Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Eiffage Génie civil, venant aux droits de la société Eiffage TP, a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon à lui verser d'une part, la somme de 6 204 324,51 euros toutes taxes comprises au titre de la réparation des préjudices subis, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts à compter du 17 juillet 2018 et, d'autre part, la somme de 3 769 314,36 euros au titre des pénalités de retard, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2018 et de la capitalisation des intérêts à compter du 17 juillet 2019.
Par un jugement n° 1803357 du 11 février 2021, le tribunal administratif de Toulouse a, d'une part, condamné les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon à verser à la société Eiffage génie civil une somme de 594 345,36 euros hors taxes au titre des surcoûts liés à l'allongement de la durée du chantier, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2018 et de leur capitalisation à la date du 17 juillet 2019 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date et, d'autre part, a mis à leur charge définitive le montant des frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 31 677 euros toutes taxes comprises.
Procédure devant la cour :
I.- Par une requête n° 21TL21639, enregistrée le 15 avril 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire, enregistré le 3 octobre 2023, la société cabinet d'études Merlin et la société cabinet d'études Arragon, représentées par la SCP Raffin et associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 11 février 2021 en tant qu'il les a condamnées à verser à la société Eiffage génie civil une somme de 594 345,36 euros hors taxes au titre des surcoûts liés à l'allongement de la durée du chantier, assortie des intérêts de retard au taux légal et de leur capitalisation et qu'il a mis à leur charge définitive le montant des frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 31 677 euros toutes taxes comprises ;
2°) de rejeter les demandes de la société Eiffage Génie civil ;
3°) de mettre à la charge de la société Eiffage Génie civil la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les frais d'expertise.
Elles soutiennent que :
- le rapport d'expertise déposé par M. C... doit être écarté des débats en raison de son parti pris à leur égard ;
- au stade de la conception, la maîtrise d'œuvre n'a commis aucun manquement susceptible d'engager sa responsabilité ; le sinistre, constitué par une fissuration anormale des bétons de l'ouvrage ne permettant pas d'assurer son étanchéité, ne trouve pas sa source dans la nature de la solution d'étanchéité retenue mais dans les conditions d'exécution de l'ouvrage par la société Eiffage TP ;
- en premier lieu, les normes visées par le marché ne sont pas incompatibles mais complémentaires ; la notice technique mentionnait les Eurocodes comme constituant la norme principale et renvoyait, pour tout ce qui n'était pas défini par ces Eurocodes, aux prescriptions techniques des fascicules et notamment au fascicule 74 qui définit les conditions des essais à réaliser ; les pièces du marché sont dépourvues d'ambiguïté sur la coexistence de ces normes qui a parfaitement été appréhendée par la société Eiffage ;
- en second lieu, elle n'a commis aucun manquement en ne recourant pas à une étanchéité de l'ouvrage de classe 3 mais de classe 2 par assimilation des critères d'étanchéité du fascicule 74 ; l'analyse de l'expert D... préconisant un recours à une étanchéité de classe 3, a été abandonnée dans sa note du 13 septembre 2016 ; de plus, le bureau d'étude de la société Eiffage n'avait nullement recommandé la mise en place d'un cuvelage ;
- les manquements qui lui sont imputés sont sans lien avec le sinistre ; l'auto-calcification du béton, réalisée plusieurs années après le décoffrage des ouvrages béton, confirme que la fissuration anormale de l'ouvrage trouve notamment son origine dans une qualité de béton inadaptée à la destination de l'ouvrage ;
- au stade de l'exécution du marché, aucune gestion fautive de la problématique rencontrée par la société Eiffage ne peut leur être imputée ; il ne peut être reproché à la maîtrise d'œuvre de ne pas avoir réorganisé le chantier et indiqué la marche à suivre alors que la société Eiffage a pris l'initiative d'arrêter les travaux et de démobiliser ses équipes en passant outre le refus du maître de l'ouvrage ;
- la société Eiffage, qui est seule à l'origine de la problématique de la fissuration de l'ouvrage et de l'allongement des délais, doit être déboutée de sa demande indemnitaire ;
- à titre subsidiaire, la demande de condamnation d'une somme complémentaire de 148 586,34 euros correspondant aux surcoûts liés à l'allongement des délais du chantier doit être rejetée ; de plus, la société Eiffage n'établit pas la réalité des frais mis en œuvre au titre des surcoûts ;
- les autres postes de préjudice invoqués par la société Eiffage génie civil ne sont pas en lien avec les difficultés rencontrées dans l'exécution du marché ;
- la condamnation doit être prononcée hors taxes dès lors que la société Eiffage génie civil est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 août 2023, la société Eiffage génie civil, représentée par Me Vignon, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement en tant qu'il a retenu sa responsabilité à hauteur de 20 %, n'a pas indemnisé l'ensemble des préjudices qu'elle estime avoir subis pour un montant restant de 2 577 705,34 euros hors taxes et a prononcé une condamnation hors taxes et non toutes taxes comprises ;
3°) à la condamnation solidaire des sociétés appelantes à lui verser la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 20 % sur la somme de 594 345,36 euros ;
4°) à la condamnation solidaire de ces sociétés à lui verser les sommes, assorties de la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 20 % et augmentées des intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2018 et de leur capitalisation à compter du 17 juillet 2019, de 148 586,34 euros au titre des surcoûts résultant de l'allongement des délais d'exécution du marché, de 85 105 euros au titre de la perte d'industrie, de 108 654 euros au titre de la perte de trésorerie, et de 1 935 360 euros au titre du préjudice d'image et d'atteinte à sa réputation ;
5°) à la condamnation solidaire de ces sociétés à lui verser la somme de 300 000 euros au titre des pénalités de retard ou, à titre subsidiaire, la somme à parfaire de 240 000 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 17 juillet 2018 et de leur capitalisation à compter du 17 juillet 2019 ;
6°) à ce qu'il soit mis à la charge des sociétés appelantes une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le rapport de l'expert C..., qui conclut à la responsabilité pleine et entière du maître d'œuvre, ne doit pas être écarté des débats dès lors qu'il n'a pas manqué à son devoir d'impartialité ; cet expert, dont les maîtres d'œuvre n'ont pas sollicité la récusation, n'a pas tenu des propos insultants ou dénigrants démontrant une animosité envers ces derniers ;
- l'allongement du chantier est dû non pas à la fissuration normale de l'ouvrage mais à l'interprétation par le maître d'œuvre des critères d'étanchéité applicables en présence d'une fissuration entraînant des fuites minimales, suintements et taches et à son refus consécutif de valider les essais en eau ;
- la responsabilité exclusive de la maîtrise d'œuvre est engagée au titre des fautes qu'elle a commises et qui sont à l'origine des difficultés qu'elle a rencontrées au cours de l'exécution du chantier ;
- ainsi en ce qui concerne les fautes commises dans le cadre de la conception des pièces du marché, les normes prescrites sont incohérentes et contradictoires ; l'article 6.2.14 du cahier des clauses techniques générales présente une contradiction en soumettant les ouvrages hydrauliques de la classe d'étanchéité 2 aux critères d'étanchéité du fascicule 74 qui présentent des exigences supplémentaires en termes d'étanchéité ; le dimensionnement de l'ouvrage béton en classe d'étanchéité 2 autorisant des fuites, le maître d'œuvre ne pouvait exiger une absence de suintements ;
- la maîtrise d'œuvre a également commis une erreur dans le choix de la classe d'étanchéité de l'ouvrage ; cette erreur est à l'origine des difficultés qu'elle a rencontrées lors de l'exécution des travaux ; afin d'obtenir une absence de suintements, la maîtrise d'œuvre aurait dû imposer une classe 3 d'étanchéité dès la conception du projet et non la solliciter en cours d'exécution en bloquant de manière abusive les essais de remise en eau et la poursuite des travaux ;
- les difficultés rencontrées ont été aggravées par le comportement de la maîtrise d'œuvre au cours de l'exécution des travaux, laquelle a exigé une absence totale de suintements et de taches sur les ouvrages au stade des essais et a refusé de valider en 2014 les ouvrages pour ce motif, bloquant ainsi la poursuite de l'opération ; elle a imposé la mise en œuvre d'un revêtement d'étanchéité rapportée qui permet à l'ouvrage d'atteindre des performances d'étanchéité de classe 3 ; les difficultés ne résultent pas de la fissuration de l'ouvrage qui était attendue et autorisée par l'Eurocode ; en octobre 2017, la maîtrise d'œuvre a admis que la validation des essais en eau n'était pas une condition de continuation des travaux ;
- aucune responsabilité ne peut lui être attribuée, elle est fondée à être indemnisée des 20 % de part de responsabilité mis à sa charge par les premiers juges, soit un montant complémentaire de 148 586 euros hors taxes dû par les maîtres d'œuvre au titre des surcoûts liés à l'allongement de la durée de chantier ;
- elle a droit d'être indemnisée au titre de la perte d'industrie et de la perte de trésorerie qui résultent directement des difficultés rencontrées dans l'exécution du marché ; du fait de la prolongation du chantier et du décalage de perception du chiffre d'affaires attendu, elle n'a pas pu amortir ses dépenses de fonctionnement engagées ;
- elle a subi un préjudice d'image et une atteinte à sa réputation en lien direct avec les difficultés rencontrées dans l'exécution du marché ; elle a perdu des affaires ou des accords ont été rompus dans la région depuis les problèmes survenus sur la construction de l'unité de traitement des eaux potables de Rabastens ;
- elle a droit au remboursement des pénalités de retard ;
- la condamnation des sociétés cabinet d'étude Merlin et Arragon à laquelle elle est en droit de prétendre, aurait dû être prononcée toutes taxes comprises.
II.- Par une requête n° 21TL21642, enregistrée le 16 avril 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire en réplique, enregistré le 3 octobre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Eiffage génie civil, venant aux droits de la société Eiffage TP, représentée par Me Vignon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 11 février 2021 en tant qu'il a retenu sa responsabilité à hauteur de 20 %, n'a pas indemnisé l'ensemble des préjudices subis pour un montant restant de 2 577 705,34 euros hors taxes et a prononcé une condamnation hors taxes et non toutes taxes comprises ;
2°) de condamner solidairement les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon à lui verser la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 20 % sur la somme de 594 345,36 euros ;
3°) de condamner solidairement ces sociétés à lui verser les sommes, assorties de la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 20 % et augmentées des intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2018 et de leur capitalisation à compter du 17 juillet 2019, de 148 586,34 euros au titre des surcoûts résultant de l'allongement des délais d'exécution du marché, de 85 105 euros au titre de la perte d'industrie, de 108 654 euros au titre de la perte de trésorerie, et de 1 935 360 euros au titre du préjudice d'image et d'atteinte à sa réputation ;
4°) de condamner solidairement ces sociétés à lui verser la somme de 300 000 euros au titre des pénalités de retard ou, à titre subsidiaire, la somme à parfaire de 240 000 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 17 juillet 2018 et de leur capitalisation à compter du 17 juillet 2019 ;
5°) à ce qu'il soit mis à la charge de ces sociétés une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le rapport de l'expert C..., qui conclut à la responsabilité pleine et entière du maître d'œuvre, ne doit pas être écarté des débats dès lors qu'il n'a pas manqué à son devoir d'impartialité ; cet expert, dont les maîtres d'œuvre n'ont pas sollicité la récusation, n'a pas tenu des propos insultants ou dénigrants démontrant une animosité envers ces derniers ; ce rapport peut être utilisé à titre d'information ;
- aucune part de responsabilité ne pouvait être retenue à son encontre ; elle n'a commis aucun manquement dès lors qu'il n'appartenait qu'au seul maître d'œuvre en charge de la conception de déterminer la classe d'étanchéité de l'ouvrage et qu'elle a rempli ses obligations au regard de la partie 3 de l'Eurocode 2 qui n'interdit pas la fissuration ; l'arrêt du chantier résulte de la situation de blocage qui résulte exclusivement du refus du maître d'œuvre de valider les essais de mise en eau ;
- elle est fondée à être indemnisée des 20 % de part de responsabilité mis à sa charge par les premiers juges, soit un montant complémentaire de 148 586 euros hors taxes dû par les maîtres d'œuvre au titre des surcoûts liés à l'allongement de la durée de chantier ;
- elle a droit d'être indemnisée au titre de la perte d'industrie et de la perte de trésorerie qui résultent directement des difficultés rencontrées dans l'exécution du marché ; du fait de la prolongation du chantier et du décalage de perception du chiffre d'affaires attendu, elle n'a pas pu amortir ses dépenses de fonctionnement engagées ;
- elle a subi un préjudice d'image et une atteinte à sa réputation en lien direct avec les difficultés rencontrées dans l'exécution du marché ; elle a perdu des affaires ou des accords ont été rompus dans la région depuis les problèmes survenus sur la construction de l'unité de traitement des eaux potables de Rabastens ;
- elle a droit au remboursement des pénalités de retard ;
- la condamnation des sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon à laquelle elle est en droit de prétendre, aurait dû être prononcée toutes taxes comprises.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 août 2023, les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon, représentées par Me Zanier, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement en tant qu'il a retenu leur responsabilité à hauteur de 80 %, les a condamnées, d'une part, à verser à la société Eiffage génie civil une somme de 594 345,36 euros hors taxes au titre des surcoûts liés à l'allongement de la durée du chantier, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2018 et d'autre part, à verser les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 31 677 euros toutes taxes comprises ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Eiffage génie civil une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le rapport d'expertise déposé par M. C... doit être écarté des débats en raison de son parti pris à leur égard ;
- la société Eiffage qui est seule à l'origine de la problématique de la fissuration de l'ouvrage et de l'allongement des délais, doit être déboutée de sa demande indemnitaire ;
- au stade de la conception, la maîtrise d'œuvre n'a commis aucun manquement susceptible d'engager sa responsabilité ;
- en premier lieu, les normes visées par le marché ne sont pas incompatibles mais complémentaires ; la notice technique mentionnait les Eurocodes comme constituant la norme principale et renvoyait, pour tout ce qui n'était pas défini par ces Eurocodes, aux prescriptions techniques des fascicules et notamment au fascicule 74 qui définit les conditions des essais à réaliser ; les pièces du marché sont dépourvues d'ambiguïté sur la coexistence de ces normes qui a parfaitement été appréhendée par la société Eiffage ;
- en second lieu, elle n'a commis aucun manquement en ne recourant pas à une étanchéité de l'ouvrage de classe 3 mais de classe 2 par assimilation des critères d'étanchéité du fascicule 74 ; l'analyse de l'expert D... préconisant un recours à une étanchéité de classe 3, a été abandonnée dans sa note du 13 septembre 2016 ; de plus, le bureau d'étude de la société Eiffage n'avait nullement recommandé la mise en place d'un cuvelage ;
- au stade de l'exécution du marché, aucune gestion fautive de la problématique rencontrée par la société Eiffage ne peut leur être imputée ; il ne peut être reproché à la maîtrise d'œuvre de ne pas avoir réorganisé le chantier et indiqué la marche à suivre alors que la société Eiffage a pris l'initiative d'arrêter les travaux et de démobiliser ses équipes en passant outre le refus du maître de l'ouvrage ;
- la société Eiffage, qui est seule à l'origine de la problématique de la fissuration de l'ouvrage et de l'allongement des délais, doit être déboutée de sa demande indemnitaire ;
- à titre subsidiaire, la demande de condamnation d'une somme complémentaire de 148 586,34 euros correspondant aux surcoûts liés à l'allongement des délais du chantier doit être rejetée ; de plus, la société Eiffage n'établit pas la réalité des frais mis en œuvre au titre des surcoûts ;
- les autres postes de préjudice invoqués par la société Eiffage génie civil ne sont pas en lien avec les difficultés rencontrées dans l'exécution du marché ;
- la condamnation doit être prononcée hors taxes dès lors que la société Eiffage génie civil est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée.
Vu les autres pièces de ces deux dossiers.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Beltrami,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Zanier, représentant les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon et celles de Me Rambaud, représentant la société Eiffage génie civil.
Considérant ce qui suit :
1. Le syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable de la Moyenne Vallée du Tarn, qui assure en régie la production, le transport, le stockage et la distribution d'eau potable sur le territoire des 22 communes membres, a décidé de lancer la construction à Rabastens d'une nouvelle usine de traitement afin de sécuriser sa production, comportant des bassins pour le traitement, le filtrage et la purification de l'eau puisée dans le Tarn. Il a confié une mission de maîtrise d'œuvre à un groupement composé de la société cabinet d'études Merlin, mandataire, de la société cabinet d'études Arragon, de la société Scherz'eau et de la société AATC. Les travaux ont été dévolus par marché notifié le 23 octobre 2013 à un groupement d'entreprises composé de la société Degrémont France Région, mandataire, de la société Eiffage Travaux Publics Sud-ouest, devenue Eiffage génie civil, de la société STPR et de M. B... A..., architecte. La société Eiffage Travaux publics a sous-traité au bureau d'études GCIS les études d'exécution et des plans, par convention du 6 mars 2014, et a passé commande à la société Lafarge Bétons France d'environ 4 500 m3 de béton prêt à l'emploi et de béton à propriétés spécifiées. Par acte d'engagement du 22 décembre 2011, la société Bureau Veritas a été chargée d'une mission de contrôle technique. En cours d'exécution des travaux, à la fin du mois d'octobre 2014, puis en 2015, des fissures sont apparues au niveau des voiles du sous-sol et des dalles du plancher bas au rez-de-chaussée de l'unité de traitement d'eau potable. Estimant que ces fissurations remettaient en cause l'étanchéité des ouvrages de contenance, le maître d'ouvrage a refusé de réceptionner en l'état les bassins. Le délai d'achèvement des travaux, en dernier lieu fixé au 25 septembre 2015, n'a donc pu être respecté. Une phase de concertation s'est alors engagée entre les différents intervenants et des travaux de reprise ont été entrepris. Lors des nouveaux essais de remplissage à la fin du mois de novembre 2015, de nouvelles fissures ont été mises en évidence. La société Eiffage a saisi, le 27 novembre 2015, le tribunal administratif de Toulouse d'une requête en référé expertise. Par une ordonnance du 14 janvier 2016, le président de ce tribunal a désigné M. D... comme expert. À la suite du décès de ce dernier, M. C..., qui a été désigné comme expert, a rendu son rapport le 4 novembre 2017. Les travaux ont finalement été réceptionnés par procès-verbal du 20 décembre 2018 avec des réserves, lesquelles ont été levées au 30 avril 2019. Par ailleurs, par un arrêt du 29 juin 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a condamné la société Eiffage à verser au maître de l'ouvrage une provision d'un montant de 300 000 euros au titre des pénalités de retard de son marché.
2. Par une requête n° 212TL1639, les sociétés cabinets d'études Merlin et cabinet d'études Arragon relèvent appel du jugement n° 1803357 par lequel le tribunal administratif de Toulouse les a condamnées à verser à la société Eiffage génie civil une somme de 594 345,36 euros hors taxes au titre des surcoûts liés à l'allongement de la durée du chantier, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation et a mis à leur charge définitive le montant des frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 31 677 euros toutes taxes comprises. Par la voie de l'appel incident, la société Eiffage génie civil demande la réformation de ce jugement en tant qu'il a retenu sa responsabilité à hauteur de 20 %, n'a pas indemnisé l'ensemble des préjudices subis pour un montant restant de 2 577 705,34 euros hors taxes et a prononcé une condamnation hors taxes et non toutes taxes comprises. Par une requête n° 2121TL642, la société Eiffage génie civil relève appel de ce jugement en tant qu'il a retenu sa responsabilité à hauteur de 20 %, n'a pas indemnisé l'ensemble des préjudices subis pour un montant restant de 2 577 705,34 euros hors taxes et a prononcé une condamnation hors taxes et non toutes taxes comprises. Par la voie de l'appel incident, les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon demandent la réformation de ce jugement en tant qu'il a retenu leur responsabilité à hauteur de 80 %, les a condamnées, d'une part, à verser à la société Eiffage génie civil une somme de 594 345,36 euros hors taxes au titre des surcoûts liés à l'allongement de la durée du chantier, assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 17 juillet 2018, et d'autre part, à verser les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 31 677 euros toutes taxes comprises.
3. Les deux requêtes précitées sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur la régularité des opérations d'expertise :
4. Indépendamment de toute procédure de récusation, l'expertise peut être écartée en tant que telle des débats si elle est irrégulière, notamment lorsqu'elle a été réalisée par un expert dont l'impartialité n'est pas garantie.
5. Par le ton général et les formules utilisées dans les passages du rapport d'expertise de M. C... cités par les premiers juges au point 5 de leur jugement, cet expert a manifesté un préjugé défavorable à l'égard des maîtres d'œuvre. De plus, il résulte de l'instruction que M. C..., qui venait d'apprendre qu'une demande destinée à son remplacement avait été présentée par les sociétés appelantes, a néanmoins remis son rapport d'expertise. Du reste, la vice-présidente du tribunal administratif de Toulouse lui a fait part de son indignation quant aux termes et propos employés dans ce document par un courrier du 29 janvier 2018. Dans ces conditions, M. C... doit être regardé comme ayant manqué à son obligation d'impartialité. Dès lors c'est à bon droit que le tribunal a estimé que, si son rapport d'expertise qui a été soumis au débat contradictoire des parties, pouvait, le cas échéant, être retenu à titre d'information par le juge administratif, ses conclusions, entachées d'irrégularité, devaient néanmoins être écartées des débats.
Sur la responsabilité quasi-délictuelle :
6. Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage.
En ce qui concerne les fautes de conception de l'ouvrage de la maîtrise d'œuvre :
7. D'une part, aux termes de l'article 6.2.6 du cahier des clauses techniques particulières du marché en litige : " Dans le cadre du marché, les Eurocodes seront prioritaires sur les fascicules du cahier des clauses techniques générales. Les prescriptions techniques des fascicules qui ne sont pas abordées par les Eurocodes restent applicables. Notamment : Fascicule 74 du cahier des clauses techniques générales pour tous les ouvrages de contenance. On entend par " ouvrages de contenance " : tous les ouvrages contenant des eaux, des boues, etc... (compris canalisations du dalots coulés en place) ainsi que les cuves de rétention des réactifs en béton (...) ". Aux termes de l'article 6.2.9 de ce même cahier : " Classe d'étanchéité des ouvrages hydrauliques - Les ouvrages hydrauliques sont de classe 2 conformément à l'Eurocode 2 partie 3 ". L'article 6.2.10 du même document stipule : " Ouverture maximale des fissures - Les ouvertures de fissures sont conformes aux prescriptions de l'Eurocode 2 et en particulier pour les ouvrages hydrauliques en béton armé à la partie 3 de l'Eurocode 2. Les valeurs données ci-dessous sont des valeurs maximum : / Pour les ouvrages hydrauliques : voir partie 3 de l'Eurocode 2 / Pour tous les locaux techniques humides et locaux enterrés en contact permanent avec la nappe phréatique : 0.2 mm maximum (...) ". L'article 6.2.14 de ce même document énonce : " Etanchéité des ouvrages de contenance - L'étanchéité des ouvrages de contenance est obtenue dans la masse. (...) / Pour les ouvrages hydrauliques relevant de la classe d'étanchéité 2, les critères d'étanchéité du fascicule 74 s'appliquent : / aucun suintement ne sera admis sur les parois des ouvrages ; / les taches d'humidités, si elles sont temporaires et disparaissent rapidement après la mise en eau sont admises ; lors des essais d'étanchéité, 10 jours après la fin du premier remplissage, les pertes ne doivent pas dépasser les valeurs suivantes : / pertes ( 500 cm3/m² de paroi mouillée/jour pour un ouvrage dont l'étanchéité est assurée par la structure seule ; pertes ( 250 cm3/m² de paroi mouillée/jour pour un ouvrage muni d'un revêtement d'imperméabilisation ou d'un revêtement d'étanchéité. / Toutes ces dispositions seront scrupuleusement contrôlées lors des travaux. " Aux termes de l'article 6.9.7 du cahier des clauses techniques particulières : " L'étanchéité sera obtenue par la structure seule ".
8. D'autre part, le point 7.3.1 de l'Eurocode 2 partie 3 prévoit : " (110) - Il convient de noter que tous les bétons permettent le passage par percolation de faibles quantités de liquides et de gaz ". S'agissant des ouvrages de classe d'étanchéité 2, le même point prévoit : " Fuites minimales. Aspect non altéré par des taches (...) / Il convient généralement d'éviter les fissures dont il est prévisible qu'elles traversent la section sur toute son épaisseur, à moins que des mesures appropriées aient été prises (par exemple revêtements ou joints munis de profilés d'étanchéité). " Selon le fascicule 74 du cahier des clauses techniques générales auquel le cahier des clauses techniques particulières fait référence : " d) Constatation des fuites : Une simple tache humide, sans suintement, ne fait pas obstacle à la réception, si elle est temporaire et disparaît rapidement après la mise en eau. À l'expiration de ce délai et compte tenue de l'évaporation, les pertes ne doivent pas dépasser une valeur moyenne de 500 cm3 par mètre carré de paroi mouillée et par jour pour un réservoir sans revêtement, et 250 cm3 pour un réservoir muni d'un revêtement d'imperméabilisation ou d'étanchéité. Cette condition peut être considérée comme remplie, si l'on ne constate pas de fuite apparente ".
9. La société Eiffage génie civil reproche aux sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon, en charge de la maîtrise d'œuvre, d'avoir commis une faute de conception de l'usine de traitement d'eau potable résultant de l'incohérence des normes d'étanchéité figurant au cahier des clauses techniques particulières et de l'erreur commise dans le choix de la classe d'étanchéité de l'ouvrage.
10. D'une part, il résulte des clauses du marché en litige citées au point 7 que le fascicule 74 du cahier des clauses techniques générales pouvait suppléer l'absence de prescriptions de l'Eurocode 2 sur un point déterminé. Toutefois, le caractère prioritaire de l'Eurocode 2 devait conduire à écarter les stipulations du fascicule 74 contraires aux normes imposées par cet Eurocode.
11. Le cahier des clauses techniques particulières établi par les maîtres d'œuvre prévoit, à la fois, le classement des ouvrages hydrauliques dans la classe d'étanchéité 2 sur la base de l'Eurocode 2 partie 3 qui autorise des fuites minimales et un aspect non altéré par des tâches, et l'absence totale de suintement sur les parois des ouvrages sur la base du fascicule 74. Certes, le fascicule 74, qui prévoit qu'une tache humide temporaire qui disparaît rapidement après la mise en eau ne fait pas obstacle à la réception dès lors qu'aucun suintement n'a été constaté, autorise, en lui-même, une clause interdisant tout suintement. Mais, le renvoi à ce fascicule par le cahier des clauses techniques particulières avait pour effet d'imposer au titulaire du marché des critères d'étanchéité supérieurs à ceux prescrits par la classe 2 de l'Eurocode 2 partie 3, qui au demeurant, restaient prioritaires. Ce manque de cohérence, relevé par le cabinet d'expertise Sorrex saisi par la société Eiffage, puis par le premier expert, M. D..., est constitutive d'une faute de conception de l'ouvrage imputable aux sociétés appelantes en leur qualité de maître d'œuvre.
12. Cependant, cette faute n'a eu aucun impact sur le dimensionnement de l'ouvrage en béton armé puisque les règles de l'Eurocode 2 concernant le respect et la maîtrise de la fissuration, et non le fascicule 74, ont été utilisées par le bureau d'étude CGIS pour les calculs d'ouverture des fissures, ce bureau d'études ayant seulement choisi de recourir à ce fascicule au stade du pré dimensionnement de l'ouvrage. En revanche, lors des essais de mise en eau des bâches, une absence de suintement a été imposée par le maître d'œuvre à la société Eiffage Travaux publics sur la base des stipulations contractuelles prévues au point 6.2.14 fondées sur le fascicule 74. Ainsi, la société Eiffage Travaux publics, même si elle l'a acceptée s'est trouvée dans l'obligation de satisfaire à une exigence d'étanchéité supérieure aux prévisions du marché. Dès lors, cette faute de conception, qui a eu pour effet de rallonger ses délais d'exécution du marché, est, au moins partiellement, à l'origine des difficultés rencontrées par la société Eiffage Travaux publics lors de son exécution. Toutefois, cette dernière, qui se présente comme une entreprise de pointe dans la construction d'ouvrages en béton armé, a également fait preuve d'un comportement fautif en s'engageant contractuellement et en toute connaissance de cause au vu de son mémoire technique, à respecter un cahier des charges comportant des normes contraires, sans émettre la moindre réserve quant à l'incompatibilité des exigences sur le plan de l'étanchéité avec les caractéristiques de l'ouvrage à construire.
13. D'autre part, comme l'a relevé l'expert M. D..., compte tenu de la géométrie de l'ouvrage reposant sur une disposition compacte des réservoirs et intégrant des bassins supérieurs et des bassins inférieurs destinés à recevoir pour les premiers des eaux non potables et pour les seconds des eaux traitées, une étanchéité de classe 3 de l'Eurocode 2 partie 3, qui interdit toute fuite d'eau même minimale et non de classe 2, qui autorise des fuites minimales, aurait dû être retenue dès la conception du projet. L'erreur commise dans le choix de la classe d'étanchéité de l'ouvrage constitue ainsi une faute de conception également imputable aux sociétés appelantes.
14. Si ce classement en catégorie 3 qui impliquait, en l'espèce, la mise en place d'un revêtement d'étanchéité, avait été prévu dès la conception de l'ouvrage par les maîtres d'œuvre, il aurait évité à la société Eiffage Travaux publics de rallonger la durée du chantier nécessaire à la mise en œuvre d'un tel revêtement pour remédier à la fissuration de l'ouvrage. Dès lors, cette faute est également à l'origine de difficultés rencontrées par la société Eiffage Travaux publics au cours de l'exécution du marché.
En ce qui concerne les fautes de la maîtrise d'œuvre commises en phase d'exécution de l'ouvrage :
15. Il résulte de l'instruction, et en particulier des comptes rendus de réunions qu'au cours de la réalisation en béton armé de l'unité de traitement de l'eau potable, des fissures sont régulièrement apparues sur l'ensemble du bâtiment, notamment sur les voiles du sous-sol du bâtiment principal en novembre 2014, dont plusieurs d'une ouverture supérieure à 0,3 mm, puis sur la dalle du plancher en janvier 2015, sur les voiles des pulsatubes en mai 2015 et sur les canaux de filtres en novembre 2015. La société Eiffage Travaux publics, à l'origine de la détection des premières fissures en novembre 2014, a préconisé d'y remédier par leur pontage et l'application d'un revêtement d'étanchéité des voiles. Ces réparations ont été validées par le maître d'œuvre sous réserve d'effectuer un contrôle au peigne diélectrique sur les parties revêtues, de remettre en eau pendant un mois pour observation des zones visibles et, en cas de suintement ou de fuite après la remise en eau, de poursuivre le revêtement d'étanchéité sur l'intégralité de l'ouvrage concerné. En avril 2017, les anomalies constatées étaient en cours de résorption puisque 20 altérations dont 8 fuites, 8 suintements et 4 taches d'humidité étaient visibles sur les ouvrages hydrauliques alors qu'en novembre 2015, la société Eiffage Travaux publics faisait état de 73 fissures dénombrées.
16. Pour validation des opérations de réparation mises en œuvre par les sous-traitants de la société Eiffage, les bâches de l'ouvrage ont fait l'objet de deux essais de mise en eau consistant à leur remplissage en eau pendant une période donnée, afin de mesurer la perte en eau et inspecter leur aspect visuel. Le premier de ces essais a fait apparaître une perte en eau et un aspect visuel des bâches non conformes. Après le traitement des bâches par pontage des fissures et application d'un revêtement d'étanchéité, la seconde mise en eau a seulement donné lieu à une inspection visuelle des bâches qui a mis en évidence en avril 2017 une vingtaine d'anomalies.
17. Il résulte ainsi de l'instruction que si la réalisation d'un ouvrage en béton armé est nécessairement soumise à la fissuration, la construction de l'unité de traitement des eaux potables a néanmoins été affectée par un phénomène généralisé de fissuration de nature à porter préjudice au fonctionnement normal de l'ouvrage. La société Eiffage génie civil, pourtant experte en matière de béton armé, a d'ailleurs qualifié, dans sa lettre du 26 novembre 2015, le problème auquel elle était confrontée, d'imprévisible, évolutif, majeur et exceptionnel et a fait appel à un cabinet d'expertise pour en déceler les origines. Ainsi, l'ampleur et la généralité du phénomène observé, qui ne correspondait pas à quelques fuites minimales et à un aspect non altéré par des taches, montre que le procédé constructif utilisé par la société Eiffage Travaux publics ne lui a pas permis d'atteindre le niveau de performance attendu en matière d'étanchéité, même pour un ouvrage de classe 2, et que cette dernière a donc failli à ses obligations contractuelles. Ce manquement de la société Eiffage TP a nécessairement entraîné la mise en œuvre d'opérations de réparation qui ont retardé l'avancement du chantier. Par ailleurs, alors même que le maître d'ouvrage avait refusé de faire droit, le 11 mars 2016, à la demande d'ajournement formulée par la société Eiffage TP, cette dernière a néanmoins décidé de démobiliser ses équipes, contribuant à aggraver l'allongement de la durée d'exécution des travaux.
18. Mais, si le maître d'œuvre a pu justement refuser la validation des essais en eau dès lors que le constat de la fissuration, des fuites et suintements était de nature à porter préjudice au fonctionnement normal de l'ouvrage, qui supposait, comme indiqué au point 13 une étanchéité de classe 3, il a, de la sorte, fait supporter à la société Eiffage Travaux publics des critères d'étanchéité supérieurs à ceux contractuellement prévus par le classement de l'ouvrage en classe 2 de l'Eurocode 2 en se fondant sur le fascicule 74. Comme cela a été dit au point 12, l'application de ce fascicule, qui n'aurait pas dû figurer au nombre des normes du cahier des clauses techniques particulières, a eu pour effet de rallonger les délais d'exécution de l'ouvrage et est à l'origine de certaines des difficultés rencontrées par la société Eiffage TP au cours du chantier.
19. Eu égard aux fautes commises tant par la maîtrise d'œuvre que par la société Eiffage Travaux publics, il y a lieu de fixer leur part de responsabilité respective dans la survenance des difficultés rencontrées dans l'exécution du marché à 50 % pour les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon et à 50 % pour la société Eiffage Travaux publics.
20. Il résulte de ce qui précède, d'une part, que les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont mis à leur charge une part de responsabilité à hauteur de 80 % au lieu de 50 % et, d'autre part, que la société Eiffage génie civil n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges n'ont pas reconnu l'entière responsabilité des sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon dans la survenue des difficultés rencontrées au cours de l'exécution du marché.
Sur l'évaluation des préjudices subis par la société Eiffage :
21. Le titulaire du marché a droit à l'indemnisation intégrale du préjudice qu'il a subi du fait de retards dans l'exécution du marché imputables aux autres cocontractants du maître de l'ouvrage et distincts de l'allongement de la durée du chantier due à la réalisation des travaux supplémentaires, dès lors que ce préjudice apparaît certain et présente avec ces retards un lien de causalité directe.
22. En premier lieu, d'une part, dès lors que la responsabilité des sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon n'est pas entière mais s'élève à 50 %, la société Eiffage génie civil n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a écarté ses conclusions tendant à la condamnation de ces sociétés à lui régler la totalité du préjudice lié au surcoûts résultant de l'allongement de la durée du chantier.
23. D'autre part, les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon soutiennent que la société Eiffage génie civil n'établit pas la réalité des frais liés à la mobilisation de ses moyens humains et de son matériel mis en œuvre au titre des surcoûts liés à l'allongement de la durée du chantier. Toutefois, comme l'ont relevé les premiers juges aux points 22 à 25 de leur jugement, la société Eiffage génie civil justifie de ce chef de préjudice par les pièces produites au titre desquelles figurent le mémoire justificatif, son annexe 20 et les tableaux de prix. En l'absence de contestation utile de ces pièces par les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'étude Arragon, la société Eiffage génie civil établit la réalité et l'étendue de ce chef de préjudice.
24. En deuxième lieu, la société Eiffage génie civil sollicite l'indemnisation de son préjudice au titre de la perte d'industrie correspondant au report des 10 % du chiffre d'affaires escompté en 2015 sur une autre année fiscale qui ne lui a pas permis de couvrir une partie de ses frais généraux. Mais, dès lors qu'elle a obtenu l'indemnisation du surcoût des frais généraux liés à la prolongation de la durée du chantier pour un montant de 107 512,51 euros hors taxes, elle ne justifie pas de la réalité de ce chef de préjudice.
25. En troisième lieu, la société Eiffage génie civil n'établit pas la réalité de la perte de trésorerie alléguée du fait de l'avance des frais pour la réparation des travaux d'étanchéité engagés en 2015 et en 2017 dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le maître de l'ouvrage ait refusé de régler ces travaux dans le cadre du décompte de son marché.
26. En quatrième lieu, il n'est pas établi que la perte de chiffre d'affaires enregistrée par la société Eiffage génie civil Sud-Ouest serait directement en lien avec une perte d'image et d'atteinte à sa réputation résultant des difficultés rencontrées au cours de l'exécution du chantier de construction de l'unité de traitement d'eau potable de Rabastens.
27. En cinquième lieu, le maître de l'ouvrage, soit le syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable de la moyenne vallée du Tarn, a demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux de condamner la société Eiffage génie civil à lui verser une provision d'un montant de 1 475 121,97 euros au titre de pénalités de retard du fait de l'absence de livraison de l'unité de traitement d'eau potable dans les délais contractuels. Faisant usage de son pouvoir de modulation des pénalités, cette cour, qui a fixé à 60 % la part du retard imputable à la société Eiffage génie civil, l'a condamnée au paiement d'une provision d'un montant de 300 000 euros. Il s'infère de cette décision que le montant total des pénalités de retard représentait 500 000 euros. Dès lors que la part de responsabilité de la société Eiffage génie civil, dans l'origine des retards dans l'exécution du chantier, doit, ainsi qu'il a été dit au point 19 du présent arrêt, être fixée à 50 %, la part des pénalités de retard qui lui incombe s'établit à 250 000 euros. Elle a donc droit au remboursement de la somme de 50 000 euros.
28. En dernier lieu, la société Eiffage génie civil qui est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, a pu déduire cette taxe ayant grevé les surcoûts engagés du fait de la prolongation de la durée du chantier. Dès lors qu'elle n'a pas supporté la charge définitive de cette taxe, cette taxe n'a pas à être incluse dans le montant de l'indemnité qui lui est accordée.
29. Compte tenu de ce qui précède, l'indemnité à laquelle est en droit de prétendre la société Eiffage au titre des surcoûts liés à l'allongement de la durée du marché s'établit à la somme de 742 931,70 euros hors taxe. Cette somme doit être réduite à la somme de 371 465,85 euros hors taxe compte tenu de la part de responsabilité de 50 % de la société Eiffage dans la survenance des difficultés d'exécution du marché retenue au point 19. À cette somme, doit être ajoutée la somme de 50 000 euros, ainsi qu'il a été exposé au point 27 du présent arrêt.
30. Il résulte de tout ce qui précède que la société Eiffage génie civil est fondée à demander sur le terrain quasi-délictuel la condamnation des sociétés cabinet d'études Merlin et cabinets d'études Arragon au paiement de la somme de 421 465,85 euros hors taxes en raison des préjudices subis du fait de l'allongement de la durée du chantier.
31. Dès lors, les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon sont fondées à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, les premiers juges les ont condamnées à verser à la société Eiffage génie civil une somme de 594 345,36 euros hors taxe au titre des surcoûts liés à l'allongement de la durée du chantier au lieu d'une somme de 421 465,85 euros hors taxes.
32. Par ailleurs, la société Eiffage génie civil n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande de condamnation des sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon à lui verser la somme de 2 577 705,34 euros hors taxes en réparation de l'ensemble des préjudices subis, assortie de la taxe sur la valeur ajoutée à 20 %.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
33. La société Eiffage génie civil a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 421 465,85 euros hors taxes à compter de la date d'introduction de sa demande, soit le 17 juillet 2018. Il y a lieu d'accorder la capitalisation demandée pour les intérêts échus à compter du 17 juillet 2019, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les frais d'expertise :
34. Par une ordonnance du 29 janvier 2018, les frais de l'expertise confiée à M. C... ont été taxés et liquidés à hauteur de 31 677 euros toutes taxes comprises. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre ces frais à la charge définitive des sociétés cabinets d'études Merlin et cabinets d'études Arragon à hauteur de 25 % chacune, soit la somme de 7 919,25 euros toutes taxes comprises, et de la société Eiffage génie civil, soit à hauteur de 50 %, soit la somme de 15 838 euros toutes taxes comprises.
Sur les frais du litige :
35. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des sociétés cabinet d'études Merlin Merlin et cabinets d'étude Arragon, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société Eiffage génie civil au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de la société Eiffage génie civil une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Eiffage génie civil et non compris dans les dépens.
DÉCIDE:
Article 1er : La somme que les sociétés cabinet d'études Merlin et cabinet d'études Arragon sont condamnées à verser à la société Eiffage génie civil est ramenée à 421 465,85 euros hors taxe majorée des intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2018. Ces intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts échus à la date du 17 juillet 2019, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : La requête n° 21TL21672 et l'appel incident de la société Eiffage génie civil sont rejetés.
Article 4 : Les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 31 677 euros toutes taxes comprises sont mis à la charge définitive des sociétés Merlin et Arragon à hauteur de 25 % chacune, soit la somme de 7 919,25 euros toutes taxes comprises et de la société Eiffage génie civil à hauteur de 50 %, soit la somme de 15 838 euros toutes taxes comprises.
Article 5 : La société Eiffage génie civil versera aux sociétés cabinet d'étude Merlin et au cabinet d'étude Arragon une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société cabinet d'études Merlin, à la société cabinet d'études Arragon et à la société Eiffage génie civil.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au préfet du Tarn en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 21TL21639, 21TL21642