La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/12/2023 | FRANCE | N°23NT02369

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 15 décembre 2023, 23NT02369


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 14 février 2023 par lequel le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour,

l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixant son pays de renvoi.



Par un jugement n° 2300642 du 3 juillet 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 août, 13 septembre et 21 novembre 2023, M. B... A..., représenté par Me C...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 14 février 2023 par lequel le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour,

l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixant son pays de renvoi.

Par un jugement n° 2300642 du 3 juillet 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 août, 13 septembre et 21 novembre 2023, M. B... A..., représenté par Me Cavelier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 3 juillet 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Calvados du 14 février 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Calvados de procéder au réexamen de sa demande de titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, ou à son profit, sur le fondement des seules dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans l'hypothèse où sa demande d'aide juridictionnelle serait rejetée.

Il soutient que :

- le refus de titre de séjour contesté méconnaît l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il établit qu'il ne pourra pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;

- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette mesure d'éloignement méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard aux risques de persécutions auxquelles l'expose un retour en Mauritanie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2023, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Lellouch a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant mauritanien né le 21 décembre 1983, déclare être entré en France le 19 octobre 2019. Il a sollicité l'asile mais sa demande de protection internationale a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis la Cour nationale du droit d'asile. Il a présenté une demande de titre de séjour pour raisons de santé sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 14 février 2023, le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office. M. A... relève appel du jugement du 3 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 février 2023.

2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. " L'article

R. 425-11 du même code prévoit : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / Les orientations générales mentionnées au troisième alinéa de l'article L. 425-9 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé ". Aux termes de l'article R. 425-13 de ce code : " Le collège à compétence nationale mentionné à l'article R. 425-12 est composé de trois médecins, il émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du même article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège ". Enfin, l'article 3 de l'arrêté du 5 janvier 2017 visé ci-dessus précise : " L'avis du collège de médecins de l'OFII est établi sur la base du rapport médical élaboré par un médecin de l'office (...) ainsi que des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays dont le demandeur d'un titre de séjour pour raison de santé est originaire. / Les possibilités de prise en charge dans ce pays des pathologies graves sont évaluées, comme pour toute maladie, individuellement, en s'appuyant sur une combinaison de sources d'informations sanitaires. / l'offre de soins s'apprécie notamment au regard de l'existence de structures, d'équipements, de médicaments et de dispositifs médicaux, ainsi que de personnels compétents nécessaires pour assurer une prise en charge appropriée de l'affection en cause (...) ".

3. En vertu des dispositions citées au point précédent, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dont l'avis est requis préalablement à la décision du préfet relative à la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 425-9, doit émettre son avis dans les conditions fixées par l'arrêté du 27 décembre 2016 cité au point précédent, au vu notamment du rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.

4. Il ressort des pièces du dossier que par un avis du 9 janvier 2023, sur lequel s'est fondé le préfet pour prendre l'arrêté litigieux, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que l'état de santé de M. A... nécessite une prise en charge médicale, dont le défaut peut entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'il peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de soins de ce pays et que son état de santé lui permet d'y voyager sans risque.

5. M. A... soutient être atteint de la maladie de Basedow, maladie auto-immune de la thyroïde, compliquée d'une orbitopathie et fait valoir que sa maladie n'a pas été correctement traitée en Mauritanie. Il se prévaut d'un certificat médical du médecin spécialiste qui le suit, praticien hospitalier du service d'endocrinologie et de diabétologie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen, daté du 21 février 2023, selon lequel M. A... a été opéré d'une thyroïdectomie totale en août 2021 en raison d'une activité persistante des anticorps malgré un suivi régulier et une bonne observance des soins. Ce praticien atteste en outre que M. A... est actuellement supplémenté par la spécialité " L-Thyroxin Henning " avec un suivi biologique et que son état nécessite des contrôles réguliers. Il fait également valoir, en s'appuyant sur une note établie selon ses déclarations par son médecin spécialiste, que le sexe masculin est identifié comme un facteur de risque d'échec aux traitements médicamenteux et d'atteinte orbitaire plus sévère. Le requérant établit, par la production de certificats médicaux, qu'il a été traité jusqu'en décembre 2021, par Levothyrox, et que ce médicament n'empêchant pas l'hormone thyréostimulante (TSH) de poursuivre une augmentation progressive en dépit d'une bonne observance, qu'il lui est désormais prescrit la " L-Thyroxin Henning ", qui a permis de maintenir sa TSH " dans une zone de normalité ". Enfin, dans le dernier certificat médical qu'il a établi le 7 septembre 2023, produit pour la première fois en appel, le praticien hospitalier qui suit M. A... indique qu'il est " indispensable que M. A... puisse conserver un bon équilibre hormonal et une surveillance régulière pour limiter le risque de récidive et de complication de sa maladie. ".

6. De son côté, le préfet du Calvados fait valoir que selon un avis de la Haute autorité de santé du 7 février 2018, la spécialité " L-Thyroxin Henning " administrée à M. A... n'apporte pas d'amélioration du service médical rendu par rapport aux spécialités à base de levothyroxine, dont les molécules sont disponibles en Mauritanie. Il relève en outre que si M. A... s'appuie sur un rapport du ministre de la santé mauritanien de 2017, la politique mauritanienne en matière de santé a été revue en 2022, ainsi que cela ressort d'un rapport du 5 juillet 2022 disponible sur le site du ministère de la santé mauritanien. Il fait enfin valoir que le Levothyrox figure dans la liste des médicaments remboursables par la sécurité sociale établie par ce ministère. A cet égard, le préfet soutient que la circonstance qu'un médecin du centre de santé de Maghana a attesté que le médicament Levothyrox n'est pas disponible dans ce centre n'est pas de nature à établir qu'il n'est pas disponible ailleurs en Mauritanie.

7. Il ressort toutefois de l'avis de la Haute autorité de santé dont se prévaut le préfet, d'une part, que la spécialité " L-Thyroxin Henning " administrée à M. A... est indiquée en tant que" traitement adjuvant au traitement antithyroïdien de l'hyperthyroïdie une fois qu'un état euthyroïdien a été obtenu ", ce qui est précisément le cas de M. A... ainsi qu'en atteste le spécialiste du CHU de Caen qui le suit, et d'autre part, que dans cette hypothèse notamment, " le service médical rendu par les spécialités " L-Thyroxin Henning " est important ". Au regard de l'ensemble de ces éléments, le préfet du Calvados a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en estimant que M. A... était susceptible de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus de titre de séjour. Les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi doivent être annulées par voie de conséquence de l'annulation du refus de titre de séjour.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à M. A... d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer un tel titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. Il n'y a pas lieu, à ce stade, d'assortir cette injonction de l'astreinte sollicitée.

Sur les frais liés au litige :

10. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Cavelier, avocat du requérant, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Cavelier de la somme de 1 200 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 3 juillet 2023 et l'arrêté du préfet du Calvados du 14 février 2023 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Calvados de délivrer à M. A... un titre de séjour pour motif humanitaire sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Article 3 : L'Etat versera à Me Cavelier une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 30 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

La présidente,

C. BRISSON

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT02369


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02369
Date de la décision : 15/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CAVELIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-15;23nt02369 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award