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19/12/2023 | FRANCE | N°22BX02123

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 19 décembre 2023, 22BX02123


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires et des pièces complémentaires, enregistrés les 28 juillet 2022, 2 mars, 26 juin, 4 juillet et 27 juillet 2023, l'association Vent d'Ozon, la société Clearmont, la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) et l'association Vent des forts, représentées par Me Pelletreau, demandent à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 30 mars 2022 par lequel le préfet de la Vienne a délivré à la société Parc éolien des Brandes de l'Ozon Sud une autorisation

environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien, dit A... ", sur ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires et des pièces complémentaires, enregistrés les 28 juillet 2022, 2 mars, 26 juin, 4 juillet et 27 juillet 2023, l'association Vent d'Ozon, la société Clearmont, la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) et l'association Vent des forts, représentées par Me Pelletreau, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 30 mars 2022 par lequel le préfet de la Vienne a délivré à la société Parc éolien des Brandes de l'Ozon Sud une autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien, dit A... ", sur le territoire de la commune de Monthoiron ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

En ce qui concerne l'incomplétude du dossier de demande :

S'agissant de l'insuffisance de l'étude d'impact :

- l'étude d'impact n'est pas suffisamment détaillée en ce qui concerne la phase de démantèlement des éoliennes projetées dès lors qu'elle ne permet pas de s'assurer de la conformité du projet aux obligations de remise en état du site posées par l'arrêté du 22 juin 2020 modifiant l'arrêté du 26 août 2011 ; en conséquence, les garanties financières ne sont pas adaptées à la réalité des montants effectifs de remise en état du site ;

- l'étude acoustique est insuffisante ;

- l'étude ne respecte pas la démarche ERC ;

- l'analyse de la biodiversité est insuffisante et l'étude d'impact n'aborde pas un certain nombre d'espèces protégées présentes sur le site, notamment le circaète Jean-le-Blanc ;

- l'impact lié à la coupe des arbres et haies sur l'avifaune, les chiroptères ou les corridors écologiques n'a pas été examiné ;

- elle ne comporte pas d'analyse des solutions alternatives à l'implantation du projet ;

- l'étude de l'effet cumulé des deux projets, Brandes de l'Ozon Nord et Brandes de l'Ozon Sud, est insuffisante en ce qui concerne leur impact cumulé sur le paysage et le patrimoine bâti et les nuisances sonores générées par les éoliennes projetées ;

- elle ne prévoit aucune mesure d'évitement des impacts du projet sur les paysages culturels emblématiques ou sur les monuments historiques ;

- elle ne précise pas le modèle d'aérogénérateur prévu, or cette précision impacte notamment les nuisances générées par les éoliennes ; cette insuffisance a privé le public d'une information importante et a nécessairement eu une incidence sur la décision du préfet ;

S'agissant des autres incomplétudes :

- le dossier de demande ne comporte pas de document attestant que le pétitionnaire est le propriétaire du terrain ou qu'il dispose du droit d'y réaliser son projet en méconnaissance de l'article R. 181-13 du code de l'environnement ;

- le dossier de demande ne comporte pas de document établi par le pétitionnaire justifiant de la conformité du projet au PLU de la commune en méconnaissance du 12° de l'article D. 181-5-2 du code de l'environnement ;

- il omet de mentionner la destruction, et les conséquences de cette destruction, générée par le projet des haies et boisements, notamment autour du chemin rural n°7, ce qui a privé le public d'une information et induit le préfet en erreur ;

- elle comporte des informations erronées concernant la zone d'implantation du projet qui s'implante en réalité en zone humide ; une telle inexactitude a privé le public d'une information éclairée et a induit le préfet en erreur ;

En ce qui concerne l'avis du ministère des armées :

- l'arrêté attaqué a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'est pas justifié que l'avis du ministère des armées, avis conforme, a été pris par une autorité compétente ;

En ce qui concerne l'enquête publique :

- l'arrêté attaqué a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'eu égard aux modifications substantielles du projet postérieures à l'enquête publique, suppression d'une machine, déplacement d'une autre et limitation à un seul poste de livraison, il aurait dû être soumis à une nouvelle enquête publique ou à une enquête publique complémentaire ;

En ce qui concerne l'atteinte aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

- le projet porte atteinte au paysage et au patrimoine bâti en méconnaissance des dispositions des articles R. 111-27 du code de l'urbanisme et L. 511-1 du code de l'environnement, dès lors que les éoliennes s'implantent sur une crête surplombant la vallée de l'Ozon et portent atteinte aux monuments historiques et notamment au château de Monthoiron et à sa tour forteresse, à l'église romane de Saint-Ambroise et au domaine de Brassioux ; les incidences cumulées des deux parcs éoliens des Brandes de l'Ozon Nord et Sud doivent être prises en compte ; cette atteinte ressort du projet d'arrêté de refus de la préfète du 7 juin 2021 ;

- le projet porte atteinte à la commodité du voisinage du fait de ses émergences sonores ;

- le projet porte atteinte à la biodiversité et plus spécifiquement à l'avifaune et aux chiroptères : il se situe à proximité immédiate de la zone spéciale de conservation des Carrières des Pieds Grimaud, site Natura 2000, et de la zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type I du même nom, comme l'ont relevé le commissaire enquêteur ainsi que l'association Vienne Nature dans leurs avis défavorables au projet ; les éoliennes projetées s'implantent à proximité de haies et lisières boisées à forts enjeux pour les chiroptères ; il s'implante au cœur d'une zone de nidification du circaète Jean-le-Blanc ;

- contrairement à ce qu'a estimé l'inspection des installations classées, les mesures d'évitement, de réduction et de compensation (ERC), qui consistent essentiellement en un plan de bridage des éoliennes s'agissant de l'atteinte aux chiroptères et qui sont absentes s'agissant de l'atteinte au patrimoine bâti, sont insuffisantes pour prévenir ces atteintes ;

En ce qui concerne l'absence de demande de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées :

- l'autorisation environnementale est illégale dès lors qu'aucune dérogation à la destruction d'espèce protégées n'a été sollicitée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, alors même que le projet est de nature à entrainer une telle destruction, notamment s'agissant des chiroptères ;

En ce qui concerne les autres atteintes au code de l'environnement et l'atteinte au droit de propriété :

- le projet porte atteinte au droit de propriété des riverains du chemin desservant la zone d'implantation du projet dès lors que ces derniers n'ont jamais donné leur accord à la société pétitionnaire pour la destruction des arbres et haies entourant le chemin rural n°7 ; le pétitionnaire ne dispose d'aucune maitrise foncière sur ce chemin ;

- le projet méconnaît les objectifs fixés par l'article L. 163-1 du code de l'environnent dès lors que la démarche éviter-réduire-compenser n'a pas été respectée ; au vu des atteintes aux chiroptères et à l'avifaune, la démarche évitement aurait dû conduire à ne pas poursuivre le projet ;

- le projet méconnaît les dispositions de l'article L. 515-44 du code de l'environnement dès lors que même déplacée, une des éoliennes, l'éoliennes BOS2, se situe à 515 mètres d'une habitation et donc à 440 mètres en bout de pale ;

En ce qui concerne la méconnaissance des documents de planification :

- le projet n'est pas conforme au plan local d'urbanisme de la commune de Monthoiron dès lors que la délibération prescrivant la révision allégée de ce PLU aux fins de le rendre compatible au projet a été annulée par la cour administrative de Bordeaux, décision confirmée par le Conseil d'Etat ;

- le projet méconnaît les dispositions du PLU de la commune de Sénillé-Saint-Sauveur relatives à la conservation des haies et boisements ;

- le projet méconnaît les dispositions du schéma régional éolien (SRE) dès lors qu'il s'implante dans une zone classée sensible à l'éolien, et à moins de 5 km d'une zone spéciale de conservation comportant des enjeux relatifs aux chiroptères ;

- le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) ne pose aucune obligation d'implantation d'éoliennes dans le département de la Vienne, l'objectif étant atteint voire dépassé ;

- la destruction de haies et boisements est contraire au schéma de cohérence territoriale (SCOT) du Seuil du Poitou qui protège les zones de corridors diffus et les réservoirs de biodiversité.

Par des mémoires et des pièces, enregistrés les 29 décembre 2022, 19 mai et 4 septembre 2023, la société Parc éolien des Brandes de l'Ozon Sud, représentée par Me Gelas, conclut à titre principal au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de chacune des requérantes la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et à titre subsidiaire à ce qu'il soit fait application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

Elle soutient que :

- les requérantes n'ont pas intérêt à agir contre l'arrêté attaqué ;

- les moyens invoqués par les requérantes ne sont pas fondés.

Par des mémoires, enregistrés les 22 juin et 25 août 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut à titre principal au rejet de la requête, et à titre subsidiaire à ce qu'il soit fait application de la possibilité de régularisation prévue par le 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

Il soutient que les moyens développés par les requérantes ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin,

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public,

- et les observations de Me Pelletreau représentant l'association Vent d'Ozon et la société Clearmont et SPPEF et l'association Vent des Forts et de Me Gelas représentant la société Parc Eolien des Brandes de l'Ozon Sud.

Une note en délibéré, présentée par Me Gelas pour la société Parc Eolien des Brandes de l'Ozon Sud, a été enregistrée le 1er décembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société Parc éolien des Brandes de l'Ozon Sud, a déposé le 4 janvier 2019 une demande d'autorisation environnementale, complétée le 29 juillet 2019, pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien composé de trois éoliennes d'une hauteur de 200 mètres en bout de pâle et de deux postes de livraison sur les territoires des communes de Monthoiron et de Chenevelles. Suite au projet d'arrêté de refus du préfet de la Vienne du 7 juin 2021, la société pétitionnaire a modifié sa demande pour ne porter que sur deux éoliennes et un poste de livraison, dont les modèles retenus sont inchangés, s'implantant sur la seule commune de Monthoiron. Par un arrêté du 30 mars 2022, le préfet de la Vienne a délivré à la société l'autorisation sollicitée. Par la présente requête, l'association Vent d'Ozon, la société Clearmont, la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) et l'association Vent des forts demandent l'annulation de cet arrêté.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la société pétitionnaire en défense :

2. Il résulte de l'instruction que l'association Vent d'Ozon a notamment pour objet de " s'opposer, dans le respect de la Convention européenne du paysage, au projet éolien des Brandes de l'Ozon sur les communes de Senillé-Saint-Sauveur, Monthoiron et Chenevelles " afin de " préserver les paysages et les sites dans leur richesse écologique, respectant la biodiversité faune, flore (...) et " d'empêcher la co-visibilité du " projet " avec les bâtiments classés ou inscrits à 1'inventaire des monuments historiques ". Dans ces conditions, elle justifie d'un intérêt à agir contre l'autorisation environnementale en litige. Or, s'agissant d'une demande collective, l'intérêt à agir de l'association Vent d'Ozon suffit à ce que la requête soit recevable dans son ensemble. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la société pétitionnaire et tirée de ce que les requérantes n'auraient pas intérêt à agir doit être écartée.

Sur la légalité de l'arrêté du 30 mars 2022 :

En ce qui concerne l'absence de demande de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées :

3. Il résulte des articles 12 et 16 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992, de l'article 5 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009, des articles L. 411-1, L. 411-2, R. 411-6, R. 411-11 et R. 411-12 du code de l'environnement et des articles 2 et 4 de l'arrêté du 19 février 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

4. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes.

5. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées et leurs habitats est suffisamment caractérisé. À ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

6. Il résulte de l'instruction que le projet, composé de deux éoliennes d'une hauteur de 200 mètres et d'un poste de livraison, s'insère dans une zone aux milieux diversifiées, plaines cultivées au nord, massif forestier au sud et maillage bocager au sud-ouest et à l'ouest. Ce secteur est riche écologiquement et on recense, dans un périmètre de 10 km autour du projet, 17 zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), 14 de type I et 3 de type II, 4 sites Natura 2000 et 2 zones importantes pour la conservation des oiseaux (ZICO). Le projet s'implante dans une zone particulièrement sensible pour la préservation des chiroptères dès lors que la zone d'implantation du projet (ZIP) se situe à 1,5 km de la ZNIEFF de type I " Carrières des Pieds Grimauds " et de la zone spéciale de conservation (ZSC) du même nom, site Natura 2000, correspondant à une cavité représentant la deuxième cavité en termes d'abondance de la population de chiroptères en hiver pour le département de la Vienne, site d'intérêt national pour ces espèces. Ainsi, il résulte de l'instruction que 17 espèces de chiroptères ont été contactées dans la zone d'étude, dont 6 d'intérêt communautaire et des espèces à forte sensibilité vis-à-vis des éoliennes comme la noctule commune, la noctule de Leisler, la pipistrelle commune et la pipistrelle de Kuhl. Les éoliennes projetées s'implantent en outre à moins de 200 mètres des lisières de boisements. Pour pallier à ces enjeux classés " très fort " pour ces 4 espèces, le pétitionnaire a prévu un plan de bridage des éoliennes, qui consiste à brider les éoliennes dans les conditions les plus favorables à l'activité des chiroptères, ainsi qu'un suivi de l'activité des chiroptères en nacelle et un suivi de mortalité. Le plan de bridage est différencié par éolienne et défini en fonction de la vitesse du vent, de l'activité horaire et de la température. Le pétitionnaire conclut, dans l'étude d'impact, à un impact très faible sur les chiroptères après application de ces mesures. Toutefois, il résulte également de ce document que la part d'activité des chiroptères concernée par les périodes d'arrêt s'établit aux alentours de 80%, laissant donc 20% de l'activité non couverte. L'étude précise d'ailleurs que si le plan de bridage " diminuera de manière significative le risque de collision des espèces les plus sensibles, l'impact résiduel n'est pas (...) considéré comme nul ou négligeable ". En outre, il résulte de l'instruction que les deux éoliennes projetées s'implantent à des distances respectives de 135 m et 150 m, soit de manière rapprochée, de lisières et de haies. Ainsi, eu égard à la présence à proximité immédiate de la ZIP d'un site d'intérêt national pour les chiroptères, les mesures d'évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire et en premier le plan de bridage, qui permet certes de réduire les impacts, ne suffisent pas à diminuer le risque que comporte le projet sur les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé. Dans ces conditions, l'autorisation en litige devait être précédée, en application des dispositions et principes précités, d'une demande de dérogation " espèces protégées ". Par suite, les requérantes sont fondées à soutenir qu'en l'absence d'une telle demande, l'arrêté attaqué est entaché d'illégalité.

En ce qui concerne l'atteinte alléguée au paysage et au patrimoine :

7. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement ainsi qu'à l'article L. 161-1 du code minier selon les cas. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".

8. Dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative d'assortir l'autorisation environnementale délivrée des prescriptions de nature à assurer la protection des intérêts mentionnés par les dispositions précitées en tenant compte des conditions d'installation et d'exploitation précisées par le pétitionnaire dans le dossier de demande, celles-ci comprenant notamment les engagements qu'il prend afin d'éviter, réduire et compenser les dangers ou inconvénients de son exploitation pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. Ce n'est que dans le cas où il estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation d'exploitation est sollicitée, que même l'édiction de prescriptions additionnelles ne permet pas d'assurer la conformité de l'exploitation à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, que le préfet ne peut légalement délivrer cette autorisation.

9. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

10. Il résulte de l'instruction que le projet s'implante dans un paysage caractérisé par des plateaux entrecoupés de vallées qui structurent le paysage (Vienne, Ozon, Creuse...) au cœur des vallées de l'Ozon à l'ouest et de l'Ozon de Chenevelles au sud. La zone d'implantation du projet s'inscrit sur un plateau d'une altitude moyenne de 130 mètres et l'étude d'impact précise que la topographie particulière conditionne une visibilité forte depuis les bourgs et hameaux alentours. Le secteur est par ailleurs marqué par une forte présence de monuments classés ou inscrits au titre des monuments historiques, l'aire d'étude comprenant 116 monuments historiques, 39 classés et 77 inscrits dont le site de protection remarquable (SPR) de Châtellerault dont le périmètre englobe, outre le centre ancien et ses faubourgs, l'ancienne commanderie d'Ozon, Antoigné et le Château du Bœuf Mort. Il résulte de l'étude d'impact que certains de ces sites et monuments sont particulièrement exposés au projet en litige dont le domaine du château de Monthoiron, la Chapelle de Beauvais et la Chapelle Saint-Médard d'Asnières pour lesquels l'étude d'impact conclut à un enjeu fort. Par ailleurs, si le projet est situé en zone favorable du schéma régional éolien (SRE) de la région Poitou-Charentes approuvé le 29 septembre 2012, ce document, d'ailleurs annulé par un arrêt de la cour du 12 janvier 2017 devenu irrévocable, met toutefois l'accent sur la faiblesse des reliefs présents dans la région et la sensibilité des vallées à l'introduction d'éoliennes qui peuvent créer des points d'appels dans le paysage, l'objectif étant de contraindre ce développement par la protection de l'horizon visible et l'exclusion de la concurrence visuelle entre la vallée et ses monuments, d'une part, et les projets éoliens, d'autre part, la qualité paysagère des panoramas devant ainsi être préservée en s'assurant de l'absence de visibilité de ces dernières depuis les belvédères et promontoires emblématiques. Dans ce contexte, l'étude d'impact procède à une analyse commune des incidences sur ce paysage et ce patrimoine du projet en litige et de celui mitoyen des " Brandes de l'Ozon Nord ", le pétitionnaire considérant que " même s'ils sont administrativement distincts ", ces " deux projets ne font qu'un ". Or il résulte de l'instruction, et notamment des nombreux photomontages produits, que malgré la suppression d'une des trois éoliennes initialement prévues et le déplacement d'une autre de 276 m, le projet a un impact fort sur le paysage environnant et ses monuments historiques, du fait notamment de l'ouverture sur la vallée de l'Ozon qui offre un point de vue direct sur les secteurs d'implantation des éoliennes. Ainsi, contrairement à ce que soutient la pétitionnaire, l'impact demeure fort sur la Chapelle de Beauvais et la Chapelle Saint-Médard d'Asnières, ainsi que sur le château de Monthoiron et sa tour classée, sur le SPR de Châtellerault et sur le hameau de Targé et son château, protégé par un périmètre des abords, desquels se dégage une covisibilité des 6 éoliennes des deux projets des Brandes de l'Ozon Sud et Nord. Il en est de même sur le bourg de Monthoiron, et sa table d'orientation. Par ailleurs, si le préfet a prescrit dans son arrêté des mesures de suivi de " la conformité de l'impact visuel " de l'installation depuis ces points, et une obligation pour le pétitionnaire, " en cas d'écart par rapport à la situation attendue ", de mettre en œuvre " des mesures correctives (plantation de haies bocagères, etc.). ", ni ces prescriptions ni d'autres prescriptions, eu égard à la topographie des lieux, à la zone d'implantation du projet et à la grande hauteur des éoliennes projetées, ne peuvent permettre de réduire, de manière significative, l'impact de ces dernières sur le paysage environnant et le patrimoine bâti. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que le projet porte atteinte aux paysages et au patrimoine en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement.

Sur la mise en œuvre de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :

11. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " I.- Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : (...) 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations (...) ".

12. Si le vice retenu au point 6 peut faire l'objet d'une régularisation, il résulte de ce qui a été dit au point 10 que compte tenu du patrimoine bâti, de la topographie et du lieu d'implantation des éoliennes projetées, le vice tiré de ce que le projet porterait atteinte au paysage et à ce patrimoine en méconnaissance des dispositions des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement n'est pas régularisable. Par suite, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions précitées de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

13. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner le bien-fondé des autres moyens de la requête, que les requérantes sont fondées à demander l'annulation de l'arrêté du 30 mars 2022.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des requérantes, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société pétitionnaire à ce titre. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu en revanche de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de ces dispositions, une somme de 1 500 euros à verser à l'association Vent d'Ozon et de rejeter le surplus des conclusions des requérantes sur ce point.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 30 mars 2022 du préfet de la Vienne est annulé.

Article 2 : L'état versera la somme de 1 500 euros à l'association Vent d'Ozon, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Vent d'Ozon, nommée représentant unique en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la société Parc éolien des Brandes de l'Ozon Sud et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

M. Sébastien Ellie, premier conseiller,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.

La rapporteure,

Héloïse Pruche-MaurinLa présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX02123


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02123
Date de la décision : 19/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : CABINET JEANTET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-19;22bx02123 ?
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