Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... E... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 1er février 2022 par lequel le préfet de la Savoie lui a refusé un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois et a fixé le pays de destination.
M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 1er février 2022 par lequel le préfet de la Savoie lui a refusé un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n°s 2203368, 2203369 du 26 juillet 2022, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à leurs demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 août 2022 et le 23 janvier 2023, le préfet de la Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 juillet 2022 ;
2°) de rejeter les demandes B... et Mme D... présentées en première instance.
Le préfet de la Savoie soutient que les soins requis par l'état de santé de la fille B... et Mme D... sont disponibles au Kosovo, pays dont ils ont la nationalité.
Par des mémoires enregistrés les 24 juillet et 27 octobre 2023, M. et Mme D..., représentés par Me Cans, concluent, à titre principal, au rejet de la requête, reprennent, à titre subsidiaire, leurs conclusions de première instance d'injonction de délivrance et, à défaut, de réexamen, et doivent en outre être regardés comme demandant à ce qu'une somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat au profit de leur conseil au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les soins requis par l'état de santé de leur fille ne sont pas disponibles au Kosovo ;
- subsidiairement, les décisions de refus de titre de séjour et d'obligation de quitter le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ; la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un courrier enregistré le 9 mai 2023, M. et Mme D... ont indiqué à la cour accepter la levée du secret médical auprès du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Le 13 juin 2023, l'Office de l'immigration et de l'intégration (OFII) a produit le dossier médical de la fille B... et Mme D..., qui a été communiqué.
Le 11 septembre 2023, l'OFII a présenté des observations, qui ont été communiquées.
M. et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Mehl-Schouder, présidente-rapporteure.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D..., ressortissants kosovars nés respectivement les 16 septembre 1978 et 18 janvier 1981 à Viti (Ex-Yougoslavie), sont entrés en France le 3 juin 2019 avec leurs deux filles mineures. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 28 février 2020 et par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 17 septembre 2020. Ils ont obtenu des autorisations provisoires de séjour en qualité de parents d'enfant malade, valables jusqu'au 15 septembre 2021, et en ont sollicité le renouvellement le 7 septembre 2021. Par deux arrêtés du 1er février 2022, le préfet de la Savoie a refusé de leur accorder ce renouvellement et les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Saisi par M. et Mme D... de deux demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés, le tribunal administratif de Grenoble y a fait droit, après les avoir jointes, par un jugement dont le préfet de la Savoie relève appel.
Sur la légalité des arrêtés du 1er février 2022 :
2. Aux termes de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions prévues à l'article L. 425-9, ou l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, se voient délivrer, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, une autorisation provisoire de séjour d'une durée maximale de six mois. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. / Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. / Elle est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues à l'article L. 425-9 ".
3. Aux termes de l'article L. 425-9 du même code : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".
4. La partie qui justifie d'un avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour, ainsi que l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays d'origine. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays d'origine.
5. En l'espèce, le collège de médecins de l'OFII, dans un avis du 5 novembre 2021, a estimé que l'état de santé de la fille cadette des requérants, A..., atteinte de mucoviscidose, nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais que le traitement approprié est disponible au Kosovo, pays vers lequel elle peut voyager sans risque.
6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du dossier médical transmis par l'OFII à la demande de la cour, que le traitement de la jeune A..., atteinte de mucoviscidose, consiste, d'une part, en un recours important à la kinésithérapie, d'autre part, dans la prise de divers médicaments, notamment le Tobi 300 aérosol, le Créon, le Betacarotène, le Pulmozyme, l'Uvédose (Adek), l'Orkambi (Ivacaftor er Lumacaftor). S'agissant de la disponibilité de la kinésithérapie, la fiche MedCoi produite par le préfet en appel, datée de mars 2022, et sur laquelle se fonde l'OFII dans ses observations produites devant la cour, indique qu'il n'existe pas de suivi kinési-thérapeutique spécifique pour les enfants atteints de mucoviscidose au Kosovo, d'où l'indication " partiellement disponible ". Les requérants font en outre valoir, sans être contredits, la difficulté d'un accès effectif à des soins de kinésithérapie pour les enfants malades atteints de mucoviscidose. Les requérants ont par ailleurs produit en appel une nouvelle attestation du médecin qui suit depuis plusieurs années l'enfant et qui confirme l'importance de la prise en charge kinési-thérapeutique et l'indisponibilité d'un tel suivi au Kosovo. S'agissant de la disponibilité des traitements médicamenteux, il ressort de la même fiche MedCoi que le Pulmozyme n'est pas disponible au Kosovo, sans qu'il ne ressorte des pièces du dossier ni ne soit soutenu par le préfet que le traitement requis par l'état de santé de la fille des requérants pourrait rester satisfaisant sans ce médicament. Si l'OFII l'affirme dans ses écritures, il n'assortit une telle affirmation d'aucune précision. S'il ressort de la fiche MedCoi déjà mentionnée que la pancréatine est disponible au Kosovo, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet extrait pancréatique serait substituable au Créon, alors que l'attestation déjà mentionnée produite en appel par les requérants indique que les extraits pancréatiques disponibles au Kosovo ne sont pas forcément d'aussi bonne qualité que ceux prescrits à la jeune A.... Si le préfet et l'OFII font valoir que l'Orkambi, dont ils ne contestent pas l'indisponibilité, n'apporte qu'une amélioration mineure du service médical rendu (AMSR), le document sur lequel ils se fondent pour l'affirmer, élaboré en 2018, indique également que ce traitement doit être prescrit d'emblée aux patients de plus de six ans. Les intimés indiquent également qu'il ressort de la fiche MedCoi produite par le préfet en appel que le Tobi 300 aérosol (Torbramycine) n'est pas disponible au Kosovo sans qu'il ne ressorte des pièces du dossier qu'il pourrait être remplacé par un autre type de traitement par voie de nébuliseur. Les observations de l'OFII n'abordent pas ce point. Dans ces conditions, et alors même que l'Uvedose (Adek) apparaît disponible au Kosovo, les pièces du dossier sont de nature à remettre en cause l'avis du collège de médecins de l'OFII s'agissant de la disponibilité au Kosovo d'un traitement adapté à l'état de santé de la fille des requérants, en l'absence de disponibilité de trois médicaments qui lui sont prescrits sans indice sérieux de substituabilité et de possibilité d'une prise en charge kinési-thérapeutique adaptée. L'enfant des requérants remplissant les conditions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est fondé.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Savoie n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à la demande B... et Mme D....
Sur les frais liés à l'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Cans, avocat B... et Mme D... au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Cans renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Savoie est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me Cans au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Cans renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme C... E... épouse D... et à M. F... D....
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie, à l'Office de l'immigration et de l'intégration et à Me Cans.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente-rapporteure,
Mme Anne-Gaëlle Mauclair, première conseillère,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.
La présidente-rapporteure,
M. Mehl-Schouder
La première conseillère la plus ancienne,
A.- G. MauclairLa greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02620