groupe possède quatre sociétés en France, dont la société PSD spécialisée dans la découpe et le façonnage de matériaux alvéolaires et dans la conception de produits sur mesure, qui est dotée de deux sites de production à Libourne et à Saint-Jean-d'Illac. M. B... A... y est employé depuis le 16 mai 1983 en qualité d'ouvrier découpeur expérimenté. Il est également membre titulaire du comité social et économique de la société.

2. Confrontée à des difficultés d'ordre économique, la société PSD, qui employait 41 salariés au 31 mai 2020, a fait l'objet d'un projet de réorganisation prévoyant de regrouper tous les salariés employés sur le site de Saint-Jean d'Illac vers le site de Libourne. Ce projet a été présenté au comité social et économique de l'entreprise le 9 juin 2020. Le 10 juin 2020, la société PSD a proposé à M. B... A..., employé sur le site de Saint-Jean-d'Illac, d'exercer ses fonctions à Libourne. M. B... A... ayant refusé cette proposition le 8 juillet 2020, son employeur a, le 30 juillet 2020, sollicité de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Nouvelle-Aquitaine l'autorisation de le licencier pour motif économique. Par une décision du 3 septembre 2020, l'inspecteur du travail a autorisé la société PSD à licencier M. B... A.... A la demande de ce dernier, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du 3 septembre 2020 par un jugement rendu le 17 juin 2021 dont la société PSD relève appel.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...) Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ".

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la société PSD a reçu communication par voie postale de la requête introductive d'instance de M. B... A... dans une version qui ne comportait pas les moyens qui y étaient soulevés et les pièces qui l'accompagnaient. Si, le 12 mars 2021, la société PSD a demandé au greffe du tribunal de lui communiquer la version complète de la requête de M. B... A..., il ressort des pièces du dossier qu'aucune suite n'a été donnée à sa demande. Dans ces conditions, et alors que les premiers juges ont accueilli l'un des moyens invoqués par M. B... A... pour faire droit à sa demande, le jugement attaqué a été rendu à l'issue d'une procédure qui a méconnu le principe du contradictoire.

5. Il y a lieu d'annuler ce jugement pour irrégularité et, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de première instance de M. B... A....

Sur la légalité de la décision de l'inspecteur du travail du 3 septembre 2020 :

6. Aux termes de l'article L. 1222-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : 1° A des difficultés économiques caractérisées (...) par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffres d'affaires (...) ". Aux termes de l'article L. 1222-6 du même code : " Lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception. La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. (...) ".

7. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. (...) Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés (...). Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. ".

8. Il résulte de ces dispositions que l'employeur est tenu de proposer au salarié dont le licenciement économique est envisagé tous les emplois disponibles de même catégorie ou à défaut, d'une catégorie inférieure sans pouvoir limiter ses offres en fonction de la volonté présumée de l'intéressé de les refuser. Ainsi, la proposition d'une modification du contrat de travail pour motif économique qu'un employeur adresse au salarié en application de l'article L. 1222-6 du code du travail, et que le salarié refuse, ne dispense pas cet employeur de son obligation de reclassement, et par suite de lui proposer éventuellement le même poste dans l'exécution de cette obligation.

9. Les possibilités de reclassement dans l'entreprise, et éventuellement au sein du groupe, s'apprécient antérieurement à la date d'autorisation du licenciement, à compter du moment où celui-ci est envisagé. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation de rechercher les possibilités de reclassement du salarié, des propositions de postes faites par l'employeur ne peuvent être prises en compte qu'à la condition que le salarié ait connaissance que de telles offres, faites par l'employeur au cours de cette période, le sont dans le cadre du reclassement prévu par l'article L. 1233-4 du code du travail.

10. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du document intitulé " note de présentation du projet de réorganisation de la société PSD et de ses conséquences sur l'emploi " que le chiffre d'affaires de la société PSD est en régression depuis le 4ème trimestre 2019 et que la crise sanitaire survenue en 2020 a accentué cette tendance avec une baisse cumulée de 20 % du chiffre d'affaires au 31 mai 2020. La baisse d'activité des secteurs de l'aéronautique et de l'automobile, la fermeture ou la délocalisation de plusieurs sites de clients industriels ont été à l'origine des difficultés rencontrées par la société PSD, ainsi confrontée à une diminution de son carnet de commandes. C'est pourquoi la société PSD a décidé de regrouper l'ensemble de sa production sur le site de Libourne afin de rationaliser ses activités et d'obtenir des économies d'échelle, ce qui impliquait la fermeture de l'unité de production de Saint-Jean d'Illac. Dans ce cadre, la note de présentation précitée prévoyait que les salariés concernés recevraient une proposition de modification de leur contrat de travail en vue de leur transfert à Libourne.

11. S'il est vrai que le comité social et économique de la société PSD a été consulté le 9 juin 2020 sur " un projet de licenciement pour motif économique ", ainsi qu'il ressort du procès-verbal de la réunion de cette instance, cette seule mention ne permet pas d'estimer que le licenciement des salariés employés sur le site de Saint-Jean d'Illac, parmi lesquels M. B... A..., était déjà envisagé dès lors qu'il est constant qu'à cette date du 9 juin 2020 aucun des salariés concernés n'avaient reçu la proposition de modification du contrat de travail pourtant expressément prévue par la note de réorganisation précitée qui se référait, en outre, à l'article L. 1222-6 du code du travail. Or, une telle proposition de modification du contrat de travail se distingue de l'obligation de recherche d'un reclassement qui s'impose à l'employeur une fois seulement que le licenciement est envisagé. Par suite, la société PSD n'est pas fondée à soutenir que le licenciement de M. B... A... était envisagé dès la consultation du comité social et économique de l'entreprise le 9 juin 2020, et que cette date marquerait le point de départ de la période de recherche du reclassement.

12. Conformément aux prévisions de la note de réorganisation, le courrier que la société PSD a adressé à M. B... A... le 10 juin 2020 pour exercer ses fonctions à Libourne était intitulé " proposition de modification de votre lieu de travail " et précisait à l'intéressé qu'en cas de refus de sa part, l'entreprise chercherait à le reclasser. Ainsi, M. B... A... ne pouvait savoir que cette offre était présentée au cours de la période de recherche d'un reclassement prévue à l'article L. 1233-4 du code du travail, laquelle ne pouvait débuter qu'après son refus d'accepter cette proposition.

13. Dès lors que la lettre du 10 juin 2020 constituait bien une proposition de modification du contrat de travail et non une offre de reclassement, l'inspecteur du travail ne pouvait estimer que la société PSD avait satisfait à son obligation de recherche d'un reclassement. Par suite, la décision du 3 septembre 2020, par laquelle le licenciement de M. B... A... a été autorisé pour motif économique, est intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1233-4 code du travail. Cette décision doit être annulée.

Sur les frais d'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par la société PSD tendant à ce que M. B... A..., qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de la société appelante et de l'Etat somme de 750 euros chacun au titre des frais exposés par l'intimé et non compris dans les dépens.

DECIDE

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2004967 du 17 juin 2021 et la décision de l'inspecteur du travail du 3 septembre 2020 sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de première instance et le surplus des conclusions d'appel de la société PSD sont rejetés.

Article 3 : L'Etat et la société PSD verseront chacun à M. B... A... la somme de 750 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société PSD, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion à M. C... B... A....

Délibéré après l'audience 27 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Ghislaine Markarian

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX03416 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03416
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : BISIAU

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;21bx03416 ?
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